lundi 1 avril 2019

Juillet 1790: Confidences autour de la Fête de la Fédération, "Les amants du Louvre", chapitre 35


Les Amants du Louvre
 Chapitre 35

Nuages noirs sur l'idéalisme

Lettre de Charles-Maurice de Talleyrand à la comtesse de Flahaut

15 juillet 1790

Ma tendre amie,

Vous étiez bien à votre avantage hier, je puis vous jurer, n'est-ce point la mode des serments, que vous aviez au sein de cette étrange foule l'éclat d'Ariane enlevée par Bacchus à Naxos, ou la beauté mélancolique de l'Andromaque de Racine.
Je n'ai admiré que vous, mon amie, en bénissant à l'aveuglette ces gens aussi étonnés de me voir  
célébrer une messe patriotique que moi de les considérer quasi à mes pieds. Ma chère amie, que vous m'éblouissiez assise sous les averses, votre ombrelle pointée vers le ciel comme l'étendard du vieux-monde que nous voyons s'écrouler chaque jour sans répit .
Vous êtes décidément la seule à susciter en moi une certaine émotion, un léger regret de notre « ancien-Régime », de cette douceur de vivre dépassant l'entendement des nouveaux-venus emportés par leur arrogance. Peut-être est à vous que je dois le franc succès obtenu durant cette bouffonnerie du Champs de Mars. J'ai tout de go prévenu notre petit Marquis de La Fayette en montant à l'autel engoncé dans mes atours de bon évêque prêt à bénir cette farce qui passera à la postérité pour la miraculeuse Fête de la Fédération :
«Je vous en prie, ne me faites pas rire ! »
En réponse, le beau Marquis le chef fort emplumé, ivre de vanité sur son cheval de parade, a répandu sur sa figure la mine affectée qui lui sert de masque au naturel. Le plantant-là, je mis à l'ouvrage, et pense ne pas m'être trop mal sorti de ma corvée épiscopale.
N'avez-vous trouvé que la reine était de glace, dans ses vêtements blancs ? Elle regardait au dessus des spectateurs je ne sais quel paradis perdu, la tête très haute, mais fleurie de bleu, de rouge et de blanc puisqu'il le fallait . Que le roi fut maussade et de quel ton ennuyé prononça-t-il le serment qui remplit le peuple de ferveur et de gratitude  ! Enfin, j'estime que les monarques ont tenu leurs rôles avec une ferme noblesse dont, espérons-le, le peuple respectera le souvenir.
La reine ne vous a-t-elle touchée, vous mère parfaite et aimante, en présentant à bout de bras le Dauphin à la Nation ? Personne ne se doutait du déluge d'acclamations qui suivit ! Allons, la monarchie n'est point encore morte, l'avenir appartiendra peut-être à ce prince applaudi par les mêmes femmes qui voulaient il y a peu assassiner sa mère ...
J'ai véritablement caressé l'espoir d'un retour de flamme du peuple la faveur de la reine, l'illusion n'a duré qu'un instant ...Allons-nous en rester là ? Notre roi acceptera-t-il son nouveau titre de Roi des Français? 
Comme le dirait votre bon ami Morris :  « Nous verrons »...
Ma tendre amie, que d'événements depuis ce 14 juillet 1789 , et j'en ai ma part, ne suis-je haï dans les rangs de la noblesse depuis que sur mon conseil l'Assemblée a votée depuis déjà, n'en revenez-vous point, le 2 novembre dernier la résolution obligeant le Clergé de remettre ses biens à la nation ?
Vous le savez, mon amie, on me prend pour l'ennemi de la religion, cela n'est point vrai : je déplore les progrès de l'incrédulité dans le peuple. Je partage l'opinion de Voltaire : soit que nous-mêmes croyions en Dieu, soit que nous n'y croyions pas, il serait dangereux pour toute société que la multitude pensât que, sans punition dans ce monde, et sans crainte d'un châtiment dans l'autre, elle peut voler, empoisonner, assassiner …
Je ne voudrais point vous faire mourir d'ennui par mes péroraisons !
J'espère que votre pénétration n'a pu laisser échapper à quelle divinité j'adressais hier mes prières et mon serment de fidélité, et que vous étiez l'être suprême que j'adorais et que toujours j'adorerai.
Comment va votre embonpoint ?
 Notre Charles aura-t-il un frère ou une sœur , ou est-ce seulement une fausse alarme ?
Embrassez notre cher enfant. Je souperai avec vous demain.
Surtout brûlez cette lettre …
Je suis, mon amie, votre plus fervent serviteur,

Charles-Maurice

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Charles-Maurice de Talleyrand

