mardi 19 mars 2019

Pages Capriotes : "La Migliara" à l'orée du printemps

Pages Capriotes

Capri à l'orée du printemps

Lettre à un ami sur le port de Marina Grande

Mon ami,

Je vous écris tôt en ce pâle et clair matin de mars.
Pourquoi d'ailleurs vous écrire ? Personne en ce fol univers ne songe plus à écrire ! Autour de moi, le silence se fait : il semblerait que je sois sur le point de commettre un crime : j'écris !
Je vous écris à la diable sur un bout de papier déniché par miracle, je vous écris à la volée, je vous écris, mais est-ce vraiment à vous que j'envoie ce mot ?
J'écris en réalité une lettre de château à l'île de Capri et aussi à ces amis doués de la générosité la plus vive que le hasard a mis sur mon chemin en ce dernier automne rayonnant, en cet hiver d'une douceur radieuse, sur les hauteurs d'Anacapri.
Nous voilà à l'orée du printemps, à l'heure où le soleil glisse du haut des falaises,et d'un seul élan franchit le cercle des nuées.Le port à cette heure attend ses gros bateaux et veille sur ses petits.
L'air est bleu, la mer gris-perle, les montagnes vous contemplent, sévères, redoutables, levées comme des épées.
C'est un moment austère sur une île où déjà la jolie saison s'annonce, où les jardins se couvrent de fleurs jaunes, de fleurs blanches, où les orangers portent d'énormes fruits, où les citronniers sont chargés d'or luisant. Or, saviez-vous que les noms à Capri tintent comme des cloches dans le vent ?
 Il suffit d'écouter : Caprile, Migliara, Punta Carena, Faro, Solaro, Santa Maria Cetrella, Capo Scogliera, Faraglioni, Fortinio d'Orrico, et les sortilèges agissent … Comment résister à l'appel de ces musiques qui naissent des profondeurs de l'île ?
Serait-ce l'écho tentateur du chant des Sirènes ailées ?
Les voyez-vous ces magiciennes blotties pareilles à des mouettes dans les creux des falaises inexpugnables ? Elles battent des ailes et vous obéissez : vous voici à Anacapri, ou plutôt à Caprile, ancien hameau rattaché par ses vergers cultivés avec un soin impossible à imiter aux ruelles du village.Vous rêvez sur un banc en face de la via Follicara, rivière de pierre brun -rouge descendant vers la mer entre des maisons blanches et des jardins peuplés de chats d'une distinction prouvant que jadis, sur l'île, ils furent les compagnons des dieux Grecs et des patriciens Romains . 
On vous regarde et vous avez honte de votre nonchalance quand toute la Piazza Caprile s'affaire autour de vous.
Une pancarte propose à l'entrée d'une ruelle « La Migliara », un de vos amis a écrit un chapitre infiniment sensible sur ce que vous pensez n'être qu'un « point de vue » pour promeneurs ennuyés . Les écrivains, vous le savez, sont des êtres dont il faut se méfier ; cela ne fait rien, va pour « La Migliara  !
On ne sait jamais, quel Cyclope, quelle Circé, quel roi Alkinoos croiserez-vous en grimpant vers cette Migliara au nom de fée ou de Sirène? Le sentier surplombe des toits arrondis, des potagers semés de frais, des coulées de fleurs et des citronniers généreux. A l'ombre d'un olivier,se détachant comme des déesses sylvestres sur l'exubérance d' un bois de pins, quelques dames de belle allure guettent avec une curiosité amusée les rares flâneurs.
Les questions pleuvent sur votre insignifiante personne, vous avez soudain la flatteuse et illusoire certitude d'être l'attraction du lieu !
«  La lumière est parfaite pour La Migliara, avancez vite ! »vous dit ce choeur antique sur un ton si autoritaire que vous avancez le plus lentement possible .
Pourquoi se hâter ? Comment ne pas méditer, observer, écouter, et surtout ralentir cette marche enchantée, cette promenade quasi incantatoire vers cette Migliara étrange et secrète que vous n'osez imaginer...Vous marchez les yeux tantôt engloutis par la lumière tombant sur l'étendue sauvage de la mer, tantôt rivés à la verte cascade des buissons. Très haut, tournent les mouettes plaintives, leur chant aigu vous inonde d'une suave mélancolie.
Vous allez d'un pas si lent que l'aréopage de dames vous dépasse, vous précède et vous accueille sur un balcon plongeant vers un précipice extravagant.Vous admirez en tremblant d'un léger effroi, mais votre cœur est un peu déçu.
Est-ce véritablement « La Migliara « ? Oui et non, le dessin de votre ami annonçait une voie occulte menant les poètes à une seconde Migliara, en seriez-vous indigne ?
Pourquoi cette vue se dérobe-t-elle à vos yeux affamés ?... Une des dames, blonde comme une Vénitienne, majestueuse comme une statue, certainement une envoyée de l'Olympe, lit dans vos pensées ! Elle vous prend la main, et ne la lâche plus, même devant la Vierge Immaculée dont la statue s'élève parmi les roses sous les ramures du sous-bois.vous n'avez pas le temps de prier, on vous guide vers la lumière !
La main de votre mentor reste ferme : « Il y a une surprise ! Mais pas pour les gens pressés, si vous étiez allée vite, je vous aurais abandonnée au premier Belvédère ».
Vous suivez cette envoyée des dieux avec docilité, le bonheur vient du parfum vif et tendre exhalé par la montagne, du silence religieux, montant des rochers étincelants et des pins immobiles, puis rompu par les brusques appels des oiseaux de mer.
Soudain une vue immense vous saute au visage, vous entrez au ciel ou presque et reculez devant le spectacle prodigieux des falaises attaquées par l'écume.
« Regardez ! Oui, là, les Faraglioni, ah, je les aime tant ! Ils me manquent, je ne peux rester trop longtemps loin de l'île, ce sont des dieux pétrifiés, vous me comprenez ? »
Vous approuvez, les yeux perdus dans la contemplation respectueuse des écueils géants. Seraient-ce des cyclopes maudits qui rachètent leurs crimes antiques en gardant l'île de toute la vigueur de leur masse monstrueuse ? La dame parle encore, puis disparaît à la manière d'un songe :
n'a-t-elle accomplie sa mission ?
Une paix surnaturelle vous envahit cœur et âme ; sans nul doute le puissant, le subtil, le tendre sortilège de « La Migliara » un matin de mars...


A très bientôt, pour une autre flânerie sur l'île de Capri à l'orée du printemps,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


La Migliara, Anacapri, île de Capri au printemps

Crédit photo: Vicomte V.de La Panouse

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