mardi 30 avril 2019

Panique au Louvre à l'hiver 1790, Chapitre 39, "Les amants du Louvre"


Chapitre 39 Les amants du Louvre

Roman par Nathalie-Alix de La Panouse

Vent de panique sur le vieux-Louvre

Lettre de la comtesse de Flahaut à Monsieur Governor Morris

le 23 février 1791 au soir, vieux-Louvre

Monsieur, mon cher, mon fidèle ami,

Morte d'inquiétude, en proie à la panique dans mon grenier du Louvre, désolée et en pleurs,
je passe les bornes de la convenance et de la simple amitié en vous appelant encore une fois à l'aide.
A la vérité, je crains un refus qui ne serait que trop mérité .
N'ai-je la folie de vous supplier de chercher en quel lieu se dérobe à ses assassins un homme que vous n'estimez guère et même point du tout ?
Vous devinez de qui je parle et sans doute prenez-vous une mine de circonstance …
voilà ce que vous êtes tenté de me dire :
« Ce Talleyrand qui encore évêque d'Autun a eu l'audace d'accepter de bientôt sacrer trois nouveaux évêques constitutionnels, mission impie entre tous, ce Talleyrand qui vous trompe sans vergogne, ce Talleyrand qui doit des fortunes dans tous les endroits mal famés après y avoir englouti la somme récoltée sur vos bijoux de famille, voudriez-vous que je lui porte secours ?
Mais pour qui me prenez-vous, Madame ? Ce monsieur ne saurait-il se tirer d'affaire tout seul ? Son esprit roué lui ferait-il à ce point défaut ? Quels arguments allez-vous présenter afin que j'examine votre requête d'un œil indulgent ? »
Mon ami, je ne peux être en désaccord avec votre lucidité américaine qui me sert souvent de gouvernail au milieu des tempêtes politiques et morales , je n'ose dire sentimentales, que nous traversons.
Toutefois soyez assez généreux pour mettre de côté vos ressentiments légitimes et votre bon sens à toute épreuve ; vous n'appréciez point Monsieur de Talleyrand pour des raisons qui restent des plus flatteuses à mon égard …
Or, ce soir, tout est emporté, il est question de péril mortel !
 Figurez-vous que je reviens à l'instant au vieux-Louvre, les bras alourdis d'une corbeille remplie par la générosité de monsieur de Narbonne qui ne désire pas plus que vous que mon fils ne souffre de la faim. Je reprenais mon souffle en haut de nos interminables marches quand je vis une enveloppe couverte de la singulière écriture de mon ami qui attendait sur le seuil de notre porte.
Au comble de la surprise, je la déchirai plus que je ne l'ouvris : son contenu m'accabla aussitôt et m'accable encore : Monsieur de Talleyrand poursuivi par une meute d'assassins à la solde de conservateurs ivres de haine et de joueurs enragés, furieux de n'avoir point reçu leur dû, a perdu le sens commun !
Il semble vouloir achever une vie qui lui pèse trop !je voulais rire de cette extravagance à laquelle nulle personne le connaissant ne peut croire quand un second papier glissa dans mes mains, j'en lus avec épouvante les premiers mots dont le style pompeux m'étonna. 
Soudain je compris !
Poussant un cri, je froissai le testament d'un ami qui m'a fait l'honneur redoutable de me désigner sa légataire universelle …
De deux choses l'une, soit Monsieur de Talleyrand n'a aucun espoir de vaincre ses agresseurs, soit il a pris la funeste décision de se donner la mort avant de tomber entre leurs mains . Je suis moi-même à demi-morte de terreur, comment vivrais-je sans lui ?
Je ne sais si je l'aime ou si je le hais, je ne sais si je lui pardonne ses trahisons, son indifférence, sa froideur affichée, sa façon obscure de travailler à sa seule ambition en employant tous les moyens qui sont à sa portée sans se soucier d'honneur ou de compassion. Je sais à quel point il peut être lâche, je crains qu'il ne m'abandonne une fois la fortune revenue.
J'ai fait le tour enfin de Monsieur de Talleyrand et le connais mieux qu'il ne le croit : cela diminue , je vous l'avoue, mon attachement. Mais il reste le père de mon fils et l'homme que j'aie le plus aimé au monde ... Sa perte me porterait un coup horrible !
Je ne saurais pas davantage supporter l'existence sans vous, et c'est pourquoi je vous implore de recourir à vos espions habituels , vous seul retrouverez ce malheureux , peut-être erre-t-il au bord de la Seine, peut-être galope-t-il vers les domaines de sa famille, vers les bois du Périgord qui lui fourniront un refuge, ou vogue-t-il vers l'Angleterre ? 
Mais je suis en proie au délire ! Monsieur de Talleyrand n'a certes pas quitté Paris !
Je vous en conjure, allez jusqu'à la couche de Madame de Staël si cette femme le dérobe à ses assassins, j'aurais de l'estime à son endroit ; envoyez des hommes dans les plus indignes tripots, mais ramenez-le, ôtez-lui l'envie d'abandonner son fils et ses amis, rien sur cette terre ne vaut ces trésors d'affection qu'il considère si mal ... 
Mon ami, pardonnez cette exaltation suscitée par une angoisse extrême, j'attends de vos nouvelles, je veillerai cette nuit en guettant un messager.

Je vous quitte car les larmes m'empêchent de poursuivre,

Adélaïde


Lettre de Monsieur Governor Morris à la comtesse de Flahaut

Paris , le 23 février 1791 à la nuit

Madame et ma très chère amie,

ainsi vous m'aimez assez pour m'implorez de sauver l'homme que vous aimez malgré vous !
Votre charme seul fait admettre ce curieux arrangement …
Hélas, Madame, malgré mes efforts et les braves gens lancés sur ses traces, votre ami en déroute s'est englouti dans les entrailles de Paris.
Madame de Staël le chercherait aussi et clamerait son effroi à grand vacarme … Séchez donc vos pleurs, reprenez vos esprits et laissez à ses divagations égoïstes votre égoïste ami qui saura fort bien échapper à ses créanciers, ne s'amuse-t-il à leurs dépens d'habitude ? Souvenez-vous de ce bonhomme de carrossier renvoyé sans ménagements et avec force plaisanteries !
Je ne crains pas davantage vos conservateurs fervents, assassins en paroles mais en réalité des plus affairés à suivre le sillage de Mesdames Tantes en route vers Rome, et par là vers l'exil doré …
Les dévotions à accomplir auprès du Saint-Père sont un beau prétexte pour se mettre à l'abri !
Cela est bien peureux, Madame, mais bien prudent aussi. Je ne saurais que trop vous conseiller de monter bientôt en carrosse et de filer droit vers votre Naples tant regretté.
Si j'avais l'influence d'un certain Suédois, je songerais à donner le même avis à la reine, mais certes point au roi ! votre pays peut se passer de la présence d'une reine si honnie, de votre roi, jamais. N'incarne-t-il grâce à son serment à la constitution l'avenir et la concorde de tout le pays ?
Enfin, vous n'avez point de goût à la politique ce soir, et je compatis à vos tourments.
Je vous manderai des nouvelles si je puis en avoir .
Là-dessus, souffrez que je vienne en personne vous réconforter au matin .
Dormez, Madame, je gage qu'il n'arrivera rien de fâcheux au père de votre petit Charles .C'est un renard qui a plusieurs tours dans son sac …

A demain dés l'aube, Madame,

Je reste votre fidèle serviteur,
Governor Morris

A bientôt, pour la suite 

Nathalie-Alix de La Panouse qui vous invente ce roman épistolaire

Jean Baptiste Mallet (circa 1791)
Le retour de l'être aimé !

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