Chapitre 30
"Les Amants du
Louvre » Roman épistolaire par Nathalie-Alix de La Panouse
Seconde partie : « En route
vers l'orage »
Chapitre trente du roman entier : "Juin 1789 avec Mirabeau et Georgiana de Devonshire"
Lettre d'Adélaïde de Flahaut à
Louise d'Albany
le 20 juin 1789
Paris, vieux Louvre
Ma chère Louise,
Vous me demandez de vous relater par
le menu les travaux de ces Messieurs des Etats-Généraux, que vous
dire ? Il est advenu tant de choses en si peu de
jours !
La plus triste, sans doute est-elle
déjà parvenue à Naples et Caserte en suscitant une juste compassion envers notre pauvre reine ? Vous
l'aviez pressentie dans votre billet précédent …
Oui, la France a perdu cet aimable
Dauphin dont la naissance fut célébrée avec une joie encore pure
par un peuple encore reconnaissant, un royaume encore confiant en ses
souverains.
Comme nous sommes éloignés de ce monde ancien !
L'indifférence accompagne le deuil d'une mère et d'un père
agenouillés le 4 juin au pied du lit où agonisa ce petit être
malingre et souffrant qui porta d'une façon si vaillante et si brève
les espoirs d'un couple, les chimères d'une cour, les vœux d'une
France qui recule dans le passé ...
La France de ces jours derniers
a bien autre événement en tête que la mort de son Dauphin !
elle ne se soucie plus que de sa liberté ; mot neuf, mot
étrange, mot clamé à grand fracas, mot qui donne le frisson et
promet le pire autant que le meilleur …
Les infortunés parents n'ont guère
eux la liberté d'accomplir leur deuil : la faute en est à
Monsieur de Mirabeau.
Qu'est-ce que ce Monsieur de Mirabeau , me
direz-vous ? A peu prés ceci : un chevalier rugissant, un
homme des tempêtes, et plus encore l'amant d'une malheureuse que
son époux fit enfermer pour pénitence .
Enfin ce séducteur d'une
laideur fascinante a reçu le don d'une éloquence à remuer les
morts .
Ce comte de Mirabeau prétend avoir
choisi le camp des justes, soit celui du Tiers, et son cheval de
bataille reste l'élaboration d'une constitution . Or, un
important groupe de nobles l'approuve, Monsieur de Talleyrand qui
tient du clergé et de la noblesse tout en penchant vers le Tiers
l'applaudit. Le duc d'Orléans ne dit mot pour l'instant, et,
certainement, n'en pense pas moins. Les esprits contraires
s'affrontent sans s'entendre, et l'enchaînement des faits bouleverse
notre monde établi.
Vous ne me croyez point ?
Eh bien,
lisez la suite sans bouger un doigt ni vous lever : voici cinq
jours, Monsieur de Mirabeau a osé tonitruer aux députés du Tiers
qu'ils étaient à l'évidence les seuls représentants du peuple !
Le
tiers s'est levé, prêt à a suivre ce diable d'homme jusqu'en
enfer !
A une autre époque, Monsieur de
Mirabeau aurait été embastillé sur l'heure ! Et Monsieur de
Talleyrand, rebelle en dépit de sa retenue glacée, sommé de
retourner veiller sur les charmantes femmes peuplant son évêché
d'Autun ...
L'abbé Sieyès, l'auteur d'un
singulier ouvrage d'une véhémence épique sur le « Tiers »,
a proposé à ces « vrais » représentants du peuple de
se constituer en Assemblée Nationale … Il allait de soit que le
ministre Necker ait envie de servir cette nouvelle puissance : le voilà
empressé à remettre au roi un mémoire dans lequel il s' efforce
de le persuader du bien-fondé de l'égalité fiscale !
Et
encore mieux, Louise, (accordez-moi la liberté de vous avouer que
rien ne me choque au fond dans tout cela) du droit de vote par tête
et de celui d'accéder aux charges publiques en raison de ses seules
vertus et capacités. Je pense avoir saisi dans son ensemble ces
exigences qui nous font basculer dans l'inconnu certes, mais un
inconnu exaltant en dépit de la confusion qui nous envahit chaque
jour davantage.
Monsieur de Talleyrand m'a confié
caresser l'espoir de jouer un rôle flatteur au sein de cet orage qui
s'apaisera par l'écriture d'une constitution, si Dieu , la noblesse,
le haut-clergé et le roi le veulent …
Or, pour l'instant le roi ne veut point
du tout de ces réformes ! Monsieur Necker a été prié de se
taire ! En douteriez-vous ?
Je ne vous ai point tout raconté, le
plus incroyable est pour la fin : je lis à l'instant un billet
griffonné à la hâte par Monsieur de Talleyrand, je n'en puis
croire mes yeux, pourtant son domestique, encore en sueur, m'affirme
avoir été témoin de ce coup d'éclat de Monsieur de Mirabeau !
Mon Dieu, Louise ! Cet homme est
pareil à une charge de poudre explosant à la figure du roi !
