lundi 31 décembre 2018

Pages Capriotes : Voyage à Capri avec l'impertinent Maxime du Camp

Pages Capriotes

Flâneries à Capri avec un écrivain du voyage

Voyager par goût, voyager par plaisir, voyager pour apaiser la voracité de son éditeur et l'impatience de ses lecteurs !
Le grand art des déambulations, c'est tout cela ...et rien du tout, si on ne sait voyager avec ce don merveilleux et rare qui s'appelle le sens de l'humour léger !
Non pas la manie de dérision, ou la tentation du cynisme, surtout pas l'arrogance de celui qui croit avoir fait le tour d'une île comme d'une personne, un de ces êtres fats  qui n'envisagent que l'écume des choses, les préjugés rapides  sur les contrées, l'apparence ou la fortune, la situation mondaine, des hommes et des femmes rencontrés en chemin.
Vers le milieu du XIXème siècle, cet âge d'or des écrivains du voyage, un aventurier de belle allure promenait sa désinvolture aimable et sa curiosité souriante du côté du golfe de Naples.
Un de ses amis allait bientôt connaître une notoriété pour lycéens complexés, un certain Flaubert qui infligerait l'ennui de sa Madame Bovary aux jeunes générations exaspérées...Or, le sémillant, le vif, l'épicurien, le charmant Maxime du Camp se moquait bien des mélancoliques humeurs des épouses de médecins de province, son idéal c'était la découverte de lieux imprévus  et l'observation bienveillante de ses semblables si différents, si ondoyants, si divers ... Un paysage vide n'inspire que les égoïstes, Maxime du Camp reflétait la bonté autant que l'enthousiasme de l'artiste voyageur.voyager en sa compagnie signifie retrouver le goût de la vie, c'est l'apanage des auteurs immortels...
Le voici au printemps 1862 sur une coque de noix qui tangue avec délectation vers l'île dont le nom seul redonne le sourire aux affligés, le soleil au coeur de la pluie, la lumière au milieu des nuits profondes: Capri !
L'île l'attend drapée en ses voiles bleutés, les rameurs de sa" Lancia" s'évertuent et s'encouragent sur un ton guilleret;
"Allons, ramons, il y a là un bon monsieur qui nous donnera de quoi acheter du macaroni !"
et l'ami Maxime d'admirer cette philosophie à la mode napolitaine:
"En somme, ils résumaient assez bien l'existence, où chacun rame de son mieux pour atteindre le macaroni de ses rêves..."
Mais, cette Capri tant imaginée, cette terre si proche du paradis, cet ultime vestige de l'Atlantide pourvue de trésors et habitée par des êtres à la grâce et l'intelligence surnaturelle, cette patrie des Sirènes aux ailes d'oiseaux et des empereurs architectes et astrologues, est-ce une réalité ou un mirage qui chavirera dans les flots ?
Que non pas ! Voilà l'ami Maxime un peu abasourdi, la tête bourdonnante et les sens en éveil, assailli par un aréopage de belles insulaires qui lui arrachent sans façon son bagage ! A l'instar d'un vieux marin fumant sa pipe malgré le déchaînement des orages, notre aventurier reste d'une superbe impavidité:
"Sachant par expérience que la femme est naturellement et obstinément rebelle à toute sorte de raisonnements, je les laisse faire sans même essayer de défendre un malheureux sac de nuit qui risquait fort d'être mis en pièces pendant la bagarre.Après un long combat, celles qui restèrent maîtresses du terrain chargèrent virilement les paquets sur leur tête, et je les suivis humblement, ainsi qu'il convient à un homme résigné."
Nul funiculaire ne crache au bourg de Capri ses hordes de touristes d'un après-midi à cette lointaine époque !L'ami Maxime est tout de suite confronté aux romantiques chemins rocailleux qui escaladent à la manière de rampes ou d'escaliers l'île pareille à une citadelle bordée de jardins fleuris et de bois sauvages. Aujourd'hui, on ne jure que par la petite place du village de Capri, ce minuscule théâtre qui fait se pâmer les Amoureux en lune de miel et les passionnés avides de récolter de belles images. Toutefois, en l'an 1862, plusieurs années avant le coup de foudre d'Axel Munthe envers Anacapri  parfumé de l'âcre effluve de l'inconnu, si les âmes férues du Grand Tour avaient lu Tacite et ses propos sans doute outrés sur Tibère, l'exilé de Capri après Auguste, le mythe de la Piazzetta était encore dans les limbes.
L'ami Maxime s'amuse au contraire en parvenant à ce rustique coeur du village où il n'imaginerait certes pas que s'entassent un jour lointain princes, écrivains, hommes politiques, actrices ou milliardaires :
