Chapitre 53
Les amants du Louvre
L'art de renaître en plein désastre
Lettre de François Cacault à la
comtesse de Flahaut
Nice, le 25 janvier 1793
Madame,
Je m'empresse de vous apprendre une
nouvelle que vous ne tarderez point à lire dans les gazettes de
Londres. En venant au plus tôt vers vous, je me flatte que la
corvette marchande de Sa Majesté le roi Georges qui a pris ce billet
vous l'apportera avec une célérité impossible aux courriers
terrestres quasi interrompus entre la France et l'Angleterre.
Je suis, madame, à quai pour quelques
heures encore au port de Nice, d'ici le soir, nous reprendrons la mer
vers Gênes ; puis, si nulle tempête ne se lève, le
Trois-Mâts, transportant votre ami envoyé en mission diplomatique
auprès du jeune grand-duc de Toscane, entrera sans dommages au port
de Livourne.
On murmure autour de moi que la guerre
sera à ce moment-là déclarée avec l'Angleterre.
Cette éventualité ne tourmente guère
un passager corpulent et bavard qui semble une caricature de marchand
anglais. Je redoute d'avoir affaire à un espion et me tient fort
réservé.
La sœur de ce personnage, offre au
contraire la beauté discrète et le teint laiteux des filles
d'Albion.Son visage me fait souvenir de je ne sais quel tableau
de la Renaissance Italienne; ses yeux ont une nuance de miel
adorable et un feu surprenant chez une personne qui tue par sa
distinction les roturiers dont je n'ai honte d'être, tout en
souffrant de ne partager ni les usages, ni le langage de la noblesse.
Vous seule, madame, étant de l'un et de l'autre de ces mondes,
pouvez comprendre mes sentiments.
Enfin, madame, je m'égare et vous
supplie de me pardonner. La veuve d'un lord l'emporte sur la gravité
de la nouvelle que je n'ai point le cœur à vous mander. Comment
puis-je à mon âge ressentir les émois d'un jeune homme ? Et
pour une femme que rend fort séduisante les touchantes marques
des douleurs et joies de la vie … Mon
Dieu, madame, moi qui croyais avoir la fermeté égoïste d'un
célibataire endurci préférant les madones sur toile aux femmes en
chair et en os !
Madame, je tourne autour du pot, mais
comment vous annoncer ce que nos utopies inspirées des pensées de
Rousseau n'ont pu prévoir ?
Le roi a été exécuté le 21 janvier…
un roi dont la République n'a point eu de pitié. On chuchote que le
scrutin aurait été truqué ; à une voix , le roi aurait pu
sauver sa tête de l'infernale machine. Le cousin du roi a voté la
mort de son parent, cet acte ne lui profitera guère à mon avis.
Qu'a gagné la République en sacrifiant le dernier représentant des
rois qui ont fait notre ancienne France ?
L'histoire le dira ...
Sur les ruines d'un monde, on se relève
ou on meurt.
Je sais, madame que vous vous
relèverez. Vous m'aviez à Paris confié votre goût pour les
Lettres, persévérez dans l'écriture de ce roman que je serais un
des premiers à lire si vous l'envoyez à Florence chez votre amie la
comtesse d'Albany.
J'ignore si mon nouveau titre de
« Chargé d'Affaires de la République Française »
m'ouvrira les portes de l'aristocratie Florentine, toutefois je suis
certain que celui de votre ami me procurera le bonheur de présenter
mes respects à madame d'Albany et à son sigisbée le comte
d'Alfieri …
Que vous confier à mon tour sur
l'étrange objet de ma mission ?
La République souhaite renverser les
tyrans universels, pourquoi ne pas commencer par l'invasion de
l'Italie ?
Ne sourcillez point, madame, je ne suis
qu'un diplomate, une boîte aux lettres, et le conseil exécutif
m'ordonne de circonvenir le jeune grand-duc, prince amoureux de
belles comtesses Toscanes qu'il ne dédaigne point d'inviter en son
palais Pitti. Je dois emboîter le pas à ces madones descendues de
leurs cadres d'or, et persuader leur adorateur de laisser les troupes
françaises traverser la Toscane, si la République s'obstine à
rêver de gloire et de conquête avec une armée mal équipée et
mal-nourrie .. .
