lundi 7 janvier 2019

"1789,en route vers l'orage": "Les amants du Louvre", seconde partie

Chapitre 27

« Les amants du Louvre »
Seconde partie

Roman sur les amours d'Adélaïde de Flahaut et Charles-Maurice de Talleyrand
 « Quatre ans après ou 1789, en route vers l'orage » »

Chapitre 27 du roman entier :

"Le loup dans la bergerie ou les intrigues amoureuses d'un diplomate Américain »

Lettre de Charles-Maurice de Talleyrand , évêque d'Autun à la comtesse de Flahaut

Paris, rue de l'Université, le 13 avril 1789

Ma chère amie,
Je viens de descendre d'un carrosse mené à bride abattue, je vous écris aussitôt,l'esprit et le cœur tout remplis du bonheur de vous revoir et de vous annoncer que les bonnes gens d'Autun m'ont élu député du clergé de notre province.
 Pénétré de joie à l'idée d'aller embrasser notre Charles ce soir, j'entends votre domestique dans la cour, j'ouvre votre billet et ne puis y croire.
Quelle étrange réponse vient de recevoir votre serviteur en échange de ses compliments habituels !
Vraiment, Adélaïde, que vous arrive-t-il ce soir ? Comme à l’accoutumée, je me suis annoncé afin de venir visiter mon fils dont je n'ai nulle honte d'être entiché plus que de raison.
Quoi de plus naturel, cet enfant ne tient-il de moi par la vivacité, l'intelligence,la promptitude au babillage et le charme dont il sait si bien user à l'âge tendre de quatre courtes années ?
Votre bon Monsieur de Flahaut lui a donné son nom résonnant des gloires anciennes de la chevalerie, je me flatte d'un tout autre héritage, vous verrez, mon amie, vous verrez, notre Charles nous surprendra comme j'ai vocation d'étonner grands et petits. 
Ajoutez à ces considérations que cet enfant m'aime, qu'il me recherche, qu'il m'attend et qu'il a le don d'attendrir mes soirées après les intrigues des journées . Je retrouve grâce à lui la candeur d'une enfance qui ne fut pour moi que tristesse, abandon, froideur … 
A l'exception de ma grand-mère, grande dame régnant sur le Périgord et traînant à sa suite son éternel soupirant, un Monsieur de Chauveron tout à sa dévotion malgré ses blessures ramassées sur tous les champs de bataille d'Europe qui lui arrachaient force soupirs, nul être ne daigna m'honorer de quelque tendresse...
Comme j'envie ce robuste garnement de vous avoir pour mère !
On ne saurait imaginer personne plus attentive et plus aimante, vous ne cessez de m'émerveillez par votre patience et votre gaieté.
Toutefois, qu'est-ce que ce billet hâtif où vous prétendez que le nouvel envoyé de la République américaine veut que vous lui donniez à souper ! Si je n'étais incapable de ressentir les bas élans de la jalousie, si les passions ne m'étaient des terres inconnues,je risquerais d'être aussi dépité que vexé . Là, je songe être la victime d'une de vos malices...
Ma chère amie, j'ai rencontré ce bel esprit d'oute-Atlantique chez la fille du ministre Necker . Voyez un peu l'étrange bonhomme que cet unijambiste perpétuellement occupé de se glisser dans la vie d'autrui. C'est un homme qui se vante de ses bonnes fortunes, prenez garde à son outrecuidance de représentant d'une nation qui n'a qu'une civilisation récente et ignore par là les usages de notre société.
Votre bel ami ne laisse-t-il échapper déjà de fort audacieuses confidences touchant la « belle et malicieuse comtesse de Flahaut » ?
Quant à votre serviteur, sachez qu'on ne l'épargne guère ! 
On vient de me rapporter les douceurs de ce Governor Morris à mon endroit, je vous les livre, peut-être ce paquet vous inciter-t-il à le faire goûter au pain rassis et au vin piqué :
« Talleyrand me paraît fin, rusé, ambitieux et méchant « . Rien que cela ! Quel portrait, vous en conviendrez, et ce n'est point fini : 
« Je ne sais pourquoi je tire dans mon esprit des conclusions aussi défavorables, mais c'est un fait, je n'y puis rien. « 
Le pauvre homme ! Il n'y peut rien ! Allons, Madame, votre Américain planté sur une jambe, tel le « Héron au long bec » de Monsieur de La Fontaine est amoureux, et amoureux de vous …L'aversion évidente dont il m'honore annonce une profondeur de sentiment admirable  à votre égard; ne parlons point, mon amie, de la jalousie qui habite votre chargé de mission !
A ce sujet, sachez que cette pompeuse fonction inutile en dérobe une autre à mon avis.
Laquelle me demanderez-vous , en levant vos beaux yeux vers le plafond enfumé de votre grenier, Eh bien, celle d'observateur zélé des événements politiques auprès d'un gouvernement qui s'interroge sur le destin du royaume de France et le sort de nos monarques.
Depuis la très fâcheuse affaire du collier, vous n'y avez prêté aucune attention, plongée que vous étiez à l'époque dans votre labeur de nourrice, caprice maternel imposé par le sieur Rousseau.
Toutefois, je regrette que l'ampleur de ce scandale vous ait laissé indifférente. Depuis, la reine pâtit chaque jour davantage des avanies et calomnies déversées par des ennemis de notre pays, et repris par tous les aigris et ambitieux …
Le roi a demandé, ne me racontez-point que vous tombez des nues, on ne saurait être à ce point ensevelie dans son métier de mère, la réunion des États généraux pour le lundi 4 mai. Les émeutes ébranlent maintenant la Bretagne, les esprits s’échauffent en Languedoc, la cour s'angoisse et le roi demeure singulièrement absent ... Les âmes optimistes croient en un miracle impossible, à une concorde chimérique entre ces représentants si opposés du peuple, du clergé et des nobles. Pour moi, je crains un embrasement avant la fin de l'été, vous allez encore me traiter de mauvais augure, nous verrons qui aura raison.
Je suis quasi certain que l'illustre Jefferson se hâtera de retraverser l'océan en abandonnant à Paris votre nouvel ami et son aimable secrétaire, ce freluquet de William Short qui batifole d'un air pincé en attendant de séduire une grande dame.
Ces Américains ne doutent de rien ! Savent-ils que les femmes règnent ici ? Et vous êtes la divinité aux pieds de laquelle je dépose non point un respect ennuyeux, mais la vérité d'un lien toujours renouvelé.
Madame et ma chère amie, quand chasserez-vous l'envahisseur des Amériques afin de m'ouvrir le grenier du Vieux Louvre sous les poutres duquel babille mon fils ?
Je vous envoie ce billet par mon domestique et vous prie de ne point tarder à répondre à celui qui reste votre ami, votre amant et votre serviteur empressé,

