samedi 21 mars 2020

Dolce vita à Florence en 1796: chap 65 : les amants du Louvre

Dolce vita florentine

Lettre de Sophie, principessa di San Clemente à Adélaïde de Flahaut

Florence, le 21 juin 1796

Ma très chère Adélaïde,

C'est la femme la plus heureuse du monde qui t'envoie cette lettre !
Oui, je renais à la vie du haut de mon balcon sur l'Arno, je respire la senteur acre de la vase, la douceur de l'air , les parfums des glycines, et les effluves des Florentines qui semblent se baigner dans les eaux de fleurs que l'on fabrique au monastère voisin.
Mon cher prince d'époux dort en bon Napolitain au mitan d'un lit aux colonnes torses qui a certainement abrité en ses vastes flancs tout un cortège d'aristocrates, la dague sur le côté, l'or plein les poches, la vengeance dans la tête, une sœur de Simonetta Vespucci dans le cœur.
Nous louons un palais tellement chargé de tableaux que l'on ne peut en deviner les murs !
Mais quel bonheur d'avoir fui les menaces de révolution , encore pire, les méchancetés de Lady Hamilton , et de nous retrouver dans cette ville si paresseuse, si endormie, le contraire de notre Naples prise de fièvre perpétuelle.Même la fantastique chevauchée de ce général Bonaparte qui remplit de terreur l'armée autrichienne depuis son extravagante victoire de Montenotte et sa prise bien plus inouïe de Milan voilà à peine un mois,ne soulève aucune passion dans les promenades exquises aux Cascines,sur les berges fleuries de l'Arno, où sur les sentiers bordés de bosquets d'oliviers montant vers San Miniato.
J'avais besoin de ce repos, à force de jouer le rôle d'une seconde confidente de la reine, d'une amie bienveillante de cette Emma Hamilton que je déteste tout en feignant la plus parfaite amitié à son endroit.
 L'art du théâtre est aussi une vertu napolitaine ...
Je ne savais plus qui j'étais ni même où j'étais. Vois-tu, Florence vous ôte tout ce qui ne donne point sa vraie mesure à la vie, Naples vous épuise, Venise vous enlève dans un songe creux, ici, on sent le goût de la réalité sous les prodiges de l'art.
Les Médicis, mécènes légendaires, ne se sont-ils hissés à la force du poignet ? A la manière d'ailleurs de ce général Bonaparte qui entreprend la conquête de l'Italie avec son armée de braves sortis des campagnes de notre pays !
Jusqu'où sa célérité dans les victoires le mènera-t-elle ?
Certes pas en Toscane où la neutralité affectée par notre charmant jeune grand-duc, heureux père d'un héritier blond comme un ange qui serait l'orgueil de sa grand-mère, ma reine Marie-Caroline, si elle le pouvait cajoler , nous entoure d'un rempart diplomatique, du moins pour le moment …
Je préfère oublier l'ambitieux petit général corse et marcher d'un pas à la florentine, fort lent et fort coupé de saluts, de regards en coin, de sourires qui en disent peu mais en promettent beaucoup …
Tout parle des Médicis, tout vante leur splendeur que l'on croit à tort fanée, or, il suffit de contempler l'harmonie du Duomo d'un belvédère accroché à une des collines , de muser à la galerie des Offices, de plonger ses yeux dans la fresque des rois Mages de l'ancien palais de Lorenzo il Magnifico, et les fastes de ces époques de fer, d'or, de velours et de feu s'échappent des livres d 'histoire .
Ne se sont-ils toujours relevés ces marchands, ces banquiers, boudés par les nobles de Florence après les ruines, les exils ou les attaques de leurs rivaux ? N'ont-ils protégé les peintres fameux, les sculpteurs de génie, les architectes sublimes, grâce aux fruits de leur vulgaire labeur de négociants ?
L'artiste, cet être étrange, occupé à créer, peut être éthéré, celui qui lui offre sa survie, pas du tout !
Une preuve éclatante de ce raisonnement c'est le jeune peintre François-Xavier Fabre dont s'est entiché notre chère amie Louise !
Quel délicieux soupirant, quel dévoué cavalier servant !
