Chapitre 57 Les amants du Louvre
L'exilé de Bremgarten ou le
nouveau départ d'Adélaïde de Flahaut
Adélaïde de Flahaut à Louise
d'Albany
Bremgarten, Suisse,
3 octobre 1794,
Ma chère Louise,
Mon Dieu, comme je vous envie d'être
installée avec tant de magnificence décatie au sein de votre palais
de Florence ! Si vous saviez comme cette Suisse m'ennuie déjà
à mourir ! J'y suis à peine depuis deux semaines et mon humeur a pris cent ans …
Vous jugez Florence endormie ?
Ciel ! Accourrez donc sur les bords de la Reuss, espèce de
gros torrent aux eaux grises, qui occupe tout le jour des aréopages
de pêcheurs raides et taciturnes, dépassant en flegme et en
indifférence les Anglais les plus froids .
Vous n'y resteriez que le temps de soupirer et de faire quérir votre calèche vers Baden ou Zurich que l'on me promet séjours plus brillants.
Vous n'y resteriez que le temps de soupirer et de faire quérir votre calèche vers Baden ou Zurich que l'on me promet séjours plus brillants.
Je reconnais au paysage une certaine
grâce rustique, je rends hommage au lait frais prodigué chaque
matin avec une régularité de pendule à mon petit Charles, je ne
trouve point laides les charmantes maisons aux toits pentus sauvés
de la mélancolie par de jolis balcons de bois que viennent égayer
des collections de pots de géraniums bien rouges : il
semblerait qu'aucune autre fleur n'accepte de croître sur le
territoire Helvète !
J'essaie de sourire en réponse aux
beaux discours en patois sentant le germanique que des paysans
m'infligent en présentant de gros fromages bien encombrants dont
nous n'avons ni le goût ni le besoin : hélas ! mon cœur
est à Naples, à Capri, éparpillé sur toute l'Italie du sud, que
fais-je en ce canton sorti droit des écrits de l'extravagant
Rousseau ?
J'éprouve une terrible nostalgie des
bosquets d'orangers, des façades grandioses des palais, du cristal
de la mer, des falaises à la beauté austère adoucie de cascades de
fleurs jaunes et blanches, je voudrais entrer dans une église et
crier d'admiration devant les tableaux sublimes, les majoliques
chamarrées, les marbres ciselés, et les dames agenouillées,voilées
de blanc ou de rouge, au profil de médaille , au col de cygne, à la
voix chantante, qui souvent égalent ou surpassent les Madones des
Autels.
Pourquoi suis-je ici ? Par devoir
maternel, mon petit Charles ne mangeait plus, ne dormait plus et ne
supportait plus la rudesse de son école où l'on bat les enfants à
coup de baguette ! L'éducation en Angleterre se situe à
l'opposé des préceptes de notre cher Rousseau, pour une fois, je
suis en accord avec notre philosophe, aucune loi en ce monde ne
commande d'humilier les jeunes enfants par un châtiment barbare et
souvent injuste .
Comment s'étonner ensuite de la dureté du caractère britannique ?
Comment s'étonner ensuite de la dureté du caractère britannique ?
Ce nouvel exil ne me fut-il imposée
par la guerre entre l'Angleterre et la France, guerre qui m'interdit
de vous rejoindre en Italie, ma chère Louise, et aussi notre
étourdie de Sophie, qui devient l'amie intime de cette femme bizarre, cette superbe créature fort prisée de l'amiral Nelson qui plaît aux dames de toute la ferveur de son oeil unique et de toute la force de son bras subsistant...
Enfin cette mirobolante lady Hamilton dont aucun sage et vertueux habitant de la bonne bourgade de Bremgarten n'a assurément jamais entendu le nom !
Mais, pourquoi le sinistre Bremgarten alors que nos vieilles connaissances se retrouvent non loin de Genève ?
Enfin cette mirobolante lady Hamilton dont aucun sage et vertueux habitant de la bonne bourgade de Bremgarten n'a assurément jamais entendu le nom !
Mais, pourquoi le sinistre Bremgarten alors que nos vieilles connaissances se retrouvent non loin de Genève ?
La raison de mon séjour en ce village
inconnu me fut véritablement conseillée par mon vieil et fidèle
ami, jadis le plus digne des habitués de mon salon du vieux-Louvre,
ce Général de Montesquiou dont l'adorable petit-fils , présenté par mes soins avec tout le tact dont vous me savez capable, eût l'honneur de
plaire assez à notre superbe dame Vigée-Lebrun au point, que fort
attendrie par le minois délicat et le regard mélancolique de
l'enfant, elle se piqua de folle générosité et ne demanda quasi
rien à ses parents contre le plus ravissant des portraits !
L'héroïque grand-père m'en sut
tellement gré qu'il s'engagea à m'octroyer une faveur dés que
l'occasion lui en proposerait une.
Or la voici : mon roman a plu à
un jeune émigré qui ,entiché de l'auteur en chair et en os autant
que de l'héroïne de papier, a sollicité la faveur de recevoir mes
leçons de littérature. Ce monsieur déclare porter le nom
éminemment roturier de Chabot, parfois, selon un caprice
inexplicable, il le change pour le patronyme insignifiant de Corbie.
Là-dessous, réside bien sûr un mystère, qui à l'instar de tous
les grands mystères, est parfaitement limpide.
Sachez que mon nouveau disciple porte
les espoirs d'une famille illustre, princière, royale, enfin, rêvez ! je ne vous dirai rien !
Et soyez jalouse car ce prince incognito est des plus charmants ! son allure, la fermeté élégante de ses traits, sa haute stature, ses manières attestant la grandeur de son éducation ,son esprit d'une vivacité charmante, son regard tendre et courtois, enfin et surtout, sa sollicitude galante à mon endroit, risquent fort de m'inspirer un sentiment d'une douceur inattendue.
Et soyez jalouse car ce prince incognito est des plus charmants ! son allure, la fermeté élégante de ses traits, sa haute stature, ses manières attestant la grandeur de son éducation ,son esprit d'une vivacité charmante, son regard tendre et courtois, enfin et surtout, sa sollicitude galante à mon endroit, risquent fort de m'inspirer un sentiment d'une douceur inattendue.
Vais -je avoir pour mon élève dont
seules me séparent une petite dizaine d'années, les yeux d'une
amante ou d'une préceptrice ?
Je crains d'être entraînée sur une pente aussi glissante que celle des toits de Bremgarten !
Je crains d'être entraînée sur une pente aussi glissante que celle des toits de Bremgarten !
Ah ! Louise, qu'il est bon de
ressentir à nouveau les mouvements de son cœur pour quelqu'un
d'autre que Charles-Maurice de Talleyrand dont je suis demeurée
l'amante sottement fidèle et vraiment méprisée pendant si
longtemps !
Toutefois, si ce jeune homme si pourvu
d'intelligence et de charme pouvait quitter ce village peuplé de
troupeaux de vaches et de taverniers en sabots pour Baden et sa vie
mondaine, que je me ferais un plaisir de l'instruire ! Quelle
ardeur mettrais-je à lui dévoiler les auteurs antiques et modernes,
à commencer par monsieur de Laclos, indispensable lecture à tous
ceux qui veulent acquérir la lucidité et l'expérience face aux
turpitudes.
Mais ici ? Rousseau et son pavé épistolaire de la « nouvelle Héloïse » ? Cela semblerait fort à propos ...en renversant les rôles !
Mais ici ? Rousseau et son pavé épistolaire de la « nouvelle Héloïse » ? Cela semblerait fort à propos ...en renversant les rôles !
Vous m'avez demandé comment
Charles-Maurice de Talleyrand prenait mon exil Suisse, eh bien, avec
le détachement dont il ne se départ jamais ou presque. Je l'ai
quitté comme si nous ne nous étions jamais connus, ma fierté et
son orgueil nous ont incité à jouer cette comédie dont la victime
serait notre petit Charles, si je ne me doutais de l'affection que
lui portera toujours son père , n'en déplaise à Germaine de Staël
et à ses arrogantes certitudes !
