mardi 16 avril 2019

Septembre 1790: "Les potins de la comtesse de Flahaut" chapitre 37 "Les amants du Louvre"


"Les amants du Louvre" chapitre 37

Roman par Nathalie-Alix de La Panouse

Lettre de la comtesse de Flahaut à la comtesse d'Albany
Vieux-Louvre, Paris

Le 10 septembre 1790

Ma chère, ma fidèle Louise,

Vous avez été fort négligée depuis le billet griffonné à la hâte qui vous confiait mes affres au chevet de mon fils !
Je vous en demande bien pardon ! la vie quotidienne dans notre grenier de l'impécuniosité vire au dénuement certains jours.
 Il me faut prier l'un ou l'autre de nos amis de ne point nous laisser tout à fait mourir de faim. 
J'y arrive assez bien, on nous aime encore !
L'ennui c'est que de plus en plus mes amis m'aiment de fort loin…
Vous ne l'ignorez guère puisque vous me comblez de nouvelles de nos vieilles connaissances exilées à Rome ou à Naples. La touchante Madame Lebrun, dont notre ami Vivant Denon fait un cas extrême
(s'il savait qu'elle le trouve bien laid alors que, selon moi, sa physionomie est la plus affûtée et la plus attrayante du monde ) a ses entrées depuis le printemps à la cour de la reine Marie-Caroline !
Certains de nos vieux amis persiflent ses grâces maniérées, qu'importe !
 L'heureuse artiste impose son pinceau aux nobles Napolitains, aux ambassadeurs d'Europe, aux jolies femmes du monde entier, sur un balcon regardant vers l'île de Capri.
Que je regrette que trop pressée de fuir l'an passé, elle n'ait point tenu sa promesse de dessiner ou peindre mon fils si vif, si pimpant, si avenant pour son âge tendre !
J'en suis marrie d'autant plus que je n'ai jamais failli à mes devoirs amicaux, Madame Lebrun ne se cacha-t-elle dans mon grenier avant sa fuite chez de bons amis, au soir de la prise de la Bastille ?
 Nul ne s'en doute, si ce n'est vous qui recevez mes confidences …
Quelle ingratitude !
Songez qu'en un seul soir ,elle aurait pu immortaliser mon Charles de sa main habile !
Mon Dieu ! si j'avais eu le malheur de le perdre, imaginez la consolation que m'aurait prodigué ce modeste dessin …
Cela me fait songer à la petite Adèle d'Osmond qui est si exquise à voir et qui mériterait elle aussi un portrait lui rendant grâce ! Or, sa langue bien acide pour son jeune âge augure d'un avenir pour le moins piquant, et cela risque à l'avenir d'éloigner de l'impertinente de bien aimables personnes … 
Mais, j'aime sa malice, et je vous avouerai que recevoir parfois ses enfantins billets du château de Bellevue où sa mère tient pour le moment compagnie aux Tantes du roi, (ces vénérables et augustes dames rêvent en ce lieu charmant à leur prochain exil) m'amuse et même me passionne.
Quel privilège d'avoir embrassé cette très jeune amie des princes et des monarques ! songez un peu, Louise, l'unique enfant née, élevée, adorée à Versailles à l'exception des enfants royaux !
Elle m'a observée, juste avant la maladie de Charles, avec une certaine condescendance quand j'eus l'honneur d'accompagner Monsieur de Talleyrand qui avait à s'entretenir avec Mesdames Tantes à Bellevue, un jour de visite de la reine qui survint pâle et mélancolique, et sous bonne escorte des gardes républicains ...
Je n'ai point eu la faveur d'une audience, ni même d'un sourire ; la reine ne se souvient que trop de ma fugue à Capri alors que j'étais en pleine mission obscure auprès de sa sœur. Aussi fit-elle fit mine de ne me point voir...
 Ce qui m'arrangea fort car je redoutais les mauvaises rumeurs colportés par des témoins peu amènes …
Toutefois j'ai séché les pleurs de la ravissante Adèle, enfant précoce qui, à la suite d'une scène poignante qui vit la reine dérober ses pleurs dans la chevelure de l'enfant bouleversée, saisissant la fâcheuse situation de sa reine chérie dans sa prison dorée, sanglotait sous son bras dans une allée … 
Je me suis avancée et l'ai consolée de mon mieux ; du coup, un lien affectueux nous unit malgré la morgue irraisonnée de cette toute petite demoiselle au visage d'ange.
Je ne sais pourquoi mais je plains déjà l'homme qui la recevra un jour pour épouse : il en deviendra aussitôt l'esclave consentant ! Et s'il n'est point né prince de sang ou issu d'une famille remontant à Charlemagne, sa vie tournera à l'enfer ...
Que cela m'apaise, ma chère Louise, de vous écrire ce flot de sottises ! Grâce à ce bavardage inconséquent, voyez-vous, je reviens soudain dans notre monde ancien dont j'attrape en vain les lambeaux …
Que vous dit-on en Italie sur cette nouvelle France qui s'ébroue sur les vestiges de la précédente ? Vous a-t-on conté qu'une bizarre amitié rapprocherait le comte de Mirabeau et notre reine ?
