jeudi 11 juillet 2019

Pages Capriotes : Jours d'été à Capri

Pages Capriotes

 L'art du Farniente sur un rocher

Capri est une citadelle ancrée sur les mystères des civilisations perdues, un refuge pour poètes en mal d'inspiration, et une réalité touristique excessivement concrète à la belle saison !
Malgré la splendeur de ses eaux aux nuances violettes, poudrées d'orangé au couchant, verdies d'aigue-marine l'après-midi, et du plus adorable bleu céleste sous les lueurs dansantes de l'aube, l'île exige une volonté farouche et une grande opiniâtreté si une envie de baignade paisible vous titille.
C'est un parcours du combattant qui finit par un farniente bien mérité sur les rochers sculptés de lumière diaphane.
Ainsi, parasols et baigneurs se répandent sans aucune angoisse existentielle autour de la crique du Faro, piscine naturelle où l'on croit sombrer dans les abysses de l'île à chaque brasse ! La mer s'amuse à vous soulever, joue à vous entraîner, vous caresse de son eau limpide et vous repousse, moqueuse, vers l'échelle salvatrice surplombée par le prodigieux paysage des falaises trouées de grottes et d'étranges regards minéraux.
Posé juste au-dessus de ces réjouissances rudes le Lido del Faro est à l'île ce que la caverne de Circé était à Ulysse : un avant-goût du paradis ! du moins si on ose s'y aventurer ...
En ce torride après-midi de juin, c'est la première fois que je retourne à la belle saison en ces lieux dont j'ai tant aimé la beauté dramatique à la veille du printemps. La vue de la Tour de Garde, où l'on sonnait la cloche d'alerte quand les pirates déferlaient sur ces rivages intangibles, me rassure beaucoup ! Au sein de ce paysage heurté que la canicule frappe de son glaive flamboyant, cette tour immuable à l'instar d'une antique divinité concentre l'invincible, l'immatérielle puissance de l'île.
Mais, franchement, l'heure n'est ni à l'émerveillement, ni à la philosophie. Au diable la magie ancestrale de ce divin rocher !
Je succombe, je meurs, j'ai horriblement soif ! L'homme-mari et Fils-aîné se sont évanouis dans cette atmosphère surchauffée, sont-ils encore de ce monde ou engloutis dans une grotte sous-marine ? Tout peut arriver à Capri ...
La gorge sèche et la démarche hésitante, fripée par le trajet en bus plein à éclater, je recule suffoquée et inquiète sur la petite esplanade . Où suis-je ? J'ai soudain l'âme d'une naufragée que tout abandonne ! les bosquets fermentent de chaleur insoutenable, les terrasses grillent, l'air roule des vapeurs suffocantes.
En guise de consolation, poudrée d'or en fusion, la mer aux reflets bleu pastel moirés de turquoise charrie son écume laiteuse sur le roc taillé au couteau par un demi-dieu impitoyable.
Est-ce vraiment le salut ?
Cette piscine d'eau au cœur des rochers paraît idéale pour des fils et filles de Poséidon, et singulièrement terrifiante si l'on n'a point l'honneur de cousiner avec les Olympiens …
L'idée de plonger au sein de cet espèce de gouffre aussi envoûtant qu'inquiétant est loin de me soulever d'enthousiasme. Vais-je fuir ? Que non pas ! Il est plus élégant de se résigner ; la baignade classique pour mortels effarouchés n'existe pas à Capri ...L'île prodigue sa parfaite beauté depuis la Guerre de Troie, exiger davantage serait fort inconvenant ...
Soudain, un appel, Fils Aîné qui évolue tout guilleret dans l'affreux gouffre semble comprendre mes doutes . Le voici qui m'indique une porte à même la falaise est-ce un espoir ?
J'entre à demi-aveuglée et bute dans la gardienne qui en a vu d'autres et se dépêche de me demander une rançon en français. C'est exorbitant ! J'hésite. Tout de même, quel gaspillage !
Fils aîné insiste de plus belle ; j'accepte, agacée, j'avance : l'âpre roc a laissé la place à un miroir d'eau de mer, une terrasse chatoyant de maillots des plus élégants, une nuée de parasols projetant une ombre exquise sur des chaises-longues cossues.
Je suis à Apragapolis, nom donné à Capri par l'empereur Auguste : la cité de l'oisiveté !
A la pointe de la promenade, la mer se fond dans le bleu parfait du ciel épousant l'horizon libre .
Le temps fait un bond en arrière, comme souvent à Capri, j'imagine l'empereur Auguste, cet énergique bâtisseur du raffiné Palazzo a Mare, merveille enfouie sous les flots dont l'indistinct souvenir hante les aubes d'été.
Que me confie-il de sa voix lasse et hautaine ce maître de l'univers?
Drapant d'une main résignée sa toge, il me désigne le spectacle de son inflexible garde prétorienne étalée sans vergogne sur les rochers. Pardonne-t-il à ses robustes patriciens de se livrer, en compagnie des lézards bleus, au respectable repos du guerrier ?
Je n'en saurai jamais rien, trop tard !
Ne rien faire est une occupation sérieuse, or l'heure du rendez-vous avec une charmante  famille Capriote survient au moment où prise d'une douce torpeur je vogue sur mon songe impérial …
L'homme-mari et Fils-aîné s'angoissent : quelle image allons-nous donner du raffinement Français ? Nous voilà échevelés, rougis de soleil, et à moitié endormis !
Contrits, nous reprenons figure humaine, saluons, tentons de meubler in extremis le vide de nos cerveaux, et prenons place face à la fierté des poètes et la providence des amoureux :
« Il tramonto » !
Au Faro de Capri, le coucher du soleil est un drame antique épaulé par l'île d'Ischia parée de mauve et de pourpre.
Allons-nous voir le rayon vert ? Tombant des nuages irisés d'or, l'énorme soleil rouge entame sa lente chute vespérale . Au creux d'une falaise deux yeux prennent vie, la montagne s'anime...
Les dieux sortent de leurs brumes et se penchent vers une barque fragile qui s'élance de la crique vers les flots pareils à une fontaine de vin.
Où vont ces deux grands-pères , marins intrépides ? Ont-ils conclu un pacte avec les Sirènes ? Ils pêchent les calamars aux « Lampari » nous dit-on ! taciturnes, ils vont vers les grottes vertes, blanches, rouges, vers les écueils blanchis d'écume, rejoindre la danse de la lune sur la mer …
N'incarnent-ils l'esprit, l'âme, la ténacité de l'île mieux que le tapage de l'été ?
Grisée de parfums et retentissante des ultimes adieux, la nuit légère embrasse les rochers et nous prenons le dernier bus.
Le lendemain, piqués par une lubie matinale, nous renouvelons avec un sourire extasié l'épreuve du bus dévalant impitoyable la route à flanc de précipice. C'est évident, afin de fuir les affres de la canicule il est absolument primordial d'aller nous jucher sur le Rocher des Sirènes à Marina Piccola !
Allons-nous tomber avec une infinie tristesse sur une plage artificielle conçue pour les touristes au prix du saccage de la falaise ?
Le bus se précipite sur la petite route en lacets affolants, passe en trombe devant la plage privée la plus ancienne de l'île, La Canzone, et se précipite comme si un fauve le pourchassait sur une place minuscule.A première vue, le rocher n'existe plus que dans les poèmes d'Homère. Où sont les récifs déchiquetés sur lesquels battaient des ailes et des yeux les féroces Dames Oiseaux mangeuses de marins ?
Une nuée vociférante de touristes nous bouscule, ils savent où ils vont, nous pas du tout !
Miracle ! L'eau au bout d'une plage de poupée chatoie en clapotant contre d'antiques murs romains !
