Chapitre 49 : Paix des champs et
journée en enfer
Les amants du Louvre
Lettre d'Adélaïde de Flahaut à la
duchesse de La Rochefoucauld
Combourg, le 27 juin 1792
Madame,
Je viens de déposer un bouquet
odorant de senteurs paysannes sur une table luisante; j'y découvre
votre lettre remise par un valet tout essoufflé d'avoir
galopé depuis Paris jusqu'à notre paisible ermitage malouin sur ces
invraisemblables routes de Bretagne .
J'étais sans me douter, madame, de ce
que vous avez la bonté de me révéler, je respire à peine tant mon
émotion redouble à chacune de vos lignes.
Pourtant vous ne vous
moquez, votre récit n'est point du roman mais l'expression
scrupuleuse de la vérité !
Serait-ce le commencement de quelque
chose d’irrémédiable ? L'autorité du roi serait-elle
devenue une chimère ? Le respect dû à la monarchie
renaîtra-t-il de ses cendres en dépit des épreuves odieuses
infligées ce fatal jeudi dernier à la famille royale ?
Vous commencez en me rassurant sur
votre sort, vous m'écrivez, me confiez-vous avec votre admirable
simplicité, sur le canapé de votre bonne et dévouée Madame
d'Astorg, mais que faites-vous, madame, de votre terrifiante
description de l'amère journée en enfer vécue par la famille
royale victime de la violence et de la vindicte populaire aux
Tuileries !
Je suis morte de honte, madame, je lis
que vous m'avez mandée de venir sans tarder voici déjà trois
jours !
Vous ignoriez que sur un de ces coups
de tête dont je suis coutumière, j'avais rejoint la Bretagne afin
de soigner mon fils d'une maladie de langueur, grâce au certificat
du médecin attaché à monsieur Morris, permission nous a été
donnée de respirer l'air salubre et humide de ce pays où je compte
d'aimables relations.
Le fils aîné du regretté comte de
Chateaubriand,(vous auriez prisé ce sublime gentilhomme d'une époque
de cape et d'épée), sensible à mes attraits et à mon enjouement,
m'a supplié de loger en une espèce de tour habillée de lierre et
tapissée de bruyères au bout de son jardin enfoui sous les iris,
les églantiers et la folle avoine.Vous n'ignorez point que son aimable épouse a l'insigne fortune d'être la
petite-fille de notre bon et spirituel Monsieur de Malesherbes, notre grand et solide libéral qui
ne défend plus guère ses anciens beaux rêves de démocratie
éclairée...
.La recommandation de notre aimable penseur humaniste m'a ouvert sans peine le cœur des membres de l'illustre maison de Chateaubriand installés à l'instar de l'oiseau sur la branche dans leur nid délabré.
.La recommandation de notre aimable penseur humaniste m'a ouvert sans peine le cœur des membres de l'illustre maison de Chateaubriand installés à l'instar de l'oiseau sur la branche dans leur nid délabré.
Mon petit Charles exulte, court en criant sa
joie, ne fâche point notre hôte qui voit dans ce déchaînement une
preuve de bonne santé et de bon sang aristocratique.
Comme Paris et ses troubles semblent
loin!
L'agreste domaine de feu le très noble
Seigneur de Combourg n'a guère changée. Le digne gentilhomme
daignerait-il se livrer à une certaine fierté envers son plus jeune
fils dont j'admire la métamorphose de poète amoureux de je ne sais
quelle créature sortie de la Lune en voyageur cosmopolite ?
Ce
charmant de chevalier de Chateaubriand, explora sans peur l'an passé
les forêts inconnues du Nouveau-Monde ! En ces solitudes des
premier matins du monde, notre Breton crût à la vérité du bon
sauvage de monsieur Rousseau ; je devine que les belles filles
couronnées de plume de ces étranges contrées s’emparèrent
aisément de son cœur facile à enflammer!
Mais la soumission à Dame Nature
s'évanouit un soir de repos au coin d'une cheminée. La vue d'un
titre étalé sur une gazette lui arracha un cri : « Fligt
of the King » !
Le roi en fuite ? Voici notre
chevalier rompant avec ses amours de Floride !
Adieu Rousseau,
vive le roi et place à l'honneur d'un gentilhomme !
Le voici en émigration sur le champs de bataille, prêt à mourir comme un héros de l'armée de Léonidas pour un roi qu'il aime beaucoup moins que son goût pour la liberté et ses amours des Amériques, et cela avant une nouvelle folie: c'est l'homme
des bizarreries...
Le croiriez-vous ? Le chevalier
qui fut l'amant d'une belle et jeune sauvage morte, dit-il, de
tristesse en raison de son départ, (que les hommes sont fats!) se
laissa marier cet hiver, par sa sœur Lucile, esprit fantasque et
franchement dérangé ! Et à qui à votre idée ?
A une créature frêle, prétendument riche, et parfaitement insignifiante que l'on a affublé du nom ridicule de Céleste.
A une créature frêle, prétendument riche, et parfaitement insignifiante que l'on a affublé du nom ridicule de Céleste.
Je ne l'ai vue de prés et ne le
désire point ! La fortune de cette demoiselle pallierait
peut-être à son manque d'attrait, son nez serait d'une longueur extraordinaire... Le chevalier fait montre d'une
indifférence glacée qui augure mal du bonheur de ce ménage mal
assorti.
L'unique ambition qui lui reste serait, m'a-t-on confié, de
s'embarquer pour Jersey où tente de tenir son rang toute une branche
de sa famille qui vient d'aborder en suffocant de mal de mer sur ces
falaises ventées. Ensuite, l'Angleterre, pays où qui me tente vivement, triste contrée l'on m’attend,
où l'on m’exhorte de me rendre au plus vite.
