dimanche 15 septembre 2019

Refuge Breton et jour infernal à Paris: chap 49, Les amants du Louvre


Chapitre 49 : Paix des champs et journée en enfer
Les amants du Louvre

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à la duchesse de La Rochefoucauld
Combourg, le 27 juin 1792

Madame,

Je viens de déposer un bouquet odorant de senteurs paysannes sur une table luisante; j'y découvre votre lettre remise par un valet tout essoufflé d'avoir galopé depuis Paris jusqu'à notre paisible ermitage malouin sur ces invraisemblables routes de Bretagne .
J'étais sans me douter, madame, de ce que vous avez la bonté de me révéler, je respire à peine tant mon émotion redouble à chacune de vos lignes.
 Pourtant vous ne vous moquez, votre récit n'est point du roman mais l'expression scrupuleuse de la vérité !
Serait-ce le commencement de quelque chose d’irrémédiable ? L'autorité du roi serait-elle devenue une chimère ? Le respect dû à la monarchie renaîtra-t-il de ses cendres en dépit des épreuves odieuses infligées ce fatal jeudi dernier à la famille royale ?
Vous commencez en me rassurant sur votre sort, vous m'écrivez, me confiez-vous avec votre admirable simplicité, sur le canapé de votre bonne et dévouée Madame d'Astorg, mais que faites-vous, madame, de votre terrifiante description de l'amère journée en enfer vécue par la famille royale victime de la violence et de la vindicte populaire aux Tuileries !
Je suis morte de honte, madame, je lis que vous m'avez mandée de venir sans tarder voici déjà trois jours !
Vous ignoriez que sur un de ces coups de tête dont je suis coutumière, j'avais rejoint la Bretagne afin de soigner mon fils d'une maladie de langueur, grâce au certificat du médecin attaché à monsieur Morris, permission nous a été donnée de respirer l'air salubre et humide de ce pays où je compte d'aimables relations.
Le fils aîné du regretté comte de Chateaubriand,(vous auriez prisé ce sublime gentilhomme d'une époque de cape et d'épée), sensible à mes attraits et à mon enjouement, m'a supplié de loger en une espèce de tour habillée de lierre et tapissée de bruyères au bout de son jardin enfoui sous les iris, les églantiers et la folle avoine.Vous n'ignorez point que son aimable épouse a l'insigne fortune d'être la petite-fille de notre bon et spirituel Monsieur de Malesherbes, notre grand et solide libéral qui ne défend plus guère ses anciens beaux rêves de démocratie éclairée...
.La recommandation de notre aimable penseur humaniste m'a ouvert sans peine le cœur des membres de l'illustre maison de Chateaubriand installés à l'instar de l'oiseau sur la branche dans leur nid délabré.
 Mon petit Charles exulte, court en criant sa joie, ne fâche point notre hôte qui voit dans ce déchaînement une preuve de bonne santé et de bon sang aristocratique.
Comme Paris et ses troubles semblent loin!
L'agreste domaine de feu le très noble Seigneur de Combourg n'a guère changée. Le digne gentilhomme daignerait-il se livrer à une certaine fierté envers son plus jeune fils dont j'admire la métamorphose de poète amoureux de je ne sais quelle créature sortie de la Lune en voyageur cosmopolite ?
 Ce charmant de chevalier de Chateaubriand, explora sans peur l'an passé les forêts inconnues du Nouveau-Monde ! En ces solitudes des premier matins du monde, notre Breton crût à la vérité du bon sauvage de monsieur Rousseau ; je devine que les belles filles couronnées de plume de ces étranges contrées s’emparèrent aisément de son cœur facile à enflammer!
Mais la soumission à Dame Nature s'évanouit un soir de repos au coin d'une cheminée. La vue d'un titre étalé sur une gazette lui arracha un cri  : « Fligt of the King » !
Le roi en fuite ? Voici notre chevalier rompant avec ses amours de Floride !
 Adieu Rousseau, vive le roi et place à l'honneur d'un gentilhomme ! 
Le voici en émigration sur le champs de bataille, prêt à mourir comme un héros de l'armée de Léonidas  pour un roi qu'il aime  beaucoup moins que son goût pour la liberté et ses amours des Amériques, et cela avant une nouvelle folie: c'est l'homme des bizarreries...
Le croiriez-vous ? Le chevalier qui fut l'amant d'une belle et jeune sauvage morte, dit-il, de tristesse en raison de son départ, (que les hommes sont fats!) se laissa marier cet hiver, par sa sœur Lucile, esprit fantasque et franchement dérangé ! Et à qui à votre idée ?
A une créature frêle, prétendument riche, et parfaitement insignifiante que l'on a affublé du nom ridicule de Céleste.
Je ne l'ai vue de prés et ne le désire point ! La fortune de cette demoiselle pallierait peut-être à son manque d'attrait, son nez serait d'une longueur extraordinaire... Le chevalier fait montre d'une indifférence glacée qui augure mal du bonheur de ce ménage mal assorti.
L'unique ambition qui lui reste serait, m'a-t-on confié, de s'embarquer pour Jersey où tente de tenir son rang toute une branche de sa famille qui vient d'aborder en suffocant de mal de mer sur ces falaises ventées. Ensuite, l'Angleterre, pays où  qui me tente vivement, triste contrée l'on m’attend, où l'on m’exhorte de me rendre au plus vite.
 Il est vrai que du haut des remparts de Saint-Malo, la tentation ne cesse de grandir …l'horizon vert de cette mer glacée me hante, et me réveille chaque nuit !
Vais-je avoir l'audace de précéder mon époux à Londres ? Pour mon fils, j'affronterais la pire des tempêtes et endurerai les privations de l'exil : seul le futur bonheur de mon petit Charles m'importe !Votre lettre me donne à croire que le temps presse, mon époux se borne à prier et à patienter, mon ami Charles-Maurice veut un ordre de mission officiel afin de ne pas être frappé du fâcheux titre d'émigré … il me faut décider moi-même du destin de mon fils …
Qu'adviendra-t-il de nous ? De vous, madame ?De la famille royale ? De nos amis ?
Qu'adviendra-t-il du chevalier de Chateaubriand ?
Je ne sais pourquoi, je crois en l'étoile de ce rêveur, l'avenir dira si mon intuition valait la peine !
Mais laissons cette âme tourmentée par nature, et revenons à cette journée du 20 juin qui déversa des flots de violence aux Tuileries.
Vous fûtes témoin de l'attaque inouïe des députations des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcellin qui furent reçues par l'Assemblée, au mépris de la constitution, afin de demander que « le roi sanctionnât les deux décrets sur lesquels il avait envoyé la veille son veto ». 
Notre roi est appelé « Monsieur Veto », hélas!en dépit de la bravoure et de l'importance de la Garde Nationale massée devant les Tuileries, la foule armée de piques et de faux s'est taillée une brèche, avant de se répandre dans le palais;Votre frère, Charles, vous a donné l'atmosphère exacte de cette scène barbare, le roi seul dans « l’œil-de-bœuf », entouré de Madame Elizabeth,et d'une dizaine de ministres et de personnes, les gardes remettant leurs sabres dans leurs fourreaux, le roi calme, presque impassible allant vers ces individus farouches et refusant de se soumettre à leurs injonctions ! vous allez encore plus loin en me confiant :
« Sa constance et sa résignation à souffrir tous les propos infâmes qu'il a entendus sont à déchirer l'âme. Enfin, un de ces hommes a porté la hardiesse jusqu'à vouloir lui poser le bonnet rouge sur la tête ; forcé cependant par les clameurs qui l'entouraient, il a pris lui-même le bonnet des mains de celui qui le lui présentait , et s'en est couvert à l'instant ; on lui a apporté une bouteille et il a fallu
qu'il bût la santé de la nation... »
La tête me tourne, je ne puis en lire davantage, je vous parlais des charmes rustiques des jardins de Bretagne et vous me peignez un cauchemar à Paris !
Et la foule ne s'est dispersée qu'au soir ! L'Assemblée s'est révélée impuissante à sauver la famille royale de cette invasion de gens l'ordure à la bouche et la brutalité dans le geste !
Vous conviendrez, madame, que le vainqueur reste décidément le roi ; je m'incline devant sa force morale, sa fermeté au milieu du péril, ses paroles conciliatrices en dépit des injures fusant de toutes parts, ses mots si simples et si admirables que vous me citez :
« Ma conscience étant pure, je suis fort tranquille, et je ne craindrai jamais de me trouver au milieu du peuple français et entouré de la garde-nationale. ».
Sur cette note optimiste, madame, je suis votre servante.
Je vous promet que ma première visite à Paris, dés mon retour, si je résiste la tentation de traverser la Manche, sera pour vous.
Je vous remercie, madame, de votre confiance qui m'honore,

Adélaïde de Flahaut

Lettre de la comtesse de Flahaut à Monsieur Governor Morris
Saint-Malo, le 30 juin 1792

Mon ami,

Mais enfin, que se passe-t-il à Paris ?
Que me conseillez-vous ? Un pêcheur propose de nous embarquer ce soir , mon fils et moi, je suis très tentée d'aller au moins me réfugier à Jersey, cela serait une première étape.
Or, le fait de ne point avoir de passeport me navre beaucoup, imaginez-moi en hors-la-loi !
Sans nouvelles de votre côté d'ici quelques jours, je me résignerai à retourner en mon grenier du Louvre. La vie des artistes y suit son cours d'ailleurs, ces gens-là s'ébrouent à mille lieux de la politique ! C'est ce que j'éprouve quand je reprends le fil de mon roman, le monde peut bien s'écrouler, la passion de l'écriture m'emporte !
Je crois que le peintre Pierre-Athanase Chauvin, des plus prometteurs, aux dires de Monsieur de Talleyrand qui envisage la renommée de très loin, me présentera ses œuvres car je passe pour un esprit au jugement affûté. Cet élève de Pierre-Henri de Valenciennes caresse le rêve du grand tour, comme je le comprends ! si l'Italie n'était si lointaine, croyez, mon ami, que je n'écouterais personne et que j'y chercherais refuge cette nuit par la première diligence venue !

A vous ! toujours à vous !

Adélaïde

Nathalie-Alix de La Panouse


Palais de Tuileries, résidence de la famille royale
d'octobre 1789 à août 1792, par Raguenet musée Carnavalet, Paris

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