"Il y a à Capri, légitime sujet d'orgueil pour les habitants, un vraie place carrée, et qui exige au moins une minute pour en faire le tour; là sont venus converger les divers éléments publics et privés qui constituent la vie des peuples: le corps de garde, le café, le bureau de poste et l'apothicaire.Un assez large escalier conduit à l'église, qui ne se montre que de profil à l'angle de la place ." Maxime est un voyageur courtois, levant sa canne en signe d'approbation, il suit un guide envoyé par Athéna, un jeune Capriote cachant un dieu antique sous sa marinière d'humble pêcheur, et le voici remontant la via Matermania , puis tournant à gauche , se hissant sur un raidillon et remontant cette fois via Tiberio, promenade classique de nos jours, mais promenade tendue entre le visible et l'invisible, errance romaine sur des dalles immémoriales et des cailloux faits pour les chèvres !
L'ami Maxime, érudit sans l'avouer avec la politesse des gens pour lesquels la culture est un pain quotidien et non une source de vanité ou, pire, un luxe interdit aux simples mortels, se réjouit de visiter la plus somptueuse des douze villas bâties sur l'ordre de l'empereur Tibère en hommage aux douze grands dieux . Il respire les senteurs capiteuses des innombrables fleurs couvrant l'île d'une coulée exubérante, il se sent amoureux, hardi, et en tout point de l'humeur de l'empereur Auguste !
Ne se souvient-il que l'empereur malade et morose, en son premier jour sur l'île des Sirènes, recouvra forces neuves et bonheur d'exister en posant un  regard émerveillé sur une branche quasi morte qui, vivifiée par la lumière du matin, se couvrit de bourgeons sur un buisson accroché à la falaise ?
Par contre, le fantastique palais surplombant la baie de Naples d'où Tibère interrogeait les destinées  dans les étoiles éparpillées au sein de la voûte céleste ne résonne plus d'échos, ne fascine plus de sa démesure, c'est l'antre du vent et le royaume des ruines. A la place du vieil et sombre empereur que ses détracteurs chargeaient de tous les crimes de l'humanité, un ermite débonnaire veille à l'augmentation de la population et cuisine pour les voyageurs affamés ...
Tant pis pour Tibère ! L'ami Maxime redescend de ses rêveries antiques et s'approche des vivants, des Capriotes et bientôt des gens de la montagne , les fiers Anacapriotes, car l'île est coupée étrangement en deux mondes qui s'épient d'un regard peu amène !
Capri ne mérite pas le titre décerné par Auguste d'île de la nonchalance , on y est laborieux, vaillant et d'une honnêteté à toute épreuve:
"A l'heure actuelle, il n'y a pas un seul coupable dans la prison de l'île .Ici les moeurs ont une mansuétude exceptionnelle exceptionnelle; on laisse volontiers  sa porte ouverte pendant la nuit, et lorsqu'on est absent: il n'y a guère d'exemple qu'un vol soit essayé: à peine ça et là signale-t-on quelque maraudeur de verger...Cette douce et industrieuse population s'administre, se conduit et se garde elle-même; il n'y a pas un seul gendarme dans l'île entière et les choses n'en vont pas plus mal."
La santé des heureux Capriotes est aussi éclatante que leur soleil ! Quoi de plus naturel dans une île où la marche est une nécessité et l'entretien de son jardin une loi de survie ? Personne n'a le loisir de se prendre en pitié, la terre est rare, la pêche dure, mais le Capriote reste joyeux et la Capriote belle à rivaliser avec les déesses antiques !
La-dessus, l'ami Maxime décide de grimper les marches de pierre qui depuis dix mille années,( mais qu'est-ce que l'océan des âges pour une île sortie de la nuit des temps) sont la voie royale pour ceux persuadés que subsiste en notre fol univers un lambeau du paradis terrestre.
Le hardi voyageur se hisse ainsi sur la montagne dérobant aux simples mortels les délices d'Anacapri, la citée d'en-haut selon son beau nom grec datant des Tyrrènes.
Après les ruelles étroites et blanches de Capri, l'aventureux Français tout éberlué s'écrie:
" C'est au milieu d'une douzaine d'enfants criant:"un bajocco !"(un sou)que je suis entré à Anacapri qui ne ressemble en rien à la ville de Capri.Autant cette dernière est ramassée et pressée dans l'étroit espace qu'elle occupe, autant l'autre , voyant une sorte de plaine autour d'elle, s'est étendue à son aise et à éparpillée ses maisons."