Il est vrai que du haut des remparts de Saint-Malo, la tentation ne cesse de grandir …l'horizon vert de cette mer glacée me hante, et me réveille chaque nuit !
Il est vrai que du haut des remparts de Saint-Malo, la tentation ne cesse de grandir …l'horizon vert de cette mer glacée me hante, et me réveille chaque nuit !
Vais-je avoir l'audace de précéder
mon époux à Londres ? Pour mon fils, j'affronterais la pire
des tempêtes et endurerai les privations de l'exil : seul le
futur bonheur de mon petit Charles m'importe !Votre lettre me
donne à croire que le temps presse, mon époux se borne à prier et
à patienter, mon ami Charles-Maurice veut un ordre de mission
officiel afin de ne pas être frappé du fâcheux titre d'émigré …
il me faut décider moi-même du destin de mon fils …
Qu'adviendra-t-il de nous ? De
vous, madame ?De la famille royale ? De nos amis ?
Qu'adviendra-t-il du chevalier de
Chateaubriand ?
Je ne sais pourquoi, je crois en
l'étoile de ce rêveur, l'avenir dira si mon intuition valait la
peine !
Mais laissons cette âme tourmentée
par nature, et revenons à cette journée du 20 juin qui déversa
des flots de violence aux Tuileries.
Vous fûtes témoin de l'attaque
inouïe des députations des faubourgs Saint-Antoine et
Saint-Marcellin qui furent reçues par l'Assemblée, au mépris de la
constitution, afin de demander que « le roi sanctionnât les
deux décrets sur lesquels il avait envoyé la veille son veto ».
Notre roi est appelé « Monsieur Veto », hélas!en dépit
de la bravoure et de l'importance de la Garde Nationale massée
devant les Tuileries, la foule armée de piques et de faux s'est
taillée une brèche, avant de se répandre dans le palais;Votre
frère, Charles, vous a donné l'atmosphère exacte de cette scène
barbare, le roi seul dans « l’œil-de-bœuf », entouré
de Madame Elizabeth,et d'une dizaine de ministres et de personnes,
les gardes remettant leurs sabres dans leurs fourreaux, le roi calme,
presque impassible allant vers ces individus farouches et refusant de
se soumettre à leurs injonctions ! vous allez encore plus loin
en me confiant :
« Sa constance et sa résignation
à souffrir tous les propos infâmes qu'il a entendus sont à
déchirer l'âme. Enfin, un de ces hommes a porté la hardiesse
jusqu'à vouloir lui poser le bonnet rouge sur la tête ; forcé
cependant par les clameurs qui l'entouraient, il a pris lui-même le
bonnet des mains de celui qui le lui présentait , et s'en est
couvert à l'instant ; on lui a apporté une bouteille et il a
fallu
qu'il bût la santé de la nation... »
La tête me tourne, je ne puis en lire
davantage, je vous parlais des charmes rustiques des jardins de
Bretagne et vous me peignez un cauchemar à Paris !
Et la foule ne s'est dispersée qu'au
soir ! L'Assemblée s'est révélée impuissante à sauver la
famille royale de cette invasion de gens l'ordure à la bouche et la
brutalité dans le geste !
Vous conviendrez, madame, que le
vainqueur reste décidément le roi ; je m'incline devant sa
force morale, sa fermeté au milieu du péril, ses paroles
conciliatrices en dépit des injures fusant de toutes parts, ses mots
si simples et si admirables que vous me citez :
« Ma conscience étant pure, je
suis fort tranquille, et je ne craindrai jamais de me trouver au
milieu du peuple français et entouré de la garde-nationale. ».
Sur cette note optimiste, madame, je
suis votre servante.
Je vous promet que ma première visite
à Paris, dés mon retour, si je résiste la tentation de traverser
la Manche, sera pour vous.
Je vous remercie, madame, de votre
confiance qui m'honore,
Adélaïde de Flahaut
Lettre de la comtesse de Flahaut à
Monsieur Governor Morris
Saint-Malo, le 30 juin 1792
Mon ami,
Mais enfin, que se passe-t-il à
Paris ?
Que me conseillez-vous ? Un
pêcheur propose de nous embarquer ce soir , mon fils et moi, je suis
très tentée d'aller au moins me réfugier à Jersey, cela serait
une première étape.
Or, le fait de ne point avoir de
passeport me navre beaucoup, imaginez-moi en hors-la-loi !
Sans nouvelles de votre côté d'ici
quelques jours, je me résignerai à retourner en mon grenier du
Louvre. La vie des artistes y suit son cours d'ailleurs, ces
gens-là s'ébrouent à mille lieux de la politique ! C'est ce
que j'éprouve quand je reprends le fil de mon roman, le monde peut
bien s'écrouler, la passion de l'écriture m'emporte !
Je crois que le peintre Pierre-Athanase
Chauvin, des plus prometteurs, aux dires de Monsieur de Talleyrand
qui envisage la renommée de très loin, me présentera ses œuvres
car je passe pour un esprit au jugement affûté. Cet élève de
Pierre-Henri de Valenciennes caresse le rêve du grand tour, comme je
le comprends ! si l'Italie n'était si lointaine, croyez, mon ami,
que je n'écouterais personne et que j'y chercherais refuge cette
nuit par la première diligence venue !
A vous ! toujours à vous !
Adélaïde
Nathalie-Alix de La Panouse
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Palais de Tuileries, résidence de la famille royale d'octobre 1789 à août 1792, par Raguenet musée Carnavalet, Paris |
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