vendredi 27 mars 2020

La grande peur d'Adélaïde de Flahaut ! Chap 66, Les amants du Louvre


Chapitre 66 Les amants du Louvre

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Louise d'Albany

Hambourg, le 3 août 1796

Ma très chère Louise,

Je viens d'éprouver une panique du cœur et une déroute de tout mon être, ne croyez point que j'extravague, voici les faits, et vous comprendrez vite les raisons de cette angoisse extrême.
Louise, ma chère, la plus oppressante humeur m'a poursuivie durant ces dernières semaines, ce fut un tourbillon de pensées noire, de repentirs, une frayeur de chaque instant.
A ce sentiment obscur se sont mêlés de fâcheux pressentiments, une nervosité perpétuelle née du dégoût de moi-même et de l'envie de me fuir autant que de fuir..
Et pourquoi donc ce paroxysme d'angoisse et de doutes à votre avis ?
Allons ,Louise, ne devinez-vous ? Sophie, si heureuse de vous revoir à Florence, ne vous l'a-t-elle point annoncée avec cette naïve perfidie qui la caractérise quand elle s'imagine savoir quelque chose que tout le monde ignore ?
Monsieur de Talleyrand, ci-devant évêque, ci devant abbé de Périgord, ci devant « monsieur mon amour », et toujours père de mon petit Charles ,eh bien, cet amant ingrat, ce manipulateur universel cet homme qui méritait d'aller au diable et d'y rester, le voilà de retour !
Le bruit de son embarquement n'avait cessé d'enfler, de se répandre, d'envahir la Suisse, l'Angleterre, et enfin l'Allemagne. Je fus avertie enfin de ce fâcheux retour à Altona, alors que de charmantes fausses confidences me faisait avancer chaque jour davantage, au bras de Mr de Souza, sur les allées de la carte du Tendre.
Je lui contais mes malheurs d'émigrée, la douleur de mon veuvage, mes efforts désespérés afin de donner la meilleure éducation à Charles, je soupirais en lui avouant les caprices de mon inspiration de romancière amateur. Puis, lui-même, me brossait les détails glorieux ou saugrenus de sa vie de diplomate ; j'écarquillais des yeux admiratifs en feignant une extrême attention, et tout en rêvant aux falaises de Capri, j'approuvais de hochements de tête ou de légères pressions de ma main sur son bras ses discours que je ne suivais que d'une oreille.
Mon nouvel ami a forgé l'image pure d'une Adélaïde de Flahaut qui n'est qu'une image trompeuse de la vérité. Il me croit ranimée par l'estime et l'admiration que je lui avoue ressentir à son égard, . Voyez-vous, ma chère Louise, je ne suis certaine dans ce monde d'incertitudes  que d'une seule chose : l'amour a besoin d'invention, il monte son affaire de toutes pièces, bâtit un beau vêtement et tente de le faire endosser à grand peine à la personne sur laquelle son choix s'arrête.
Or, souvent, l'habit est trop grand, trop étroit, il tombe mal, et l'on s'acharne en vain, c'est que l'amour ne va pas …
En ce cas précis, j'essaie de persuader mon nouvel ami que le beau vêtement inventé pour moi seule par le soin don imagination s'ajuste parfaitement, et que nulle retouche ne soit à craindre.
Il n'est point question de tromper, mais de rassurer, d'être ce que l'autre désire .
Pourquoi attrister cet homme de goût, fortuné et généreux, qui fait de moi une mère capable des plus beaux sacrifices, douée d'abnégation, de goûts simples, vertueuse à l'instar d'une patricienne de l'antique Rome ?
Je n'aurais le cœur de le blesser en lui révélant que mon fils est le fruit d'un amour avec l'homme le plus décrié d'Europe ! l'arrogant amant de la fille du ministre Necker, entre beaucoup d'autres dont la liste passerait pour fastidieuse …
Mr de Souza n'a qu'un défaut : son humeur jalouse qui couve sous son aspect courtois. Il serait capable, lui si poli de jeter son gant à la face de mon ancien ami !
Un duel des plus hasardeux en résulterait, et je ne me pardonnerai jamais la perte de cet excellent homme ; quant à celle de Mr de Talleyrand, cet « ancien » à l'âme perfide, elle serait méritée, mais je ne sais si j'aurais le cœur de me la pardonner.
La perspective du sang répandu dans un combat inutile ne cesse de m'épouvanter...
Ne devrais-je être pardonnée d'ailleurs par mon nouvel ami, moi qui eût le malheur de m'attacher si fort à un ingrat qui ne vît en ma personne qu'une conquête de plus à ajouter à son char ? Mais, ne rêvons point, Mr de Souza ne mange point de ce pain-là.