Je n'ai qu'à obéir, nullement à
réfléchir.Mon éternelle quête de tableaux anciens m'aidera à
conserver un esprit serein, à moins que cette lady ne vienne la
troubler si d'aventure son frère me suit à Florence.
Un diplomate prenant son temps,
j'aurais certainement celui de vous écrire, c'est là un plaisir
auquel
les exigences de la République ne me
feront point renoncer.
et, même si ce compliment est abhorré
par ceux qui nous gouvernent,
Madame, je reste votre serviteur,
François Cacault
PS : ma liberté de ton vient de
ce que cette lettre part sur la mer à bord d'un navire anglais, je
vous prie, madame, de ne me répondre qu'aux bons soins de madame la
comtesse d'Albany. Nul ne se doit douter de notre amitié et par là
de mes idées par trop pessimistes ...
Lettre d'Adélaïde de Flahaut à
monsieur François Cacault
Londres, le 26 février 1793
Monsieur,
votre billet m'est bien arrivé en
dépit des tempêtes sur mer et sur terre, et j'envoie aussitôt ma
réponse à Florence chez la comtesse d'Albany …
La triste nouvelle que vous avez eu à
cœur de m'apprendre a soulevé l'indignation et la tristesse de ce
côté de la Manche ...Vous avez été battu à la course par mon
vieil ami Governor Morris qui a réussi à me faire envoyer les plus
fâcheuses nouvelles de France en croyant sans doute me distraire de
ma sombre humeur d'exilée. Je suis fort inquiété pour mon époux
dont vous n'ignorez point le piteux état de santé, on l'a
proprement arrêté à Boulogne où il avait trouvé refuge chez de
fidèles domestiques, puis jeté en prison comme un scélérat ou un
traître !
Et la raison de cet acharnement sur un
ancien officier d'âge éminemment respectable ?
Un absurde soupçon ! Le comte de
Flahaut aurait fermé les yeux sur la fabrication de faux assignats !
Allons, monsieur, voilà chose impensable de la part d'un homme aussi
épris d'honneur que mon époux ! C'est un prétexte d'une
ignoble lâcheté afin d'humilier, d'accuser et, je tremble en
écrivant ces mots, de condamner un homme bon, courageux, juste et
parfaitement innocent.
Vous avez l'obligeance de désirer lire
un roman qui me procure une peine extrême à écrire .
La perspective de sauver mon fils du
besoin, et de lui offrir l'éducation auquel il peut prétendre par
sa vivacité d'esprit et sa curiosité au dessus de son âge,
m'insuffle l’opiniâtreté indispensable afin d'achever bientôt ce
pensum.
Que j'ai du mal à me concentrer !
Mais, une fois à l'ouvrage, le croiriez-vous, le roi Georges
lui-même pourrait frapper à ma porte sans que je m'en aperçoive !
Mon charmant ami, le jeune Lord Wycombe
,que sa famille a fiancé sans lui demander son avis, ne m'oublie
point : il remue ciel et Terre, et la Gentry en particulier en
proposant un livre que je me dépêche de finir. Monsieur de
Talleyrand, ci-devant évêque, ne songe plus qu'à ses amours
Genevoises, la fille de monsieur de Necker l'a attaché à sa
personne, et notre ami si féru de sa chère indépendance lui mange
dans la main...
C'est un spectacle qui fait mourir de rire les uns et ricaner les autres,je tourne pour ma part la tête d'un autre côté.
C'est un spectacle qui fait mourir de rire les uns et ricaner les autres,je tourne pour ma part la tête d'un autre côté.
Soyez- certain, monsieur, que
j'enverrai souvent vers vous chez madame d'Albany,
j'attends avec gratitude le récit de
vos trouvailles à Florence.
Quel bonheur pour un amateur d'Art
aussi éclairé et fervent que cette mission en Toscane !
Monsieur, je suis votre servante,
Adélaïde
Ps : peut-être, pourriez-vous en
savoir davantage sur le sort réservé à mon époux ?
Votre influence dépasse largement le
Grand-Duché de Toscane ...
A bientôt pour la suite de ce roman
inventé chapitre après chapitre,
Nathalie-Alix de La Panouse

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