Chapitre 39 Les amants du Louvre
Roman par Nathalie-Alix de La Panouse
Vent de panique sur le vieux-Louvre
Lettre de la comtesse de Flahaut à
Monsieur Governor Morris
le 23 février 1791 au soir, vieux-Louvre
Monsieur, mon cher, mon fidèle ami,
Morte d'inquiétude, en proie à la panique dans mon grenier du Louvre, désolée et en pleurs,
je passe les bornes de la convenance et
de la simple amitié en vous appelant encore une fois à l'aide.
A la vérité, je crains un refus qui
ne serait que trop mérité .
N'ai-je la folie de vous supplier de
chercher en quel lieu se dérobe à ses assassins un homme que vous
n'estimez guère et même point du tout ?
Vous devinez de qui je parle et sans
doute prenez-vous une mine de circonstance …
voilà ce que vous êtes tenté de me
dire :
« Ce Talleyrand qui encore évêque
d'Autun a eu l'audace d'accepter de bientôt sacrer trois nouveaux
évêques constitutionnels, mission impie entre tous, ce Talleyrand
qui vous trompe sans vergogne, ce Talleyrand qui doit des fortunes
dans tous les endroits mal famés après y avoir englouti la somme
récoltée sur vos bijoux de famille, voudriez-vous que je lui porte
secours ?
Mais pour qui me prenez-vous, Madame ?
Ce monsieur ne saurait-il se tirer d'affaire tout seul ? Son
esprit roué lui ferait-il à ce point défaut ? Quels arguments
allez-vous présenter afin que j'examine votre requête d'un œil
indulgent ? »
Mon ami, je ne peux être en désaccord
avec votre lucidité américaine qui me sert souvent de gouvernail au
milieu des tempêtes politiques et morales , je n'ose dire
sentimentales, que nous traversons.
Toutefois soyez assez généreux
pour mettre de côté vos ressentiments légitimes et votre bon sens
à toute épreuve ; vous n'appréciez point Monsieur de
Talleyrand pour des raisons qui restent des plus flatteuses à mon
égard …
Or, ce soir, tout est emporté, il est
question de péril mortel !
Figurez-vous que je reviens à
l'instant au vieux-Louvre, les bras alourdis d'une corbeille remplie
par la générosité de monsieur de Narbonne qui ne désire pas plus
que vous que mon fils ne souffre de la faim. Je reprenais mon souffle
en haut de nos interminables marches quand je vis une enveloppe
couverte de la singulière écriture de mon ami qui attendait sur le
seuil de notre porte.
Au comble de la surprise, je la
déchirai plus que je ne l'ouvris : son contenu m'accabla
aussitôt et m'accable encore : Monsieur de Talleyrand poursuivi
par une meute d'assassins à la solde de conservateurs ivres de haine
et de joueurs enragés, furieux de n'avoir point reçu leur dû, a
perdu le sens commun !
Il semble vouloir achever une vie qui
lui pèse trop !je voulais rire de cette extravagance à
laquelle nulle personne le connaissant ne peut croire quand un second
papier glissa dans mes mains, j'en lus avec épouvante les premiers
mots dont le style pompeux m'étonna.
Soudain je compris !
Poussant un cri, je froissai le
testament d'un ami qui m'a fait l'honneur redoutable de me désigner
sa légataire universelle …
De deux choses l'une, soit Monsieur de
Talleyrand n'a aucun espoir de vaincre ses agresseurs, soit il a pris
la funeste décision de se donner la mort avant de tomber entre leurs
mains . Je suis moi-même à demi-morte de terreur, comment
vivrais-je sans lui ?
Je ne sais si je l'aime ou si je le
hais, je ne sais si je lui pardonne ses trahisons, son indifférence,
sa froideur affichée, sa façon obscure de travailler à sa seule
ambition en employant tous les moyens qui sont à sa portée sans se
soucier d'honneur ou de compassion. Je sais à quel point il peut
être lâche, je crains qu'il ne m'abandonne une fois la fortune
revenue.
