lundi 14 janvier 2019

"Tourmente parisienne et nouvel amour ":"Les amants du Louvre"


Chapitre 28

Les amants du Louvre, seconde partie

Chapitre 28 du roman entier :"Tourmente parisienne et nouvel amour"

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Sophie de Barbazan
*
Paris, vieux -Louvre, le 28 avril 1789

Ma bonne Sophie,

Je ne sais vraiment plus ce qui va advenir de moi ! 
Qu'importe d'ailleurs ce « moi » égoïste ,les jours derniers forcent à s'interroger sur ce qui va advenir de la France,vois-tu, je suis encore épouvantée de l'incendie de la plus splendide demeure du Faubourg Saint Antoine. 
Un accident croirais-tu avec ta naïveté de dame des montagnes ?
Non, point , une émeute sanglante qui teinte d'horreur notre printemps parisien.la victime en est le sieur Réveillon, un honorable fabricant de ce papier peint coûteux qui embellit les maisons à la mode. Pour on ignore quelle fâcheuse raison, le bonhomme Réveillon a décidé de baisser les salaires des humbles qui travaillent à enrichir son commerce. 
C'est maladroit, cruel, inutile et cela a transformé d'honnêtes gens en fauves enragés.La bagarre a pris une tournure générale, la rue a usé de ses poings contre les Suisses du baron de Besenval, ce vieux galant décoré du titre de « plus Français des Suisses » par ceux qu'il convie à des fêtes somptueuses en son antre raffiné de la rue de Grenelle.
 Les Suisses du baron ont reculé face à l'ampleur de la provocation ! Besenval a ordonné que l'on ouvre le feu … Funeste initiative : une centaine d'ouvriers sont morts, et une dizaine de Suisses pour une cause qui aurait pu être gagnée avec de la diplomatie,de la persuasion, de l'humanité aussi …
Devine quel messager quasi divin a su se concilier les survivants du drame ? Le duc d'Orléans qui du haut de son cheval promet à chacun le bonheur universel !
Ma Sophie, allons-nous devoir nous réfugier à Barbazan bientôt ?
 Ou irais-je trouver un bienheureux asile à Naples ? Hélas, Mon enfant est bien fragile pour un voyage mouvementé, et que dire de Monsieur de Flahaut !
Grâce au Ciel dont les volontés semblent de plus en plus impénétrables, monseigneur l'évêque d'Autun, notre Charles-Maurice, fringant et fougueux au sein de la foule mouvante et rebelle des députés, m'a promis de sauver si ce n'est notre pays, tout au moins notre fils, la mère de ce dernier peut-être et, à coup sûr, lui-même, de la chute qui s'annoncerait déjà …
La procession ouvrant les Etats Généraux à Versailles en début mai, la date de l'ouverture est sans cesse repoussée, nous amène des provinciaux effarouchés et méfiants qui se répandent surtout à Versailles ; on les voit , m'a écrit à la hâte Monsieur de Narbonne, se regrouper face aux grilles du château et exigent que leur soient livrées à leurs regards soupçonneux les colonnes d'or de Trianon !
Ces braves curés en soutane courte, ces avocats hautains et discoureurs agitant les pans de leurs redingotes, ces notables austères fronçant leurs sourcils en humant la senteur des roses de la reine, réclament un salon tout étincelant de diamants, des murs ou des meubles, je ne sais tant la démesure est à son comble, incrustés de saphirs,( le bleu n'est-il la couleur favorite de notre reine) et un théâtre monté d'argent pur aux rideaux cousus de rubis !
On a beau s'évertuer à les apaiser, on a beau suggérer que ces folies sont ragots de méchantes gens, ils refusent de croire la simple vérité et repartent en maugréant et restent certains d'être passé à côté des dépenses qui engloutissent la fortune de la France ...Comment redonner à ces députés au fond sincères et honnêtes le sens commun ?
Comment leur faire saisir le poids de la calomnie ?
L'avenir se teinte de nuances sombres, à l'instar de l'habit noir des députés du tiers. Je ne comprends point, Sophie, pourquoi on inflige cet uniforme désobligeant à ces notables qui, bien que sortis de leur province, ne sentent point trop les gueux.
Mais, cela je semble être la seule à le penser !au contraire, la cour cède à la facile moquerie ...
 On recule d'horreur devant ces hommes nouveaux, on tord le nez ou on étale un mouchoir de soie sur son visage afin de ne pas être incommodé par une puanteur imaginaire, pire, on ne les invite nulle part, on leur ferme les portes des salons, des dîners, des thés à l'anglaise : on les blesse pour une perruque de travers, on éclate de rire en entendant un accent campagnard ou un beau patois fleuri et vigoureux … pourtant, tu l'avoueras, la façon dont s'expriment les habitants de « ce pays-ci » provoque le plus vif agacement chez les mortels ordinaires dont je suis fière de grossir le nombre !
 Franchement, Sophie, cette diction traînante, cette horreur des liaisons, ce ton de voix affecté, en quoi rendent-ils supérieurs ?
Le ridicule tue dans les jardins du roi, il abat cent hommes d'un ricanement sur les pelouses de Trianon, il achève purement et simplement ses humbles victimes dans la Galerie des glaces .
Tu as découvert sa rage lors de ta présentation qui sut l'éviter avec une maestria, une assurance qui a fait le plus bel effet sur ces têtes creuses.
