"Les amants du Louvre" chapitre 37
Roman par Nathalie-Alix de La Panouse
Lettre de la comtesse de Flahaut à la
comtesse d'Albany
Vieux-Louvre, Paris
Le 10 septembre 1790
Ma chère, ma fidèle Louise,
Vous avez été fort négligée depuis
le billet griffonné à la hâte qui vous confiait mes affres au
chevet de mon fils !
Je vous en demande bien pardon ! la vie quotidienne dans notre grenier de l'impécuniosité vire au dénuement certains jours.
Je vous en demande bien pardon ! la vie quotidienne dans notre grenier de l'impécuniosité vire au dénuement certains jours.
Il me faut prier l'un ou l'autre de nos amis de ne
point nous laisser tout à fait mourir de faim.
J'y arrive assez
bien, on nous aime encore !
L'ennui c'est que de plus en plus
mes amis m'aiment de fort loin…
Vous ne l'ignorez guère puisque vous
me comblez de nouvelles de nos vieilles connaissances exilées à
Rome ou à Naples. La touchante Madame Lebrun, dont notre ami Vivant
Denon fait un cas extrême
(s'il savait qu'elle le trouve bien laid
alors que, selon moi, sa physionomie est la plus affûtée et la plus
attrayante du monde ) a ses entrées depuis le printemps à la cour
de la reine Marie-Caroline !
Certains de nos vieux amis persiflent
ses grâces maniérées, qu'importe !
L'heureuse artiste impose son pinceau aux nobles Napolitains, aux ambassadeurs d'Europe,
aux jolies femmes du monde entier, sur un balcon regardant vers
l'île de Capri.
Que je regrette que trop pressée de
fuir l'an passé, elle n'ait point tenu sa promesse de dessiner ou
peindre mon fils si vif, si pimpant, si avenant pour son âge
tendre !
J'en suis marrie d'autant plus que je n'ai jamais failli à mes devoirs amicaux, Madame Lebrun ne se cacha-t-elle dans mon grenier avant sa fuite chez de bons amis, au soir de la prise de la Bastille ?
J'en suis marrie d'autant plus que je n'ai jamais failli à mes devoirs amicaux, Madame Lebrun ne se cacha-t-elle dans mon grenier avant sa fuite chez de bons amis, au soir de la prise de la Bastille ?
Nul ne s'en doute, si ce n'est
vous qui recevez mes confidences …
Quelle ingratitude !
Songez qu'en un seul soir ,elle aurait pu immortaliser mon Charles de sa main
habile !
Mon Dieu ! si j'avais eu le
malheur de le perdre, imaginez la consolation que m'aurait prodigué
ce modeste dessin …
Cela me fait songer à la petite Adèle
d'Osmond qui est si exquise à voir et qui mériterait elle aussi un
portrait lui rendant grâce ! Or, sa langue bien acide pour son
jeune âge augure d'un avenir pour le moins piquant, et cela risque à
l'avenir d'éloigner de l'impertinente de bien aimables personnes …
Mais, j'aime sa malice, et je vous avouerai que recevoir parfois ses
enfantins billets du château de Bellevue où sa mère tient pour le
moment compagnie aux Tantes du roi, (ces vénérables et augustes
dames rêvent en ce lieu charmant à leur prochain exil) m'amuse et
même me passionne.
Quel privilège d'avoir embrassé cette très jeune amie des princes et des monarques ! songez un
peu, Louise, l'unique enfant née, élevée, adorée à Versailles à
l'exception des enfants royaux !
Elle m'a observée, juste avant la
maladie de Charles, avec une certaine condescendance quand j'eus
l'honneur d'accompagner Monsieur de Talleyrand qui avait à
s'entretenir avec Mesdames Tantes à Bellevue, un jour de visite de
la reine qui survint pâle et mélancolique, et sous bonne escorte
des gardes républicains ...
Je n'ai point eu la faveur d'une
audience, ni même d'un sourire ; la reine ne se souvient que
trop de ma fugue à Capri alors que j'étais en pleine mission
obscure auprès de sa sœur. Aussi fit-elle fit mine de ne me point voir...
Ce qui m'arrangea
fort car je redoutais les mauvaises rumeurs colportés par des
témoins peu amènes …
Toutefois j'ai séché les pleurs de la
ravissante Adèle, enfant précoce qui, à la suite d'une scène
poignante qui vit la reine dérober ses pleurs dans la chevelure de
l'enfant bouleversée, saisissant la fâcheuse situation de sa reine
chérie dans sa prison dorée, sanglotait sous son bras dans une
allée …
Je me suis avancée et l'ai consolée de mon mieux ;
du coup, un lien affectueux nous unit malgré la morgue irraisonnée
de cette toute petite demoiselle au visage d'ange.
Je ne sais pourquoi mais je plains déjà
l'homme qui la recevra un jour pour épouse : il en deviendra
aussitôt l'esclave consentant ! Et s'il n'est point né prince
de sang ou issu d'une famille remontant à Charlemagne, sa vie
tournera à l'enfer ...
Que cela m'apaise, ma chère Louise, de
vous écrire ce flot de sottises ! Grâce à ce bavardage
inconséquent, voyez-vous, je reviens soudain dans notre monde ancien
dont j'attrape en vain les lambeaux …
Que vous dit-on en Italie sur cette
nouvelle France qui s'ébroue sur les vestiges de la précédente ?
