dimanche 10 novembre 2019

Adieu au roi et au monde ancien: chap 53 , Les Amants du Louvre



Chapitre 53
Les amants du Louvre
L'art de renaître en plein désastre

Lettre de François Cacault à la comtesse de Flahaut

Nice, le 25 janvier 1793

Madame,

Je m'empresse de vous apprendre une nouvelle que vous ne tarderez point à lire dans les gazettes de Londres. En venant au plus tôt vers vous, je me flatte que la corvette marchande de Sa Majesté le roi Georges qui a pris ce billet vous l'apportera avec une célérité impossible aux courriers terrestres quasi interrompus entre la France et l'Angleterre.
Je suis, madame, à quai pour quelques heures encore au port de Nice, d'ici le soir, nous reprendrons la mer vers Gênes ; puis, si nulle tempête ne se lève, le Trois-Mâts, transportant votre ami envoyé en mission diplomatique auprès du jeune grand-duc de Toscane, entrera sans dommages au port de Livourne.
On murmure autour de moi que la guerre sera à ce moment-là déclarée avec l'Angleterre.
Cette éventualité ne tourmente guère un passager corpulent et bavard qui semble une caricature de marchand anglais. Je redoute d'avoir affaire à un espion et me tient fort réservé.
La sœur de ce personnage, offre au contraire la beauté discrète et le teint laiteux des filles d'Albion.Son visage me fait souvenir de je ne sais quel tableau  de la Renaissance Italienne; ses yeux ont une nuance de miel adorable et un feu surprenant chez une personne qui tue par sa distinction les roturiers dont je n'ai honte d'être, tout en souffrant de ne partager ni les usages, ni le langage de la noblesse. Vous seule, madame, étant de l'un et de l'autre de ces mondes, pouvez comprendre mes sentiments.
Enfin, madame, je m'égare et vous supplie de me pardonner. La veuve d'un lord l'emporte sur la gravité de la nouvelle que je n'ai point le cœur à vous mander. Comment puis-je à mon âge ressentir les émois d'un jeune homme ? Et pour une femme que rend fort séduisante les touchantes marques
des douleurs et joies de la vie … Mon Dieu, madame, moi qui croyais avoir la fermeté égoïste d'un célibataire endurci préférant les madones sur toile aux femmes en chair et en os !
Madame, je tourne autour du pot, mais comment vous annoncer ce que nos utopies inspirées des pensées de Rousseau n'ont pu prévoir ?
Le roi a été exécuté le 21 janvier… un roi dont la République n'a point eu de pitié. On chuchote que le scrutin aurait été truqué ; à une voix , le roi aurait pu sauver sa tête de l'infernale machine. Le cousin du roi a voté la mort de son parent, cet acte ne lui profitera guère à mon avis. Qu'a gagné la République en sacrifiant le dernier représentant des rois qui ont fait notre ancienne France ?
L'histoire le dira ...
Sur les ruines d'un monde, on se relève ou on meurt.
Je sais, madame que vous vous relèverez. Vous m'aviez à Paris confié votre goût pour les Lettres, persévérez dans l'écriture de ce roman que je serais un des premiers à lire si vous l'envoyez à Florence chez votre amie la comtesse d'Albany.
J'ignore si mon nouveau titre de « Chargé d'Affaires de la République Française » m'ouvrira les portes de l'aristocratie Florentine, toutefois je suis certain que celui de votre ami me procurera le bonheur de présenter mes respects à madame d'Albany et à son sigisbée le comte d'Alfieri …
Que vous confier à mon tour sur l'étrange objet de ma mission ?
La République souhaite renverser les tyrans universels, pourquoi ne pas commencer par l'invasion de l'Italie ?
Ne sourcillez point, madame, je ne suis qu'un diplomate, une boîte aux lettres, et le conseil exécutif m'ordonne de circonvenir le jeune grand-duc, prince amoureux de belles comtesses Toscanes qu'il ne dédaigne point d'inviter en son palais Pitti. Je dois emboîter le pas à ces madones descendues de leurs cadres d'or, et persuader leur adorateur de laisser les troupes françaises traverser la Toscane, si la République s'obstine à rêver de gloire et de conquête avec une armée mal équipée et mal-nourrie .. .
Je n'ai qu'à obéir, nullement à réfléchir.Mon éternelle quête de tableaux anciens m'aidera à conserver un esprit serein, à moins que cette lady ne vienne la troubler si d'aventure son frère me suit à Florence.
Un diplomate prenant son temps, j'aurais certainement celui de vous écrire, c'est là un plaisir auquel
les exigences de la République ne me feront point renoncer.
et, même si ce compliment est abhorré par ceux qui nous gouvernent,