Vous en lâcherez certainement votre ce papier quand vous découvrirez ces mots ! Pourtant, croyez-moi, jamais votre salon de Florence ne comptera cavalier plus étrangement dévoué que le tonitruant et féroce comte de Mirabeau à une reine abandonnée !
Le comte (que Monsieur de Talleyrand n'est point le seul à surnommer « le Tonneau ») serait même devenu par le plus étrange des tours de magie le meilleur soutien de la famille royale et d'un régime bien proche de sa fin …
 Les âmes sentimentales chuchotent, si j'ajoute foi aux ragots des Tuileries qui montent jusqu'à nos hauteurs du vieux-Louvre, que Monsieur de Mirabeau serait éperdument amoureux de la reine, cette mère épuisée dont l'ambassadeur Dorset m'a dépeint la triste apparence et le vieillissement prématuré.
La duchesse du Devonshire aurait eu grand peine à cacher son étonnement de retrouver son amie aussi changée! le deuil du premier dauphin lui serre toujours le cœur, aurait confié Madame de Tourzel. Comment en douter ? Une mère ne se console jamais d'un pareil chagrin...
La préparation de la constitution civile du clergé obsède  le roi et semblerait lasser la reine .
 Monsieur de Talleyrand s'est rapproché de Monsieur de Mirabeau, mais sur ce sujet-là, je ne sais rien on me cache beaucoup, on se méfie de mon franc-parler.
Par contre, je puis vous assurer que ce n'est point le charme mélancolique de la reine qui a fait naître une troublante amitié entre sa Majesté et le comte de Mirabeau sous les taciturnes marronniers du parc de Saint-Cloud .. Ne devinez-vous point ?
 Allons ! L'argent, ma chère Louise, l'argent demeure l'unique nerf des grandes causes et des plus superbes ralliements ! Monsieur de Mirabeau a en commun avec mon ami Talleyrand l'art d'être panier percé, le roi aurait donc amélioré sa très fâcheuse situation (on m'a juré qu'il devait plus de deux cent mille livres à ses créanciers exaspérés) en lui promettant une rente !
D'autres sommes fort substantielles lui auraient été allouées afin de sauver la monarchie …ce qu'il s'acharne à tenter par le biais de billets quasi quotidiens remplis d'une prose alarmée. D'après ma source habituelle, je n'ai point a vous la nommer, le dernier s'écrierait : »
« Quatre ennemis arrivent au pas redoublé, l'impôt, la banque route,l'armée et l'hiver .
La guerre civile est certaine et peut-être nécessaire . »
Comment la reine affrontera-t-elle ces terribles prophéties ?
L'action, dit Monsieur de Talleyrand, est indispensable, mais laquelle ? Monsieur de Mirabeau insisterait afin de décider le roi à agir, mais de quelle façon ? N'a-t-il compris que sa Majesté est recluse aux Tuileries et que nul ne semble écouter sa voix ?
Enfin, je prie pour qu'aucune trace de ces obscures négociations ne soient un jour dans la lumière , le peuple courroucé ne l'admettrait point …
Je ne me tourmente point à propos de nos lettres, tant que notre correspondance restera entre les mains de mon cher et dévoué ami Governor Morris, ou du charmant William Short, je pourrais vous entretenir sur le ton libre qui m'est habituel. Le salut en matière d'amitié épistolaire c'est d'écrire sous la protection d'une puissance étrangère !
Pour le moment, la jeune Amérique veille sur mon courrier, mon fils et mes provisions de bouche !
 Ce qui rend Monsieur de Talleyrand très insupportable.
Curieusement, les assiduités exquises de mon nouvel ami anglais, le jeune et point farouche Lord Wycombe unissent mes deux vieux amis dans un même élan jaloux qui m'enchanterait si j'étais comme autrefois d'humeur à badiner avec l'amour.Le souci de notre sécurité, de celle de mon fils, et aussi, car je ne suis point ingrate et cruelle, celle de mon époux, dirige ma conduite.
Voilà pourquoi Monsieur Morris m'a reproché cet Anglais au teint rose, qu'il juge « un peu enniché » au Louvre parmi les peintres se querellant pour un modèle capricieux ou infidèle, les chiens de chasse aboyant devant un os à ronger, les chevaux à la retraite hennissant sur leur paille, et les garnements jouant entre les tableaux des maîtres anciens .
Ma chère Louise, cet Anglais m'adore, et s'il fallait quitter ce pays où vivre prend une mauvaise tournure, je m'abriterais volontiers derrière lui !

Je dois rendre cette lettre au domestique de Monsieur Morris qui l'attend...
Le plaisir de vous écrire cesse donc,
mais mon affection certes pas !

Je vous embrasse, ma chère Louise,

Adélaïde

Nathalie-Alix de La Panouse


Un rare portrait du Comte de Mirabeau rêveur
Marguerite Gérard circa 1790

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