Capri: montagne de nos rêves, île toujours perdue et toujours retrouvée
Le simple nom de « Capri »,
accentué joliment à l'italienne, est une parole chantante et
ensorcelée !
Essayez et vous obtiendrez le prodige
d'envoyer ennui, tristesse, grise mine et noirs nuages par la
fenêtre.
Capri: une et multiple, majestueuse et tendre, futile et sévère, humaine et divine...
Capri: une et multiple, majestueuse et tendre, futile et sévère, humaine et divine...
L'île proche et inaccessible flotte
sur les eaux ondoyantes de nos songes depuis les remparts de ses
falaises découpées au glaive par une divinité d'Atlantide, cousine
du dieu de la mer.
C'est notre Ithaque, notre terre
promise, l'île des enchantements et du bonheur ! Poème minéral
prodiguant une pure et majestueuse beauté ; énigmatique rocher
d'où jaillit la certitude de l'éternité.
Le mythe de Capri nourrit notre cœur,
atténue les angoisses de nos âmes : voilà qui est tranché !
Ne serions-nous fous ? Ne
serions-nous les victimes des Sirènes, femmes-ailées ou femmes aux
hanches de poisson, qu'importe, mais cruelles, redoutables, féroces
?
La légende ne murmure-t-elle que les
trois rochers des Faraglioni seraient trois farouches Sirènes épiant
jour et nuit la crique de Marina Piccola ?
Avant de reprendre leur forme dans les
nuits de tempête et de s'emparer des naïfs incapables de résister
à leurs chants harmonieux, et plus encore à leur immatérielle
beauté ?
Est-il prudent de quitter Naples et son
rassurant vacarme pour rejoindre ces murailles hautaines où les
excentriques croient entendre battre le cœur du monde ?
Et, pire, si la Capri de vos chimères
n'existait plus ?
Si elle était définitivement perdue
pour les rêveurs, perdue pour les poètes, les peintres , les
amoureux fervents de l'Antiquité et les passionnés de l'Atlantide
?
Perdue pour tous ces êtres entêtés à
courir après les prestiges anciens, les tragédies Grecques, les
déesses de pierre au profil parfait et les colonnes blanches
enguirlandées de jasmin au bord des abîmes. Capri fief des sirènes,
refuge des Atlantes, nombril du monde à l'instar de Délos,
aurait-elle subi le sort commun ?
Ne serait-elle plus qu'une terre
d'artifices aux prix exorbitants vouée aux heureux du monde ?
Un théâtre fortuné qui fascine les visiteurs de l'après-midi, un
endroit où se mêlent des gens qui n'auraient jamais eu l'occasion
de se côtoyer ?
Vous gardez le souvenir émerveillé de
pins et d'oliviers luttant contre le vent, de vergers bien ordonnés
pareils à des tableaux de Caillebotte, de rues paisibles descendant
doucement vers la mer entre les envolées de fleurs blanches, bleues
et roses.
Capri va-t-elle vous trahir,vous
décevoir, vous abandonner sur ses rochers ? L'idéaliste que
vous avouez être ne mérite-t-il ce châtiment ?
L'angoisse vous saisit un instant, puis
votre audace et votre curiosité l'emportent : si Capri est
perdue, vous saurez la retrouver !
Déterminé à prouver votre bonne
volonté, vous choisissez le ferry le plus lent, celui qui part à
certaines heures du port de Massa et franchit avec une ironique
majesté le golfe où l'île hésite à se libérer de ses voiles
bleus. Elle tarde à combler votre impatience. La méritez-vous
seulement ? Qui êtes-vous pour affronter ses falaises
extravagantes ?
Vous mourez de peur qu'elle ne vous
déçoive, et si c'était vous qui alliez lui paraître bien morne,
bien pâle ?
Au bout de quasi deux heures, seuls les
voyages lents savent donner le goût de l'attente, ce plaisir
délicat, voici que que ses puissantes montagnes, taillées au sein
du roc le plus âpre, coupent l'horizon poudré d'or et de turquoise.
Vous retenez votre souffle, vous sentez
naître une passion adolescente, renaître le goût de la surprise,
de l'émotion, de l'amour, de l'aventure ; commenceriez-vous à
rajeunir ? Mieux: vous sentez que votre jeunesse est
éternelle ...
Voilà que sort de la brume irisée une
vallée où dégringolent de blanches maisons, un château hérissant
ses tours à une altitude étonnante, une flottille de barques rouges
et jaunes s'éclipse devant les gros navires où s'agitent les
voyageurs d'un jour ou de toujours.
Très haut sur la falaise, une villa
patricienne vous contemple depuis sa splendide solitude ; le
bateau épouse la houle au pied de murailles abritant d'étincelants
jardins, de verts bouquets de pins, des ruisseaux de vignes
coquettes.
Le mythe vous saute à la figure !
Capri sur la mer sauvage est une force
ancrée sur ses mystères, une citadelle de pierre blanche, rosée,
dorée, farouche et exquise.
Fermez les yeux, ne descendez pas trop
vite du pont agité par les passagers nerveux, oubliez les rumeurs,
les appels inutiles des colonnes de touristes qui croient que Capri
se résume en son port aux arcades blanches croulant sous les fleurs
chatoyantes, ses restaurants en terrasse, et ses esquifs cinglant
vers la Grotte bleue.
Frappez à la porte de bronze qui
parfois s'ouvre au sein du mur des siècles …
Capri est perdue sur l'océan des âges,
mais au détour de ses sentiers escarpés, à l'entrée de ses
grottes marines, elle vous attend, vous guette, hiératique,
lumineuse, pluvieuse ou orageuse.
Si vous étiez un Grec égaré, un
compagnon d'Ulysse traqué par le dieu de la mer ou celui du soleil,
en abordant sur sa minuscule plage, ne commenceriez -vous par grimper
hardiment vers un abri sûr ? L'orage en cet après-midi
d'automne gronde du haut des monts lointains, le vent rafraîchit la
douceur de l'air parcouru des effluves du chèvre-feuille
buissonnant, les éclairs annoncent la colère de Zeus.Vous
reverdissez de quelques trois mille années, le port a disparu, les
restaurants se sont évanouis ! d'étranges logis se dissimulent
au creux de la falaise, un aréopage d'hommes de très haute taille
et de femmes élancées aux yeux d'aigue-marine vous entoure en
silence.
Nulle crainte, nulle acrimonie, ils
vous observent avec un calme digne des Olympiens …
Vous essayez une supplique et la
ponctuez de gestes éloquents, il vous faut un abri éloigné de la
colère des dieux et des vivres, un poisson fera l'affaire !
Voici que vous éprouvez la vive
surprise de parler Grec sans effort ! Les superbes insulaires
vous sourient avec bienveillance et l'espoir vous revient.
Un pêcheur de belle mine et haute
stature, compatissant à l'égard d'un pauvre homme surgi de la mer,
vous guide vers des marches énormes.
« Ce fut l' œuvre, dit-il en un
grec limpide comme un chant d'Homère, d'un peuple inconnu qui défia
les Dieux et dont l'île merveilleuse fut engloutie en une nuit …
Au bout de cet ahurissant chemin s'étend un pays prospère et
inconnu, une terre de chèvres et de vignes , un refuge pour les
proscrits , juste au-dessus de Capri : Ana Capri .
Rescapés de la catastrophe, naufragés
sur ce roc qui jadis appartint à leur île immense, nos ancêtres
ont arraché les pierres à la montagne, une par une, ensuite, ils
établirent des souterrains, aménagèrent des salles et des autels,
des ports invisibles, des palais sous-marins. L'île abrite un monde
clos dont les portes sont fermés aux mortels barbares .Toi qui
crains le courroux des dieux, préfères-tu la protection des monts
escarpés ou celle des grottes ignorées ? »
Hélas ! Votre réponse tombe en
vain ! Le mur des siècles referme ses portes d'un grincement
sonore ! La Capri des fiers Pelasges s'est évaporée comme un
songe ...
Le soleil vous aurait-il brûlé le
cerveau ?
Voici que vous ouvrez les yeux sur un
quai pavé de pierre noire encombré de bizarres véhicules surmontés
de tapis aux vives nuances, on s'empresse autour de votre personne,
seriez-vous le sosie d'un prince ou d'un roi ? Mais votre fierté
vous interdit de monter dans un de ces beaux taxis qui amusent les
visiteurs.
Vous apercevez la voie du salut, la
« fermata »des petits-bus montant hardiment la route la
plus effrayante que puisse concevoir l'imagination la plus
fantasque.
Capri est certainement l'unique endroit
au monde où faire la queue à un arrêt de bus semble le comble du
bonheur terrestre...
Au-dessus de vous, la façade bleu
céleste d'un palais, la silhouette gracieuse de l'église vouée à
San Costanzo, des potagers opulents, et la cohue des visiteurs ;
à votre droite, le clapotis des vagues transparentes traversées
d'étincelles sur les rochers clairs de la plage de Marina Grande.
L'automne se pare des délices de
l'été, les nageurs mettent leur point d'honneur à ne pas trembler
de froid, les paresseux célèbrent leurs entente sacrée avec le
bienfaisant soleil.
Voici enfin la machine infernale qui
entasse dans ses flancs les inconscients qui n'ont cure des
précipices. On reconnaît aussitôt les habitués à leur faconde,
face au gouffre, ils ne ralentiront pas d'une seconde le torrent de
leurs paroles !
Vous n'avez que la force de vous
cramponner à une poignée ballante, le chauffeur fonce avec
allégresse droit sur tout ce qui obstrue la route, soudain un mur
s'approche, est-ce la fin ? Que non pas ! mais la chute
semble certaine de l'autre côté, on frôle le ridicule parapet, le
gouffre s'avance, un coup de volant pareil à un coup de sabre évite
la chute, impavide, le conducteur reprend son infernal chemin, évite
de justesse le rond-point menant à Capri et tourne dans un affreux
froissement de tôle vers Anacapri. Dix minutes de vertige au dessus
des vagues secouant leur écume en bas des pentes abruptes et l'on
frôle la statue d'Auguste esquissant un geste courtois.
Vous avez la charmante illusion de
revenir chez vous après une intolérable absence ... Un peu
vacillant sur la Piazza Vittoria, vous écartez la foule jacassante
qui se rue sur les boutiques élégantes. Seriez-vous seul à
chercher une Capri qui échappe au commun des mortels ?
On vous fait signe, c'est l'hôtelier
qui a la gentillesse de vous éviter un chemin héroïque.La Villa
qui vous héberge est engloutie sous les oliviers d'un vaste jardin
tout au bout de l'île. Votre île est invisible, noyée sous une
délirante nature exotique ! Vous montez sur le toit, la pluie
déferle, le ciel vous accable d'éclairs, l'île vous ordonne-t-elle
de déguerpir ? Seriez-vous frappé d'une malédiction ?
Non, c'est un caprice d'automne !
Au matin,la terrasse reçoit une
lumière limpide ciselant les contours de l'île d'Ischia...La mer
tremble et frissonne en courtes vagues d'un bleu si profond qu'il en
colore les rochers .
Votre optimisme renaît !
miracle : les dieux vous envoient la compagnie d'un gros chat
roux débonnaire qui vous aide à confier de ridicules impressions de
voyage à vos amis lointains sur des cartes évoquant la Capri des
anciens voyageurs.
On vous a donné rendez-vous au Port,
demain sur les falaises, après-demain dans les ruines romaines,
hélas, vous avez l'an passé déambulé sur quelques sentiers et
escaliers de l’île. Capri vous surprendra-telle encore ?
Vous errez au hasard dans une barque
pendant que la houle augmente ; puis, distrait, vous levez les
yeux vers les pointes aiguës de rocs, les plis stupéfiants des
murailles, épouvanté, vous les baissez vers les eaux bleu-ciel,
bleu-ardoise, bleu-vert et soudain turquoise. L'île distille une
puissance qui vous prend à la gorge...
Soudain une fente battue des vagues arrache une clameur au marinier, la Grotta Azzurra !
Soudain une fente battue des vagues arrache une clameur au marinier, la Grotta Azzurra !
Elle est interdite au public ce matin,
mais ses statues baignées de saphir liquide, ses nymphées, son
escalier secret, tous ces trésors volés ou anéantis ne vous
attendent plus depuis des siècles…
Or, déjà, la barque se crispe sur les
écueils de la Grotte Blanche défendue par ses stalacites aiguisées
comme des épées, déjà vous tournez autour des impassibles
Faraglioni, et les mystères défilent le long des criques et du
Scoglio del Monacone qui porte encore les vestiges d'une villa
patricienne.
La mer est d'une pureté surnaturelle,
les oiseaux se figent sur les écueils à l'entrée des passes
étroites, le ciel se perd sur l'horizon, personne n'ose dire un mot
qui troublerait cette immense beauté.
Vous qui ne croyiez plus en Capri, vous
en ressentez la force éternelle, l'ensorcellement sublime …
Demain, sur les chemins périlleux qui
servent de passerelle entre les montagnes, l'enchantement vous
touchera avec la même fougue, mais Capri ne se donne à personne, et
ne se livre pas en quelques errances ...Il faut être humble et avoir
le courage d'y aborder sous le souffle de l'automne ou dans la
fraîcheur du printemps.
Il faut savoir la perdre afin de la
retrouver, devant une pergola touffue, sur un sentier face au Golfe
irisé, au hasard d'un minuscule sanctuaire, en face d'un verger de
citronniers, le long d'un mur romain ; et dans le franc sourire
de ses courtois habitants qui n'hésitent jamais à vous rendre
votre timide salut et à engager une aimable conversation sur le fil
de l'instant …
A bientôt !
Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix
| Capri : nature sauvage un matin d'automne |
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