Chapitre 28
Les amants du Louvre, seconde partie
Chapitre 28 du roman entier :"Tourmente parisienne et nouvel amour"
Lettre d'Adélaïde de Flahaut à
Sophie de Barbazan
*
Paris, vieux -Louvre, le 28 avril 1789
Ma bonne Sophie,
Je ne sais vraiment plus ce qui va
advenir de moi !
Qu'importe d'ailleurs ce « moi »
égoïste ,les jours derniers forcent à s'interroger sur ce qui va
advenir de la France,vois-tu, je suis encore épouvantée de l'incendie de la
plus splendide demeure du Faubourg Saint Antoine.
Un accident
croirais-tu avec ta naïveté de dame des montagnes ?
Non, point , une émeute sanglante qui
teinte d'horreur notre printemps parisien.la victime en est le sieur
Réveillon, un honorable fabricant de ce papier peint coûteux qui
embellit les maisons à la mode. Pour on ignore quelle fâcheuse
raison, le bonhomme Réveillon a décidé de baisser les salaires des
humbles qui travaillent à enrichir son commerce.
C'est maladroit,
cruel, inutile et cela a transformé d'honnêtes gens en fauves
enragés.La bagarre a pris une tournure générale, la rue a usé de
ses poings contre les Suisses du baron de Besenval, ce vieux galant
décoré du titre de « plus Français des Suisses » par
ceux qu'il convie à des fêtes somptueuses en son antre raffiné de
la rue de Grenelle.
Les Suisses du baron ont reculé face à
l'ampleur de la provocation ! Besenval a ordonné que l'on ouvre
le feu … Funeste initiative : une centaine d'ouvriers sont
morts, et une dizaine de Suisses pour une cause qui aurait pu être
gagnée avec de la diplomatie,de la persuasion, de l'humanité aussi
…
Devine quel messager quasi divin a su
se concilier les survivants du drame ? Le duc d'Orléans qui du
haut de son cheval promet à chacun le bonheur universel !
Ma Sophie, allons-nous devoir nous
réfugier à Barbazan bientôt ?
Ou irais-je trouver un
bienheureux asile à Naples ? Hélas, Mon enfant est bien
fragile pour un voyage mouvementé, et que dire de Monsieur de
Flahaut !
Grâce au Ciel dont les volontés
semblent de plus en plus impénétrables, monseigneur l'évêque
d'Autun, notre Charles-Maurice, fringant et fougueux au sein de la
foule mouvante et rebelle des députés, m'a promis de sauver si
ce n'est notre pays, tout au moins notre fils, la mère de ce dernier
peut-être et, à coup sûr, lui-même, de la chute qui s'annoncerait
déjà …
La procession ouvrant les Etats
Généraux à Versailles en début mai, la date de l'ouverture est
sans cesse repoussée, nous amène des provinciaux effarouchés et
méfiants qui se répandent surtout à Versailles ; on les voit
, m'a écrit à la hâte Monsieur de Narbonne, se regrouper face aux
grilles du château et exigent que leur soient livrées à leurs
regards soupçonneux les colonnes d'or de Trianon !
Ces braves curés en soutane courte,
ces avocats hautains et discoureurs agitant les pans de leurs
redingotes, ces notables austères fronçant leurs sourcils en humant
la senteur des roses de la reine, réclament un salon tout étincelant
de diamants, des murs ou des meubles, je ne sais tant la démesure
est à son comble, incrustés de saphirs,( le bleu n'est-il la
couleur favorite de notre reine) et un théâtre monté d'argent pur
aux rideaux cousus de rubis !
On a beau s'évertuer à les apaiser,
on a beau suggérer que ces folies sont ragots de méchantes gens,
ils refusent de croire la simple vérité et repartent en maugréant
et restent certains d'être passé à côté des dépenses qui
engloutissent la fortune de la France ...Comment redonner à ces
députés au fond sincères et honnêtes le sens commun ?
Comment leur faire saisir le poids de
la calomnie ?
L'avenir se teinte de nuances sombres,
à l'instar de l'habit noir des députés du tiers. Je ne comprends
point, Sophie, pourquoi on inflige cet uniforme désobligeant à ces
notables qui, bien que sortis de leur province, ne sentent point trop
les gueux.
Mais, cela je semble être la seule à le penser !au contraire, la cour cède à la facile moquerie ...
On recule d'horreur devant ces hommes nouveaux, on tord le nez ou on
étale un mouchoir de soie sur son visage afin de ne pas être
incommodé par une puanteur imaginaire, pire, on ne les invite nulle
part, on leur ferme les portes des salons, des dîners, des thés à
l'anglaise : on les blesse pour une perruque de travers, on
éclate de rire en entendant un accent campagnard ou un beau patois
fleuri et vigoureux … pourtant, tu l'avoueras, la façon dont
s'expriment les habitants de « ce pays-ci » provoque le
plus vif agacement chez les mortels ordinaires dont je suis fière de
grossir le nombre !
Franchement, Sophie, cette diction
traînante, cette horreur des liaisons, ce ton de voix affecté, en
quoi rendent-ils supérieurs ?
Le ridicule tue dans les
jardins du roi, il abat cent hommes d'un ricanement sur les pelouses
de Trianon, il achève purement et simplement ses humbles victimes
dans la Galerie des glaces .
Tu as découvert sa rage lors de ta
présentation qui sut l'éviter avec une maestria, une assurance qui
a fait le plus bel effet sur ces têtes creuses.
Je suis de l'avis opposé aux
courtisans dans cette affaire . Mon père n'était point né ; or
il n'y a jamais eu meilleur homme, sa bonté, m'a-t-on rapporté car
à vrai dire, je ne me souviens guère de ma petite enfance, égalait
presque celle de Monsieur de Flahaut, ce qui n'est pas négligeable.
