Pages Capriotes
Mars à Capri
L'île de Capri attire parfois, hélas,
les foudres injustes et inutiles des grincheux. Ne les
connaissez-vous ces esprits vaniteux qui en savent toujours plus que
le mortel rêveur ? Ce sont gens de mauvaise foi ou méchante
humeur qui raffolent du plaisir malsain de blesser leurs frères
humains !
Ainsi tournent-ils en ridicule l'amour franc,
immédiat, éternel que les voyageurs épris de poésie pure et de
joie enfantine éprouvent pour les rudes falaises, l'air bleu, les
bois hirsutes, les vergers ravissants et la lumière divine de Capri.
L'an dernier, éperdue d'émotion en
déambulant à la manière d'une Romaine en exil au hasard des ruines
grandioses de l'antique villa de Tibère vouée à Jovis, je vis
venir à ma rencontre une étrangère au monde Latin. D'un pas
décidé, elle s'approcha, et de ses mains autoritaires m'obligea à
reculer : « Ce n'est pas la peine d'aller plus loin, il
n'y arien d'intéressant ; Cette île n'en vaut pas la peine, je
suis très déçue . ».
Sur ces mots tranchants, elle me laissa
seule devant la vue du golfe de Naples sculpté par l'or en feu et
les brumes nacrés du soleil couchant....J'eus au contraire le
sentiment de toucher à beauté la plus parfaite, d'entendre même
battre le cœur d'un monde disparu et pourtant immortel. La vie, la
mort, et un arc d'alliance levé entre les deux...
Bien avant Auguste, bien avant Tibère
,Capri était déjà une citadelle habitée par un peuple aux
pouvoirs immenses et à la civilisation engloutie, ce souvenir
palpite encore au sein de ses grottes aux sorcelleries ineffables...
Est-ce là le secret de cette
troublante atmosphère qui vous saisit en pleine flânerie paisible ?
En cette fin d'hiver, en ce tout début
de printemps, l'île frissonnante de vent courtois, répand les
parfums euphorisants de ses ruisseaux de fleurs, de la mer
vigoureuse chargée des vivaces effluves de ses algues étranges.
Seule importe la joie des libres flâneries, plaisirs déjà un peu
mélancoliques à la veille du départ.
Voici qu'autour de moi, un aréopage
d'aimables Capriotes scande un mot battant l'air comme un oriflamme :
« Le Faro ! Il faut aller au Faro ! Il ne vous reste
plus que le temps d'aller au Faro ! »
Le Faro ? Un lieu touristique
offert sur un plateau ! Certainement pas ! L'aventure du
voyage se nourrit d'imprévu, de hasard exquis, comment expliquer que
ce Faro ne me dit rien qui vaille ? Le Faro : nom agité
dans les conversations, nom annoncé par les dépliants, nom
retentissant au point de me donner la migraine ! l'île est un
jardin de paradis à arpenter sans contraintes,et je refuse cet
encombrant Faro qui me tourmente à l'avance à l'instar d'un devoir
de vacances.
Hélas, on insiste sans pitié :
« Vous n'avez pas vu le
belvédère du Faro ? Vous n'avez pas senti votre cœur chavirer
au moment précis où le soleil tombe dans la mer sous la Punta
Carena ? Vous n'avez pas vu la Torre della Guardia ?
Vous n'êtes pas doucement descendue vers les sentier des Forts ?
Vous n'avez rien compris ! Oserez-vous reprendre le bateau
demain sans avoir vu Le Faro ? N'en garderez vous un affreux
regret pendant les mois qui précéderont le jour du retour ?»
Mais enfin, pourquoi aller au Faro ?
D'ailleurs comment s'y aventurer ? Une sorte de malédiction
n'avait-elle frappée mes maigres efforts ? Le Faro
manifestement ne voulait pas de moi : tous les bus y menant
n'avaient-ils effleurés mon nez avant de filer vers ces couchers de
soleil prodigieux dont le sort mettait son point d'honneur à me
priver ?
Ce Faro vaut-il tant de patience ?
Allons, j'ai des mots à griffonner, autant chercher l'inspiration
sur un banc via Nova del Faro, le stylo fantasque répandra son encre
sur des cartes que je n'enverrai peut-être jamais. Comment
réfléchir, comment ciseler ses phrases quand la journée se termine
avec langueur sur une terrasse pareille à une proue étincelante
lancée sur la mer pacifiée ? L'antichambre du Paradis, ne
serait-ce un arrêt de bus à Capri ?
Une carte, deux cartes, une dernière,
elle représente la Casa Rossa d'Anacapri ; je me souviens trop
tard l'avoir adressé au moins trois fois au même ami qui pensera
que les senteurs exaltées de l'île ont anéanti ma mémoire. Un
timbre,deux, timbres, trois timbres, aucun bus à l'horizon de la
Piazza Caprile.
Vais-je m'enfuir, sauvée du Faro ?
Les dieux ne l'entendent pas ainsi, le
bus se matérialise devant l'humble banc, on me sourit, on me tend un
billet, je bredouille en italien, on m'en tend un second qui assure
mon retour. Il n'est plus question de reculer.
Le bus est conduit par un esthète qui
glisse en amoureux le long des jardins de fruits et de fleurs, des
blanches maisons aux colonnes élancées vers la mer. Ce n'est pas un
bus ordinaire, c'est le carrosse d'une fée ou le char d'un dieu. La
descente s'accentue, un fervent silence saisit soudain les passagers,
tous se redressent, tous épient l'horizon. Je n'aperçois que la
masse chatoyante des bois de pins, des coulées vertes qu'irise une
lumière rose. Je ne sais plus qui je suis,où je suis ; un
brusque coup de frein, un virage sec, des falaises vigoureuses, un
phare rouge strié de blanc sur la mer violette : je suis au
Faro.
Les promeneurs marchent droit vers le
fier gardien ; je descends vers le Lido, rocher vide et hautain
en cette fin d'hiver.
Au pied des falaises inexpugnables
s'ébat la vague la plus cinglante, monte la senteur la plus
violente. Un pêcheur affronte l'écume, aura-t-il le dernier mot
face à ce chaudron de sorcière qui gronde et gifle la roche
humide ? Je lève les yeux, la Torre della Guardia étincelle
sous les flammes fauves du soleil, un ballet de mouettes la cerne
d'une cour nerveuse, le moment sacré du couchant transforme les
pierres antiques en ange au glaive levé.
Extraordinaire harmonie , gracieuse
sauvagerie, l'esprit de l'île emplit cet endroit au souffle
grandiose..
La honte m'envahit : par vanité,
j'aurais pu manquer Le Faro …
A bientôt !
A Capri,qui sait,
ou en 1789 ...
Avec Adélaïde de Flahaut, Dominique
Vivant-Denon et Charles-Maurice de Talleyrand,
Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse
le Lido du Faro
Crédit photo Vicomte V; de La Panouse
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire