Chapitre 48 Les amants du Louvre
Roman épistolaire par Nathalie-Alix de
La Panouse
Lettre d'Adélaïde de Flahaut à
Charles-Maurice de Talleyrand
Le 16 juin 1792, vieux-Louvre, Paris
Comment, mon ami, vous si fringant
depuis votre traversée de la Manche par beau temps, heureux mortel,
vous déchantez, vous gémissez, vous êtes un inconnu pour vos
amis ! La raison de cette étrange humeur ?
Vous n'avez point reçu votre
ministère tant espéré !
En vérité, vous n'avez jamais rien
attendu avec une impatience si fervente !
Vous voilà tout désappointé, ce qui
ne vous ressemble guère, allons reprenez-vous, si cela n'est déjà
fait! Vous n'êtes point le seul à ronchonner, le roi a entrepris
de mettre bon ordre aux belles espérances de beaucoup, mais
sera-t-il obéi ? Vous inclinez à croire le roi responsable de votre déception, or il n'est point le seul à éprouver à votre endroit une espèce de méfiance en dépit de votre génie diplomatique, de votre habile éloquence, de vos finesses extraordinaires.... mais ne le saviez-vous déjà ?
Vous m'obligeriez en cessant de pester,
de vitupérez, de grogner, de gémir et de proférer un millier de
malédictions inutiles.Vous n'avez point obtenu de maroquin, la belle
affaire ! vous n'avez point de poste glorieux alors que votre
mission auprès du roi George paraît une prouesse diplomatique!
Calmez votre ire, retrouvez cette froide réserve qui marque votre réputation; vous n'avez point de ministère, réjouissez-vous en songeant à ces quelques vérités :
Calmez votre ire, retrouvez cette froide réserve qui marque votre réputation; vous n'avez point de ministère, réjouissez-vous en songeant à ces quelques vérités :
Personne ne vous chassera de votre
piédestal, personne ne se plaindra de votre incompétence, de votre
incapacité, de votre sottise, de votre incompréhension des faits et
des hommes, vous ne subirez point les foudres des envieux, les
sarcasmes des méchants et les railleries de vos habituels
détracteurs.
Ces messieurs de l'Assemblée ne reconnaissent point vos mérites, eh bien, reconnaissez-vous les leurs ?
Ces messieurs de l'Assemblée ne reconnaissent point vos mérites, eh bien, reconnaissez-vous les leurs ?
Monsieur, si vous persistez à vous
plaindre, vous passerez même à mes yeux pour l'homme ordinaire que
vous ne serez jamais …
Admirez au contraire comme vos
ministres font la cabriole : la charmante duchesse de la
Rochefoucauld qui m'honore d'une amitié distraite autant que
discrète vient de me conter par le menu les derniers
bouleversements ; vous n'aurez point besoin de me faire la
gazette, ce qui ne vous dispense en aucune façon de venir embrasser notre petit Charles qui se morfond en votre absence ...
Vivre dans ce palais empli de tableaux,
de marchands furtifs, de peintres oisifs, de chevaux, de chiens, de
poules, ne vaut rien à la santé et à l'humeur d'un enfant aussi
vif et turbulent, hélas !
Enfin, si j'ai bien saisi l'essentiel de la brillante prose ducale, le roi a décidé de renvoyer hier le ministre de la Guerre, Joseph Servan ; à l'indignation de l'assemblée qui décida en guise de protestation que ce ministre déchu avait bien mérité de la nation …
Enfin, si j'ai bien saisi l'essentiel de la brillante prose ducale, le roi a décidé de renvoyer hier le ministre de la Guerre, Joseph Servan ; à l'indignation de l'assemblée qui décida en guise de protestation que ce ministre déchu avait bien mérité de la nation …
Vous avez glissé sur cette affaire,
mais la duchesse a eu la bonté de m'expliquer la raison de la
brusque colère du roi ; l'infortuné ministre aurait proposé à
l'Assemblée sans en faire part au roi » de rassembler un corps
de vingt mille hommes,venant de tous les départements, pour le
juillet aux environs de Paris. »
Je ne sais si je vais pleurer à
chaudes larmes, voyez-vous, j'ai une sorte d'estime, même si la
Guerre m'est une terre inconnue, pour ce monsieur Dumouriez, qui
succède à monsieur Servian .
Governor Morris prétend que l'on raconte que ce serait peut-être l'homme de la situation si nous ne souhaitons que la France soit
débordée par les troupes Autrichiennes.
D'où prend-t-on cette certitude ?
Monsieur Dumouriez s'est hissé à la force du poignet, c'est une
espèce de gentilhomme d'aventures à l'ancienne mode, il incarne
l'autorité de l'homme d'action, fera-t-il un bon ministre ? Par
ailleurs, s'il ne plaît aux Jacobins autant qu'aux Girondins, son
poste glorieux risque d'être mal affermi.
Vous me donnerez votre sentiment ce
soir ou demain .
Car vous ne m'abandonnerez à la
politique et aux confidences de la duchesse ? Ayez-pitié de votre tendre amie !
Pourquoi la jeune duchesse s'obstine-t-elle à détester
avec une énergie indigne de son rang mon fidèle ami Morris ?
Je ne les laisserais jamais ensemble
plus d'une dizaine de minutes ou une guerre sera déclenchée entre
nos deux nations : la duchesse enrage tant depuis que Governor
Morris a reçu sa nomination au poste de ministre plénipotentiaire
des États-Unis, à la place de son charmant soupirant le timide et
rougissant William Short, qu'elle en perd sa retenue de dame de
haut-rang.
Il lui vient des sentiments fort peu
amènes et des expressions d'une vigueur quasi rustique : ne
riez-point ! Et surtout n'allez répandre ces médisances d'une
amie qui met sa pleine confiance en votre silence.vous non plus
n'appréciez point Governor Morris, vos raisons me flattent
d'ailleurs beaucoup !
Surtout, persévérez !
Si vous aviez de l'amitié pour cet homme qui me fût proche, et qui voudrait bien le redevenir, je serais certaine que vous n'éprouvez plus une miette d'amour à mon endroit …
Croyez-vous que j'y survivrais ? Il est vrai que ma santé sentimentale est fort bonne, vous m'avez en quelque sorte aguerri , monsieur mon ami !
Si vous aviez de l'amitié pour cet homme qui me fût proche, et qui voudrait bien le redevenir, je serais certaine que vous n'éprouvez plus une miette d'amour à mon endroit …
Croyez-vous que j'y survivrais ? Il est vrai que ma santé sentimentale est fort bonne, vous m'avez en quelque sorte aguerri , monsieur mon ami !
J'endure le chaud, le froid,
l'absence, le retour, sans quitter un sourire charmant qui dérobe
certaines passions ou tumultes inavoués ...
Mon Dieu, mais quel badinage ! et dans ce moment de crise politique, honte à ma cervelle d'oiseau !
Je
vous invente du Marivaux ! que j'aime cet auteur : devinez
pourquoi ?
Parce qu'il ne parle que d'amour et que ses pièces finissent avec bonheur ! Hélas! Souvent la vie éloigne et malmène les insensés qui ajoutent foi aux jolies inventions de cet auteur bienveillant ; ne disait-t-il :
Parce qu'il ne parle que d'amour et que ses pièces finissent avec bonheur ! Hélas! Souvent la vie éloigne et malmène les insensés qui ajoutent foi aux jolies inventions de cet auteur bienveillant ; ne disait-t-il :
« En ce monde, on n'est jamais
trop bon pour l'être assez . »
Quelle profession de foi ! qui
serait assez fou pour la mettre en pratique ?
Voyez, les idées noires me gagnent,
c'est de converser de politique sans doute !
Mieux vaut que je m'efforce de
poursuivre les aventures de mon héroïne de papier, la
primesautière Adèle de Sénange, jeune personne un peu nigaude mais
qui apprend à connaître doucement les secrets de la vie et les
errements de son charmant petit cœur.
Qui aura un jour le courage de me
lire ?
Mais la persévérance est une vertu
qui vous met de joyeuse humeur, c'est la seule richesse sur laquelle
je puisse compter en ce moment de privation et de tourments...
Venez ce soir, venez demain, à l'heure
habituelle, mon ami,
vous m'êtes une source d'inspiration,
et pour Charles, de bonheur,
Je vous embrasse
pardon, je suis votre servante,
n'est-ce point pareil ?
Adélaïde
Lettre de Charles-Maurice de Talleyrand
à la comtesse de Flahaut
Paris, 17 juin 1792
Madame, et ma très chère amie,
Vous serez assez bonne pour me prier à
dîner avec mon fils, votre adorateur Morris aura encore beau jeu de
se moquer, oui, c'est bien d'un dîner de famille qu'il s'agit …
Je me hâte de vous écrire la nouvelle
du jour : votre monsieur Dumouriez est l'homme le plus dépité
du monde ; vous aviez raison, n'êtes-vous la déesse de la
raison en personne, son beau poste s'est envolé, et par sa faute. Ce
ministre de fraîche date n'a-t-il eu l'idée saugrenue de s'imposer
contre le roi !
Je vous en dis plus long tout à
l'heure, mais votre nouvelle amie, la duchesse privée de son
soupirant qui se languit maintenant à La Haye, a trouvé en vous
une oreille compatissante, elle vous tiendra au fait avant que je ne
grimpe vos interminables marches .
Que ne ferait-on afin d'accéder au paradis de votre grenier et de s'y voir récompensé de ces efforts …
Que ne ferait-on afin d'accéder au paradis de votre grenier et de s'y voir récompensé de ces efforts …
Madame, je suis votre humble et
obéissant serviteur,
Charles-Maurice
Lettre de la duchesse de La
Rochefoucauld à la comtesse de Flahaut
Paris le dimanche 17 juin 1792
Ma chère amie,
Encore une nouvelle que j'ai eu à cœur
de mander à notre ami monsieur Short, tout fraîchement arrivé à
La Haye.
Vous la recevrez avant lui, mais je me
flatte de vous instruire avant que les journaux ne vous en instruise.
Monsieur Dumouriez a donné sa démission !
Je devine votre surprise et reprends du
commencement :
« monsieur Dumouriez tenait à ce
qu'on sanctionnât le décret sur le départ des prêtres non
constitutionnels, qui seraient jugés troubler la tranquillité
publique, et celui du camp de 20 000 hommes aux environs de Paris,
pour le 14 juillet. Le roi s'y est refusé positivement, alors
monsieur Dumouriez a donné sa démission... »
Ma chère bonne, je vous casse la tête
de notre chronique politique, sachez toutefois que notre nouveau
ministre de la Guerre est monsieur de Lajard, adjudant-général de
l'armée de monsieur de La Fayette, monsieur Dubouchage, ancien
officier de marine , à la Marine ; monsieur de Chambonnas aux
Affaires étrangéres, monsieur d'Ormesson est ministre des
Contributions publiques, monsieur de Montciel est ministre de
l'Intérieur …
Jugez de la fermentation des esprits !
Je n'ignore point que votre domaine est
celui de la fermentation des cœurs, continuez, achevez votre
ouvrage, je déplore que vous doutiez de votre style et par là de
votre talent, vous serez récompensée de ce travail de dentellière
des Lettres, j'aime à correspondre avec vous car votre piquant est
un ciel bleu au sein de nos nuages gris …
Je vous dis mille choses
Rosalie-Alexandrine de La Rochefoucauld
Adélaïde de Flahaut à madame la
duchesse de La Rochefoucauld
Paris, au soir du 17 juin 1792
Madame,
Vous ne me cassez point la tête , au
contraire, votre exquise sollicitude ranime l'inspiration que je
croyais perdue sur quelque vilain chemin d'épines.
Votre amitié m'honore à un point que
je ne saurais dire.
Je reste, madame, votre servante,
Adélaïde de Flahaut
Adélaïde de Flahaut à
Charles-Maurice de Talleyrand
Soir du 17 juin 1792
Monsieur mon ami,
Dépêchez-vous, mais dépêchez-vous
enfin !
Voilà fort longtemps, monsieur, que
vous avez pris racine un soir sur mon seuil, et mes sentiments ont la
même fougue que lorsque je vous vis …
Je vous supplie de ne point me
confondre avec vos autres conquêtes, dont cette Suisse rebondie, votre bonne grosse Madame de Staël, qui
se vante de votre attachement ; ce que je vous offre est un lien
que l'âge, l'absence, le courant de la vie n'affadiront point: de mon côté cela va de soi, du vôtre, je préfère me taire...
J'envoie ce billet chez vous, cela est
ridicule car j'entends au loin votre pas; mais vous lirez ces lignes
demain et penserez encore un peu à moi , et moins à la tonitruante Madame de Staël !
Adélaïde
Nathalie-Alix de La Panouse
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