Vieux-Louvre, le 16 juillet 1790
Au matin

Mon Dieu, Monsieur, de quelle averse sentimentale ne m'inondez-vous !
Cette célébration de la Nation nouvelle aurait-elle accompli le prodige d'ouvrir une brèche au sein de votre rude cœur ? Hélas, n'ignorant que fort peu de choses sur le paysage de vos sentiments, je crains que vous n'ayez oublié ces tendres déclarations une fois votre lettre envoyée !
Vous avez l'audace de traiter de  « Bouffonnerie » cette cérémonie qui vient d'apaiser le peuple et de nous élever au rang de pays doté d'une constitution , vraiment, mon ami, vous devriez adoucir votre franc parler …
Mon amie, envolée de son Commingeois en catastrophe l'an passé, la douce est parvenue à m'envoyer un court billet voici deux jours. Devinez un peu ! Ravie de son sort, elle se pique d'être rebelle et plus monarchiste que le roi : foin des constitutions, la voilà entêtée à rester en Espagne, dans un lieu inconnu dont elle tait le nom, un village de pêcheurs du pays Basque où un Hidalgo à l'oeil farouche semble lui faire une cour flatteuse.
L'époux ignore autant que moi son adresse, elle nous de temps à autre écrit trois mots d'on ne sait où ...Le château de Barbazan a souffert d'une ire paysanne inutile, le baron esseulé y logera-t-il à nouveau ? Pour l'heure, le voici en exil à Rome, Madame de Polignac, qui aime voir auprès d'elle les gens de son Languedoc natal, l'a convaincu de l'y rejoindre, et le désastre de son château de famille démoli avec rage l'en a persuadé plus encore ....
Il s'estime trahi, et on idéalisme libéral est franchement en berne.
Quelle belle aventure ce roman espagnol pour Sophie, mère de famille que son époux traita fort peu en princesse abandonné ou en vaillante héroïne de Racine ! Vous voyez, mon ami, le mérite que je tire de vos galantes comparaisons : moi, la comtesse de Flahaut à la porte de la ruine et sur le chemin de l'indigence, quelle n'est pas ma fierté quand vous prétendez que j'égale Andromaque luttant pour son fils avec un acharnement qui ,vous devinez fort bien, gouvernera mes actes dans l'urgence et le drame.
Par contre, quel Bacchus me consolera si, nouvelle Ariane, vous me laissez seule en un endroit désert ? Je n'ose y songer !
J'essaie de m'occuper l'esprit et de vaincre l'angoisse des lendemains en écrivant un petit roman ; ne vous moquez-point je vous prie, juste une intrigue que m'inspire les mœurs de ce monde qui s'est enfui que nous le voulions ou non le 14 juillet de l'an passé …
 Mon ami, la constitution est certes une promesse de progrès national, mais notre première jeunesse a vu un temps sans doute livré au frivole, mais si enclin à l'amour de la vie ...Et à l'amour tout court !
Sur un dernier point, je ne sais que vous dire, mettre un enfant au monde serait une joie mêlée de grands tourments, je n'ai point le courage d'imaginer cet étrange bonheur .Patientez, mon ami, vous saurez d'ici peu si notre cher fils aura ce frère ou cette sœur auquel vous semblez rêver avec bonne humeur ! 
Monsieur Governor Morris ne se doute guère de mon bouleversement, avant son départ pour la Hollande , sans cesse annoncé et retardé, il a donné hier un dîner des plus plaisants où nous eûmes droit à un discours enthousiaste de la part du sombre et timide William Short.
Ce sérieux, ce grave, cet austère diplomate ne bouillonnerait que pour les constitutions, celle de son pays et la nôtre !
 Du moins, s'ingénie-t-il à le faire croire .
En réalité, le jeune homme brûlerait pour la sérieuse, la grave, l'austère Alexandrine de La Rochefoucauld, nièce et épouse de votre cher ami le duc libéral qui nous reçoit avec tant de courtoisie dans ses salons de la rue de Seine .
L'affaire ne laisse point d'être charmante, d'un côté , un Américain cachant sa passion sous un masque glacé, de l'autre une duchesse plus charmante que belle, et fort enlaidie par MadameVigée-Lebrun qui n'a saisit sur la toile ni sa physionomie infiniment spirituelle, ni la bonté qui habite sa personne.Je passe pour frivole et espiègle aux yeux de cette Alexandrine fort réservée et circonspecte. Cela est fort dommage car touchée de son attachement envers le jeune William Short, je la plains ; oui je suis émue par ces amants de l'ombre qui se réfugient sous le voile de la politique afin de trouver un prétexte à leur tendre lien …
L'amour, mon ami, un jour, en mesurerez-vous l'importance vous qui marchez sur les cœurs et vous amusez du mien ? Lirez-vous mon début de roman ? Vous m'obligeriez beaucoup en me livrant votre opinion, mais, ne soyez point trop dur !
Charles babille et m'attire en chiffonnant ma robe, il vous réclame tout bas, et je vais l'assurer, avec votre permission, que nous sommes bien charmés tous deux de vous embrasser …

Venez, souper ce soir, mon ami, et demeurez …

La constitution et la patrie attendront !

 Adélaïde

 Nathalie-Alix de La Panouse

14 juillet 1790, Louis XVI prête serment à la constitution.

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