lundi 25 mars 2019

Pages Capriotes : Mars à Capri: le Faro face à la mer sauvage

Pages Capriotes

Mars à Capri

L'île de Capri attire parfois, hélas, les foudres injustes et inutiles des grincheux. Ne les connaissez-vous ces esprits vaniteux qui en savent toujours plus que le mortel rêveur ? Ce sont gens de mauvaise foi ou méchante humeur qui raffolent du plaisir malsain de blesser leurs frères humains !
 Ainsi tournent-ils en ridicule l'amour franc, immédiat, éternel que les voyageurs épris de poésie pure et de joie enfantine éprouvent pour les rudes falaises, l'air bleu, les bois hirsutes, les vergers ravissants et la lumière divine de Capri.
L'an dernier, éperdue d'émotion en déambulant à la manière d'une Romaine en exil au hasard des ruines grandioses de l'antique villa de Tibère vouée à Jovis, je vis venir à ma rencontre une étrangère au monde Latin. D'un pas décidé, elle s'approcha, et de ses mains autoritaires m'obligea à reculer : « Ce n'est pas la peine d'aller plus loin, il n'y arien d'intéressant ; Cette île n'en vaut pas la peine, je suis très déçue . ».
Sur ces mots tranchants, elle me laissa seule devant la vue du golfe de Naples sculpté par l'or en feu et les brumes nacrés du soleil couchant....J'eus au contraire le sentiment de toucher à beauté la plus parfaite, d'entendre même battre le cœur d'un monde disparu et pourtant immortel. La vie, la mort, et un arc d'alliance levé entre les deux...
Bien avant Auguste, bien avant Tibère ,Capri était déjà une citadelle habitée par un peuple aux pouvoirs immenses et à la civilisation engloutie, ce souvenir palpite encore au sein de ses grottes aux sorcelleries ineffables...
Est-ce là le secret de cette troublante atmosphère qui vous saisit en pleine flânerie paisible ?
En cette fin d'hiver, en ce tout début de printemps, l'île frissonnante de vent courtois, répand les parfums euphorisants de ses ruisseaux de fleurs, de la mer vigoureuse chargée des vivaces effluves de ses algues étranges. Seule importe la joie des libres flâneries, plaisirs déjà un peu mélancoliques à la veille du départ.
Voici qu'autour de moi, un aréopage d'aimables Capriotes scande un mot battant l'air comme un oriflamme : « Le Faro ! Il faut aller au Faro ! Il ne vous reste plus que le temps d'aller au Faro ! » 
Le Faro ? Un lieu touristique offert sur un plateau ! Certainement pas ! L'aventure du voyage se nourrit d'imprévu, de hasard exquis, comment expliquer que ce Faro ne me dit rien qui vaille ? Le Faro : nom agité dans les conversations, nom annoncé par les dépliants, nom retentissant au point de me donner la migraine ! l'île est un jardin de paradis à arpenter sans contraintes,et je refuse cet encombrant Faro qui me tourmente à l'avance à l'instar d'un devoir de vacances.
Hélas, on insiste sans pitié :
 « Vous n'avez pas vu le belvédère du Faro ? Vous n'avez pas senti votre cœur chavirer au moment précis où le soleil tombe dans la mer sous la Punta Carena  ? Vous n'avez pas vu la Torre della Guardia ? Vous n'êtes pas doucement descendue vers les sentier des Forts ? Vous n'avez rien compris ! Oserez-vous reprendre le bateau demain sans avoir vu Le Faro ? N'en garderez vous un affreux regret pendant les mois qui précéderont le jour du retour ?»
Mais enfin, pourquoi aller au Faro ? D'ailleurs comment s'y aventurer ? Une sorte de malédiction n'avait-elle frappée mes maigres efforts ? Le Faro manifestement ne voulait pas de moi : tous les bus y menant n'avaient-ils effleurés mon nez avant de filer vers ces couchers de soleil prodigieux dont le sort mettait son point d'honneur à me priver ?
Ce Faro vaut-il tant de patience ? Allons, j'ai des mots à griffonner, autant chercher l'inspiration sur un banc via Nova del Faro, le stylo fantasque répandra son encre sur des cartes que je n'enverrai peut-être jamais. Comment réfléchir, comment ciseler ses phrases quand la journée se termine avec langueur sur une terrasse pareille à une proue étincelante lancée sur la mer pacifiée ? L'antichambre du Paradis, ne serait-ce un arrêt de bus à Capri ?
Une carte, deux cartes, une dernière, elle représente la Casa Rossa d'Anacapri ; je me souviens trop tard l'avoir adressé au moins trois fois au même ami qui pensera que les senteurs exaltées de l'île ont anéanti ma mémoire. Un timbre,deux, timbres, trois timbres, aucun bus à l'horizon de la Piazza Caprile.
Vais-je m'enfuir, sauvée du Faro ?
Les dieux ne l'entendent pas ainsi, le bus se matérialise devant l'humble banc, on me sourit, on me tend un billet, je bredouille en italien, on m'en tend un second qui assure mon retour. Il n'est plus question de reculer.
Le bus est conduit par un esthète qui glisse en amoureux le long des jardins de fruits et de fleurs, des blanches maisons aux colonnes élancées vers la mer. Ce n'est pas un bus ordinaire, c'est le carrosse d'une fée ou le char d'un dieu. La descente s'accentue, un fervent silence saisit soudain les passagers, tous se redressent, tous épient l'horizon. Je n'aperçois que la masse chatoyante des bois de pins, des coulées vertes qu'irise une lumière rose. Je ne sais plus qui je suis,où je suis ; un brusque coup de frein, un virage sec, des falaises vigoureuses, un phare rouge strié de blanc sur la mer violette : je suis au Faro.
Les promeneurs marchent droit vers le fier gardien ; je descends vers le Lido, rocher vide et hautain en cette fin d'hiver.
Au pied des falaises inexpugnables s'ébat la vague la plus cinglante, monte la senteur la plus violente. Un pêcheur affronte l'écume, aura-t-il le dernier mot face à ce chaudron de sorcière qui gronde et gifle la roche humide ? Je lève les yeux, la Torre della Guardia étincelle sous les flammes fauves du soleil, un ballet de mouettes la cerne d'une cour nerveuse, le moment sacré du couchant transforme les pierres antiques en ange au glaive levé.
Extraordinaire harmonie , gracieuse sauvagerie, l'esprit de l'île emplit cet endroit au souffle grandiose..
La honte m'envahit : par vanité, j'aurais pu manquer Le Faro …


A bientôt !

A Capri,qui sait,
ou en 1789 ...
Avec Adélaïde de Flahaut, Dominique Vivant-Denon et Charles-Maurice de Talleyrand,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


Capri au début du printemps:
le Lido du Faro
Crédit photo Vicomte V; de La Panouse

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