Je connais par contre beaucoup de nouveaux nobles, ayant achetés leurs titres, qui sont de vrais« gueux »; et je déplore aussi que même les anciens devenus par trop arrogants aient perdu l'idéal chevaleresque, la généreuse simplicité de jadis ....
Croirais-tu que je penche du côté
d'une révolution ? Que non pas ! Mais, j'estime que le
devoir de la noblesse dont je fais partie grâce à ma mère, est de
montrer l'exemple de la courtoisie et de l'amabilité , fut-ce à
ceux qu'elle s'imagine inférieurs ...Le tiers état, vois-tu, est
appuyé sur la majeure part du clergé, la plupart des abbés de
campagne n'en sont-ils issus , et sa force,si on continue à
l'offenser, risque de se métamorphoser en haine aveugle …
Là-dessus, Monsieur mon ami de
Talleyrand est d'accord.
C'est heureusement un point d'ancrage
entre nous car nous avons une pomme de discorde ou plutôt deux.
Tu le sais, Monsieur mon ami est aussi
l'ami d'un aréopage de charmantes femmes de la cour et de la ville !
La province bruirait aussi de ses conquêtes,cela m'est indifférent,
j'ai notre fils et mes charmes pour ramener en mon grenier du
Vieux-Louvre l'homme que je ne puis m'empêcher d'aimer Ou du moins,
je le croyais …
La grosse et emportée baronne de Staël, ce
brouillon crasseux qui déverse ses thèses de haute et basse
politique dans tout Paris essaie de me ravir Mon ami qui, à son
habitude en est ravi!
.Je ne me livre à aucune colère ; en
réalité, je me sentirai quasi coupable, ne devines-tu la
raison de ce calme olympien ?
Je me suis longtemps accroché au
sentiment qui m'enlevait vers Monsieur Mon ami ; je me
persuadais qu'aucun homme en ce monde ne rivaliserait avec celui que
je considère comme mon époux de cœur.
Ce dernier avril a tout bouleversé …
Un Américain privé de sa jambe gauche, remplacé par une en bois ce
qui lui donne l'allure d'un corsaire sur le retour, diplomate ou
espion,(les deux sans doute!) dans la belle force de l'âge, assez
attirant de figure, assez spirituel, franchement viril, terriblement
séducteur, assez plaisant, et parfaitement amoureux de ma personne
s'attache à mon grenier au point que Monsieur de Talleyrand et
Monsieur de Flahaut en viennent à s'unir contre lui !
L'étrange roman que voilà !
Non, ma Sophie, je n'ai point suscité
une once sentiment de ce froid Thomas Jefferson si infatué de sa
haute position d'Américain intègre jugeant notre société
décadente. L'homme qui m'amuse porte un prénom bizarre, et un nom
qui ne chante point à l'oreille : Governor Morris ! Un
vrai nom à mourir de peur ! Il est pourvu d'une respectable
épouse dont il ne saurait avoir l'imprudence de vanter les mérites
… Son français est certes admirable de clarté, et il me fait de
si grands compliments sur mon anglais que je ne puis douter de la
profondeur de son attirance envers la « pleasing woman »
que je suis ...il aurait même eu l'impertinence de confier à une de
ces bonnes âmes perpétuellement empressées à vous apprendre
l'opinion d'autrui que je n'étais point »a sworn enemy to
intrigue » ! Le fat américain que voilà !
Toutefois, je n'en puis plus des
tromperies de Monsieur de Talleyrand, des nouveaux bras se tendent
vers moi, vais-je résister ? Et, pourquoi d'ailleurs ?
L'affaire semble en fort agréable voie ...
La vie que nous menons au
Vieux Louvre ne laisse pas d'être lassante, mais le voisinage
immédiat de si belles statues, de tableaux historiques d'une
magnificence exquise, de collections inconnues des parisiens et des
voyageurs, m'a procuré la douce occasion de promener mon américain
dans le dédale de ce palais par une suave matinée d'avril.Le faux
corsaire en frappait le sol de sa jambe de bois avec une énergie qui
augure à merveille de beaucoup de choses ...
La veille, j'avais
attisé sa flamme naissante par une amicale pression de la main …
Ce geste délicat a produit un effet des plus charmants.
Ma Sophie, je sais, je devrais mourir
de honte ! Mais,Governor Morris ranimera peut-être le goût que
prétend avoir encore pour moi Monsieur mon ami. On murmure beaucoup
sur la baronne de Staël, elle ferait d'énormes, de laborieux,
d'impayables efforts,(de toute façon cette créature est brouillée
avec la subtilité!) afin de s'attacher Monsieur de Talleyrand. Le
péril est sérieux, je détiens une carte imprévue grâce aux
assiduités de l'Américain , je m'emploie dés maintenant à en
profiter .
On frappe à ma porte, le domestique de
Monsieur Governor se courbe en agitant un billet, mon invitation à
dîner le premier mai, en pleine effervescence politique, est
acceptée avec un déluge de reconnaissance et une averse de
compliments !
Décidément, cet Américain sait vivre
et sa tendre galanterie me touche...
Ma Sophie, sois heureuse de la paix
régnant à Barbazan !
Je glanerai pour toi les détails des
jours prochains, des costumes, des chapeaux à plumes, aux humeurs de
la reine, des paroles du roi, aux discours des députés les plus
remarquables (dont Monseigneur d'Autun, notre Charles-Maurice de
Talleyrand qui observera le spectacle avant d'entrer dans l'arène),
tu sauras tout sur cette ouverture des Etats Généraux qui
réconciliera la France avec elle-même, ou non …
Je t'embrasse
Adélaïde
Nathalie-Alix de La Panouse
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Trianon ou le simple manoir d'une reine |
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