J'ai fait le tour enfin de Monsieur de
Talleyrand et le connais mieux qu'il ne le croit : cela diminue
, je vous l'avoue, mon attachement. Mais il reste le père de mon
fils et l'homme que j'aie le plus aimé au monde ... Sa perte me
porterait un coup horrible !
Je ne saurais pas davantage supporter
l'existence sans vous, et c'est pourquoi je vous implore de recourir
à vos espions habituels , vous seul retrouverez ce malheureux ,
peut-être erre-t-il au bord de la Seine, peut-être galope-t-il vers
les domaines de sa famille, vers les bois du Périgord qui lui
fourniront un refuge, ou vogue-t-il vers l'Angleterre ?
Mais je
suis en proie au délire ! Monsieur de Talleyrand n'a certes pas
quitté Paris !
Je vous en conjure, allez jusqu'à la couche de
Madame de Staël si cette femme le dérobe à ses assassins, j'aurais
de l'estime à son endroit ; envoyez des hommes dans les plus
indignes tripots, mais ramenez-le, ôtez-lui l'envie
d'abandonner son fils et ses amis, rien sur cette terre ne vaut ces
trésors d'affection qu'il considère si mal ...
Mon ami, pardonnez cette exaltation
suscitée par une angoisse extrême, j'attends de vos nouvelles, je
veillerai cette nuit en guettant un messager.
Je vous quitte car les larmes
m'empêchent de poursuivre,
Adélaïde
Lettre de Monsieur Governor Morris à
la comtesse de Flahaut
Paris , le 23 février 1791 à la nuit
Madame et ma très chère amie,
ainsi vous m'aimez assez pour
m'implorez de sauver l'homme que vous aimez malgré vous !
Votre charme seul fait admettre ce
curieux arrangement …
Hélas, Madame, malgré mes efforts et
les braves gens lancés sur ses traces, votre ami en déroute s'est
englouti dans les entrailles de Paris.
Madame de Staël le chercherait aussi
et clamerait son effroi à grand vacarme … Séchez donc vos pleurs,
reprenez vos esprits et laissez à ses divagations égoïstes votre
égoïste ami qui saura fort bien échapper à ses créanciers, ne
s'amuse-t-il à leurs dépens d'habitude ? Souvenez-vous de ce
bonhomme de carrossier renvoyé sans ménagements et avec force
plaisanteries !
Je ne crains pas davantage vos
conservateurs fervents, assassins en paroles mais en réalité des
plus affairés à suivre le sillage de Mesdames Tantes en route vers
Rome, et par là vers l'exil doré …
Les dévotions à accomplir auprès du
Saint-Père sont un beau prétexte pour se mettre à l'abri !
Cela est bien peureux, Madame, mais
bien prudent aussi. Je ne saurais que trop vous conseiller de monter
bientôt en carrosse et de filer droit vers votre Naples tant
regretté.
Si j'avais l'influence d'un certain
Suédois, je songerais à donner le même avis à la reine, mais
certes point au roi ! votre pays peut se passer de la présence
d'une reine si honnie, de votre roi, jamais. N'incarne-t-il grâce à
son serment à la constitution l'avenir et la concorde de tout le
pays ?
Enfin, vous n'avez point de goût à la
politique ce soir, et je compatis à vos tourments.
Je vous manderai des nouvelles si je
puis en avoir .
Là-dessus, souffrez que je vienne en
personne vous réconforter au matin .
Dormez, Madame, je gage qu'il
n'arrivera rien de fâcheux au père de votre petit Charles .C'est un
renard qui a plusieurs tours dans son sac …
A demain dés l'aube, Madame,
Je reste votre fidèle serviteur,
Governor Morris
A bientôt, pour la suite
Nathalie-Alix de La Panouse qui vous
invente ce roman épistolaire
Jean Baptiste Mallet (circa 1791) Le retour de l'être aimé ! |
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