Hélas ! Un mot étrange de Sophie à la fin d'une lettre décousue, pleine de cris de joie et de plaisirs futiles glanés à Florence,me causa un étourdissement : le retour de Charles-Maurice de Talleyrand
semblait une proche réalité ; rien n'était plus vrai, une relation de madame de Staël m'accabla encore davantage en me donnant le nom du navire ayant la gloire de nous ramener en ses flancs le ci- devant évêque d'Autun .
Toute fringante à Paris, la dame Suisse ne se tenait plus de joie dans ses lettres aux émigrés du port de Hambourg, « C'est la vérité » clamait-elle, il nous revient ! La robuste intellectuelle ne se trompait point : son cher Talleyrand fendait la houle, affrontait l'océan sur un bateau danois bizarrement baptisé » Den ny Proeve », ce qui signifierait « La nouvelle épreuve » !
Cette épreuve imprévue a manqué me tuer, j'ai frôlé le pire, mais ma bonne étoile m'a vengée de la méchanceté de cet ancien amant, vous allez savoir comment à la fin de cette lettre.
Reprenons du commencement ...
A peine au port, cet homme qui m'a abandonnée, trahie, rejetée, humiliée, qui a piétiné mon cœur, froissé mon âme, ce barbare qui n'a point hésité à me blesser de ses conquêtes diverses, n’a-il eu l'audace ou l'inconscience de m'envoyer un billet me réclamant un rendez-vous, comme si nous nous étions quittés la veille et le plus tendrement du monde ! lui qui m'a signifié son indifférence en Angleterre ! lui qui m'a quitté sans un adieu en s'embarquant pour Boston! lui qui n'a gratifié de ses lettres et de ses déclarations que la châtelaine des rives du Léman  et sa petite cour !
Louise, ma chère, j'ai perdu la tête de colère et de frayeur.
Ne voulant répondre avec vigueur à cet homme dénué de la plus élémentaire sensibilité, j'ai supplié un aimable personnage, Mr de Ricci, habitué à rendre de menus services au sein de la société que nous formons à Hambourg, de jouer les messagers .
Mon billet écrit à la hâte priait sans détours l'ancien ami de ne point se souvenir de mon existence, ce qui ne l'avait gêné depuis deux ans, et de s'en aller dans un autre port, voire de s'en retourner aux Amériques. Pour beaucoup de gens en émigration à Hambourg, je passais pour lui avoir été fort attachée, il risquait ainsi d'être un obstacle à mon mariage avec Mr de Souza .Il ne fallait en aucun cas blesser un nouvel ami déjà enclin à me proposer une union douée de toutes les chances de bonheur.
Mr de Talleyrand n'éprouve aucune pitié, aucune tendresse si ce n'est envers sa propre personne.
Il me fit répondre qu'il agirait comme bon lui semblerait.
Là dessus, il débarqua, s'en alla loger cher Mr de Narbonne, y attrapa une terrible fièvre et fut quinze jours sans poser un pied par terre.Un hasard inexplicable qui explique pourquoi je renais peu à peu de mes cendres.
Mr de Talleyrand m'en veut terriblement, il a eu la force de se moquer de mon billet, et de clamer du fond de son lit qu'il ne nuira certes point à mon futur mariage avec le « bon Mr de Souza », pas plus que les personnes qui l'entourent. Grâce au Ciel, ces personnes bien élevées ont juré de se taire, et Mr de Talleyrand s'embarque demain pour la France où madame de Staël lui a ménagé un retour triomphant.
Cet homme est pétri de vanité, son amour-propre est l'unique forme de sentiment qu'il est capable d'éprouver, mais le sort en lui infligeant cette étrange fièvre l'a confiné en lui ôtant la joie de me faire du mal.
J'y vois l'intervention de la Providence et je ne doute plus de mon mariage !Si seulement mon nouvel ami se pouvait hâter de demander ma main ; il s’efforce d'emporter une citadelle dont je lui tends désespérément les clefs ...

Ma chère Louise,
souhaitez-moi de ne point patienter trop longtemps avant de porter le nom d'Adélaïde de Souza,
Que devient votre joli peintre, ce François-Xavier Fabre qui vous semble la réincarnation de tous les artistes de la Renaissance Florentine à lui seul ?

Je vous embrasse,

Adélaïde

A bientôt pour la suite, sur ce blog, ou ailleurs,
si vous aimez me lire, vous pouvez vous évader du confinement grâce à mon roman "Un balcon sur l'Arno", signé "Natalie-Alix de La Panouse", sur Amazon ebook kindle

Nathalie-Alix de La Panouse


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