dimanche 22 décembre 2019

Exil amoureux dans un village Suisse : chapitre 57: "les amants du Louvre"


Chapitre 57 Les amants du Louvre

L'exilé  de Bremgarten ou le nouveau départ d'Adélaïde de Flahaut

Adélaïde de Flahaut à Louise d'Albany

Bremgarten, Suisse,

3 octobre 1794,

Ma chère Louise,

Mon Dieu, comme je vous envie d'être installée avec tant de magnificence décatie au sein de votre palais de Florence ! Si vous saviez comme cette Suisse m'ennuie déjà à mourir ! J'y suis à peine depuis deux semaines et mon humeur a pris cent ans …
Vous jugez Florence endormie ? Ciel ! Accourrez donc sur les bords de la Reuss, espèce de gros torrent aux eaux grises, qui occupe tout le jour des aréopages de pêcheurs raides et taciturnes, dépassant en flegme et en indifférence les Anglais les plus froids .
Vous n'y resteriez que le temps de soupirer et de faire quérir votre calèche vers Baden ou Zurich que l'on me promet séjours plus brillants.
Je reconnais au paysage une certaine grâce rustique, je rends hommage au lait frais prodigué chaque matin avec une régularité de pendule à mon petit Charles, je ne trouve point laides les charmantes maisons aux toits pentus sauvés de la mélancolie par de jolis balcons de bois que viennent égayer des collections de pots de géraniums bien rouges : il semblerait qu'aucune autre fleur n'accepte de croître sur le territoire Helvète !
J'essaie de sourire en réponse aux beaux discours en patois sentant le germanique que des paysans m'infligent en présentant de gros fromages bien encombrants dont nous n'avons ni le goût ni le besoin : hélas ! mon cœur est à Naples, à Capri, éparpillé sur toute l'Italie du sud, que fais-je en ce canton sorti droit des écrits de l'extravagant Rousseau ?
J'éprouve une terrible nostalgie des bosquets d'orangers, des façades grandioses des palais, du cristal de la mer, des falaises à la beauté austère adoucie de cascades de fleurs jaunes et blanches, je voudrais entrer dans une église et crier d'admiration devant les tableaux sublimes, les majoliques chamarrées, les marbres ciselés, et les dames agenouillées,voilées de blanc ou de rouge, au profil de médaille , au col de cygne, à la voix chantante, qui souvent égalent ou surpassent les Madones des Autels.
Pourquoi suis-je ici ? Par devoir maternel, mon petit Charles ne mangeait plus, ne dormait plus et ne supportait plus la rudesse de son école où l'on bat les enfants à coup de baguette ! L'éducation en Angleterre se situe à l'opposé des préceptes de notre cher Rousseau, pour une fois, je suis en accord avec notre philosophe, aucune loi en ce monde ne commande d'humilier les jeunes enfants par un châtiment barbare et souvent injuste .
Comment s'étonner ensuite de la dureté du caractère britannique ?
Ce nouvel exil ne me fut-il imposée par la guerre entre l'Angleterre et la France, guerre qui m'interdit de vous rejoindre en Italie, ma chère Louise, et aussi notre étourdie de Sophie, qui devient l'amie intime de cette femme bizarre, cette superbe créature fort prisée de l'amiral Nelson qui plaît aux dames de toute la ferveur de son oeil unique et de toute la force de son bras subsistant...
Enfin cette mirobolante lady Hamilton dont aucun sage et vertueux habitant de la bonne bourgade de Bremgarten n'a assurément jamais entendu le nom !
Mais, pourquoi le sinistre Bremgarten alors que nos vieilles connaissances se retrouvent non loin de Genève ?
La raison de mon séjour en ce village inconnu me fut véritablement conseillée par mon vieil et fidèle ami, jadis le plus digne des habitués de mon salon du vieux-Louvre, ce Général de Montesquiou dont l'adorable petit-fils , présenté par mes soins avec tout le tact dont vous me savez capable, eût l'honneur de plaire assez à notre superbe dame Vigée-Lebrun au point, que fort attendrie par le minois délicat et le regard mélancolique de l'enfant, elle se piqua de folle générosité et ne demanda quasi rien à ses parents contre le plus ravissant des portraits !
L'héroïque grand-père m'en sut tellement gré qu'il s'engagea à m'octroyer une faveur dés que l'occasion lui en proposerait une.
Or la voici : mon roman a plu à un jeune émigré qui ,entiché de l'auteur en chair et en os autant que de l'héroïne de papier, a sollicité la faveur de recevoir mes leçons de littérature. Ce monsieur déclare porter le nom éminemment roturier de Chabot, parfois, selon un caprice inexplicable, il le change pour le patronyme insignifiant de Corbie. Là-dessous, réside bien sûr un mystère, qui à l'instar de tous les grands mystères, est parfaitement limpide.
Sachez que mon nouveau disciple porte les espoirs d'une famille illustre, princière, royale, enfin, rêvez ! je ne vous dirai rien !
Et soyez jalouse car ce prince incognito  est des plus charmants ! son allure, la fermeté élégante de ses traits, sa haute stature, ses manières attestant la grandeur de son éducation ,son esprit d'une vivacité charmante, son regard tendre et courtois, enfin et surtout, sa sollicitude galante à mon endroit, risquent fort de m'inspirer un sentiment d'une douceur inattendue.
Vais -je avoir pour mon élève dont seules me séparent une petite dizaine d'années, les yeux d'une amante ou d'une préceptrice ?
 Je crains d'être entraînée sur une pente aussi glissante que celle des toits de Bremgarten !
Ah ! Louise, qu'il est bon de ressentir à nouveau les mouvements de son cœur pour quelqu'un d'autre que Charles-Maurice de Talleyrand dont je suis demeurée l'amante sottement fidèle et vraiment méprisée pendant si longtemps !
Toutefois, si ce jeune homme si pourvu d'intelligence et de charme pouvait quitter ce village peuplé de troupeaux de vaches et de taverniers en sabots pour Baden et sa vie mondaine, que je me ferais un plaisir de l'instruire ! Quelle ardeur mettrais-je à lui dévoiler les auteurs antiques et modernes, à commencer par monsieur de Laclos, indispensable lecture à tous ceux qui veulent acquérir la lucidité et l'expérience face aux turpitudes.
Mais ici ? Rousseau et son pavé épistolaire de la « nouvelle Héloïse » ? Cela semblerait fort à propos ...en renversant les rôles !
Vous m'avez demandé comment Charles-Maurice de Talleyrand prenait mon exil Suisse, eh bien, avec le détachement dont il ne se départ jamais ou presque. Je l'ai quitté comme si nous ne nous étions jamais connus, ma fierté et son orgueil nous ont incité à jouer cette comédie dont la victime serait notre petit Charles, si je ne me doutais de l'affection que lui portera toujours son père , n'en déplaise à Germaine de Staël et à ses arrogantes certitudes !
Charles-Maurice n'est qu'endormi en mon cœur, et je sais que notre enfant saura réveiller son ancien attachement à ma personne : les années nous éloigneront puis nous réuniront en secret.
Voyez-vous, Louise, je suis sûre que les braises des anciennes amours ne s’éteignent point autant que l'on voudrait.
Monsieur Chabot qui garde beaucoup de liens avec la France essaie de savoir quel destin est celui de mon époux... Je vous avouer que je n'espère point, le comte de Flahaut est une âme noble et un gentilhomme intègre, mais ces qualités-là le rendent coupables en France .
Je ne reçois absolument plus aucun courrier de Governor Morris, j'ignore le sort de la charmante duchesse de La Rochefoucauld, je n'ose connaître celui de nos amis demeurés en France, aux dernières nouvelles, l'époux de notre écervelée de Sophie aurait fini sous la honteuse machine, accusé de traîtrise car revenu à Paris pour je ne sais quelle bizarre raison .
Sophie l'a-t-elle seulement appris ? La voilà libre d'épouser son prince Napolitain !
Et de rester en Italie …Ses enfants sont maintenant adoptés par leur famille anglaise, se souviennent-ils du Béarn et de leurs parents ? Nous avançons tous sans regarder en arrière …
Ma chère Louise,
on me mande de la part de mon élève,
le devoir m'ordonne de vous abandonner !

Je vous embrasse en vous assurant de mes mille sentiments d'amitié,
tâchez de m'écrire, et aussi de me donner quelques nouvelles de notre bon monsieur Cacault, que vous traitez si mal !
Va-t-il être expulsé de Florence ? Et votre soupirant, ce jeune peintre Fabre  qui prend un temps infini à vous immortaliser ?
Votre silence en suggère beaucoup …
Le chevalier d'Alfieri ne risque-t-il de le provoquer en duel ?
Y survivrez-vous ? Quel monstre vous êtes !
Je n'ai point perdu mon humeur malicieuse, elle me maintient en vie, ma chère Louise, je vous prie de me pardonner ...
Dans quelle contrée notre ami Denon ne s'amourache-t-il de statues en soupirant pour sa Vénitienne au cœur de volcan ? Que sont nos amis devenus ?

Comme me l'ordonnait en des heures exquises, Charles-Maurice de Talleyrand :
« brûlez cette lettre » !
Mon Dieu ! J'oubliais ! Charles-Maurice abandonne à tour de bras ses belles amantes : l'ancien évêque, le ci-devant Abbé, s'en va tenter la fortune aux Amériques, Germaine de Staël se consolera-t-elle ? Je ne la plaindrais certes pas si elle pleure et se désole !de toute façon, elle saura bien jeter son dévolu sur un autre "esclave" de sa puissante force morale , de sa vigueur intellectuelle hors du commun des mortelles de mon genre ..

A bientôt, ma bonne Louise, pardonnez-moi ces piques un tantinet acerbes,
 et croyez en notre amitié,

Adélaïde



A bientôt pour les nouvelles aventures, romancées mais reposant sur la vérité, de la comtesse de Flahaut,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse 22 décembre 2019


Pourquoi pas le marchand de lait de Bremgarten attendu par la comtesse de Flahaut  ?

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