samedi 15 février 2020

Le parfum de lady Hamilton: chapitre 62 Les amants du Louvre


Chapitre 62 : Les amants du Louvre

Le parfum de Lady Hamilton

Sophie, principessa di San Clemente à Adélaïde de Flahaut

Naples, le 30 juin 1795,

Ma chère Adélaïde,

Quel désespoir ne vient-il de s'abattre sur la cour !
 Que dis-je, la cour, il s'agit  surtout de la reine qui pleure et se lamente.
Pourquoi ces torrents de larmes ? Eh bien, Adélaïde, je te déclare que j'approuve cette douleur éperdue ! Nous sommes sous le choc d'une effroyable nouvelle : le pauvre petit roi prisonnier de la France n'est plus ... Cet enfant que nous nous obstinions à appeler Louis XVII était le jouet de ses gardiens, un couple odieux, lui savetier de son état, grossier et menteur, un monstre qui lui apprît à renier sa mère … Souviens-toi de ce procès indigne où la reine souffrit de la pire des accusations, celle d'avoir flétri la pudeur de son fils !
Souviens-toi de ce cri sublime qui fit frémir de honte une assemblée habituée aux calomnies les plus épouvantables :
« J'en appelle à toutes les mères qui peuvent se trouver ici ! »
Cela me fend le cœur à chaque fois que j'y pense...
Enfin, ce malheureux Louis-Charles, ce « chou d'amour » , duc de Normandie à sa naissance, (ce qui fit beaucoup chuchoter : la Normandie ne fut-elle le fief des ancêtres de monsieur de Fersen, en tirant un peu sur l'histoire de France ?) , ce prince orphelin a rejoint ses parents au ciel le 8 juin. Or, nous n'avons appris cette nouvelle funeste qu'aujourd'hui, par un soleil radieux, un ciel d'un bleu transparent se confondant avec les eaux de cristal immobile !
Quel contraste avec tant de cruauté ! Une vision de l'enfer déferlant sur un endroit voué à l'amour, au bonheur de vivre d'un rien, enchanté des mélodies, des airs sentimentaux ou fougueux,, des figures gracieuses de la danse sous les tonnelles et des frissons de délicieuse terreur en tournant les yeux vers le Vésuve depuis des bosquets d'orangers.
Tu ne peux concevoir l'étrange paroxysme de vie qui découle de ce péril du volcan …
La philosophie de ce pays est de jouir de l'existence en défiant la frénésie de la lave sous les violons et chansons ! la misère, la maladie sont également endurées avec une foi admirable, une force d'âme qui passe l'imagination …Les Napolitains sont un peuple prodigieux à nul autre pareil !
J'en reviens à ma nouvelle : voici à peine quelques heures, nous étions lancées, lady Hamilton et moi ,à la poursuite des enfants de la reine Marie-Caroline, dans les allées du parc de Capodimonte qui domine Naples, belvédère magnifique d'où on voit Capri aussi mystérieuse qu'une citadelle de rochers enveloppée de nuages.
La reine souriait en nous regardant, joyeuses et mutines à l'instar des jeunes princesses, soudain elle ouvrit un billet apporté en hâte, puis elle se leva , vint vers nous les joues creusées de pleurs et s'écria :
« Mon neveu est mort, victime de ses bourreaux, enterré dans quelque fosse ignoble, ayant oublié son rang, ses parents, son enfance : cette mort rouvre des blessures qui ne cicatriseront jamais ... »
Lady Hamilton s'est jetée sur le sein de la reine et toutes deux ont mêlées leurs plaintes …
Je fus tentée de m'effacer, la reine comprit mon souci de discrétion face à sa douleur, d'un geste elle me retint, et j'entendis des mots charmants m'assurant de sa bonté et de sa confiance.
« Vous êtes une Napolitaine par le mariage autant que le cœur, me dit-elle, et Je connais votre attachement à la famille royale, le récit de votre présentation m'a émue jusqu'aux larmes tant vous vantâtes la bonté de ma sœur, votre reine martyre ( Ébahie,, Lady Hamilton ouvrit ses grands yeux pers qui me transpercèrent d'un éclair de froide jalousie …). Restez un peu avec nous, Princesse, restez et pleurons ensemble la mort injuste de cet enfant dont le destin inspirera l'effroi et souillera la république si fière de ses prétendus bienfaits ; laisser mourir un enfant  malade! Est-ce cela l'héritage de monsieur Rousseau ? »
Ma chère Adélaïde, j'obéis comme mon rang et mon devoir me l'ordonnaient à Sa Majesté, la reine de Naples. Mais, je retournai au plus vite en notre palais du bord de mer. Vois-tu, l'attitude de Lady Hamilton m'avait fait réaliser quel fauve sans pitié se cachait sous une si belle apparence …
Je préfère un repli stratégique à une querelle ou pire une vengeance , tout est possible avec un tempérament aussi flamboyant et lâché que celui de Lady Hamilton !
Je ne désire point rivaliser avec notre superbe statue antique animée : à l'amitié de la reine, aux honneurs de la cour, je préfère la paix de Capri où j'ai convaincu mon époux de séjourner sous le prétexte d'y préparer les filets nécessaires à la chasse aux cailles de l'Automne..Le prince m'a su gré de ma sagesse, il se tient au courant des potins et rumeurs qui gonflent à chaque rue et augmentent dans chaque maison , et place la paix au dessus de toute autre considération.
D'ailleurs, si Capri ne paraît point assez isolée à l'ombrageuse Lady ,nous gardons la ressource de notre domaine de Sicile, désert inhumain en cette saison, mais qu'y puis-je ? Je n'ai pas échappé à la guillotine pour risquer la vindicte d'une parvenue épousée pour ses talents particuliers …
Pourvu que nul ne lise ces lignes !
L'influence de Lady Hamilton est si puissante sur la reine que cela me conduirait droit à l'exil ! c'est un ministre de l'ombre qui sort souvent en pleine lumière ...
Les dossiers, les lettres , les messages secrets arrivent entre ses douces mains ; cette situation très extraordinaire nous étonne et intrigue de plus en plus
Tu m'as souvent interrogé sur sa prétendue beauté, tu te gausses des bruits la décrivant de façon si extraordinaire, eh bien, ma chère Adélaïde, moqueuse invétérée, tu as tort ! Lady Hamilton est belle de la tête aux pieds, elle compte bien trente printemps , peut-être davantage car il faudrait être un mathématicien de génie afin de trouver sa date de naissance tant elle s'est appliquée à chambouler les années, mais le temps a glissé sans marquer son merveilleux minois. On dirait qu'elle pose à toute heure pour un peintre célèbre, elle est à peindre même aux heures matinales devant la théière de Sir Hamilton !
Ses formes abondantes, ce qui est plaît beaucoup aux Napolitains de toute condition, ont , hélas, la propension à augmenter de manière assez considérable, le goût des macaronis sans doute ...je reconnais, sans perfidie aucune, que notre lady tient plus de Junon que de Vénus, toutefois son éclat, sa voix , son bagout, son talent de musicienne, des décolletés d'une audace à faire trembler, et son sens du théâtre l'ont sacré reine de beauté ... et amie intime de la reine.
Mon époux m'a rapporté ces compliments  tombés de la plume amoureuse d'un admirateur lié au char  de cette nouvelle Hélène :
« Les grâces et la beauté de lady Hamilton n'ont fait que croître avec l'âge et elle a à trente ans le plus délicieux visage que l'on peut rêver . Ses yeux ont autant de douceur que d'éclat, sa bouche est à volonté chaste et voluptueuse. Ses cheveux châtains , tout bouclés, encadre savamment un visage d'un ovale parfait ; ses joues ont ce velouté et ce pudique incarnat que perdent même les jeunes filles . »
Ciel !comment lutter avec cette perfection personnifiée ?
Je rends les armes et me réfugie sur le rocher bien-aimé de Capri ! Sur les falaises couleur de mile , aucune rumeur de révolution ne saura grimper ;
C'est l'unique endroit en ce monde où les passions humaines s'étiolent et finissent par glisser dans la mer … Les habitants sont pauvres, mais le cœur bon et le caractère plein de fermeté. Sur la montagne, ils sont chasseurs ou cultivent leurs vergers, au pied des roches énormes, ils sont pêcheurs de corail , et du côté des villas Romaines , marchandent aux voyageurs Anglais les nobles débris des patriciens. Mais tu sais cela , toi qui parcourus l'île en compagnie de notre fol ami Vivant Denon , en des temps plus heureux … lui aussi se désole, sa dernière lettre éclate de tristesse car sa belle Vénitienne a inventé d'épouser un certain comte Albrizzi. Pourtant notre ami lui pardonne, feint de l'approuver, feint de vouloir le bonheur et la prospérité de l'ingrate qui se soucie fort peu de son désespoir ..
.On croirait qu'il copie Rousseau en singeant le pauvre amant Saint-Preux abandonné par sa maîtresse ! Or, en la circonstance, c'est Isabella qui tranche, qui décide, rien ne lui est imposé, elle suit son caprice, et, osons le murmurer, ce riche époux la rassure bien davantage qu'un obscur amant Français, retourné à Paris, impécunieux et lointain. Un titre de comtesse n'est pas non plus conquête à négliger ! pauvre Vivant Denon , il m'écrit des choses déchirantes !
Vraiment, si j'étais à la place de cette Isabella, le bonheur d'être aimée de la sorte m'empêcherait de m'unir au comte Albrizzi, sous le sceau du secret, voici les confidences de notre bon ami ,tu en auras les larmes aux yeux ; il m'a envoyé la copie de ces mots sublimes adressés à son ingrate amie:

« Puisque je ne puis plus être heureux, au moins que j'aie encore la jouissance de penser que je ne nuis pas à ton bonheur, à ta félicité.. .Laisse-moi seulement croire que je suis généreux pour soutenir mon courage et faire taire les murmures de mon cœur qui n'iront jamais jusqu'à toi. »

Mon Dieu ! Que d'amour ! Quel homme ! Quelle ingrate !

Ah, ma chère Adélaïde,
j'ai beau déborder d'estime et de reconnaissance envers mon nouvel époux, j'envie ce tumulte de la passion réprimée...
La raison, la passion, pourquoi ce duel éternel ?
En tout cas, si jamais lady Hamilton s'enflammait, cela susciterait une légende d'amour et de folie ,
l'avenir nous le dira, !

A toi, à toi, mille amitiés,

Sophie

La suite de ce roman épistolaire bientôt,

Lady Alix
ou Nathalie-Alix de La Panouse


Naples vers 1793: Lady Hamilton en bacchante par Madame Vigée Le Brun

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