lundi 28 janvier 2019

Qui est Monsieur de Mirabeau ? chapitre 30 des "amants du Louvre"


Chapitre 30

"Les Amants du Louvre  » Roman épistolaire par Nathalie-Alix de La Panouse

Seconde partie : « En route vers l'orage »

Chapitre trente du roman entier : "Juin 1789 avec Mirabeau et Georgiana de Devonshire"

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Louise d'Albany

le 20 juin 1789

Paris, vieux Louvre

Ma chère Louise,

Vous me demandez de vous relater par le menu les travaux de ces Messieurs des Etats-Généraux, que vous dire ? Il est advenu tant de choses en si peu de jours !
La plus triste, sans doute est-elle déjà parvenue à Naples et Caserte en suscitant une juste compassion envers notre pauvre reine ? Vous l'aviez pressentie dans votre billet précédent …
Oui, la France a perdu cet aimable Dauphin dont la naissance fut célébrée avec une joie encore pure par un peuple encore reconnaissant, un royaume encore confiant en ses souverains.
 Comme nous sommes éloignés de ce monde ancien !
 L'indifférence accompagne le deuil d'une mère et d'un père agenouillés le 4 juin au pied du lit où agonisa ce petit être malingre et souffrant qui porta d'une façon si vaillante et si brève les espoirs d'un couple, les chimères d'une cour, les vœux d'une France qui recule dans le passé ...
La France de ces jours derniers a bien autre événement en tête que la mort de son Dauphin ! elle ne se soucie plus que de sa liberté ; mot neuf, mot étrange, mot clamé à grand fracas, mot qui donne le frisson et promet le pire autant que le meilleur …
Les infortunés parents n'ont guère eux la liberté d'accomplir leur deuil : la faute en est à Monsieur de Mirabeau.
 Qu'est-ce que ce Monsieur de Mirabeau , me direz-vous ? A peu prés ceci : un chevalier rugissant, un homme des tempêtes, et plus encore l'amant d'une malheureuse que son époux fit enfermer pour pénitence .
 Enfin ce séducteur d'une laideur fascinante a reçu le don d'une éloquence à remuer les morts .
Ce comte de Mirabeau prétend avoir choisi le camp des justes, soit celui du Tiers, et son cheval de bataille reste l'élaboration d'une constitution . Or, un important groupe de nobles l'approuve, Monsieur de Talleyrand qui tient du clergé et de la noblesse tout en penchant vers le Tiers l'applaudit. Le duc d'Orléans ne dit mot pour l'instant, et, certainement, n'en pense pas moins. Les esprits contraires s'affrontent sans s'entendre, et l'enchaînement des faits bouleverse notre monde établi.
Vous ne me croyez point ?
 Eh bien, lisez la suite sans bouger un doigt ni vous lever : voici cinq jours, Monsieur de Mirabeau a osé tonitruer aux députés du Tiers qu'ils étaient à l'évidence les seuls représentants du peuple !
Le tiers s'est levé, prêt à a suivre ce diable d'homme jusqu'en enfer !
A une autre époque, Monsieur de Mirabeau aurait été embastillé sur l'heure ! Et Monsieur de Talleyrand, rebelle en dépit de sa retenue glacée, sommé de retourner veiller sur les charmantes femmes peuplant son évêché d'Autun ...
L'abbé Sieyès, l'auteur d'un singulier ouvrage d'une véhémence épique sur le « Tiers », a proposé à ces « vrais » représentants du peuple de se constituer en Assemblée Nationale … Il allait de soit que le ministre Necker ait envie de servir cette nouvelle puissance : le voilà empressé à remettre au roi un mémoire dans lequel il s' efforce de le persuader du bien-fondé de l'égalité fiscale !
 Et encore mieux, Louise, (accordez-moi la liberté de vous avouer que rien ne me choque au fond dans tout cela) du droit de vote par tête et de celui d'accéder aux charges publiques en raison de ses seules vertus et capacités. Je pense avoir saisi dans son ensemble ces exigences qui nous font basculer dans l'inconnu certes, mais un inconnu exaltant en dépit de la confusion qui nous envahit chaque jour davantage.
Monsieur de Talleyrand m'a confié caresser l'espoir de jouer un rôle flatteur au sein de cet orage qui s'apaisera par l'écriture d'une constitution, si Dieu , la noblesse, le haut-clergé et le roi le veulent …
Or, pour l'instant le roi ne veut point du tout de ces réformes ! Monsieur Necker a été prié de se taire ! En douteriez-vous ?
Je ne vous ai point tout raconté, le plus incroyable est pour la fin : je lis à l'instant un billet griffonné à la hâte par Monsieur de Talleyrand, je n'en puis croire mes yeux, pourtant son domestique, encore en sueur, m'affirme avoir été témoin de ce coup d'éclat de Monsieur de Mirabeau !
