dimanche 5 avril 2020

Mr de Talleyrand et la belle Victoire Delacroix , chap 67: Les amants du Louvre


Chapitre 67:  Mr de Talleyrand et la belle Victoire Delacroix

Les amants du Louvre: Roman épistolaire par Nathalie-Alix de La Panouse

 Sophie, ci devant baronne de Barbazan, principessa di San Clemente, 
exilée ennuyée à Florence:
Lettre à Adélaïde de Flahaut

Florence, le 10 octobre 1796,

Ma chère, mon adorable, ma fidèle Adélaïde,

Je te supplie de ne pas me traiter de tête à vents, de monstre de frivolité, d'amie légère et égoïste, ou de tous les noms que tu feras rouler sous ta plume véhémente !
Pauvre Adélaïde ! Oui, tu m'as ouvert ton cœur, et je t'ai laissé sans réponse, mais qu'aurais-je pu écrire ? Depuis ce soir de printemps de notre jeunesse folle où tu ouvris sans le savoir ta porte à un jeune homme au pied bot qui venait de se hisser au sommet de l'étroit escalier menant à ton grenier du vieux-Louvre, ne chantes-tu la même antienne ?
« Je l'adore, je le hais, mon Dieu ! que cet homme m'est indifférent, c'est à peine si j'ai souvenance de l'avoir connu ! » Puis, cela reprend : » Je l'aime, je le quitte, il m'aime, il me trompe, adieu et soudain : que de regrets ! » . Or, cette fois, tu m'assures que ton cœur fragile serait l'esclave de ce bon diplomate , ce baron de Souza, cet aimable sujet du roi du Portugal, ce galant gentilhomme cousu d'or, brodé d'argent, mais qui ne semble guère pressé de vous voir tous deux unis par les liens sacrés du mariage …
Tout ce que l'Europe compte de vieille noblesse et de gens médisants a fait des gorges chaudes sur ton refus de t'embarrasser de ce Talleyrand effronté, qui se croyait certain de te reconquérir comme le maître siffle son chien !
Si la passion de jadis logeait encore en ton cœur, je te parie que tu aurais couru les bras tendus vers ton diable boiteux, tu aurais pleuré, souris, et envoyé paître le bon Mr de Souza... et quelle aurait été ta récompense ?
Point d'amour, juste un charmant « Adieu ma chère, ravi de vous avoir revue ! » de la part de ton goujat de ci -devant évêque , amant sans foi ni loi.
En vérité, ton refus tranchant de renouer avec cet être malfaisant est la preuve d'un caractère affermi, fortifié par les épreuves, et aussi de la certitude de ta valeur .
Pourquoi un ingrat serait-il récompensé  de ses faussetés et de ses absences ?
Mr de Souza prend son temps, certes ! Mais ne te prouve-t-il que son attachement désire perdurer ? Il a besoin de suivre un train de sénateur, l'amour a ses épines, ses cailloux, or, tout vient à point si la patience et la tendresse savent rassurer les indécis.
Crois mon conseil : étudie le portugais !
Étudie la civilisation du Portugal, étonne Mr de Souza ! Et ne songe plus qu'avec une indifférence amusée à ton ancien ami qui de retour à Paris séduit un bataillon de jeunes femmes dans l'unique dessein d'obtenir un ministère... Pour l'heure, m'écrit une amie, qui mêle les derniers potins aux nouvelles folies de la mode, Charles-Maurice de Talleyrand hanterait le lit conjugal du ministre des Affaires étrangères, Charles Delacroix, et s'évertuerait à donner un héritier à cet homme bien empêché de ce devoir en raison d'une tumeur placé à un fort mauvais endroit …
Ce qui est fort plaisant, c'est qu'il guigne aussi le poste du ministre et son logis, l'hôtel Galliffet qui vaut bien nos palais de Florence .
Madame de Staël s'agite comme un moulin à vents, elle clame que le très sensible Talleyrand songe sérieusement à se noyer dans la Seine et que seul un bon ministère le guérira de cette tentation !
Allons ! Mr de Talleyrand n'est certes point de retour pour barboter en bas de l'île Saint-Louis, la fable ne trompe personne, pourtant, Barras semble soucieux, on ne sait ce qu'il redoute-t-il le plus : les extravagances de la redoutable Suisse ou le naufrage de son ami , le descendant des seigneurs du Périgord ?
 Sans doute afin de goûter les ultimes délices de son destin, notre Charles-Maurice lutinerait sa logeuse, la piquante madame de Boufflers qui lui a proposé un tendre nid dans son village d'Auteil où elle cultive son potager et nourrit ses poules comme une lady de la campagne anglaise. La gourmandise de notre vieil ami trouve ainsi à se contenter, de façon fort variée...
Mais, l'insatiable court les salons et accable les dames à moitié mortes de froid dans leurs tuniques de gaze de ses aventures exotiques, pour un peu on le croirait réchappé de quinze naufrages et vingt attaques de peaux-rouges !
Il confierait dans l'atmosphère feutrée des lieux de mauvaise vie certains détails sur une certaine Doudou noire de la tête aux pieds et furieusement experte aux jeux de l'amour …
 En voilà une conduite pour un futur ministre ! Hélas, notre gouvernement est bien loin de la vertu , et beaucoup s'amusent des récits de Mr de Talleyrand décidément homme à la mode.Victoire Delacroix évite toutefois les rencontres publiques, si une idylle lie ces deux êtres que tout oppose, elle reste enveloppée de brumes et d'élégance discrète . Madame Delacroix a une réserve et une distinction naturelles , un charme délicat qui raniment la politesse exquise de notre ancien Régime, c'est une beauté que la reine n'aurait point désavoué … Je pense que cet écho venant de sa jeunesse explique l'attirance de Mr de Talleyrand …
Comme tu me vois bien renseignée ! En toute franchise, je m'imagine volontiers plus à Paris qu'à Florence !
Je languis de la France, l'exil même brillant me pèse, mon époux souffre maintenant de la goutte, cela rend son humeur irritable, mes soupirants jouent mais ne se déclarent point, ils aiment les prémices de l'amour et fuient dés que l'on avance vers la passion, on nous déconseille de revenir à Naples, et Bonaparte continue à foudroyer l'Italie.
Si je m'enfuyais à nouveau ? Je suis une vagabonde de nature !
Ma chère Adélaïde, rendez-vous à Paris d'ici quelques mois !
Je n'en peux plus d'imaginer les femmes à la mode, les hommes au pouvoir, les cafés,les échoppes, les bords de Seine, les tours de Notre Dame et l'air de mon pays.
A Paris !
Pourquoi ne pas minauder auprès de Mr de Talleyrand afin d'obtenir que nos noms soient rayés de la liste des émigrés ? Ne te doit-il cette faveur ? Ne serait-il heureux de revoir son fils?  Cet enfant si brillant, si audacieux qui lui fera bientôt honneur, n'en doutons point avec de pareils parents !
 Et ne se souviendrait-il des jours heureux où la baronne de Barbazan herborisait à son bras sur les prés de Bagnères de Luchon ?
Quel péril en ma personne et en la tienne menacerait-il la France ?

A toi, et à Paris !

Je t'embrasse,

Sophie

A bientôt, pour la suite,

Nathalie-Alix de La Panouse


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