Capri à l'orée du printemps
Lettre à un ami sur le port de Marina Grande
Mon ami,
Je vous écris tôt en ce pâle et
clair matin de mars.
Pourquoi d'ailleurs vous écrire ?
Personne en ce fol univers ne songe plus à écrire ! Autour de
moi, le silence se fait : il semblerait que je sois sur le point
de commettre un crime : j'écris !
Je vous écris à la diable sur un bout
de papier déniché par miracle, je vous écris à la volée, je vous
écris, mais est-ce vraiment à vous que j'envoie ce mot ?
J'écris en réalité une lettre de
château à l'île de Capri et aussi à ces amis doués de la
générosité la plus vive que le hasard a mis sur mon chemin en ce
dernier automne rayonnant, en cet hiver d'une douceur radieuse, sur
les hauteurs d'Anacapri.
Nous voilà à l'orée du printemps, à
l'heure où le soleil glisse du haut des falaises,et d'un seul élan
franchit le cercle des nuées.Le port à cette heure attend ses gros
bateaux et veille sur ses petits.
L'air est bleu, la mer gris-perle, les
montagnes vous contemplent, sévères, redoutables, levées comme des
épées.
C'est un moment austère sur une île
où déjà la jolie saison s'annonce, où les jardins se couvrent de
fleurs jaunes, de fleurs blanches, où les orangers portent d'énormes
fruits, où les citronniers sont chargés d'or luisant. Or,
saviez-vous que les noms à Capri tintent comme des cloches dans le
vent ?
Il suffit d'écouter : Caprile, Migliara, Punta Carena, Faro, Solaro, Santa Maria Cetrella, Capo Scogliera, Faraglioni, Fortinio d'Orrico, et les sortilèges agissent … Comment résister à l'appel de ces musiques qui naissent des profondeurs de l'île ?
Il suffit d'écouter : Caprile, Migliara, Punta Carena, Faro, Solaro, Santa Maria Cetrella, Capo Scogliera, Faraglioni, Fortinio d'Orrico, et les sortilèges agissent … Comment résister à l'appel de ces musiques qui naissent des profondeurs de l'île ?
Serait-ce l'écho tentateur du chant
des Sirènes ailées ?
Les voyez-vous ces magiciennes blotties
pareilles à des mouettes dans les creux des falaises inexpugnables ?
Elles battent des ailes et vous obéissez : vous voici à
Anacapri, ou plutôt à Caprile, ancien hameau rattaché par ses
vergers cultivés avec un soin impossible à imiter aux ruelles du
village.Vous rêvez sur un banc en face de la
via Follicara, rivière de pierre brun -rouge descendant vers la mer
entre des maisons blanches et des jardins peuplés de chats d'une
distinction prouvant que jadis, sur l'île, ils furent les compagnons
des dieux Grecs et des patriciens Romains .
On vous regarde et vous
avez honte de votre nonchalance quand toute la Piazza Caprile
s'affaire autour de vous.
Une pancarte propose à l'entrée d'une
ruelle « La Migliara », un de vos amis a écrit un
chapitre infiniment sensible sur ce que vous pensez n'être qu'un
« point de vue » pour promeneurs ennuyés . Les
écrivains, vous le savez, sont des êtres dont il faut se méfier ;
cela ne fait rien, va pour « La Migliara !
On ne sait jamais, quel Cyclope, quelle
Circé, quel roi Alkinoos croiserez-vous en grimpant vers cette
Migliara au nom de fée ou de Sirène? Le sentier surplombe des
toits arrondis, des potagers semés de frais, des coulées de fleurs
et des citronniers généreux. A l'ombre d'un olivier,se détachant
comme des déesses sylvestres sur l'exubérance d' un bois de pins,
quelques dames de belle allure guettent avec une curiosité amusée
les rares flâneurs.
Les questions pleuvent sur votre
insignifiante personne, vous avez soudain la flatteuse et illusoire
certitude d'être l'attraction du lieu !
« La lumière est parfaite pour
La Migliara, avancez vite ! »vous dit ce choeur antique sur un
ton si autoritaire que vous avancez le plus lentement possible .
Pourquoi se hâter ? Comment ne
pas méditer, observer, écouter, et surtout ralentir cette marche
enchantée, cette promenade quasi incantatoire vers cette Migliara
étrange et secrète que vous n'osez imaginer...Vous marchez les yeux
tantôt engloutis par la lumière tombant sur l'étendue sauvage de
la mer, tantôt rivés à la verte cascade des buissons. Très haut,
tournent les mouettes plaintives, leur chant aigu vous inonde d'une
suave mélancolie.
Vous allez d'un pas si lent que
l'aréopage de dames vous dépasse, vous précède et vous accueille
sur un balcon plongeant vers un précipice extravagant.Vous admirez
en tremblant d'un léger effroi, mais votre cœur est un peu déçu.
Est-ce véritablement « La
Migliara « ? Oui et non, le dessin de votre ami annonçait
une voie occulte menant les poètes à une seconde Migliara, en
seriez-vous indigne ?
Pourquoi cette vue se dérobe-t-elle à
vos yeux affamés ?... Une des dames, blonde comme une
Vénitienne, majestueuse comme une statue, certainement une envoyée
de l'Olympe, lit dans vos pensées ! Elle vous prend la main, et
ne la lâche plus, même devant la Vierge Immaculée dont la statue
s'élève parmi les roses sous les ramures du sous-bois.vous n'avez
pas le temps de prier, on vous guide vers la lumière !
La main de votre mentor reste ferme :
« Il y a une surprise ! Mais pas pour les gens pressés,
si vous étiez allée vite, je vous aurais abandonnée au premier
Belvédère ».
Vous suivez cette envoyée des dieux
avec docilité, le bonheur vient du parfum vif et tendre exhalé par
la montagne, du silence religieux, montant des rochers étincelants
et des pins immobiles, puis rompu par les brusques appels des oiseaux
de mer.
Soudain une vue immense vous saute au
visage, vous entrez au ciel ou presque et reculez devant le spectacle
prodigieux des falaises attaquées par l'écume.
« Regardez ! Oui, là, les
Faraglioni, ah, je les aime tant ! Ils me manquent, je ne peux
rester trop longtemps loin de l'île, ce sont des dieux pétrifiés,
vous me comprenez ? »
Vous approuvez, les yeux perdus dans la
contemplation respectueuse des écueils géants. Seraient-ce des
cyclopes maudits qui rachètent leurs crimes antiques en gardant
l'île de toute la vigueur de leur masse monstrueuse ? La dame parle encore, puis
disparaît à la manière d'un songe :
n'a-t-elle accomplie sa mission ?
Une paix surnaturelle vous envahit cœur
et âme ; sans nul doute le puissant, le subtil, le tendre
sortilège de « La Migliara » un matin de mars...
A très bientôt, pour une autre
flânerie sur l'île de Capri à l'orée du printemps,
Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
La Migliara, Anacapri, île de Capri au printemps |
Crédit photo: Vicomte V.de La Panouse
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire