« Les amants du Louvre »
Seconde partie
Roman sur les amours d'Adélaïde de
Flahaut et Charles-Maurice de Talleyrand
« Quatre
ans après ou 1789, en route vers l'orage » »
Chapitre 27 du roman entier :
"Le loup dans la bergerie ou les
intrigues amoureuses d'un diplomate Américain »
Lettre de Charles-Maurice de Talleyrand
, évêque d'Autun à la comtesse de Flahaut
Paris, rue de l'Université, le 13
avril 1789
Ma chère amie,
Je viens de descendre d'un carrosse
mené à bride abattue, je vous écris aussitôt,l'esprit et le cœur
tout remplis du bonheur de vous revoir et de vous annoncer que les
bonnes gens d'Autun m'ont élu député du clergé de notre province.
Pénétré de joie à l'idée d'aller embrasser notre Charles ce
soir, j'entends votre domestique dans la cour, j'ouvre votre billet
et ne puis y croire.
Quelle étrange réponse vient de
recevoir votre serviteur en échange de ses compliments habituels !
Vraiment, Adélaïde, que vous
arrive-t-il ce soir ? Comme à l’accoutumée, je me suis
annoncé afin de venir visiter mon fils dont je n'ai nulle honte
d'être entiché plus que de raison.
Quoi de plus naturel, cet enfant ne
tient-il de moi par la vivacité, l'intelligence,la promptitude au
babillage et le charme dont il sait si bien user à l'âge tendre de
quatre courtes années ?
Votre bon Monsieur de Flahaut lui a
donné son nom résonnant des gloires anciennes de la chevalerie, je
me flatte d'un tout autre héritage, vous verrez, mon amie, vous
verrez, notre Charles nous surprendra comme j'ai vocation d'étonner
grands et petits.
Ajoutez à ces considérations que cet enfant
m'aime, qu'il me recherche, qu'il m'attend et qu'il a le don
d'attendrir mes soirées après les intrigues des journées . Je
retrouve grâce à lui la candeur d'une enfance qui ne fut pour moi
que tristesse, abandon, froideur …
A l'exception de ma grand-mère,
grande dame régnant sur le Périgord et traînant à sa suite son
éternel soupirant, un Monsieur de Chauveron tout à sa dévotion
malgré ses blessures ramassées sur tous les champs de bataille
d'Europe qui lui arrachaient force soupirs, nul être ne daigna
m'honorer de quelque tendresse...
Comme j'envie ce robuste garnement de
vous avoir pour mère !
On ne saurait imaginer personne plus
attentive et plus aimante, vous ne cessez de m'émerveillez par votre
patience et votre gaieté.
Toutefois, qu'est-ce que ce billet
hâtif où vous prétendez que le nouvel envoyé de la République
américaine veut que vous lui donniez à souper ! Si je n'étais
incapable de ressentir les bas élans de la jalousie, si les passions
ne m'étaient des terres inconnues,je risquerais d'être aussi dépité
que vexé . Là, je songe être la victime d'une de vos
malices...
Ma chère amie, j'ai rencontré ce bel
esprit d'oute-Atlantique chez la fille du ministre Necker .
Voyez un peu l'étrange bonhomme que cet unijambiste perpétuellement
occupé de se glisser dans la vie d'autrui. C'est un homme qui se
vante de ses bonnes fortunes, prenez garde à son outrecuidance de
représentant d'une nation qui n'a qu'une civilisation récente et
ignore par là les usages de notre société.
Votre bel ami ne laisse-t-il échapper
déjà de fort audacieuses confidences touchant la « belle et
malicieuse comtesse de Flahaut » ?
Quant à votre serviteur, sachez qu'on
ne l'épargne guère !
On vient de me rapporter les douceurs de
ce Governor Morris à mon endroit, je vous les livre, peut-être ce
paquet vous inciter-t-il à le faire goûter au pain rassis et au vin
piqué :
« Talleyrand me paraît fin,
rusé, ambitieux et méchant « . Rien que cela ! Quel
portrait, vous en conviendrez, et ce n'est point fini :
« Je ne sais pourquoi je tire
dans mon esprit des conclusions aussi défavorables, mais c'est un
fait, je n'y puis rien. «
Le pauvre homme ! Il n'y peut
rien ! Allons, Madame, votre Américain planté sur une jambe,
tel le « Héron au long bec » de Monsieur de La Fontaine
est amoureux, et amoureux de vous …L'aversion évidente dont il
m'honore annonce une profondeur de sentiment admirable à votre
égard; ne parlons point, mon amie, de la jalousie qui habite votre
chargé de mission !
A ce sujet, sachez que cette pompeuse
fonction inutile en dérobe une autre à mon avis.
Laquelle me demanderez-vous , en
levant vos beaux yeux vers le plafond enfumé de votre grenier, Eh
bien, celle d'observateur zélé des événements politiques auprès
d'un gouvernement qui s'interroge sur le destin du royaume de France
et le sort de nos monarques.
Depuis la très fâcheuse affaire du
collier, vous n'y avez prêté aucune attention, plongée que vous
étiez à l'époque dans votre labeur de nourrice, caprice maternel
imposé par le sieur Rousseau.