Pouvez-vous vous représentez cette affaire : ce matin, les
députés du Tiers, furibonds de trouver porte close de leur salle
habituelle, celle des Menus- Plaisirs, envahirent un des cours du
Jeu de Paume de Versailles, interdit à ceux qui ne sont point nobles
de cour, et jurèrent de ne plus se quitter avant de doter la France
d'une constitution !
Le roi a-t-il ordonné qu'on déloge
ces rebelles ? Que non pas, Les députés du clergé, Monsieur
de Talleyrand avec eux, je gage qu'il avait cette fois oublié son
impavidité ordinaire, de rejoindre le Tiers, puis le comte de
Mirabeau de vociférer comme si on devait l'entendre jusqu'aux
Amériques : « Nous sommes ici par la volonté du peuple
et nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes ! »
Louise, mon amie, je défaille presque
…
Nous vivons un moment d'histoire ! Mon soupirant installé
et empressé, Monsieur Governor Morris vient me visiter ce soir, lui
aussi me dépeindra cette journée proprement historique. Mais cet
Américain ne sera-t-il en réalité choqué, scandalisé,
épouvanté ? Ou ravi de cette constitution qui s'imposera au
pays si le roi ne s'impose point par la force … J'ai l'audace de
vous écrire sur ce ton car je sais combien votre messager est sûr .
D'ailleurs, la liberté de parole ne viendra-t-elle bientôt
avec toutes les autres ? Mon amie, le parti des
constitutionnalistes m'excite plus que de raison !
Sur ce point, je me rapproche de cette
duchesse de Devonshire qui a la désinvolture héroïque de choisir
Paris en guise de villégiature comme si les troubles et émeutes
populaires lui semblaient un charme exotique. Monsieur de Narbonne a
entendu l'ambassadeur, le si exquis duc de Dorset, résumer de la
sorte l'avis éclairé de cette très grande dame qui cultive la
liberté et le jeu politique au lieu de veiller sur les fleurs rares
croissant en son parc gigantesque: Lady Georgiana prône la confiance
en un peuple éduqué et évolué ! Le duc, son ancien adorateur
éliminé au profit d'un beau ténébreux du nom de Grey,s'apprête à
la laisser recevoir les « patriotes » , comprenez nos
amis et ceux du duc d'Orléans, la moitié de son séjour, et les
fidèles amis du roi et de la reine l'autre moitié. Versailles
l'attend avec une impatience extrême, la reine étouffe dans ses
pensées morbides ; comment supporter la perte d'un enfant si
jeune ?
Souhaitons que la duchesse puisse
réconforter son amie éplorée et lui procurer par sa constante
affection un moment de paix au sein de la tempête.
Louise, ma bonne, ma tendre amie, je
vais vous rendre jalouse, j'ignore la raison de cet honneur, mais la
duchesse de Devonshire me mande à l'ambassade d'Angleterre, sa Grâce
désire recevoir lors de son séjour à Paris les modistes, les
bijoutières, les princesses hautaines, les hommes politiques, les
hommes à la mode et les dames tenant salon dans la capitale !
Sa curiosité toujours piquante tombe sur mon humble personne qui
n'espérait point cet honneur fort encombrant.
Me voilà prise pour un animal de
cirque !
La suite de cette très haute dame compte une
cinquantaine de serviteurs dévoués, mais les idées de la duchesse
n'en demeurent pas moins très ouvertes, et je vous le répète très
favorables à l'élévation de ce bon peuple qu'elle ne connaît que
de fort loin .
On me prie à dîner le 25 juin, je ne
saurais refuser sous prétexte que mes robes sentent la mode de l'an
dernier ! La duchesse aura-t-elle une influence décisive sur
l'état-d'esprit de nos souverains dont elle est l'amie de cœur ?
Paris est une marmite bouillante, quel effet néfaste pour une
duchesse Anglaise ! Même en saison électorale, je doute que
Londres se puisse comparer à notre effervescence angoissante.
Oh,
Louise, en toute franchise, on nous menace d'une révolution, si la
situation s'aggrave, si ni Monsieur Morris, ni monsieur de Talleyrand
ne me peuvent protéger, je sais bien où j'irais , je
m'embarquerais de Marseille vers Naples et Capri !
Madame Vigée-Lebrun, qui est atteinte
par le fouet de la calomnie touchant la reine, rêve d'un exil
napolitain, la lumière du golfe ranimerait heureusement son
inspiration défaillante explique-t-elle aux bonnes âmes .
Allons !
Cette artiste craint pour sa vie depuis que son lien avec le comte de
Vaudreuil si abhorré a été révélé au public avide des
secrets d'autrui...
Je n'aurais la méchanceté de vous
priver du récit de ma soirée chez cette insouciante et gracieuse
duchesse qui pose en déesse de la politique depuis qu'elle brava
l'opinion publique afin d'aider son cher Fox.
Mais le soir tombe, et
je me dois à mes invités et plus encore à mon fils qui me
supplie de l'embrasser avant qu'il ne s'endorme...
Je vous embrasse,
Adélaïde
Nathalie-Alix de La Panouse
Giorgiana duchesse de Devonshire |
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