Et le souvenir d'une Sirène du nord flotte encore sur les eaux ...elle a nom Marevna. Qui se soucie cent ans après de cette nymphe qui se plaisait à évoluer dans les courtes vagues d'une limpidité surnaturelle ? C'était disait le poète russe Gorki , exilé à Capri, « La fille du roi de la mer » et aussi un peintre sensible et déroutant !
Fils aîné et l'homme-mari cherchent non pas les sirènes antiques ou modernes mais l'ombre et le calme. Nous battons en retraite, tournons le dos au rocher envahi d'une foule redoutable, et ruinés encore une fois par un Cerbère féminin, entrons aux » Bagni da Maria ».
Sur des terrasses encombrées de parasols et de cabines de bains, gisent les heureux du monde dont nous ferons partie cet après-midi. On se croirait à l'intérieur d'une carte postale des années trente. La mer s'agite à peine, les baigneurs font la planche, les autres dorment d'un sommeil si profond qu'intimidés nous avançons sur la pointe des pieds.
Tout d'un coup un cri déchire cette immense inertie : « Mario ! ».Comme flagellés au visage, les êtres paresseux lovés sur leurs matelas se redressent et hurlent d'une seule voix : « Mario » !
Surgissant des murailles, Mario se matérialise !
C'est un charmant jeune homme en polo rose et lunettes noires, c'est l'esclave, le lutin, le héros inconnu des Bani da Maria, un génie capable de dorloter, choyer, rassurer, soigner, consoler, guider tout le long du jour ceux qui ont besoin d'une meilleure orientation de leur parasol, d'une crème solaire pour leur dos meurtri, d'une boisson froide ou d'une indication géographique urgente sur les mètres séparant leur serviette de plage du restaurant ou des douches …
Mario, patient,vaillant, infatigable, souriant, trotte ainsi du matin au soir, et nous-mêmes, à notre grande honte, avons-nous osé le prier de nous immortaliser avant de quitter ce repaire d'oisifs en vacances …Mario sera lié pour l'éternité à notre unique journée sur le rocher des Sirènes !
Gardiens puissants des mystères de Marina Piccola, les trois Faraglioni, ces boucliers de pierre plantés sur le rivage par Polyphème ou ses fils, contemplent avec dédain les énormes bateaux que l'île rejette de toute la vigueur de ses falaises aux flancs aigus. Cette armada de paons nautiques s'évertue à faire la roue, qu'importe ! Les Faraglioni restent seuls vainqueurs.
Le lendemain, fatigués de payer de somptueux droits d'entrée, nous décidons de nous replier de façon démocratique sur la plage publique de Marina Grande !
Un dîner aux étoiles organisé avec la prodigieuse générosité Capriote par des amis touchés de notre passion envers leur île, nous attend le soir sur la place Santa Sofia d'Anacapri, sans doute la plus gracieuse , la plus sympathique aussi de l'île, qu'avons-nous à perdre ? Nous gagnons au contraire la liberté d'une plage où peu de touristes étendent leurs draps de bain.
L'eau fraîche soigne les stigmates de la canicule, les enfants plongent en riant aux éclats, les familles bavardent à toute allure, au loin le port envoie ses rumeurs vibrantes, et nous nageons sous le regard farouche d'une mouette qui de son rocher nous juge terriblement insignifiants …
Le regard se perd vers d'inaccessibles hameaux, des palais cachés, des statues gracieuses, des colonnes enroulées de fleurs roses et bleues ; le regard vole vers les visages éblouissants d'une île fantasque qui s'enfuie au fur et à mesure que l'on s'approche !
Une île minuscule et immense dont personne ne fait vraiment le tour, et qui laisse le cœur en exil dés les adieux sur le pont du bateau .. ;

A bientôt !

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse

Un visage de l'île: "Jeune fille de Capri" 1906 par Jean Benner, heureux époux d'une belle Capriote,
,musée de Nantes

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