dimanche 2 décembre 2018

Pages Capriotes : Rencontres d'hiver à Anacapri : l'île dans toute sa vérité et sa beauté !


Pages Capriotes

Décembre humaniste à Anacapri

L'hiver sur l'île de Capri a mauvais réputation chez les voyageurs obsédés par les escapades sous le soleil brûlant.
 L'hiver est accusé de tous les maux ! on l'accable, on le renie, on le traite comme un mauvais génie, une espèce de monstre qui, armé d'un sinistre plaisir, piétine la joie de vivre et s'acharne à décevoir même les amoureux de l'île ! L'hiver inonderait de mélancolie, surtout ces âmes naïves qui s'entêtent à chercher sur le rocher des Sirènes un jardin miraculeux .
Rien ne me semble plus faux. Je défends la cause de l'hiver à Capri, j'aime à la folie cette fin d'automne qui vous prend par la main sur le port de Marina Grande enfin libéré de sa frénésie artificielle .
Quel plaisir de grimper sur les hauteurs exquises et souriantes d'Anacapri ,emporté , soulevé, par la lumière franche et humide bleuissant les falaises …
Quel sentiment singulier ne s'empare-t-il de votre cœur à l'orée de l'hiver, quand vous franchissez l'ancienne porte d'Anacapri, celle qui vous attend comme un vieil ami soudain de retour au dessus de la Scala Fenicia.
Vous longez la via Munthe, frôlez les roches où dégringolent des guirlandes de feuilles et de fleurs humides, personne ne vous bouscule comme si votre existence n'avait nulle pesanteur ; aimable, presque furtif, un passant vous salue et vous lui répondez, vous êtes heureux de parler en italien, heureux d'être seul ou presque à votre arrivée sur l'immense «  balcon d'Anacapri ».
Joie simple, joie enfantine, joie d'entendre la sauvage clameur de la mer, joie de perdre son regard dans le golfe de Naples comme si votre solitude épousait celle de l'hiver.
Vous fermez les yeux et vous respirez l'île toute entière, pas un bruit, juste la chanson farouche et suave du vent à la fraîcheur humide, le piquant parfum des feuilles de citronniers baignés de la dernière ondée.
L'hiver est un bon génie ! En cette saison, les rencontres sont charmantes, naturelles, les sourires aisés, les poignées de main robustes et fermes. On ne craint plus de se heurter aux promeneurs en rang serrés, arpentant les sentiers battus sous l'autorité d'un guide hurlant ses conseils avisés ! On noue des liens sans y penser, sous la protection de Santa Sofia, San Antonio, San Michele, San Costanzo,et peut-être de sa bonne étoile.
On découvre avec douceur ceux qui restent sur l'île à longueur de temps, ceux dont les ancêtres ont guidé à l'époque intrépide et élégante du « Grand Tour » Vivant Denon, Maxime du Camp ou Alexandre Dumas !
Quelle moisson d'esprits vifs et curieux qui n'avaient cure des saisons à la mode et des visites au pas de course vers des lieux décrétés extraordinaires par un jugement autoritaire.
C'est à ces voyageurs incisifs qui ne posaient jamais, ne sombraient jamais dans la sotte arrogance, et épient avec bonté les menus détails d'un quotidien parfois saugrenu, souvent attendrissant, toujours déconcertant, que je songeai en l'église Santa Sofia d'Anacapri.
Une église aussi ravissante qu'un bouquet de fleurs blanches qui enchante de sa grâce le cœur de ce vaste village. Je rêvai, je priai ...Soudain, je vis à mes pieds un petit chien qui me considérait de toute la douceur de son regard compatissant... Une minute plus tard, ce discret compagnon qui s'efforçait de prodiguer sa sollicitude à une inconnue, me salua à sa façon, et repartit à la suite de sa maîtresse, humble, et comme recueilli …
L'Italie n'est-elle la patrie de Saint-François d'Assise ?
Plus tard, en dînant à la « Taberna degli amici », avec une très charmante dame d'Anacapri, je racontai cette rencontre, quand mon amie me demanda, étonnée, « Mais, voyons, en France, les animaux que vous aimez ne vous accompagnent pas à l'église ? » …
Le matin de notre arrivée, l'homme-mari désespéré se lamenta, il avait besoin de voir un opticien de manière urgente, sinon, menaçait-il avec l'aplomb des hommes-maris , il s'embarquerait le lendemain pour Naples, d'ailleurs qui trouver en fin novembre, saison où les gens doués de raison restent chez eux au lieu de s'embarquer sur une mer aux humeurs de femme jalouse, qui serait capable de l'aider à y voir clair sur cette île ?
Un moment après, nous suppliâmes timidement un homme distingué de ne pas abandonner un malheureux voyageur qui avait besoin de lunettes afin de ne pas maudire l'hiver à Anacapri... Pourquoi se mettre en pareil état ? Revenez tout à l'heure , nous dit-on avec cette gentillesse qui est l'apanage des habitants de l'île.
Le soir tomba, les ennuis de l'homme-mari prirent fin, et nous découvrîmes un cœur généreux, un violoniste à la générosité exemplaire caché sous la blouse de l'opticien...Un poète aussi qui nous confia avoir écrit le récit, bientôt traduit en braille, d'une escapade parmi les beautés d'Anacapri ressenties et non vues par un jeune aveugle... Amadeo Bagnasco, ce vrai chevalier des aveugles d'Italie, nous fit don de son livre et nous lui promîmes notre amitié.
Une conversation avec un humaniste et un cœur plein de bonté est chose rare, que renforce au centuple une tendresse passionnée pour ce monde d'Anacapri, peint d'une plume alerte et vibrante au fil de huit balades presque musicales.