Intrigué par ce vaste balcon cerné de vergers et de potagers, l'ami Maxime parcourt d'un pas rêveur les allées et rues, charmé du chant d'une bergère, de la vivacité des joueurs de scopa (le fameux jeu de cartes qui ruina les héros du célèbre film"L'argent de la vieille "!)et bientôt fasciné par le chef d'oeuvre insoupçonné qui l'attend sur le sol de l'église dédié à San Michele: un paradis terrestre en majolique dessiné, façonné, inventé en 1761 par un mystérieux Leonardo Chiaiese.
Maxime du Camp a beau s'ingénier à observer une réserve amusée d'une grande élégance face aux surprises du voyage, cette fois, il réagit en Français méridional ou en Italien d'adoption, quasi en Anacapriote passionné ! Ce paradis le transporte, le subjugue au point  de réveiller son âme d'enfant !
Cet esprit un tantinet cynique est incapable de détacher ses yeux de ce spectacle d'une fraîcheur et d'une naïveté étourdissantes :
" Ce pavé, nous confie-t-il en détaillant chaque figure, chaque scène déroulées à ses pieds, est composé de carreaux de faïence peinte, dont l'ensemble harmonieux représente le paradis terrestre au moment où Adam et Eve en sont chassés...Tout est de grandeur naturelle...c'est une scène gigantesque à laquelle assistent tous les animaux de la création, et que les astres regardent du haut du ciel.
Le long de fleuves azurés qui baignent des prairies vertes comme des émeraudes, qu'abritent des caroubiers et des chênes, des troupeaux paissent tranquillement, mêlés à des animaux féroces qui dorment en paix au milieu d'eux."
Anacapri se confondra-t-il avec cette vision exquise ? Maxime tente le périple des tours de guet que la perte de leur mission ancienne transforme peu à peu en monuments en péril...Mais ce romantisme des ruines ne le touche pas autant que la fresque de majolique où l'on voit une vache au charme extraordinaire ! cette brave bête à elle seule l'aide à endurer la descente vers Capri en frôlant les précipices ...Une sensation de danger que ne diminue pas la beauté des falaises tombant dans la mer d'une nuance d'Aigue-marine verdie. Maxime est trop fier pour nous avouer sa frayeur, un mot lui échappe toutefois quand il observe le pas sûr des femmes d'Anacapri:
 "Les femmes d'Anacapri vont et viennent lestement sur ces interminables escaliers, où ne glissent pas leurs pieds nus.J'en ai suivi longtemps des yeux une qui soutenait en équilibre une commode sur sa tête, et qui gravissait les degrés avec une ferme rapidité que je lui enviais."
Enfin, en homme conscient des obligations d'un dur quotidien, il s'interroge sur l'étrange querelle immémoriale opposant Capri à Anacapri .
Pourquoi tant d'animosité ? Au nom de quelle singulière fatalité les deux villages se détestent-ils ? L'énigme dépasse les efforts du Français ! Un ancien soldat de Napoléon, venu un après-midi sur l'île pour ne plus jamais en repartir(ce qui prouve un solide bon sens) lui explique que rien, absolument rien, ne viendra à bout de cette haine entre frères insulaires.
D'ailleurs, en 1836, se souvient-il avec résignation, quand le village de Capri souffrit de la famine en raison des tempêtes du moi de Mars empêchant les navires de traverser le golfe, le conseil municipal d'Anacapri ne lui envoya-t-il ce message :
"On était prêt à lui expédier à lui, qui n'était point né à Capri, la farine dont il avait besoin pour sa consommation personnelle, mais rien ne serait envoyé aux Capriotes qu'on serait trop heureux de voir mourir de faim ".
Ciel ! Pourtant, la gentillesse des Anacapriotes est immense comme la mer !
 De nos jours, l'éternelle discorde bat-elle encore son plein ? Un semblant de rivalité excite peut-être les deux villages...Mais la douceur d'Anacapri, son atmosphère radieuse au souffle de pure poésie en ses paysages agrestes, efface toute idée de zizanie.
Capri  irradie au printemps, bourdonne en été, murmure en hiver, Anacapri enchante à longueur d'année: chaque voyageur aimable à l'instar de l'ami Maxime du Camp ne passera qu'un mauvais moment sur l'île : à l'instant  si cruel du départ ...

Bonne année !

Je vous souhaite de voyager en rêve, au hasard des "Souvenirs de voyage", ou pour de vrai ...

Lady Nathalie-Alix

L'église San Michele d'Anacapri et son merveilleux
pavement en majolique représentant le paradis terrestre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire