vendredi 17 mai 2019

Contes du vieux château : un soir à l'Ambassade de Grande-Bretagne ou le paradis dans un jardin anglais



Un soir à l'ambassade de Grande-Bretagne:
L'art de célébrer la "Colonie Franco-Britannique de Sillery" dans un jardin Anglais 

J'étais l'autre soir à Paris et bien mieux, à l'ambassade de Grande-Bretagne, rêve de pierre qui a vu Louis XV, roi Bien Aimé de la précieuse et fragile Marquise de Pompadour. Cette parfaite demeure de gentilhomme ayant ses entrées à la cour a de nos jours l'honneur de loger son Excellence l'Ambassadeur de Sa Majesté ...
Rue du Faubourg-Saint-Honoré, quasi l'Olympe de la France, deux anciens hôtels particuliers voisinent en réalité au service de la Grande-Bretagne avec une sobre splendeur. La Résidence actuelle de l'Ambassadeur fut l'ancien hôtel de la sœur dévouée de l'empereur Napoléon, la fidèle, l'aimante Pauline Borghèse.
C'est un de ces palais secrets qui bruissent et bourdonnent derrière leurs porches hautains à l'instar d'étranges planètes gravitant autour de leur immuable étoile: l'Elysée...
Or, une fois l'an, nous avons l'insigne honneur de figurer, nous les obscurs provinciaux, parmi la foule feutrée admise sur les terrasses et jardins de l'un de ces palais. Ce spectacle ravit, déconcerte et émeut, surtout si l'on sort d'une campagne profonde dont le silence et la solitude ne sont rompus que par le seul vacarme des tracteurs  et autres machines indispensables à la survie rurale.
Cendrillon du sud, au bras d'un homme-mari qui commence à s'habituer aux lois non écrites de la bienséance parisienne, j'évolue à pas comptés autour des pelouses lisses que nul barbare ne s'autoriserait à fouler. Puis, piquée par une regrettable manie d'impertinence, je loue à voix-haute la beauté du parc d' à côté. Et il se trouve toujours quelque divinité en smoking pour expliquer d'une voix lasse à la dame ignorante venue d'un hameau inconnu que cette perfection jardinière pare « l'Ambassade de Grande-Bretagne ».
Jamais, pensé-je au grand jamais les portes de ce île interdite ne s'ouvriraient devant nous .Quel dommage d'ailleurs ! l'Ambassade de Grande-Bretagne resplendissait dans mon imagination, qui n'aime rien tant que battre la campagne, des bouderies de Louise de Vilmorin, Sirène du Salon Vert, des rires narquois de Nancy Mitford qui inventa la chronique de l'Ambassade dans son étincelant « Don't tell Alfred », et de la grâce éthérée de Lady Diana Cooper.
Et ,bien avant ces fantômes des années cinquante à l'allure inimitable, les échos ténus du palais Borghèse ne laissent-ils échapper claquements d'éventails, froissements de soie, fausses et vraies confidences du monde évanoui qui parfois s'échappe des tableaux de Fragonard, Ingres et Corot ?
Ainsi, honte à moi, créature romanesque, ce haut-lieu où s'élabore avec gravité la politique de la Grande-Bretagne en France me semblait le palais des légendes et amours perdues.
Louise de Vilmorin, certainement aussi fantasque dans le royaume invisible que jadis sur Terre, eût-elle le caprice de me jouer un tour ?
Un matin d'avril, un de ces jours où l'averse morose tournoie sur l'herbe haute, où la campagne s'embourbe, où le vent n'en finit plus de glacer les maisons humides,je reçus un carton frappé d'un blason doré.
Au dessous de la devise superbe : « Dieu et mon droit », la plus aimable des invitations  émanant du plus aimable des ambassadeurs et des plus aimables inconnus …
Ciel ! Que voulait-on de nous ?
Rien d'accablant ! juste notre présence un soir afin de célébrer une aïeule qui fit de l'amitié Franco-Anglaise son idéal, au point de créer une œuvre de bienfaisance extraordinaire : la Fondation Franco-Britannique de Sillery, maison de repos destinée à redonner santé, forces, amour de la vie aux soldats valeureux, héros, Anglais et Français de la première guerre mondiale. Initiative d'une singulière générosité qui perdure encore, les blessés de l'existence ayant succédé aux « Poilus » .. .
Cette grande dame embaumée en l'état de légende familiale reprit vie en un battement de cil ! je crus la voir, l'entendre, je me surpris à la remercier, elle éclata de rire et me conseilla de ne en dire trop, n'en avais-je pas assez entendu  lors des déjeuners familiaux ?
« Oui, mais l'histoire de votre révérence manquée au monarque Britannique qui du coup dévala les marches de son trône afin de vous relever, devrais-je en priver la postérité ? «  dis-je avec un enthousiasme qui l'amusa de plus belle. « J'accepte ! s'écria-t-elle, vois-tu, ma réputation de femme parfaite m'agace, je voudrais tant que l'on évoque mes bévues, mes foucades, mes fous-rires, savais-tu que nous sommes tous jeunes sur l'autre rive ? »Sur cette révélation réconfortante, elle disparût , en me laissant face à un abîme de perplexité: qu'allions-nous faire en cet Olympe diplomatique ? Refuser, non, il n'en était pas question, l'homme-mari éclata de fierté à la nouvelle, une aïeule aimée des Anglais ! Cela valait la peine de franchir les centaines de kilomètres nous séparant de la rue du Faubourg …
Dussions-nous loger dans une soupente ruineuse et affronter les regards moqueurs des Parisiennes balançant leur sac sur l'avant-bras, flottant plutôt qu'elles ne marchent du haut de leurs talons exquis sur les précieux pavés du quartier le plus mystérieux de Paris !
Nous échouâmes ainsi à une encablure de l'Elysée dans un charmant hôtel hypocritement modeste dont le prix « raisonnable » nous parût une énorme folie .
L'heure fatale sonna ! cachant l'un à l'autre une légère appréhension, nous décidâmes, d'aller à pied à l'ambassade afin d'apaiser nos nerfs tendus.
Le carton priait les heureux élus de se vêtir en « tenue de ville » ; je pense que rien n'est plus ardu à interpréter quand l'on a le bonheur d'être un « rat des champs » !
Un ami habitué au sérail diplomatique avait rejeté avec horreur le rouge, couleur qui suscite les guerres sans doute. le vert ne l'avait guère convaincu, nuance peut-être vénéneuse ! Ce digne retraité du Corps Diplomatique, fort de son expérience irremplaçable, préconisait le « grand deuil », uniforme contre lequel j'osai me rebeller. L'homme-mari et moi choisirent la prudence touchante du bleu marine : quoi de plus Anglais d'ailleurs ?
Une élégante évocation des pensionnats chics ou de la Marine de Sa Majesté !
Nous aurions dû palpiter de joie, j'avoue qu'il nous semblait monter à l'échafaud .
Je mourais d'envie de filer à l'Anglaise vers un endroit plus facile à vivre pour les simples mortels . Hélas, l'homme-mari avançait pareil à un soldat marchant au front ! À moins de déclencher une horrible crise conjugale, il n'y avait plus d'espoir de fuite en avant.
Le numéro 39 du Faubourg le plus célèbre de notre planète se présenta en dix minutes. Un délicat soleil printanier envoyait ses doux rayons sur la cour ouverte aux élus de l'Ambassadeur.
Hélas ! à notre extrême angoisse, le terrifiant Cerbère Anglais ne comprit rien à notre nom Français !
Nous n'existions pas : « Vous n'êtes pas sur la liste, veuillez partir , je vous prie. »
Voici que trois personnages en costume sombre se précipitent sur notre couple au bord de la panique ! Serions-nous victimes d'une mauvaise plaisanterie, d'une affreuse machination ?
Non ! Juste d'un fatal outrage perpétré sur le patronyme de l'homme-mari … un flot d'excuses, une volée de marches, un hall de belle taille, et l'imposant portrait de la reine Victoria dans l'éclat de sa jeunesse. Miracle, nous y sommes !
Cette fois, ce ne sont plus des gardes méfiants mais deux charmantes personnes tout sourires qui fondent sur les souvenirs vivants de la grand-mère de l'homme-mari ; incroyable, nous dit-on avec un entrain sincère, vous êtes venus !
Voilà une gentillesse qui nous incite à déployer des trésors d'affabilité. On nous le rend bien et tout va pour le mieux dans cette Grande-Bretagne en réduction. Tout va même à un train infernal ! entre les virevoltes des petits-fours, et la ronde des conversations décousues, je ne parviens guère à m'éclipser sur le gazon Anglais, j'esquisse un pas, trop tard !
L'ambassadeur s'exprime, il faut se taire ! L'Ambassadeur a parlé !
Ses mots célébrant la bonté et l'altruisme des acteurs de la fondation de Sillery sont allés droit aux cœurs aussi bien Anglais que Français, c'est un magnifique exemple de l'art diplomatique qui entend réunir les peuples et instaurer l'harmonie. Un gentilhomme Français à l'allure Anglaise nous présente ensuite les deux artistes chargées de la redoutable mission de nous ensorceler.
Il semble amoureux de chacune et nous sommes prêts à en faire autant.
Le concert n'attend pas, nous voici installés sous les guirlandes d'ors du salon de musique ; l'assemblée d'une distinction extraordinaire se recueille tandis qu'une frêle jeune fille, Mademoiselle Anne de Boysson, dompte le piano de ses compositions subtiles, « Images » « Fugitive » et « Infinité Astrale ». L'émotion pure efface le décor, les regards se font vagues, et, profitant de cette vaporeuse rêverie saisissant ses invités, l'Ambassadeur de Grande-Bretagne se sauve ...à la Française !
La seconde pianiste, Dona Sévène, a décidé, nous dit-elle avec une flamme enthousiaste, de recréer les fastes de l'ambassade à l'époque romantique. L'âme fiévreuse de Frédéric Chopin s'élance sur les ailes de sa Fantaisie-impromptu opus 66 et de la Grande Polonaise Brillante : nous sommes ranimés et reverdis !
C'est sublime et cela s'achève par une révérence en taffetas bleu marine et un ouragan d'applaudissements.
La soirée se prolonge sans s'essouffler devant les hautes fenêtres irisées du soleil couchant.
L'esprit de l'entente cordiale s'ébroue dans des bavardages secoués du divin humour manié avec art par les sujets de Sa Majesté.L'Ambassadeur revient,on lui présente l'homme-mari qui me fait signe de venir; je n'obéis pas, je suis en train de rire avec une paysagiste Anglaise qui plaint mon jardin de subir la canicule du sud de la France, l'homme-mari insiste; je résiste à sa muette injonction, j'écoute avec passion un diplomate vert-galant qui m'explique la meilleure manière de fabriquer un excellent whisky. Ce galant homme ignore qu'il a affaire à une Française qui ne boit que de l'eau ! L'Ambassadeur s'est définitivement envolé et l'homme-mari me rejoint flanqué d'un aréopage de Dames Britanniques de grande distinction qui lui vantent les vertus de sa grand-mère.
 « Vous savez, c'était avant tout une croqueuse de vie .» rétorque-t-il en suscitant leur surprise.
 Les en vaste entreprise luttant pour l'insertion regard tendre quand elle rosit sous nos félicitations.Nous sommes revenus à l'époque de « la douceur de vivre" chère à Talleyrand et à la malicieuse Adélaïde de Flahaut dont les petites filles accompagnèrent leur Ecossaise de mère dans les salons de l'Ambassade.
Le soir ombre soudain de mauve et de rose la pelouse de velours vert.
On nous offre un album racontant l'histoire de la" Colonie Franco-Britannique de Sillery". L'énergie infaillible de la complice de la grand-mère de l'homme-mari traverse les dessins naïfs : autoritaire pour le bien de tous, tenace, optimiste, Amélie de Pitteurs clamant « Le service ! d'abord, le service ! » devient une égérie, une héroïne, une légende de la générosité .Ne sauva-t-elle des enfants juifs annoncés comme tuberculeux ?
Une femme »impossible » assurément, mais d'une bonté à toute épreuve, et d'une modernité incomparable .
Les adieux fusent, on nous promet de nous donner des nouvelles de cette belle oeuvre Franco-Anglaise formant et aidant les plus fragiles de notre société, une utopie devenue aussitôt concrète, née voici cent ans, sous l'égide de personnalités admirables qui n'auraient sans doute rien compris au Brexit ...
Il faut saluer l'aimable compagnie et retrouver le Faubourg peuplé de Parisiens au pas hâtif.
Ce soir, le paradis terrestre se pare des prestiges d'un jardin Anglais !

A bientôt !

Lady Alix
 (ou Nathalie-Alix de La Panouse)

Fondation Franco-Britannique de Sillery,
Château de Sillery, Epinay Sur Orge

Fête du Centenaire le premier juin 2019
Bande dessinée du centenaire,  récit regorgeant de poésie et de tendresse de  "la Franco British
Colony for convalescents incorporated":
ffbs100ans@ffbs-sillery ,com


Fondation de la Vicomtesse Louis de La Panouse 1919

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