De subtils sortilèges résonnent de la montagne du Solaro et cascadent vers le Faro, la majestueuse Casa Rossa, les vertiges de la Migliara, la via Filietto, la tour de Damecuta, la grotte d'Azzurra, la Scala Fenicia... La beauté s'entend, se touche, la beauté rependit dans la nuit d'un jeune aveugle qui la contemple de son œil intérieur...
Voici la splendide morale nourrie du sens de l'ineffable du conte d'Amadeo « La Scatola dei Segreti »...
Encore émus, c'est en pleine nuit, à force d'errer sur les pavés ciselés par le temps, entre les enfants exubérants, les promeneurs qui se répandent en salutations exquises, les amoureux chavirés d'amour, les orangers opulents frères de ceux qui éblouirent Ulysse dans le verger merveilleux du roi des Phéaciens, et les boutiques pareilles aux délicieux et désordonnés bazars de notre enfance, paradis désuets regorgeant de santons, jouets, biscuits, limoncello, pantoufles, bijoux, cafetières, savons, parapluies et parfums, que nous trouvâmes refuge dans un restaurant minuscule blotti contre le flanc de l'église Santa Sofia .
L'endroit était en sommeil, le jeune patron aimable et contrit nous proposa les ressources de l'hiver ; nous ne comprîmes rien et acceptèrent tout.Ce « tout » fut une motte de Mozzarella prête à rassasier une famille entière ...Assurés de ne pas nous évanouir d'inanition, nous jetâmes un coup d’œil sur la table voisine d'où partait un vacarme à faire croire à une dispute de dieux de l'Olympe venus sur l'île afin de renouer avec l'époque glorieuse où Auguste et Tibère leur bâtissaient des palais aux blanches colonnes.
Les convives, un cercle d'amis de très longue date, étaient plongés dans la plus passionnante et volcanique des conversations ; faces burinés couleur de bronze, parfaitement « verts » et invariablement galants, les mains éloquentes dressées vers le ciel, le parler torrentiel, le rire sonore, ils répétaient en le scandant un mot évocateur « Amore , amore, amore ! »..
Ce chœur antique, émoustillé et enthousiaste, avait pour toile de fond la plus splendide des crèches de Noël, une ville entière s'épanouissant d'un bout à l'autre de la pièce, bergers, gardiennes d'oies, troupeaux de moutons, princes aux habits d'or et de pourpre, montagnes et bord de mer, palais et chaumières …
Charmée, je m'enquis des habiles créateurs, « C'est mon père et ma mère qui sont venus ce matin , nous avons fini juste pour ce soir ! »
Le lendemain, descente glissante sous le soleil dompté vers les jardins mystérieux de Caprile ; la mer, violette et verdie, s'allonge vers les falaises hautaines, l'horizon immobile lave la mémoire, guérit et repose.
Nous l'ignorons encore mais nous aurons encore d'autres rencontres les prochains jours. Nous parlerons en mauvais italien à de nouvelles connaissances amusées et aimables, déclencherons les rires et les invitations à revenir, quand les fleurs envahiront les sentiers, et que la mer haletante ne secouera plus les plages épouvantées et les rochers impavides.
Je m'esquive, sans honte aucune, juste avant l'heure du départ, afin d'acheter  chez "Da Geny", ravissante boutique historique où le goût est d'un raffinement incomparable,une œuvre d'art minuscule, un panier de fleurs délicates en porcelaine de Capodimonte.
 En face de la villa romaine restaurée avec tant de passion par Axel Munthe,"Da Geny" est véritablement dans la plus irrésistible des boutiques vouées à la bijouterie et à l'artisanat de la via Capodimonte. La belle Chiara,la jeune fille qui me l'enveloppe avec grand soin a un profil grec et une distinction romaine.C'est la fierté de son père, un gentilhomme de Caprile, qui à chacune de mes visites déploie une patience admirable afin de m'aider à prononcer les mots qui m'échappent.
 Je leur fais mes adieux, hélas ! et nous grimpons dans le bus qui s'évertue à frôler le précipice avec un détachement sublime … .
Le port est gris pâle, le bateau de Naples affrontant la houle se devine à peine, les barques gisent, mélancoliques,inutiles, sur les cailloux trempés d'écume.
Puis, comme si les divinités antiques avaient envie d'adoucir notre départ, la mer chatoie, la lumière envoie les nuées livides au bout du monde, les petites maisons blanches et roses luisent comme au printemps, au sommet des montagnes s'éveille une preste lueur rendant aux bois sombres la vigueur du vert vif...
L'île donne son adieu d'hiver à ceux qui, le cœur en exil, montent sur le bateau …

A bientôt ! pour la suite de mon roman épistolaire, ou de ma « Chronique de Capri »...

 Nathalie-Alix de La Panouse


PS: le livre d'Amadeao Bagnasco  « La Scatola dei Segrei, Anacapri nei tuoi occhi »( Edizioni promediacom): Via giuseppe Orlandi, 191, 80071 Anacapri (Na)
email:otticocimmino.it
Ce conte est vendu afin de soutenir la cause des aveugles d'Italie, et il est à lui seul une promenade romantique et rêveuse, à Anacapri !
Le blason d'Anacapri: le village accroché aux pentes du Monte Solaro,
le sanctuaire inconnu des touristes impatients,


1 commentaire:

  1. un'incontro di luce, insieme a voi, cara Nathalie.
    un sorriso amichevole, un conversare sincero, come vecchi amici.
    a volte l'amicizia è più vecchia di noi, ci precede e prepara incontri con chi riconosciamo di conoscere già.
    spero che presto il libro possa essere tradotto in francese,
    per comunicare tutta la sua forza, la sua luce,
    ai nostri fratelli e sorelle di Francia.
    a presto, cara Nathalie!
    con sincera amicizia
    Amedeo

    RépondreSupprimer