dimanche 9 décembre 2018

Un fils pour Mr de Talleyrand : chap 24, "Les amants du Louvre"


Chapitre 24 »Les Amants du Louvre »

Un fils pour monsieur de Talleyrand

Roman épistolaire sur les amours de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord et Adélaïde de Flahaut

Lettre de la baronne de Barbazan à Monsieur Charles-Maurice de Talleyrand, abbé de Périgord

Manoir de Barbazan, Commingeois,

Le 30 septembre 1784

Monsieur, notre amie me prie de vous rassurer au sujet de sa santé que vous pensiez étrangement altérée. Vous vous inquiétiez du ton soudain sérieux et pensif employé au sein de vos promenades en montagne.Vous l'avez ainsi quittée fort soucieux, et même frappé d'étonnement devant pareille métamorphose. Je puis vous assurer ce matin, qu'en dépit de la mélancolie suscitée par votre absence, notre malicieuse et spirituelle Adélaïde a recouvré ses forces un moment disparues, et surtout cette bonne humeur qui enchante toute la maisonnée !
Mes filles babillardes s'accrochent à sa robe, notre brave chien de berger, titré par vos soins « chevalier au panache blanc » lui sert de garde personnelle, mes fils applaudissent à ses facéties et bavardages, nos servantes, nos voisines ne se lassent point d'écouter les conseils prodigieux, romans parisiens et plaisanteries rieuses de ce tourbillon qu'est redevenue l'espiègle comtesse de Flahaut.
Votre séjour nous a rempli de fierté. 
Vos paroles ont provoqué l'admiration générale dans ce lieu perdu où nul ne s'aviserait de s'exprimer avec tant de vivacité, que dis-je de virtuosité , voire, si vous me permettez, Monsieur, de galante effronterie !
Vous le voyez, vous égarez les simples mortels là où vous daigniez passer, et, j'en perds le fil de ma lettre … Votre pouvoir sur les cœurs féminins tient du sortilège en vérité ! Il n'est pas une vertueuse dame de Tarbes à Pau dont vous n'ayez égayé la solitude provinciale … La verve mutine de notre amie est contagieuse, et j'en profite pour me risquer à vous piquer, ce que vous jugerez certes fort audacieux de la part d'une mère toute entière obsédée par ses devoirs !
Je vous écris à l'heure où ma jeune famille prend sa collation, ce moment paisible est mis à profit afin de vous laisser deviner une nouvelle que Madame de Sévigné en son temps glorieux aurait fait claquer comme un étendard... là, ne comprenez-vous ? Si, non, allons, Monsieur !
Notre amie a gardé le sens du devoir et c'est son digne époux, ce comte de Flahaut martyrisé par la goutte, rompu de rhumatismes, harcelé de refroidissements infinis, qui aura la surprise les jours prochains d'apprendre qu'un nouveau rameau fleurira au printemps sur la branche de son arbre généalogique remontant aux exploits de l'ancienne chevalerie.
Vous êtes, Monsieur, d'un flegme à toute épreuve, pourtant ouïr cette nouvelle illuminera peut-être le ciel de Paris en ce début d'automne que j'aime à croire aussi enivrant et généreux dans vos jardins qu'il l'est sur nos pâturages et forêts.
Je vais vous abandonner à vos affaires et sans doute à un horizon fort touchant …
Madame de Flahaut a décidé de ne regagner son grenier du Vieux Louvre qu'une fois libérée des premiers malaises de cette longue attente. Nous la confierons à des cousins de la dame d'atours de la reine, Madame d'Ossun, qui sont conviés à faire leurs preuves de noblesse à Versailles d'ici un mois.
Je gage, Monsieur, que vous verrez en l'enfant à naître un objet de tendresse qui tiendra une place de choix dans vos affections …

Je suis, Monsieur, votre servante,

comptez, je vous prie, sur nos amitiés, mon époux me charge de mille compliments,

Sophie de Barbazan,

Lettre du comte de Flahaut à la comtesse de Flahaut
Vieux Louvre, Paris,

le 10 octobre 1784


Madame et chère amie,

je revenais de ma promenade de santé vers Notre-Dame, appuyé sur ma canne, un point que j'ai en commun avec notre ami le fringant abbé de Périgord, quand le domestique de madame de Barbazan m'a coupé la route de toute l'alacrité de son patois claironnant.
On m'entoura aussitôt tant parût plaisant aux yeux moqueurs des parisiens le tableau de ce grand diable de Gascon en culotte et veste de peau de mouton ou de chèvre présentant son béret rouge à un vieux gentilhomme édenté qui semble déjà un pied dans la tombe. Je suis d'avis Madame, que l'odeur du fromage, caché dans la besace de notre berger égaré face aux murailles de l'antique palais de nos rois, détient la propriété de réveiller les morts et de rendre la santé aux agonisants.
Rajeuni par ces puissantes effluves, je m'enhardis jusqu'à allonger le pas et nous escaladâmes ensemble les 160 marches de mon supplice quotidien. L'homme des montagnes n'hésita point à me prendre quasi dans ses bras, ce qui manqua de m'asphyxier en me rendant à proximité immédiate du présent pyrénéen. Cela fut une délivrance d'envoyer ce brave messager se sustenter au fond de notre logis... Lisette, la brusque et décidée servante de 16 printemps nouvellement adressée par monsieur de Montesquiou qui entendait vous en faire la surprise, lui sauta au cou. Je les laissai tous deux dévorer le fromage de la galanterie.
J'ouvris l'esprit charmé par avance votre billet, je le lus, le relus, incrédule puis, l'âme inondé de tendresse, je me livrai au bonheur d'une lettre m'annonçant ma prochaine paternité.
 Ainsi, Madame, vous sauverez bientôt un nom remontant aux croisades, vous donnerez à une famille un rejeton promis à un destin que j'imagine sans peine éclatant et illustre . Vous le savez, Madame, un enfant est le fils ou la fille de celui qui l’élevé au sein du foyer, qui lui apprend à manier l'épée de ses ancêtres autant que la courtoisie et le beau langage de l'homme du monde. Je serai celui-là , Madame, avec votre permission …
Cet enfant, fruit de notre séjour aux eaux de Bagnères-de-Luchon, insuffle en mes veines glacées un enthousiasme juvénile . Je déborde de projets, la vie qui s'en allait en mon cœur lassé de tout se ranime comme la sève d'un chêne au printemps . Merci, Madame, de ce cadeau de la Providence ! Je vous ouvre mes bras et en entoure déjà l'enfant à naître . Les vieux Romains disaient avec une noble simplicité : « C'est l'époux qui est le père ».
Vous m'élevez, Madame, à cette dignité paternelle que je n'espérais plus.
Prenez un soin extrême de votre personne, revenez à Paris doucement, accumulez les retards, les haltes, votre état est ce qui importe seul …

Madame, recevez mon affection paternelle,

je suis votre serviteur dévoué,

Charles- François de Flahaut de La Billarderie


Lettre de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord à la comtesse de Flahaut

Paris, le 17 octobre 1784

Madame et ma chère amie,

Adélaïde, que m'apprenez-vous-là ?
L'annonce de votre embonpoint me sidère et me ravit au point que je ne sais quoi vous dire .
Suis-je d'ailleurs le plus heureux des hommes ou est-ce le bon monsieur de Flahaut ?
Vous me transportez de bonheur, sentiment singulier qui m'étonne moi-même...
Nous aimerons cet enfant, cela ne peut être qu'un fils, je ne le conçois point autrement, et il nous rendra fier, n'héritera-t-il de votre charme et de mon esprit ? Il sera assurément exceptionnel !
Allons, mon amie, tâchez de ne pas avoir d'accident fâcheux, buvez le lait des troupeaux paissant sur les prairies de Barbazan, engraissez, prenez des forces, écrivez-moi aussi .
Pourquoi regagner Paris avant votre terme ?
Madame de Barbazan saura vous entourer, je crains au contraire les mauvaises routes, les bandits,
l'épuisement enfin d'un voyage franchement très inutile . Monsieur de Flahaut soignera sa goutte sous la houlette de la petite servante fraîche comme un bouton de rose que votre ami Montesquiou a envoyé au Vieux Louvre . Paris vous attendra, ne songez qu'à notre fils, je vous en conjure à défaut d'avoir le droit de vous l'ordonner …

Mille tendres affections,

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord

Ps : brûlez cette lettre

Lettre de la comtesse de Flahaut à Monsieur l'abbé de Périgord

Manoir de Barbazan, Commingeois

Le 27 octobre 1784

Monsieur mon tendre ami,

La poste vient d'apporter à bride abattue votre billet d'encouragement que je parcours la tête chavirée juste avant de monter dans la diligence de Toulouse., Monsieur, voudriez-vous me tenir recluse en ce mortel Commingeois ?
Il est grande urgence que je retrouve la civilisation !
Ignorez-vous l'inertie intolérable des petites montagnes noyées de pluie , des pâturages humides et comme fripés ? Des bois tristes et noirs ? Supporteriez-vous plus de dix minutes l'insipide conversation du baron de Barbazan qui ne s'occupe que de paille dans ses étables, de toits à reprendre, de paysans à nourrir, de vaches à traire, de brebis à dorloter ? 
 Tout cela est admirable et ferait le bonheur de Monsieur Rousseau, mais pour moi, il n'en est plus question ! Auriez-vous honte, Monsieur, de mon fameux embonpoint ? 
Sachez donc qu'il me convient à merveille et que mon teint en resplendit !
Vous n'aurez qu'à louer mes rondeurs et venir prendre soin de votre amie au vieux Louvre si vous vous alarmez tant pour elle …
Monsieur, je vous manderai de mes nouvelles à Toulouse demain, à Bordeaux bientôt, à Paris la semaine prochaine,
Je vous envoie, en retour des vôtres, mes tendresses infinies.
Quel ton, Monsieur, pour un peu on croirait qu'un cœur bat dans votre poitrine …

Je vous embrasse de tout le mien qui bat beaucoup un peu pour vous, et beaucoup pour l'enfant que je porte ,
Adélaïde de Flahaut

Nathalie-Alix de La Panouse


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