Je suis de l'avis opposé aux courtisans dans cette affaire . Mon père n'était point né ; or il n'y a jamais eu meilleur homme, sa bonté, m'a-t-on rapporté car à vrai dire, je ne me souviens guère de ma petite enfance, égalait presque celle de Monsieur de Flahaut, ce qui n'est pas négligeable. Je connais par contre beaucoup de nouveaux nobles, ayant achetés leurs titres, qui sont de vrais« gueux »; et  je déplore aussi que même les anciens devenus par trop arrogants  aient perdu l'idéal chevaleresque, la généreuse simplicité de jadis ....
Croirais-tu que je penche du côté d'une révolution ? Que non pas ! Mais, j'estime que le devoir de la noblesse dont je fais partie grâce à ma mère, est de montrer l'exemple de la courtoisie et de l'amabilité , fut-ce à ceux qu'elle s'imagine inférieurs ...Le tiers état, vois-tu, est appuyé sur la majeure part du clergé, la plupart des abbés de campagne n'en sont-ils issus , et sa force,si  on continue à l'offenser, risque de se métamorphoser en haine aveugle …
Là-dessus, Monsieur mon ami de Talleyrand est d'accord.
C'est heureusement un point d'ancrage entre nous car nous avons une pomme de discorde ou plutôt deux.
Tu le sais, Monsieur mon ami est aussi l'ami d'un aréopage de charmantes femmes de la cour et de la ville ! La province bruirait aussi de ses conquêtes,cela m'est indifférent, j'ai notre fils et mes charmes pour ramener en mon grenier du Vieux-Louvre l'homme que je ne puis m'empêcher d'aimer Ou du moins, je le croyais … 
La grosse et emportée baronne de Staël, ce brouillon crasseux qui déverse ses thèses de haute et basse politique dans tout Paris essaie de me ravir Mon ami qui, à son habitude en est ravi!
.Je ne me livre à aucune colère ; en réalité, je me sentirai quasi coupable, ne devines-tu  la raison de ce calme olympien ?
Je me suis longtemps accroché au sentiment qui m'enlevait vers Monsieur Mon ami ; je me persuadais qu'aucun homme en ce monde ne rivaliserait avec celui que je considère comme mon époux de cœur.
Ce dernier avril a tout bouleversé …
Un Américain privé de sa jambe gauche, remplacé par une en bois ce qui lui donne l'allure d'un corsaire sur le retour, diplomate ou espion,(les deux sans doute!) dans la belle force de l'âge, assez attirant de figure, assez spirituel, franchement viril, terriblement séducteur, assez plaisant, et parfaitement amoureux de ma personne s'attache à mon grenier au point que Monsieur de Talleyrand et Monsieur de Flahaut en viennent à s'unir contre lui !
L'étrange roman que voilà  !
Non, ma Sophie, je n'ai point suscité une once sentiment de ce froid Thomas Jefferson si infatué de sa haute position d'Américain intègre jugeant notre société décadente. L'homme qui m'amuse porte un prénom bizarre, et un nom qui ne chante point à l'oreille : Governor Morris ! Un vrai nom à mourir de peur ! Il est pourvu d'une respectable épouse dont il ne saurait avoir l'imprudence de vanter les mérites … Son français est certes admirable de clarté, et il me fait de si grands compliments sur mon anglais que je ne puis douter de la profondeur de son attirance envers la « pleasing woman » que je suis ...il aurait même eu l'impertinence de confier à une de ces bonnes âmes perpétuellement empressées à vous apprendre l'opinion d'autrui que je n'étais point »a sworn enemy to intrigue » ! Le fat américain que voilà !
Toutefois, je n'en puis plus des tromperies de Monsieur de Talleyrand, des nouveaux bras se tendent vers moi, vais-je résister ? Et, pourquoi d'ailleurs ? L'affaire semble en fort agréable voie ... 
La vie que nous menons au Vieux Louvre ne laisse pas d'être lassante, mais le voisinage immédiat de si belles statues, de tableaux historiques d'une magnificence exquise, de collections inconnues des parisiens et des voyageurs, m'a procuré la douce occasion de promener mon américain dans le dédale de ce palais par une suave matinée d'avril.Le faux corsaire en frappait le sol de sa jambe de bois avec une énergie qui augure à merveille de beaucoup de choses ...
La veille, j'avais attisé sa flamme naissante par une amicale pression de la main … Ce geste délicat a produit un effet des plus charmants.
Ma Sophie, je sais, je devrais mourir de honte ! Mais,Governor Morris ranimera peut-être le goût que prétend avoir encore pour moi Monsieur mon ami. On murmure beaucoup sur la baronne de Staël, elle ferait d'énormes, de laborieux, d'impayables efforts,(de toute façon cette créature est brouillée avec la subtilité!) afin de s'attacher Monsieur de Talleyrand. Le péril est sérieux, je détiens une carte imprévue grâce aux assiduités de l'Américain , je m'emploie dés maintenant à en profiter .
On frappe à ma porte, le domestique de Monsieur Governor se courbe en agitant un billet, mon invitation à dîner le premier mai, en pleine effervescence politique, est acceptée avec un déluge de reconnaissance et une averse de compliments !
Décidément, cet Américain sait vivre et sa tendre galanterie me touche...
Ma Sophie, sois heureuse de la paix régnant à Barbazan !
Je glanerai pour toi les détails des jours prochains, des costumes, des chapeaux à plumes, aux humeurs de la reine, des paroles du roi, aux discours des députés les plus remarquables (dont Monseigneur d'Autun, notre Charles-Maurice de Talleyrand qui observera le spectacle avant d'entrer dans l'arène), tu sauras tout sur cette ouverture des Etats Généraux qui réconciliera la France avec elle-même, ou non …

Je t'embrasse 

Adélaïde

Nathalie-Alix de La Panouse


Trianon ou le simple manoir d'une reine

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