Madame, je reste votre serviteur,

François Cacault

PS : ma liberté de ton vient de ce que cette lettre part sur la mer à bord d'un navire anglais, je vous prie, madame, de ne me répondre qu'aux bons soins de madame la comtesse d'Albany. Nul ne se doit douter de notre amitié et par là de mes idées par trop pessimistes ...

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à monsieur François Cacault

Londres, le 26 février 1793
Monsieur,

votre billet m'est bien arrivé en dépit des tempêtes sur mer et sur terre, et j'envoie aussitôt ma réponse à Florence chez la comtesse d'Albany …
La triste nouvelle que vous avez eu à cœur de m'apprendre a soulevé l'indignation et la tristesse de ce côté de la Manche ...Vous avez été battu à la course par mon vieil ami Governor Morris qui a réussi à me faire envoyer les plus fâcheuses nouvelles de France en croyant sans doute me distraire de ma sombre humeur d'exilée. Je suis fort inquiété pour mon époux dont vous n'ignorez point le piteux état de santé, on l'a proprement arrêté à Boulogne où il avait trouvé refuge chez de fidèles domestiques, puis jeté en prison comme un scélérat ou un traître !
Et la raison de cet acharnement sur un ancien officier d'âge éminemment respectable ?
Un absurde soupçon ! Le comte de Flahaut aurait fermé les yeux sur la fabrication de faux assignats ! Allons, monsieur, voilà chose impensable de la part d'un homme aussi épris d'honneur que mon époux ! C'est un prétexte d'une ignoble lâcheté afin d'humilier, d'accuser et, je tremble en écrivant ces mots, de condamner un homme bon, courageux, juste et parfaitement innocent.
Vous avez l'obligeance de désirer lire un roman qui me procure une peine extrême à écrire .
La perspective de sauver mon fils du besoin, et de lui offrir l'éducation auquel il peut prétendre par sa vivacité d'esprit et sa curiosité au dessus de son âge, m'insuffle l’opiniâtreté indispensable afin d'achever bientôt ce pensum.
Que j'ai du mal à me concentrer ! Mais, une fois à l'ouvrage, le croiriez-vous, le roi Georges lui-même pourrait frapper à ma porte sans que je m'en aperçoive !
Mon charmant ami, le jeune Lord Wycombe ,que sa famille a fiancé sans lui demander son avis, ne m'oublie point : il remue ciel et Terre, et la Gentry en particulier en proposant un livre que je me dépêche de finir. Monsieur de Talleyrand, ci-devant évêque, ne songe plus qu'à ses amours Genevoises, la fille de monsieur de Necker l'a attaché à sa personne, et notre ami si féru de sa chère indépendance lui mange dans la main...
C'est un spectacle qui fait mourir de rire les uns et ricaner les autres,je tourne pour ma part la tête d'un autre côté.

Soyez- certain, monsieur, que j'enverrai souvent vers vous chez madame d'Albany,
j'attends avec gratitude le récit de vos trouvailles à Florence.
Quel bonheur pour un amateur d'Art aussi éclairé et fervent que cette mission en Toscane !

Monsieur, je suis votre servante,

Adélaïde

Ps : peut-être, pourriez-vous en savoir davantage sur le sort réservé à mon époux ?
Votre influence dépasse largement le Grand-Duché de Toscane ...

A bientôt pour la suite de ce roman inventé chapitre après chapitre,

 Nathalie-Alix de La Panouse


L'adieu au roi  Louis XVI le 20 janvier 1793, la veille de son exécution.

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