Charles-Maurice n'est qu'endormi en mon
cœur, et je sais que notre enfant saura réveiller son ancien
attachement à ma personne : les années nous éloigneront puis
nous réuniront en secret.
Voyez-vous, Louise, je suis sûre que les braises des anciennes amours ne s’éteignent point autant que l'on voudrait.
Voyez-vous, Louise, je suis sûre que les braises des anciennes amours ne s’éteignent point autant que l'on voudrait.
Monsieur Chabot qui garde beaucoup de
liens avec la France essaie de savoir quel destin est celui de mon
époux... Je vous avouer que je n'espère point, le comte de Flahaut
est une âme noble et un gentilhomme intègre, mais ces qualités-là
le rendent coupables en France .
Je ne reçois absolument plus aucun
courrier de Governor Morris, j'ignore le sort de la charmante
duchesse de La Rochefoucauld, je n'ose connaître celui de nos amis
demeurés en France, aux dernières nouvelles, l'époux de notre
écervelée de Sophie aurait fini sous la honteuse machine, accusé
de traîtrise car revenu à Paris pour je ne sais quelle bizarre
raison .
Sophie l'a-t-elle seulement appris ? La voilà libre d'épouser son prince Napolitain !
Sophie l'a-t-elle seulement appris ? La voilà libre d'épouser son prince Napolitain !
Et de rester en Italie …Ses enfants
sont maintenant adoptés par leur famille anglaise, se
souviennent-ils du Béarn et de leurs parents ? Nous avançons
tous sans regarder en arrière …
Ma chère Louise,
on me mande de la part de mon élève,
le devoir m'ordonne de vous
abandonner !
Je vous embrasse en vous assurant de
mes mille sentiments d'amitié,
tâchez de m'écrire, et aussi de me
donner quelques nouvelles de notre bon monsieur Cacault, que vous
traitez si mal !
Va-t-il être expulsé de Florence ?
Et votre soupirant, ce jeune peintre Fabre qui prend un temps
infini à vous immortaliser ?
Votre silence en suggère beaucoup …
Le chevalier d'Alfieri ne risque-t-il
de le provoquer en duel ?
Y survivrez-vous ? Quel monstre vous êtes !
Y survivrez-vous ? Quel monstre vous êtes !
Je n'ai point perdu mon humeur
malicieuse, elle me maintient en vie, ma chère Louise, je vous prie
de me pardonner ...
Dans quelle contrée notre ami Denon ne
s'amourache-t-il de statues en soupirant pour sa Vénitienne au cœur
de volcan ? Que sont nos amis devenus ?
Comme me l'ordonnait en des heures
exquises, Charles-Maurice de Talleyrand :
« brûlez cette lettre » !
Mon Dieu ! J'oubliais !
Charles-Maurice abandonne à tour de bras ses belles amantes :
l'ancien évêque, le ci-devant Abbé, s'en va tenter la fortune aux
Amériques, Germaine de Staël se consolera-t-elle ? Je ne la plaindrais certes pas si elle pleure et se désole !de toute façon, elle saura bien jeter son dévolu sur un autre "esclave" de sa puissante force morale , de sa vigueur intellectuelle hors du commun des mortelles de mon genre ..
A bientôt, ma bonne Louise, pardonnez-moi ces piques un tantinet acerbes,
et croyez en notre amitié,
A bientôt, ma bonne Louise, pardonnez-moi ces piques un tantinet acerbes,
et croyez en notre amitié,
Adélaïde
A bientôt pour les nouvelles
aventures, romancées mais reposant sur la vérité, de la comtesse
de Flahaut,
Lady Alix ou Nathalie-Alix de La
Panouse 22 décembre 2019
![]() |
| Pourquoi pas le marchand de lait de Bremgarten attendu par la comtesse de Flahaut ? |

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire