Chapitre 24 »Les Amants du
Louvre »
Un fils pour monsieur de Talleyrand
Roman épistolaire sur les amours de
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord et Adélaïde de Flahaut
Lettre de la baronne de Barbazan à
Monsieur Charles-Maurice de Talleyrand, abbé de Périgord
Manoir de Barbazan, Commingeois,
Le 30 septembre 1784
Monsieur, notre amie me prie de vous
rassurer au sujet de sa santé que vous pensiez étrangement altérée.
Vous vous inquiétiez du ton soudain sérieux et pensif employé au
sein de vos promenades en montagne.Vous l'avez ainsi quittée fort
soucieux, et même frappé d'étonnement devant pareille
métamorphose. Je puis vous assurer ce matin, qu'en dépit de la
mélancolie suscitée par votre absence, notre malicieuse et
spirituelle Adélaïde a recouvré ses forces un moment disparues, et
surtout cette bonne humeur qui enchante toute la maisonnée !
Mes filles babillardes s'accrochent à
sa robe, notre brave chien de berger, titré par vos soins
« chevalier au panache blanc » lui sert de garde
personnelle, mes fils applaudissent à ses facéties et bavardages,
nos servantes, nos voisines ne se lassent point d'écouter les
conseils prodigieux, romans parisiens et plaisanteries rieuses de ce
tourbillon qu'est redevenue l'espiègle comtesse de Flahaut.
Votre séjour nous a rempli de fierté.
Vos paroles ont provoqué l'admiration générale dans ce lieu perdu
où nul ne s'aviserait de s'exprimer avec tant de vivacité, que
dis-je de virtuosité , voire, si vous me permettez, Monsieur,
de galante effronterie !
Vous le voyez, vous égarez les simples
mortels là où vous daigniez passer, et, j'en perds le fil de ma
lettre … Votre pouvoir sur les cœurs féminins tient du sortilège
en vérité ! Il n'est pas une vertueuse dame de Tarbes à Pau
dont vous n'ayez égayé la solitude provinciale … La verve mutine
de notre amie est contagieuse, et j'en profite pour me risquer à
vous piquer, ce que vous jugerez certes fort audacieux de la part
d'une mère toute entière obsédée par ses devoirs !
Je vous écris à l'heure où ma jeune
famille prend sa collation, ce moment paisible est mis à profit afin
de vous laisser deviner une nouvelle que Madame de Sévigné en son
temps glorieux aurait fait claquer comme un étendard... là, ne
comprenez-vous ? Si, non, allons, Monsieur !
Notre amie a gardé le sens du devoir
et c'est son digne époux, ce comte de Flahaut martyrisé par la
goutte, rompu de rhumatismes, harcelé de refroidissements infinis,
qui aura la surprise les jours prochains d'apprendre qu'un nouveau
rameau fleurira au printemps sur la branche de son arbre généalogique
remontant aux exploits de l'ancienne chevalerie.
Vous êtes, Monsieur, d'un flegme à
toute épreuve, pourtant ouïr cette nouvelle illuminera peut-être
le ciel de Paris en ce début d'automne que j'aime à croire aussi
enivrant et généreux dans vos jardins qu'il l'est sur nos
pâturages et forêts.
Je vais vous abandonner à vos affaires
et sans doute à un horizon fort touchant …
Madame de Flahaut a décidé de ne
regagner son grenier du Vieux Louvre qu'une fois libérée des
premiers malaises de cette longue attente. Nous la confierons à des
cousins de la dame d'atours de la reine, Madame d'Ossun, qui sont
conviés à faire leurs preuves de noblesse à Versailles d'ici un
mois.
Je gage, Monsieur, que vous verrez en
l'enfant à naître un objet de tendresse qui tiendra une place de
choix dans vos affections …
Je suis, Monsieur, votre servante,
comptez, je vous prie, sur nos amitiés,
mon époux me charge de mille compliments,
Sophie de Barbazan,
Lettre du comte de Flahaut à la
comtesse de Flahaut
Vieux Louvre, Paris,
le 10 octobre 1784
Madame et chère amie,
je revenais de ma promenade de santé
vers Notre-Dame, appuyé sur ma canne, un point que j'ai en commun
avec notre ami le fringant abbé de Périgord, quand le domestique de
madame de Barbazan m'a coupé la route de toute l'alacrité de son
patois claironnant.
On m'entoura aussitôt tant parût
plaisant aux yeux moqueurs des parisiens le tableau de ce grand
diable de Gascon en culotte et veste de peau de mouton ou de chèvre
présentant son béret rouge à un vieux gentilhomme édenté qui
semble déjà un pied dans la tombe. Je suis d'avis Madame, que
l'odeur du fromage, caché dans la besace de notre berger égaré
face aux murailles de l'antique palais de nos rois, détient la
propriété de réveiller les morts et de rendre la santé aux
agonisants.
Rajeuni par ces puissantes effluves, je
m'enhardis jusqu'à allonger le pas et nous escaladâmes ensemble les
160 marches de mon supplice quotidien. L'homme des montagnes n'hésita
point à me prendre quasi dans ses bras, ce qui manqua de m'asphyxier
en me rendant à proximité immédiate du présent pyrénéen. Cela
fut une délivrance d'envoyer ce brave messager se sustenter au fond
de notre logis... Lisette, la brusque et décidée servante de 16
printemps nouvellement adressée par monsieur de Montesquiou qui
entendait vous en faire la surprise, lui sauta au cou. Je les laissai
tous deux dévorer le fromage de la galanterie.