Toutefois, je regrette que l'ampleur de
ce scandale vous ait laissé indifférente. Depuis, la reine pâtit
chaque jour davantage des avanies et calomnies déversées par des
ennemis de notre pays, et repris par tous les aigris et ambitieux …
Le roi a demandé, ne me racontez-point
que vous tombez des nues, on ne saurait être à ce point ensevelie
dans son métier de mère, la réunion des États généraux pour le
lundi 4 mai. Les émeutes ébranlent maintenant la Bretagne, les
esprits s’échauffent en Languedoc, la cour s'angoisse et le roi
demeure singulièrement absent ... Les âmes optimistes croient en un
miracle impossible, à une concorde chimérique entre ces
représentants si opposés du peuple, du clergé et des nobles. Pour
moi, je crains un embrasement avant la fin de l'été, vous allez
encore me traiter de mauvais augure, nous verrons qui aura raison.
Je suis quasi certain que l'illustre
Jefferson se hâtera de retraverser l'océan en abandonnant à Paris
votre nouvel ami et son aimable secrétaire, ce freluquet de William
Short qui batifole d'un air pincé en attendant de séduire une
grande dame.
Ces Américains ne doutent de rien !
Savent-ils que les femmes règnent ici ? Et vous êtes la
divinité aux pieds de laquelle je dépose non point un respect
ennuyeux, mais la vérité d'un lien toujours renouvelé.
Madame et ma chère amie, quand
chasserez-vous l'envahisseur des Amériques afin de m'ouvrir le
grenier du Vieux Louvre sous les poutres duquel babille mon fils ?
Je vous envoie ce billet par mon
domestique et vous prie de ne point tarder à répondre à celui qui
reste votre ami, votre amant et votre serviteur empressé,
Charles-Maurice
Lettre d'Adélaïde de Flahaut à
Monseigneur l'évêque d'Autun, Charles-Maurice de
Talleyrand-Périgord,
Monsieur mon ami,
à la bonne heure, monsieur Governor
Morris est jaloux et cette jalousie vous semble risible !
Or, n'éprouveriez-vous aussi ce bas
sentiment sans le reconnaître ?
Il me faudrait, pour vous plaire,
chasser l'Américain et tout de suite ! Non, Monsieur, je ne
saurais me montrer aussi grossière fut-ce à l'égard d'un quasi
sauvage des Amériques ! D'ailleurs, n'avez-vous quelques goûts
en commun avec ce chargé de mission aux yeux bien ouverts sur les
moindres détails de notre vie ?
N'aimez-vous point à servir le beau
sexe ? N'êtes-vous point d'une curiosité à toute épreuve et
d'un appétit d'ambition irrésistible ? Le crime de ce Governor
Morris serait de rechercher les douceurs de ma conversation !
Savez-vous que j'aide ce visiteur du nouveau monde à s'y reconnaître
un tantinet à travers les arcanes de notre société parisienne ?
J'éclaire sa lanterne et vous poussez de hauts cris ! La
jalousie, Monsieur mon ami ne vous titillerait-elle ? J'en
serais fort aise car cela prouverait que vous avez finalement une
sorte d'amour pour moi.. Mes craintes au sujet de cette Madame
de Staël, opulente créature emportée, véhémente, désordonnée,
s'exprimant de toute la vigueur de ses gros bras et de ses grandes
mains rouges, que le ministre Necker présente comme sa fille
chérie,en deviendraient moins vives …
Allons, mon ami, venez voir notre
Charles à l'heure qui convient à votre grandeur !
Votre haute position, Monseigneur, vous
inspire, depuis que vous avez obtenu l'an passé l’évêché
d'Autun, un ton autoritaire qui me donne la nostalgie de l'insolent
et charmant abbé de Périgord . Venez vite m'assurer que l'ambition
n'a point gâtée ce qui me plaisait tant chez vous …
Oubliriez-vous l'art du trait d'esprit
et les douceurs de la galanterie, Monsieur le député ?
A ce soir,
Charles connaît toutes les lettres de
son alphabet ! C'est un prodige ! Vous serez ébloui par sa
science …
Je vous embrasse et vous aime,
ne suis-je votre épouse de cœur ?
Adélaïde
Lettre de l'évêque d'Autun,
monseigneur Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord à la comtesse de
Flahaut
Madame et ma très chère amie,
J'accours, Adélaïde, j'accours, vous
m'aurez donc à souper avec mon fils, cela me réjouit à un point
extrême. Votre Américain vous guette comme un chat sa souris, ne
riez-point, on m'a confié qu'il était fort sensible à votre allure
du meilleur monde, qu'il ne tarissait point d'admiration devant votre
façon exquise de vous exprimer en un anglais des plus raffinés, et
qu'il avait prononcé ce mot impertinent à votre égard : « Nous
verrons »...
Le prétentieux personnage !
Mais, ce soir, c'est moi que vous aurez
l'honneur de voir et de vous suivre au bout de la nuit…
Ma très chère amie, je vous baise les
mains comme le disait à ses maîtresses notre bon roi Henri,
Charles-Maurice
Ouverture des Etats Généraux 4 mai 1789 |
Nathalie-Alix de La Panouse
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