Vous a-t-on conté qu'une bizarre amitié rapprocherait le comte de
Mirabeau et notre reine ?
Vous en lâcherez certainement votre ce
papier quand vous découvrirez ces mots ! Pourtant, croyez-moi,
jamais votre salon de Florence ne comptera cavalier plus étrangement
dévoué que le tonitruant et féroce comte de Mirabeau à une reine
abandonnée !
Le comte (que Monsieur de Talleyrand
n'est point le seul à surnommer « le Tonneau ») serait
même devenu par le plus étrange des tours de magie le meilleur
soutien de la famille royale et d'un régime bien proche de sa fin …
Les âmes sentimentales chuchotent, si j'ajoute foi aux ragots des
Tuileries qui montent jusqu'à nos hauteurs du vieux-Louvre, que
Monsieur de Mirabeau serait éperdument amoureux de la reine, cette
mère épuisée dont l'ambassadeur Dorset m'a dépeint la triste
apparence et le vieillissement prématuré.
La duchesse du Devonshire aurait eu
grand peine à cacher son étonnement de retrouver son amie aussi
changée! le deuil du premier dauphin lui serre toujours le cœur,
aurait confié Madame de Tourzel. Comment en douter ? Une mère ne se console jamais d'un pareil chagrin...
La préparation de la constitution
civile du clergé obsède le roi et semblerait lasser la reine .
Monsieur de Talleyrand s'est rapproché de Monsieur
de Mirabeau, mais sur ce sujet-là, je ne sais rien on me cache
beaucoup, on se méfie de mon franc-parler.
Par contre, je puis vous assurer que ce
n'est point le charme mélancolique de la reine qui a fait naître
une troublante amitié entre sa Majesté et le comte de Mirabeau sous
les taciturnes marronniers du parc de Saint-Cloud .. Ne devinez-vous
point ?
Allons ! L'argent, ma chère Louise, l'argent
demeure l'unique nerf des grandes causes et des plus superbes
ralliements ! Monsieur de Mirabeau a en commun avec mon ami
Talleyrand l'art d'être panier percé, le roi aurait donc amélioré
sa très fâcheuse situation (on m'a juré qu'il devait plus de deux
cent mille livres à ses créanciers exaspérés) en lui promettant
une rente !
D'autres sommes fort substantielles lui
auraient été allouées afin de sauver la monarchie …ce qu'il
s'acharne à tenter par le biais de billets quasi quotidiens remplis
d'une prose alarmée. D'après ma source habituelle, je n'ai point a
vous la nommer, le dernier s'écrierait : »
« Quatre ennemis arrivent au pas
redoublé, l'impôt, la banque route,l'armée et l'hiver .
La guerre civile est certaine et
peut-être nécessaire . »
Comment la reine affrontera-t-elle ces
terribles prophéties ?
L'action, dit Monsieur de Talleyrand,
est indispensable, mais laquelle ? Monsieur de Mirabeau
insisterait afin de décider le roi à agir, mais de quelle façon ?
N'a-t-il compris que sa Majesté est recluse aux Tuileries et que nul
ne semble écouter sa voix ?
Enfin, je prie pour qu'aucune trace de
ces obscures négociations ne soient un jour dans la lumière , le
peuple courroucé ne l'admettrait point …
Je ne me tourmente point à propos de
nos lettres, tant que notre correspondance restera entre les mains de
mon cher et dévoué ami Governor Morris, ou du charmant William
Short, je pourrais vous entretenir sur le ton libre qui m'est
habituel. Le salut en matière d'amitié épistolaire c'est d'écrire
sous la protection d'une puissance étrangère !
Pour le moment, la jeune Amérique
veille sur mon courrier, mon fils et mes provisions de bouche !
Ce qui rend Monsieur de Talleyrand très insupportable.
Curieusement, les assiduités exquises
de mon nouvel ami anglais, le jeune et point farouche Lord Wycombe
unissent mes deux vieux amis dans un même élan jaloux qui
m'enchanterait si j'étais comme autrefois d'humeur à badiner avec
l'amour.Le souci de notre sécurité, de celle de mon fils, et aussi,
car je ne suis point ingrate et cruelle, celle de mon époux, dirige
ma conduite.
Voilà pourquoi Monsieur Morris m'a
reproché cet Anglais au teint rose, qu'il juge « un peu
enniché » au Louvre parmi les peintres se querellant pour un
modèle capricieux ou infidèle, les chiens de chasse aboyant devant
un os à ronger, les chevaux à la retraite hennissant sur leur
paille, et les garnements jouant entre les tableaux des maîtres
anciens .
Ma chère Louise, cet Anglais m'adore,
et s'il fallait quitter ce pays où vivre prend une mauvaise
tournure, je m'abriterais volontiers derrière lui !
Je dois rendre cette lettre au
domestique de Monsieur Morris qui l'attend...
Le plaisir de vous écrire cesse donc,
mais mon affection certes pas !
Je vous embrasse, ma chère Louise,
Adélaïde
Nathalie-Alix de La Panouse
Un rare portrait du Comte de Mirabeau rêveur Marguerite Gérard circa 1790 |
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