Chapitre 29
Les amants du Louvre
Seconde partie"En route vers l'orage"
Chapitre 29 du roman entier
« La comtesse, l'évêque et
l'Américain »
Lettre d'Adélaïde de Flahaut à la
comtesse d'Albany
Vieux Louvre, le 7 mai 1789
Mon amie, ma chère Louise,
Vous m'écrivez d'Ischia où la reine
invite sa cour à suivre une cure de santé sous le chaud soleil du
printemps, vous m'écrivez au large de Capri où je voudrais vivre en
paix le reste de mes jours , vous m'écrivez de Sorrente en
souriant à votre chevalier d'Alfieri à l'ombre des orangers, vous
me raillez du palais de Caserte en regardant les petites princesses
jouer au volant dans les jardins !
Inlassable, impitoyable, vous
m'accablez de détails sur la jeune rousse aux formes à égaler un
chef-d’œuvre de Praxitèle, cette Emma Harte d'obscure naissance
et de confuse réputation, mais brillante et claire comme un matin de
juillet, mais belle comme un ange dans ses cheveux la drapant d'un
voile tombant à ses pieds, hélas, sotte comme un joli panier, dont
notre hôte, l'ambassadeur Hamilton s'est toqué au point de la
vouloir présenter à la reine !
Racontez, racontez, Louise, j'aime ces
ragots qui ne sont que gaieté.
Donnez-moi aussi des nouvelles de mon
compagnon d'aventures, cet allègre, ce vif-argent de Monsieur Vivant
de Nom qui ne sait vivre qu'entouré de marbres antiques et ne songe
qu'à s'amouracher que de femmes embellies d'un profil purement
grec !
Mon Dieu que je vous envie encore et
toujours et cette fois plus que jamais !
Nous voici entrés au pays de la
crise : intrigues, méchants bruits, rumeurs fausses, crises
d'impatience du côté de la cour, crises d'angoisse du côté de la
rue, crise des finances, crise de confiance du peuple de Paris qui
des cafés à la mode aux jardins du Palais-Royal se hérisse et se
persuade, depuis que les Suisses ont
tiré sur la foule dans l'affaire Révillon que le gouvernement
n'hésitera point à recommencer à la première alerte, ensuite,
crise des paysans après l'hiver glacial, les pluies du printemps et
le pourrissement des récoltes,crise des boutiquiers, enfin, crise
des affamés, des désœuvrés, et crise tout bonnement du pays tout
entier.
Le remède universel à ces fièvres
violentes serait l'apanage du ministre si cher au cœur du peuple,le
ministre Necker, adoré par les humbles qui voient en sa personne un
magicien tout-puissant , haï par le cercle de la reine qui voudrait
le jeter aux chiens, cet arrogant banquier Genevois que l'on
s'imagine d'une intelligence politique supérieure la normale.
Si
Monsieur de Talleyrand avait la possibilité prochaine de révéler
en tant que député du clergé la vigueur de son esprit, voilà qui
sauverait peut-être la France de sombrer à l'instar d'un navire
privé de gouvernail.
Ma chère Louise, vous ne concevez
point combien nous sommes épouvantés et impuissants, nous les
habitants des villes face à la détresse des campagnes.
Mon amie
d'enfance, la seconde dans mon cœur juste à votre suite, Sophie de
Barbazan m'a encore dépeint les rigueurs d'un hiver infini, les
paysans incapables de moudre les le blé dans les moulins dont les
roues furent gelés, les enfants serrés les uns contre les autres
dans des logis enfumés et succombant aux maladies causées par la
faim et le froid . Ses enfants toussant et pleurant autant que les
marmailles de ses bergers, puis le réveil du printemps, l'espoir et
la déception atroce des pluies et du vent.on a brûlé des chaises et des tables au château de Barbazan !
J'ai envoyé force paquets
de linge et de confitures,d'énormes paniers de victuailles et de
jouets,en vain ! Ces réconforts furent subtilisés en route,
les tissus, les douceurs, dérobés à la sortie de Toulouse, comme
des trésors ! mes lettres seules, le papier ne se mangeant
point encore mais cela ne saurait tarder, ont eu l'incroyable fortune
de soulager la peine de Sophie …
Ne devinez-vous ? Son
dernier-né …
Ce sujet est si triste que je n'en
parlerai point ici. Je vous invite à joindre mes prières aux vôtres
pour ma pauvre Sophie …
J'éprouve une sorte de honte à
considérer mon fils si parfait de manières, si exquis à regarder,
si bavard et plein de raison à un âge où l'on déraisonne à toute
heure !monsieur de Talleyrand le gâte, le promène aux
Tuileries en le présentant comme son filleul : il va jusqu'à
lui faire de beaux discours sur l'état du pays que notre Charles
écoute avec une gravité extraordinaire, cela pour mieux quémander
une oublie ou un soldat ou un cavalier de plomb ; sa collection
est impressionnante et annonce une carrière de héros pour le
moins !
Voyez-vous, Louise, par lettres, on se
confie, on ose dire beaucoup et on tombe mal ou bien …
Mes confidences à Sophie ont croisé
un billet de sa main, tout empreint d'une amère tristesse …
Comme je suis confuse ! Il
faudrait pouvoir connaître les nouvelles de ses amis dans l'instant
afin de ne point commettre d'impardonnables impairs .
Un pareil procédé tiendrait du miracle, mais qui sait si un savant ne le réalisera pas d'ici deux ou trois siècles.
Un pareil procédé tiendrait du miracle, mais qui sait si un savant ne le réalisera pas d'ici deux ou trois siècles.
Quel dommage de ne point être des
mortels qui en profiteront ! Je donnerais cher afin d'entamer une
seconde existence en un temps capable de ce prodige :
s'entretenir sans façon avec un ami que maints pays et des
centaines, des milliers de lieux séparent de nous !
Louise, je ne sais quand vous recevrez
ce billet, mais peut-être ce jour-là,serais-je l'amante d'un
Américain des plus singuliers, surtout si Monsieur de Talleyrand
continue à me blesser en marquant de l' intérêt à la moins
singulière des femmes... et ce, quasi sous mon nez !
Là, je sens que vous lirez ces mots
avec une curiosité piquée au vif !
Eh bien, sachant quel esprit large est
le vôtre, je vous dis tout !
Vous allez d'abord vous exclamer
si je vous décris mon nouvel ami comme il se doit : sur une
jambe de bois , ce qui lui va fort bien, ne riez-point, Louise, je
n'extravague en aucune façon. Monsieur de Talleyrand sait faire
oublier son pied tordu, Monsieur Governor Morris est mille fois plus
conquérant en dépit de l'accident qui l'a rendu infirme que la
majorité des hommes qui ont certes deux jambes , mais une
intelligence, un charme, un attrait des plus insignifiants ...
La
situation de cet étranger est bizarre, on le dit beaucoup de choses
et leur contraire, son pays nous le présente en second, rôle ;
or, cela ne convient point à son assurance, à son art de vivre, à
ses manières fermes et hautaines , et surtout à ses entrées dans
tous les lieux de Paris où les complots, les intrigues se nouent …
Je crois que Monsieur l'Américain nous
observe comme un savant naturaliste épie les fourmis de son jardin !
Et, je me flatte d'être un spécimen de choix pour ce Governor
Morris qui a la prévenance de me faire porter tout à l'heure un
billet dans lequel il m'annonce s'habiller en mon honneur pour
honorer mon invitation à dîner …
Cela m'enchante car il a eu sous les yeux le tableau de l'ouverture des Etats Généraux, cette procession glorieuse toute d'or et de plumes !il va me rendre compte de chaque détail , de chaque plume, et de chacun des diamants miroitants sur les étoffes royales, avec une précision tranchante qui n'appartient qu'à lui . Monsieur de Talleyrand m'a déjà comblé hier soir d'images prenantes tout en aidant notre petit Charles à acquérir le bon usage de sa fourchette en argent .
C'est exquis de voir un évêque s'appliquer à tant de patience ! Mon ami m'a avoué combien cette douce tache le reposait de ses menées ambitieuses et de cette réserve, autant dire cette dissimulation, de ses pensées et émotions dont il se pique d'être le maître absolu. En la compagnie innocente de Charles, c'est un autre homme qui me tient la main par dessus le potage et s'amuse à conter les malheurs de Monsieur du Corbeau attrapé par sire Renard !
Cela m'enchante car il a eu sous les yeux le tableau de l'ouverture des Etats Généraux, cette procession glorieuse toute d'or et de plumes !il va me rendre compte de chaque détail , de chaque plume, et de chacun des diamants miroitants sur les étoffes royales, avec une précision tranchante qui n'appartient qu'à lui . Monsieur de Talleyrand m'a déjà comblé hier soir d'images prenantes tout en aidant notre petit Charles à acquérir le bon usage de sa fourchette en argent .
C'est exquis de voir un évêque s'appliquer à tant de patience ! Mon ami m'a avoué combien cette douce tache le reposait de ses menées ambitieuses et de cette réserve, autant dire cette dissimulation, de ses pensées et émotions dont il se pique d'être le maître absolu. En la compagnie innocente de Charles, c'est un autre homme qui me tient la main par dessus le potage et s'amuse à conter les malheurs de Monsieur du Corbeau attrapé par sire Renard !
Ce plaisant cercle de famille m'éloigne
un instant de mon sujet.
Governor Morris me plaît, Louise ,
et profiter du goût qu'il semble avoir pour moi, m'assurerait un
refuge qui pourrait m'être fort utile dans les mois qui viennent.
Vous souriez ? Vous avez grand tort ! L'avenir se charge de
menaces, le ciel de demain se couvre de gris, mon époux se cramponne
à sa charge principale d'intendant des Jardins du roi, or, il
risque de la perdre en un clin d’œil ; il suffit d'une
calomnie, d'un chantage, ou d'une loi nouvelle inspirée par un tête
échauffée.
Que sortira-t-il de cette extraordinaire réunion de députés querelleurs dont on attend l'invention d' un impôt juste et équitable, la chimère par excellence ....
Que sortira-t-il de cette extraordinaire réunion de députés querelleurs dont on attend l'invention d' un impôt juste et équitable, la chimère par excellence ....
Monsieur de Talleyrand, si éclatant de
fierté dans sa position de député du haut-clergé, joue peut-être
à me faire mourir de terreur.
Pourtant, une intuition lancinante empoisonne les soirs de ce printemps si loin de l'insouciance tant prisée sous le règne du défunt roi . Qu'importe en vérité le merveilleux habit du roi, qu'importe le satin violine enveloppant la reine, une nuance qui vieillit et rend le teint blême, la fâcheuse idée que voilà, qu'importe les folies de Monsieur de Vaudreuil en tête d'une suite de gentilshommes leur faucon posé sur le poing à l'instar des anciens seigneurs, en voilà un beau manque de tact à l'égard du susceptible tiers...
Qu'importe l'élégant Monsieur de Besenval qui s'écria en inspectant son régiment :
Pourtant, une intuition lancinante empoisonne les soirs de ce printemps si loin de l'insouciance tant prisée sous le règne du défunt roi . Qu'importe en vérité le merveilleux habit du roi, qu'importe le satin violine enveloppant la reine, une nuance qui vieillit et rend le teint blême, la fâcheuse idée que voilà, qu'importe les folies de Monsieur de Vaudreuil en tête d'une suite de gentilshommes leur faucon posé sur le poing à l'instar des anciens seigneurs, en voilà un beau manque de tact à l'égard du susceptible tiers...
Qu'importe l'élégant Monsieur de Besenval qui s'écria en inspectant son régiment :
« Je
ne veux que du beau ! » et qui obtint des hommes propres
et luisants comme des sous neufs !