Mon Dieu, Louise ! Cet homme est pareil à une charge de poudre explosant à la figure du roi ! Pouvez-vous vous représentez cette affaire : ce matin, les députés du Tiers, furibonds de trouver porte close de leur salle habituelle, celle des Menus- Plaisirs, envahirent un des cours du Jeu de Paume de Versailles, interdit à ceux qui ne sont point nobles de cour, et jurèrent de ne plus se quitter avant de doter la France d'une constitution !
Le roi a-t-il ordonné qu'on déloge ces rebelles ? Que non pas, Les députés du clergé, Monsieur de Talleyrand avec eux, je gage qu'il avait cette fois oublié son impavidité ordinaire, de rejoindre le Tiers, puis le comte de Mirabeau de vociférer comme si on devait l'entendre jusqu'aux Amériques : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes ! »
Louise, mon amie, je défaille presque …
 Nous vivons un moment d'histoire ! Mon soupirant installé et empressé, Monsieur Governor Morris vient me visiter ce soir, lui aussi me dépeindra cette journée proprement historique. Mais cet Américain ne sera-t-il en réalité choqué, scandalisé, épouvanté ? Ou ravi de cette constitution qui s'imposera au pays si le roi ne s'impose point par la force … J'ai l'audace de vous écrire sur ce ton car je sais combien votre messager est sûr . D'ailleurs, la liberté de parole ne viendra-t-elle bientôt  avec toutes les autres ? Mon amie, le parti des constitutionnalistes m'excite plus que de raison !
Sur ce point, je me rapproche de cette duchesse de Devonshire qui a la désinvolture héroïque de choisir Paris en guise de villégiature comme si les troubles et émeutes populaires lui semblaient un charme exotique. Monsieur de Narbonne a entendu l'ambassadeur, le si exquis duc de Dorset, résumer de la sorte l'avis éclairé de cette très grande dame qui cultive la liberté et le jeu politique au lieu de veiller sur les fleurs rares croissant en son parc gigantesque: Lady Georgiana prône la confiance en un peuple éduqué et évolué ! Le duc, son ancien adorateur éliminé au profit d'un beau ténébreux du nom de Grey,s'apprête à la laisser recevoir les « patriotes » , comprenez nos amis et ceux du duc d'Orléans, la moitié de son séjour, et les fidèles amis du roi et de la reine l'autre moitié. Versailles l'attend avec une impatience extrême, la reine étouffe dans ses pensées morbides ; comment supporter la perte d'un enfant si jeune ?
Souhaitons que la duchesse puisse réconforter son amie éplorée et lui procurer par sa constante affection un moment de paix au sein de la tempête.
Louise, ma bonne, ma tendre amie, je vais vous rendre jalouse, j'ignore la raison de cet honneur, mais la duchesse de Devonshire me mande à l'ambassade d'Angleterre, sa Grâce désire recevoir lors de son séjour à Paris les modistes, les bijoutières, les princesses hautaines, les hommes politiques, les hommes à la mode et les dames tenant salon dans la capitale !
 Sa curiosité toujours piquante tombe sur mon humble personne qui n'espérait point cet honneur fort encombrant.
Me voilà prise pour un animal de cirque !
 La suite de cette très haute dame compte une cinquantaine de serviteurs dévoués, mais les idées de la duchesse n'en demeurent pas moins très ouvertes, et je vous le répète très favorables à l'élévation de ce bon peuple qu'elle ne connaît que de fort loin .
On me prie à dîner le 25 juin, je ne saurais refuser sous prétexte que mes robes sentent la mode de l'an dernier ! La duchesse aura-t-elle une influence décisive sur l'état-d'esprit de nos souverains dont elle est l'amie de cœur ? 
Paris est une marmite bouillante, quel effet néfaste pour une duchesse Anglaise ! Même en saison électorale, je doute que Londres se puisse comparer à notre effervescence angoissante.
Oh, Louise, en toute franchise, on nous menace d'une révolution, si la situation s'aggrave, si ni Monsieur Morris, ni monsieur de Talleyrand ne me peuvent protéger, je sais bien où j'irais , je m'embarquerais de Marseille vers Naples et Capri !
Madame Vigée-Lebrun, qui est atteinte par le fouet de la calomnie touchant la reine, rêve d'un exil napolitain, la lumière du golfe ranimerait heureusement son inspiration défaillante explique-t-elle aux bonnes âmes .
 Allons ! Cette artiste craint pour sa vie depuis que son lien avec le comte de Vaudreuil si abhorré a été révélé au public avide des secrets d'autrui...
Je n'aurais la méchanceté de vous priver du récit de ma soirée chez cette insouciante et gracieuse duchesse qui pose en déesse de la politique depuis qu'elle brava l'opinion publique afin d'aider son cher Fox. 
Mais le soir tombe, et je me dois à mes invités et plus encore à mon fils qui me supplie de l'embrasser avant qu'il ne s'endorme...

Je vous embrasse,

Adélaïde

Nathalie-Alix de La Panouse

Giorgiana duchesse de Devonshire

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