samedi 24 août 2019

Printemps 1792 de Florence à Paris: Les amants du Louvre chap 47


Chapitre 47
Les amants du Louvre

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Louise d'Albany
Paris le 30 avril 1792

Ma chère Louise,

Vous êtes un ange et une égoïste, oui j'insiste sur ce mot qui ne vous plaira guère !
Vous penserez à une plaisanterie, cela est presque vrai , mais point tout à fait faux.
Vous avez à cœur de me dépeindre la vie brillante et sans souci que l'on mène dans votre refuge de Florence qui passe pour la ville la plus endormie du monde !
Vous me vantez vos couchers de soleil jaune citron et ces fringants cavaliers qui caracolent sur les chemins de San Miniato avant de caqueter dans votre salon sur la pluie, le beau du temps et peut-être ces Français qui ne savent plus où ils en sont .
Mais vos beaux Florentins le savent-ils eux-mêmes ? Ne sommeillent-ils sur le lit de leur gloire, pareils à ces soleils couchants qui vous fascinent tant ?
Selon vos lettres, nul ne semble regretter le départ du grand-duc François, empereur d'Autriche depuis le premier du mois ! Vous ne me dites point si le bon peuple de Florence déplore la mort brutale de son père, qui s'illustra en souverain libéral de la Toscane, avant d'accéder aux lourdes charges de l'empire
.On chuchote à Paris qu'une main criminelle l'aurait empoisonné …
Ce bruit court-il le long de l'Arno ?
Votre silence serait-il une réponse ? Ou la preuve que vous pratiquez à merveille le savoir-vivre des hiératiques Florentins ? Nul ne semble attacher d'importance au nouveau rang du jeune prince qui s'attache avec la plus charmante désinvolture à sauvegarder la paix et la prospérité dans sa Toscane trop engourdie pour que l'on s' y offusque des mots de liberté et d'égalité...
Ne sont-ce là idéaux confus qui ne nourrissent point son homme ?
Vous ne vous souciez à vrai dire, ma chère Louise, que de tableaux extraordinaires car l'extraordinaire se voit à chaque coin de rue à Florence,et, bien entendu, de la main de je ne sais quel maître de l'époque du Magnifique, vous écoutez des opéras, souvent de la main de votre chevalier Alfieri , mais qui pleurnichent tous en vantant la folie amoureuse et ses tourments exquis !
Vos amis vous entraînent sur les collines plantées de cyprès, de vignes et d'oliviers  et vous souriez face à l'horizon du jaune le plus tendre baignée d'une paix immatérielle, vous vous sentez oiseau et non plus femme, à vos pieds coule le fleuve blond.
Quel charme puissant éteint-il en ce lieu clos sur ses splendeurs la flamme intrépide et folle de jadis ? A vous lire, Florence ne vit plus qu'en beau décor de théâtre abritant une société qui s'écoute parler dans le vent du soir, et dont les amours se jouent sur le mode de la comédie !
A vous lire, Louise, je ressens l'enchantement profond que l'on gagne à habiter un monde hanté par son passé ; mais à Paris, nous vivons chaque jour comme si c'était le dernier, le présent danse sur un fil à l'instar de notre avenir ...
Vous doutez-vous que la guerre déclarée le vingt dernier au nouvel empereur d'Autriche et qui vous paraît un caprice fort lointain, est une réalité des plus cruelles pour notre pays ?
Nos députés puiseraient-ils dans cette humeur belliqueuse la force qui leur manque pour assurer la paix dans une France en proie aux outrages de la violence et de la délation ? Hélas, je le crains, car le prétexte de ce conflit est bien mince : Paris exige que Vienne lui livre les émigrés français …
C'est une chasse à l'homme lancée dans toute l'Europe qui débute en Autriche ! or, la France possède-t-elle une armée entraînée capable de vaincre non seulement l'Autriche mais d'autres pays, et si monsieur de Talleyrand échoue dans sa négociation, l'Angleterre ! Alors, nous serons perdus ...
Puisque tout se sait à Florence, vous le savez , Louise !
Oui, Monsieur de Talleyrand est à nouveau sur le sol britannique, il ne doute pas d'obtenir la neutralité du bon roi George. En attendant cette victoire qui devrait lui assurer un ministère, mon ami a de ces faiblesses, il daigne me mander des nouvelles qu'il me supplie de ne point répandre.