Ne dirait-on un soleil s'éteignant sur
le monde ancien que cette magnificence vaine ?
Monsieur de Talleyrand a même eu un
brin de compassion l'égard de notre roi dont le discours ne semble
point avoir emporté la foule …
Mais, comment se représenter la
douleur de la reine affrontant l'indigne silence de sujets
s'évertuant à la métamorphoser en créature de tous les vices …
Ne vous doutez-vous de la source de ce ressentiment ?
Ne vous doutez-vous de la source de ce ressentiment ?
Elle ne change ni ne tarit …
Le
déficit, certes, le cousin du roi plus encore …
Le peuple acclama donc « Orléans » , qui dédaigna les plumes et se vêtit de sombre afin de proclamer son soutien au tiers ! La foule parisienne adore le duc libéral qui la nourrit de soupes au Palais royal et de paroles bien choisies puisqu'elles expriment ce que les gens perdus désirent entendre.
Le peuple acclama donc « Orléans » , qui dédaigna les plumes et se vêtit de sombre afin de proclamer son soutien au tiers ! La foule parisienne adore le duc libéral qui la nourrit de soupes au Palais royal et de paroles bien choisies puisqu'elles expriment ce que les gens perdus désirent entendre.
L'évêque de Nancy s'est saisi de
l'occasion : son sermon en la cathédrale Saint-Louis fut une
leçon de morale des plus édifiantes, assortie d'un plaidoyer contre
les dépenses folles de la cour et d'une lamentation sur la détresse
des humbles paysans.
Je ne peux m'élever contre l'audace de
Monseigneur de La Fare, je suis toutefois angoissée de l'effet que
vont produire ces mots enflammés...
Monsieur de Narbonne reste bouleversé des clameurs haineuses qui accablèrent les Polignac ...La réunion tant souhaitée des états-Généraux provoquera-t-elle une catastrophe dont nul ne mesure l'ampleur ? Louise ! Je ne parle que de politique dans une lettre dédiée à l'amour ou du moins au plaisir de se croire amoureux …
Monsieur de Narbonne reste bouleversé des clameurs haineuses qui accablèrent les Polignac ...La réunion tant souhaitée des états-Généraux provoquera-t-elle une catastrophe dont nul ne mesure l'ampleur ? Louise ! Je ne parle que de politique dans une lettre dédiée à l'amour ou du moins au plaisir de se croire amoureux …
Governor Morris vient dîner ce soir,
et un second billet hâtif m'apprend que monsieur de Talleyrand
galope lui aussi sur la route de Versailles afin de visiter notre
grenier.
Je ne sais plus où j'en suis et qui je
suis !
Mais, l'idée que ces deux hommes, si
habiles à amasser les bonnes fortunes s'acharneront
à escalader les cent soixante
méchantes marches menant à mon logis m'ôte de l'esprit tout ce qui
n'est point douceur de plaire et aimables coquetteries...
Je vous embrasse,
Adélaïde
Lettre de la comtesse d'Albany à la
comtesse de Flahaut
Naples, le vingt mai 1789
Ma chère amie,
La reine de Naples s'inquiète
extrêmement pour la santé du Dauphin de France, son neveu . on dit l'infortuné prince perdu ...
Nous prions pour ce prince et pour sa
mère si digne au sein du chagrin qui l'accable.
Je pense à vous, mon amie, mon
Adélaïde si folle et si charmante, méfiez-vous de vos adorateurs !
Sir Hamilton me mande en sa belle
maison de Caserte, je vous écrierai de ce séjour riant et flatteur,
son amie si parfaite de figure reçoit
les peintres les plus renommés qui ont, bien entendu, mission de
l'immortaliser ! Mais, le vœu de cette beauté reste l'anneau
nuptial …
Les paris sont ouverts !
Sir Hamilton aura-t-il l'audace d'aller
si loin ?
Nous verrons et cela nous distraira de nos soucis ...
Je vous embrasse,
Louise
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