Charles-Maurice

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Monseigneur l'évêque d'Autun, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord,

Monsieur mon ami,

à la bonne heure, monsieur Governor Morris est jaloux et cette jalousie vous semble risible !
Or, n'éprouveriez-vous aussi ce bas sentiment sans le reconnaître ?
Il me faudrait, pour vous plaire, chasser l'Américain et tout de suite ! Non, Monsieur, je ne saurais me montrer aussi grossière fut-ce à l'égard d'un quasi sauvage des Amériques ! D'ailleurs, n'avez-vous quelques goûts en commun avec ce chargé de mission aux yeux bien ouverts sur les moindres détails de notre vie ?
N'aimez-vous point à servir le beau sexe ? N'êtes-vous point d'une curiosité à toute épreuve et d'un appétit d'ambition irrésistible ? Le crime de ce Governor Morris serait de rechercher les douceurs de ma conversation ! Savez-vous que j'aide ce visiteur du nouveau monde à s'y reconnaître un tantinet à travers les arcanes de notre société parisienne ? J'éclaire sa lanterne et vous poussez de hauts cris ! La jalousie, Monsieur mon ami ne vous titillerait-elle ? J'en serais fort aise car cela prouverait que vous avez finalement une sorte d'amour pour moi.. Mes craintes au sujet de cette Madame de Staël, opulente créature emportée, véhémente, désordonnée, s'exprimant de toute la vigueur de ses gros bras et de ses grandes mains rouges, que le ministre Necker présente comme sa fille chérie,en deviendraient moins vives …
Allons, mon ami, venez voir notre Charles à l'heure qui convient à votre grandeur !
Votre haute position, Monseigneur, vous inspire, depuis que vous avez obtenu l'an passé l’évêché d'Autun, un ton autoritaire qui me donne la nostalgie de l'insolent et charmant abbé de Périgord . Venez vite m'assurer que l'ambition n'a point gâtée ce qui me plaisait tant chez vous …
Oubliriez-vous l'art du trait d'esprit et les douceurs de la galanterie, Monsieur le député ?

A ce soir,
Charles connaît toutes les lettres de son alphabet ! C'est un prodige ! Vous serez ébloui par sa science …

Je vous embrasse et vous aime,
ne suis-je votre épouse de cœur ?

Adélaïde

Lettre de l'évêque d'Autun, monseigneur Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord à la comtesse de Flahaut

Madame et ma très chère amie,

J'accours, Adélaïde, j'accours, vous m'aurez donc à souper avec mon fils, cela me réjouit à un point extrême. Votre Américain vous guette comme un chat sa souris, ne riez-point, on m'a confié qu'il était fort sensible à votre allure du meilleur monde, qu'il ne tarissait point d'admiration devant votre façon exquise de vous exprimer en un anglais des plus raffinés, et qu'il avait prononcé ce mot impertinent à votre égard : « Nous verrons »...
Le prétentieux personnage !
Mais, ce soir, c'est moi que vous aurez l'honneur de voir et de vous suivre au bout de la nuit…

Ma très chère amie, je vous baise les mains comme le disait à ses maîtresses notre bon roi Henri,

Charles-Maurice

Ouverture des Etats Généraux 4 mai 1789

Nathalie-Alix de La Panouse 

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