Jugez un peu de mon supplice! au moins je puis vous révéler que les beautés de Londres le laissent de glace, qu'ils les trouvent insipides, occupées de leurs animaux de compagnie, de leurs enfants, de leurs maisonnées, ou mieux, des soins à donner aux immenses parcs conçus grâce à l'or de leurs époux par le génie autoritaire de Capability Brown, ce jardinier qui s'est ingénié à remplir les domaines de lacs, temples à colonnes, immenses pelouses et hautes herbes, afin d'élever l'âme et la pensée !
Je m'en réjouis ! Je souffre assez sans le dire de l'attachement affecté par la turbulente Germaine à l'égard de mon ami.
 D'ailleurs, même si j'avais le mauvais goût de me plaindre, monsieur mon ami serait tout à coup atteint d'une surdité absolue …
Vous avez la bonté de me chuchoter des nouvelles de notre incorrigible Sophie, et pour ce, je vous pardonne vos récits d'oisive déambulation aux Cascines alors que votre amie Adélaïde se contente de sa morne promenade dans les galeries du Louvre.
Hélas, Louise, l'air de Paris contient trop de miasmes, d'aigreur, et de méchanceté pour que je me risque à sortir avec Charles...
 Je sursaute au moindre bruit et ne me sustente qu'à grand peine, mon époux manœuvre avec une énergie admirable afin de nous faire partir tous les trois en Normandie où sa mère lui a laissé une maison décatie et quelques prairies.
 Si ce projet portait ses fruits, jugez un peu de notre soulagement ! Charles reprendrait bonne mine et mon espoir de traverser la Manche irait bon train …quant à mon époux, il s'entête à refuser d'émigrer, la Normandie lui convient comme terre d'exil , or, qu'y fera-t-il ?
 Je ne me le représente point en fermier trayant ses quelques vaches chaque matin ! 
Sa goutte le rend inapte au moindre effort physique, il excelle dans l'exercice de l'administration des jardons royaux, mais privé de main d'oeuvre , même l'art de planter et récolter une salade ou un choux lui échappera  toujours!
Non ne posso piu, Louise !
 Notre destin ici tourne court, je ne puis fixer mon attention sur rien, et me méfie de tout le monde …
Si ce n'est du fidèle Governor Morris, que s'obstine pourtant à redouter la duchesse de la Rochefoucauld. l'absence du sémillant Short l'incite à opposer une froideur injuste aux amabilités diplomatiques de Monsieur Morris, nouveau représentant de la jeune Amérique. Cela est bien mesquin, pour moi, je suis certaine que mon ami Américain ne me fera jamais défaut, en dépit de sa jalousie envers monsieur de Talleyrand et encore pis, celle qu'il éprouva à l'encontre de mon jeune ami Anglais .
De toute manière, monsieur Morris est bel et bien pourvu d'une respectable épouse, il n'a point à reprocher aux dames leur réserve envers sa personne !
Louise, vous m'assurez que Sophie file le parfait amour sur les hauteurs du Mont Oliveto, dans une villa rafraîchie de fontaines et embellie de statues ordonnées par un Medicis ; vous me la décrivez folâtre et rieuse, musant et baguenaudant avec sa tête brûlée de prince Napolitain, gentilhomme de race antique, d'allure sublime, et que l'on murmure sous cape déterminé à claquemurer dés l'automne, notre naïve amie d'enfance dans sa forteresse en ruines de Capri !
 Louise , croyez-vous à cette horrible rumeur ? 
 Sans doute, est-elle née de la perfidie d'une rivale italienne…
Quoi qu'il en soit, cette âme exaltée de Sophie n'aurait-elle mieux fait de se rabibocher avec son époux que la meilleure société de Londres honore de sa confiance ? Quand aura-t-elle le bonheur d'embrasser ses enfants éparpillés dans la campagne Anglaise ?
Si je réussis à gagner Londres, sachez, Louise, que je m'empresserais d'aller voir mes neveux de cœur, l'amour n'excuse point l'abandon de ses enfants !
La duchesse éplorée vient de me mander dans un billet aimable et flatteur la suite du roman que je m'efforce d'écrire.Or, je soupire et range le ducal billet loin de ma vue !
Hélas encore, mon inspiration est chose capricieuse, et en ce moment, franchement, elle se moque de moi  ; les amours d'autrui me semblent insipides, mes inventions me déçoivent, mon héroïne m'agace par ses manies d'enfant gâtée, mon héros me lasse par son humeur à morigéner la terre entière, je n'ai plus le cœur de tremper ma plume dans mon attachement pour mon ami Charles-Maurice, je n'ai plus le cœur à rien, sauf à mon fils …
Et j'aurais toujours de la joie à vous lire !

Louise, je vous embrasse,

Adélaïde

La suite, bientôt !

Nathalie-Alix de La Panouse

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