samedi 12 octobre 2019

Pages Capriotes : Capri: le navire ancré sur l'éternité

Pages Capriotes

Capri: montagne de nos rêves, île toujours perdue et toujours retrouvée

Le simple nom de « Capri », accentué joliment à l'italienne, est une parole chantante et ensorcelée !
Essayez et vous obtiendrez le prodige d'envoyer ennui, tristesse, grise mine et noirs nuages par la fenêtre.
Capri: une et multiple, majestueuse et tendre, futile et sévère, humaine et divine...
L'île proche et inaccessible flotte sur les eaux ondoyantes de nos songes depuis les remparts de ses falaises découpées au glaive par une divinité d'Atlantide, cousine du dieu de la mer.
C'est notre Ithaque, notre terre promise, l'île des enchantements et du bonheur ! Poème minéral prodiguant une pure et majestueuse beauté ; énigmatique rocher d'où jaillit la certitude de l'éternité.
Le mythe de Capri nourrit notre cœur, atténue les angoisses de nos âmes : voilà qui est tranché !
Ne serions-nous fous ? Ne serions-nous les victimes des Sirènes, femmes-ailées ou femmes aux hanches de poisson, qu'importe, mais cruelles, redoutables, féroces ?
La légende ne murmure-t-elle que les trois rochers des Faraglioni seraient trois farouches Sirènes épiant jour et nuit la crique de Marina Piccola ?
Avant de reprendre leur forme dans les nuits de tempête et de s'emparer des naïfs incapables de résister à leurs chants harmonieux, et plus encore à leur immatérielle beauté ?
Est-il prudent de quitter Naples et son rassurant vacarme pour rejoindre ces murailles hautaines où les excentriques croient entendre battre le cœur du monde ?
Et, pire, si la Capri de vos chimères n'existait plus ?
Si elle était définitivement perdue pour les rêveurs, perdue pour les poètes, les peintres , les amoureux fervents de l'Antiquité et les passionnés de l'Atlantide ?
Perdue pour tous ces êtres entêtés à courir après les prestiges anciens, les tragédies Grecques, les déesses de pierre au profil parfait et les colonnes blanches enguirlandées de jasmin au bord des abîmes. Capri fief des sirènes, refuge des Atlantes, nombril du monde à l'instar de Délos, aurait-elle subi le sort commun ?
Ne serait-elle plus qu'une terre d'artifices aux prix exorbitants vouée aux heureux du monde ? Un théâtre fortuné qui fascine les visiteurs de l'après-midi, un endroit où se mêlent des gens qui n'auraient jamais eu l'occasion de se côtoyer ?
Vous gardez le souvenir émerveillé de pins et d'oliviers luttant contre le vent, de vergers bien ordonnés pareils à des tableaux de Caillebotte, de rues paisibles descendant doucement vers la mer entre les envolées de fleurs blanches, bleues et roses.
Capri va-t-elle vous trahir,vous décevoir, vous abandonner sur ses rochers ? L'idéaliste que vous avouez être ne mérite-t-il ce châtiment ?
L'angoisse vous saisit un instant, puis votre audace et votre curiosité l'emportent : si Capri est perdue, vous saurez la retrouver !
Déterminé à prouver votre bonne volonté, vous choisissez le ferry le plus lent, celui qui part à certaines heures du port de Massa et franchit avec une ironique majesté le golfe où l'île hésite à se libérer de ses voiles bleus. Elle tarde à combler votre impatience. La méritez-vous seulement ? Qui êtes-vous pour affronter ses falaises extravagantes ?
Vous mourez de peur qu'elle ne vous déçoive, et si c'était vous qui alliez lui paraître bien morne, bien pâle ?
Au bout de quasi deux heures, seuls les voyages lents savent donner le goût de l'attente, ce plaisir délicat, voici que que ses puissantes montagnes, taillées au sein du roc le plus âpre, coupent l'horizon poudré d'or et de turquoise.
Vous retenez votre souffle, vous sentez naître une passion adolescente, renaître le goût de la surprise, de l'émotion, de l'amour, de l'aventure ; commenceriez-vous à rajeunir ? Mieux: vous sentez que votre jeunesse est éternelle ...
Voilà que sort de la brume irisée une vallée où dégringolent de blanches maisons, un château hérissant ses tours à une altitude étonnante, une flottille de barques rouges et jaunes s'éclipse devant les gros navires où s'agitent les voyageurs d'un jour ou de toujours.
Très haut sur la falaise, une villa patricienne vous contemple depuis sa splendide solitude ; le bateau épouse la houle au pied de murailles abritant d'étincelants jardins, de verts bouquets de pins, des ruisseaux de vignes coquettes.
Le mythe vous saute à la figure !
Capri sur la mer sauvage est une force ancrée sur ses mystères, une citadelle de pierre blanche, rosée, dorée, farouche et exquise.
Fermez les yeux, ne descendez pas trop vite du pont agité par les passagers nerveux, oubliez les rumeurs, les appels inutiles des colonnes de touristes qui croient que Capri se résume en son port aux arcades blanches croulant sous les fleurs chatoyantes, ses restaurants en terrasse, et ses esquifs cinglant vers la Grotte bleue.
Frappez à la porte de bronze qui parfois s'ouvre au sein du mur des siècles …
Capri est perdue sur l'océan des âges, mais au détour de ses sentiers escarpés, à l'entrée de ses grottes marines, elle vous attend, vous guette, hiératique, lumineuse, pluvieuse ou orageuse.
Si vous étiez un Grec égaré, un compagnon d'Ulysse traqué par le dieu de la mer ou celui du soleil, en abordant sur sa minuscule plage, ne commenceriez -vous par grimper hardiment vers un abri sûr ? L'orage en cet après-midi d'automne gronde du haut des monts lointains, le vent rafraîchit la douceur de l'air parcouru des effluves du chèvre-feuille buissonnant, les éclairs annoncent la colère de Zeus.Vous reverdissez de quelques trois mille années, le port a disparu, les restaurants se sont évanouis ! d'étranges logis se dissimulent au creux de la falaise, un aréopage d'hommes de très haute taille et de femmes élancées aux yeux d'aigue-marine vous entoure en silence.
Nulle crainte, nulle acrimonie, ils vous observent avec un calme digne des Olympiens …
Vous essayez une supplique et la ponctuez de gestes éloquents, il vous faut un abri éloigné de la colère des dieux et des vivres, un poisson fera l'affaire !
Voici que vous éprouvez la vive surprise de parler Grec sans effort ! Les superbes insulaires vous sourient avec bienveillance et l'espoir vous revient.
Un pêcheur de belle mine et haute stature, compatissant à l'égard d'un pauvre homme surgi de la mer, vous guide vers des marches énormes.
« Ce fut l' œuvre, dit-il en un grec limpide comme un chant d'Homère, d'un peuple inconnu qui défia les Dieux et dont l'île merveilleuse fut engloutie en une nuit … Au bout de cet ahurissant chemin s'étend un pays prospère et inconnu, une terre de chèvres et de vignes , un refuge pour les proscrits , juste au-dessus de Capri :  Ana Capri .
Rescapés de la catastrophe, naufragés sur ce roc qui jadis appartint à leur île immense, nos ancêtres ont arraché les pierres à la montagne, une par une, ensuite, ils établirent des souterrains, aménagèrent des salles et des autels, des ports invisibles, des palais sous-marins. L'île abrite un monde clos dont les portes sont fermés aux mortels barbares .Toi qui crains le courroux des dieux, préfères-tu la protection des monts escarpés ou celle des grottes ignorées ? »
Hélas ! Votre réponse tombe en vain ! Le mur des siècles referme ses portes d'un grincement sonore ! La Capri des fiers Pelasges s'est évaporée comme un songe ...
Le soleil vous aurait-il brûlé le cerveau ?
Voici que vous ouvrez les yeux sur un quai pavé de pierre noire encombré de bizarres véhicules surmontés de tapis aux vives nuances, on s'empresse autour de votre personne, seriez-vous le sosie d'un prince ou d'un roi ? Mais votre fierté vous interdit de monter dans un de ces beaux taxis qui amusent les visiteurs.
Vous apercevez la voie du salut, la « fermata »des petits-bus montant hardiment la route la plus effrayante  que puisse concevoir l'imagination la plus fantasque.
Capri est certainement l'unique endroit au monde où faire la queue à un arrêt de bus semble le comble du bonheur terrestre...
Au-dessus de vous, la façade bleu céleste d'un palais, la silhouette gracieuse de l'église vouée à San Costanzo, des potagers opulents, et la cohue des visiteurs ; à votre droite, le clapotis des vagues transparentes traversées d'étincelles sur les rochers clairs de la plage de Marina Grande.
L'automne se pare des délices de l'été, les nageurs mettent leur point d'honneur à ne pas trembler de froid, les paresseux célèbrent leurs entente sacrée avec le bienfaisant soleil.
Voici enfin la machine infernale qui entasse dans ses flancs les inconscients qui n'ont cure des précipices. On reconnaît aussitôt les habitués à leur faconde, face au gouffre, ils ne ralentiront pas d'une seconde le torrent de leurs paroles !
Vous n'avez que la force de vous cramponner à une poignée ballante, le chauffeur fonce avec allégresse droit sur tout ce qui obstrue la route, soudain un mur s'approche, est-ce la fin ? Que non pas ! mais la chute semble certaine de l'autre côté, on frôle le ridicule parapet, le gouffre s'avance, un coup de volant pareil à un coup de sabre évite la chute, impavide, le conducteur reprend son infernal chemin, évite de justesse le rond-point menant à Capri et tourne dans un affreux froissement de tôle vers Anacapri. Dix minutes de vertige au dessus des vagues secouant leur écume en bas des pentes abruptes et l'on frôle la statue d'Auguste esquissant un geste courtois.
Vous avez la charmante illusion de revenir chez vous après une intolérable absence ... Un peu vacillant sur la Piazza Vittoria, vous écartez la foule jacassante qui se rue sur les boutiques élégantes. Seriez-vous seul à chercher une Capri qui échappe au commun des mortels ?
On vous fait signe, c'est l'hôtelier qui a la gentillesse de vous éviter un chemin héroïque.La Villa qui vous héberge est engloutie sous les oliviers d'un vaste jardin tout au bout de l'île. Votre île est invisible, noyée sous une délirante nature exotique ! Vous montez sur le toit, la pluie déferle, le ciel vous accable d'éclairs, l'île vous ordonne-t-elle de déguerpir ? Seriez-vous frappé d'une malédiction ? Non, c'est un caprice d'automne !
Au matin,la terrasse reçoit une lumière limpide ciselant les contours de l'île d'Ischia...La mer tremble et frissonne en courtes vagues d'un bleu si profond qu'il en colore les rochers .
Votre optimisme renaît ! miracle : les dieux vous envoient la compagnie d'un gros chat roux débonnaire qui vous aide à confier de ridicules impressions de voyage à vos amis lointains sur des cartes évoquant la Capri des anciens voyageurs.
On vous a donné rendez-vous au Port, demain sur les falaises, après-demain dans les ruines romaines, hélas, vous avez l'an passé déambulé sur quelques sentiers et escaliers de l’île. Capri vous surprendra-telle encore ?
Vous errez au hasard dans une barque pendant que la houle augmente ; puis, distrait, vous levez les yeux vers les pointes aiguës de rocs, les plis stupéfiants des murailles, épouvanté, vous les baissez vers les eaux bleu-ciel, bleu-ardoise, bleu-vert et soudain turquoise. L'île distille une puissance qui vous prend à la gorge...
Soudain une fente battue des vagues arrache une clameur au marinier, la Grotta Azzurra !
Elle est interdite au public ce matin, mais ses statues baignées de saphir liquide, ses nymphées, son escalier secret, tous ces trésors volés ou anéantis ne vous attendent plus depuis des siècles…
Or, déjà, la barque se crispe sur les écueils de la Grotte Blanche défendue par ses stalacites aiguisées comme des épées, déjà vous tournez autour des impassibles Faraglioni, et les mystères défilent le long des criques et du Scoglio del Monacone qui porte encore les vestiges d'une villa patricienne.
La mer est d'une pureté surnaturelle, les oiseaux se figent sur les écueils à l'entrée des passes étroites, le ciel se perd sur l'horizon, personne n'ose dire un mot qui troublerait cette immense beauté.
Vous qui ne croyiez plus en Capri, vous en ressentez la force éternelle, l'ensorcellement sublime …
Demain, sur les chemins périlleux qui servent de passerelle entre les montagnes, l'enchantement vous touchera avec la même fougue, mais Capri ne se donne à personne, et ne se livre pas en quelques errances ...Il faut être humble et avoir le courage d'y aborder sous le souffle de l'automne ou dans la fraîcheur du printemps.
Il faut savoir la perdre afin de la retrouver, devant une pergola touffue, sur un sentier face au Golfe irisé, au hasard d'un minuscule sanctuaire, en face d'un verger de citronniers, le long d'un mur romain ; et dans le franc sourire de ses courtois habitants qui n'hésitent jamais à vous rendre votre timide salut et à engager une aimable conversation sur le fil de l'instant …


A bientôt !

 Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix


 Capri : nature sauvage un matin d'automne

Photo originale, droits réservés Vicomte Vincent de La Panouse

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