J'ouvris l'esprit charmé par avance
votre billet, je le lus, le relus, incrédule puis, l'âme inondé de
tendresse, je me livrai au bonheur d'une lettre m'annonçant ma
prochaine paternité.
Ainsi, Madame, vous sauverez bientôt un nom
remontant aux croisades, vous donnerez à une famille un rejeton
promis à un destin que j'imagine sans peine éclatant et illustre .
Vous le savez, Madame, un enfant est le fils ou la fille de celui qui
l’élevé au sein du foyer, qui lui apprend à manier l'épée de
ses ancêtres autant que la courtoisie et le beau langage de l'homme
du monde. Je serai celui-là , Madame, avec votre permission …
Cet enfant, fruit de notre séjour aux
eaux de Bagnères-de-Luchon, insuffle en mes veines glacées un
enthousiasme juvénile . Je déborde de projets, la vie qui s'en
allait en mon cœur lassé de tout se ranime comme la sève d'un
chêne au printemps . Merci, Madame, de ce cadeau de la Providence !
Je vous ouvre mes bras et en entoure déjà l'enfant à naître . Les
vieux Romains disaient avec une noble simplicité : « C'est
l'époux qui est le père ».
Vous m'élevez, Madame, à cette
dignité paternelle que je n'espérais plus.
Prenez un soin extrême de votre
personne, revenez à Paris doucement, accumulez les retards, les
haltes, votre état est ce qui importe seul …
Madame, recevez mon affection
paternelle,
je suis votre serviteur dévoué,
Charles- François de Flahaut de La
Billarderie
Lettre de Charles-Maurice de
Talleyrand-Périgord à la comtesse de Flahaut
Paris, le 17 octobre 1784
Madame et ma chère amie,
Adélaïde, que m'apprenez-vous-là ?
L'annonce de votre embonpoint me sidère
et me ravit au point que je ne sais quoi vous dire .
Suis-je d'ailleurs le plus heureux des
hommes ou est-ce le bon monsieur de Flahaut ?
Vous me transportez de bonheur,
sentiment singulier qui m'étonne moi-même...
Nous aimerons cet enfant, cela ne peut
être qu'un fils, je ne le conçois point autrement, et il nous
rendra fier, n'héritera-t-il de votre charme et de mon esprit ?
Il sera assurément exceptionnel !
Allons, mon amie, tâchez de ne pas
avoir d'accident fâcheux, buvez le lait des troupeaux paissant sur
les prairies de Barbazan, engraissez, prenez des forces, écrivez-moi
aussi .
Pourquoi regagner Paris avant votre
terme ?
Madame de Barbazan saura vous entourer,
je crains au contraire les mauvaises routes, les bandits,
l'épuisement enfin d'un voyage
franchement très inutile . Monsieur de Flahaut soignera sa goutte
sous la houlette de la petite servante fraîche comme un bouton de
rose que votre ami Montesquiou a envoyé au Vieux Louvre . Paris vous
attendra, ne songez qu'à notre fils, je vous en conjure à défaut
d'avoir le droit de vous l'ordonner …
Mille tendres affections,
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
Ps : brûlez cette lettre
Lettre de la comtesse de Flahaut à
Monsieur l'abbé de Périgord
Manoir de Barbazan, Commingeois
Le 27 octobre 1784
Monsieur mon tendre ami,
La poste vient d'apporter à bride
abattue votre billet d'encouragement que je parcours la tête
chavirée juste avant de monter dans la diligence de Toulouse., Monsieur, voudriez-vous me
tenir recluse en ce mortel Commingeois ?
Il est grande urgence que je retrouve
la civilisation !
Ignorez-vous l'inertie intolérable des
petites montagnes noyées de pluie , des pâturages humides et comme
fripés ? Des bois tristes et noirs ? Supporteriez-vous
plus de dix minutes l'insipide conversation du baron de Barbazan qui
ne s'occupe que de paille dans ses étables, de toits à reprendre,
de paysans à nourrir, de vaches à traire, de brebis à dorloter ?
Tout cela est admirable et ferait le bonheur de Monsieur Rousseau,
mais pour moi, il n'en est plus question ! Auriez-vous honte,
Monsieur, de mon fameux embonpoint ?
Sachez donc qu'il me
convient à merveille et que mon teint en resplendit !
Vous n'aurez qu'à louer mes rondeurs
et venir prendre soin de votre amie au vieux Louvre si vous vous
alarmez tant pour elle …
Monsieur, je vous manderai de mes
nouvelles à Toulouse demain, à Bordeaux bientôt, à Paris la
semaine prochaine,
Je vous envoie, en retour des vôtres,
mes tendresses infinies.
Quel ton, Monsieur, pour un peu on
croirait qu'un cœur bat dans votre poitrine …
Je vous embrasse de tout le mien qui bat
beaucoup un peu pour vous, et beaucoup pour l'enfant que je porte ,
Adélaïde de Flahaut
Nathalie-Alix de La Panouse
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire