jeudi 7 février 2019

L'art d'être duchesse et "révolutionnaire"en juin 1788 :chapitre 31, "Les Amants du Louvre"


Les amants du Louvre
Chapitre 31 

Lettre de la comtesse de Flahaut à Charles -Maurice de Talleyrand-Périgord

Paris
Le 27 juin 1789

Mon tendre ami,

Savez-vous qu'avant-hier, comme vous fûtes mandé  chez monsieur de Narbonne, où vous avez eu l’effronterie de me préférez une divine partie de cartes, j'ai trouvé une revanche chez le duc de Dorset ?
Or, mon tendre ami, dans ce palais doré tout illuminé de mille bougies, on daigna me présenter à cette duchesse de Devonshire si singulière !
Au dehors toutefois, rien ne paraît plus classique que son teint pétri de roses, et sa figure délicate plutôt que belle.
Sa Grâce porte son titre le plus gracieusement du monde et nous rend tous esclaves de son humeur enjouée ! Sa Grâce tourbillonne de salon en boutique et s'ingénie à prendre Paris pour un jardin rempli d'individus véhéments et tonitruants et de couturières ou vendeuses à l'audace irrésistible.
Politique et art de la mode ! Quel délice et quelle frivolité ! 
Or, ceci n'est que théâtre, la duchesse pense, observe, réfléchit, et donne entre deux rubans de soie ou deux mousselines arachnéennes, un avis pertinent que Monsieur Necker gagnerait fort à écouter .Je m'imaginais que si grande dame ne descendait point de son socle de marbre, j'étais à mille lieux de la réalité !
La duchesse se promène au Palais Royal, et d'un coup d'éventail, exige que l'on débatte avec elle de la situation présente et de ses périls … 
Elle défend la reine mais approuve la constitution, c'est un mélange de naïveté et de hardiesse, une femme d'une éducation si parfaite qu'elle élève l'autre sans jamais songer à l'abaisser.
Paris est amoureux de cette Anglaise qui ne ressemble à aucune autre femme au monde ! Vous en seriez des plus amoureux vous aussi, mais, il va falloir que vous lui couriez après car elle tient plus du feu follet ou de l'elfe que de la femme !
Quand vous la croyez aux Tuileries , la voilà chez le duc d'Orléans, demain elle sera à Versailles, ce soir, on m'a prié de lui montrer les collections du Louvre alors que je bavardais sur l'amour, et par là sur vous, avec Madame-Vigée et mon charmant nouvel ami, ce fameux Governor Morris dont je vous rebats les oreilles, le mystérieux diplomate venu nous observer à loisir de ses rudes Amériques. Certes, mon ami, vous avez su éveiller une fort plaisante jalousie chez cet homme qui remorque après lui assez de cœurs féminins pour égaler l'évêque d'Autun...
Mais point la duchesse dont le cœur palpiterait en secret pour un beau jeune homme au caractère impossible … Ne dites pas un mot de cette confidence ou la duchesse me fera tordre le cou par un valet anglais habitué à obéir aux caprices de Sa Grâce sans lever un sourcil ! Accordez-moi cette raillerie et reprenons : la duchesse a un cœur immense, un appétit d'exister sans pareil ; elle aime à la folie chaque seconde que Dieu nous laisse ! Le malheur vient de sa frénésie sur les tables où l'on joue gros jeu ...l'amour et le jeu lui procureraient-ils les mêmes frissons voluptueux ?
 Sa Grâce perd des sommes folles, crie « Pardon ! », et recommence de plus belle.
Le duc ignorerait le gouffre de ses dettes … Mais l'air de Paris va peut-être provoquer l'espoir de l'héritier légitime dont ce grand seigneur a besoin de façon pressante ! Comme Sa Grâce m'est fort sympathique, je lui souhaite de toutes mes forces de mettre ainsi un terme à ses tourments financiers. Pour l'heure, cette Anglaise met son joli nez partout et se délecte de faire rougir les humbles créatures en leur lançant à la figure le nom de celui qui occupe leurs pensées.
Au Louvre, je n'ai point manqué d'aiguiser sa curiosité endiablée, votre nom a jailli très vite !
D'ailleurs, je ne puis vous cacher combien Governor Morris boudait ferme en l'écoutant vanter vos mérites dans son exquis jargon qui s'évertue à passer pour un français élégant.La discussion soudain s'est écartée de la politique et a tourné à une de ces «leçons d'Amour » qu'inventa au temps des Troubadours en Languedoc la reine Alienor d'Aquitaine .
La duchesse me demanda si un amant volage méritait un attachement fidèle … J'eus un sourire charmant en guise de réponse … La duchesse d'insister !
Indigné, l'ami américain, volant à mon secours en vrai gentilhomme, de hausser le ton, de lever les mains, de brandir sa canne au risque de choir à nos pieds ! « Les coutumes d'Europe, en particulier les usages français demeurent un franc mystère pour nos mœurs éprises de simplicité », eût-il l'audace de nous expliquer. Et de poursuivre avec passion sur ce terrain mouvant : 
 « Madame de Flahaut, bonne épouse et mère admirable, prétend que l'on peut conclure par ailleurs un mariage de cœur où l'on cultiverait la fidélité au sein de l'infidélité. Cette étrange conception de la vertu conjugale ne vous choque-t-elle point Madame la duchesse ? »
La duchesse m'a regardée avec un intérêt flatteur ! 
« L'amour s'il est sincère autorise le pire et le meilleur,  toutefois, comtesse, gardez-vous de prodiguer une affection que l'on pourrait négliger !» a-t-elle conclu en pointant son éventail sur le ravissant minois d'un modèle de monsieur Fragonard. Vous ne le connaissez que trop ce tableau, mon ami ! Ne vous souvenez-vous de cette tendre amante effarouchée tentant de repousser son amant dans l'envol d'une tenture de soie écarlate qui se gonfle à l'instar de la voile d'un bateau poussé par la tempête ?
Enfin, Madame Vigée, qui sait également peindre et mener une conversation, babillait à son tour d'un ton affecté, Governor Morris étudiait l'effet produit par ses paroles sur ma mine que je rendais fort réservée, la duchesse arpentait d'un pas décidé les galeries quand des clameurs brisèrent l'espèce d'enchantement paisible de notre cercle.
Un messager parvint à nous rejoindre de la part du duc de Dorset, qui pris d'une grande inquiétude à l'égard d'une ancienne amante qui lui est encore chère, priait Sa Grâce de se réfugier au plus vite à l'ambassade d'Angleterre.
L'intrépide duchesse a fait fi de ce pieux conseil pendant un court instant ; sa bravoure a finalement cédé face aux mouvements du dehors. Ses laquais lui ont fait un rempart, nous lui fîmes une révérence, elle disparut comme un nuage, et j'invitai mes amis à grimper à l'abri de notre grenier .Il est vrai que Paris gronde autour du Palais Royal, mais c'est à Versailles, dit-on, que la colère du peuple deviendrait une immense imprécation...
Mon ami, les rumeurs ont atteint une confusion si extrême que je ne compte plus que sur vous afin d'éclairer ma lanterne .
Que se passe-t-il à Versailles ? On hurle que le roi aurait ordonné aux nobles et au clergé de rejoindre le Tiers ! Necker serait au bord du renvoi ! On accuse notre souverain d'avoir massé des troupes en vue d'une répression sanglante. Les annonces les plus extravagantes courent dans les rues et augmentent la panique des passants qui ne savent à quel Saint se vouer.Je regarde ceci de mes fenêtres et n'ose descendre . Tant pis pour l'appétit de Monsieur mon mari, nous subsisterons des confitures de Barbazan ce soir . Mon fils en sera ravi .
La duchesse avant de s'en aller avec sa petite escouade de valets d'une taille gigantesque, nous a lancé qu'elle restait déterminée à braver la vindicte populaire et à rassurer la reine demain …
 Peut-être la rencontrerez-vous  à Versailles, émoustillée de cette révolte en dépit de son affection envers le couple royal !
Je vous supplie de m'écrire chaque nouvel événement,
je vous supplie aussi de ne jamais nous abandonner Charles et moi si le peuple perdait toute raison.
 Je vous supplie enfin de m'aimer comme j'ai la faiblesse et la force de vous aimer depuis votre entrée chez nous il y a déjà si longtemps …

Adélaïde

Nathalie-Alix de La Panouse

Pourquoi pas Adélaïde de Flahaut dans son grenier du Louvre en 1789 ?

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