 Et quel artiste aussi, il prend sur le vif du pinceau visages et paysages, arpente les oliveraies, disparaît sur les monts, et revient chez sa tendre amie avec sa moisson de dessins ravissants. On le nourrit, on l'abreuve, on le dorlote, c'est le fils prodigue ou l'Ulysse d'un jour. Le pauvre chevalier d'Alfieri endure avec vaillance ces gâteries destinées à un autre, il s'efforce d'apprécier ce jeune homme qui semble inoffensif, doux comme un agneau, et qui pourrait bien être un jeune loup en se taillant une place dans le cœur si vaste de sa bien-aimée …
Notre bonne Louise ne craint point le ridicule !
 L'art lui tient tant à cœur que ,chez elle, en son palais et en son cœur, l'artiste sera toujours choyé, à condition d'être un beau garçon...
Mon nouveau titre de principessa napolitaine m'ouvre les portes d'une aristocratie claquemurée en ses palais décatis. On m'y entour de rumeurs qui s'apaisent à ma vue et se changent en compliments : je ne fais point mauvaise impression et mon époux flatté parvient à ne point menacer mes galants de plus de deux ou trois duels par jour.Heureusement, la nonchalance des cavaliers freine ces velléités belliqueuses ! mourir pour de beaux yeux n'est point l'art de vivre en faveur dans la Florence  de 1796!
Au milieu des somptuosités du Palais Pitti, la jeune souveraine, est une fleur bien frêle qui montre toutefois qu'elle reste la fille de nos rois de Naples : elle déploie les grâces les plus flatteuses en notre honneur. Madame Le Brun qui fît son portrait peu avant son mariage eut l'outrecuidance de se plaindre en cachette de son modèle peu avantagée par Dame Nature...
Je n'aime point l'arrogance de cette artiste qui n'aurait été que fort peu de chose sans la faveur de notre reine infortunée. La grande duchesse n'attire point les regards mais elle s'empare des cœurs, sa douceur et sa bonté se répandent sur chacun, du plus humble au plus brillant.
Sa conversation roule quasi exclusivement, il faut l'avouer,sur ses enfants qu'elle chérit de façon extrême, mais elle se plaît à recevoir courtisans et hôtes de marque sans jamais se départir de sa bienveillance.
Notre première audience s'est prolongée à faire pâlir de jalousie les habitués de la cour tant la jeune grande duchesse était heureuse de parler ,sur le ton le plus simple, des jardins de Caserte, de la baie de Naples aux eaux si pures, à la lumière si vive, des belvédères du palais de Capodimonte, des thermes de la verdoyante île d'Ischia, et de la majesté naturelle des jeunes filles de Capri qui dansèrent la Tarentelle un soir sur la terrasse du palais royal.
Cette princesse retenait à peine ses larmes, son sourire ne s'adressait plus à nous, son cœur n'était plus au palais Pitti mais sur une terrasse surplombant la mer, avec l'île de Capri étendant ses ailes au milieu du golfe...
Nous avons eu droit à un bal miroitant de parures antiques et de robes d'un autre âge, et de propos à la courtoisie surannée roulant sur des sujets aussi dramatiques que l'excellence des truffes de Norcia ou les suaves arias de Paisiello.
Tout Florence a le visage de la Belle qui dort en attendant le baiser de son prince charmant.les tragiques heures vécus par notre pays sont arrivés sous la forme d'échos dont le tintement s'entend à peine … Florence est une île entourée de ses collines, un sanctuaire délicat, un lac aux eux dormantes après avoir connu des époques de violence indicible.
Pourquoi s'en plaindre ?
Je ne résiste point à te faire une confidence , en effet,malgré notre apparence radieuse, ne touchons-nous toi et moi aux frontières de cette terre que l'on nomme jeunesse ?
Voici donc : hier, je me suis aventurée jusqu'à une chartreuse pareille à un château-fort, c'est là que d'heureux mortels se seraient réfugiés pendant que la peste martyrisait Florence. C'est encore là que l'on admire de merveilleux tableaux de Fra Anglico que je porte aux nues. J'ai ainsi expliqué à mon entourage, étonné de mon entrain, que seul le goût que j'avais envers ce peintre si émouvant m'incitait à cheminer vers un lieu si austère .
Or, la veille, au palais Pitti, un serviteur m'avait tendu avec la mine la plus hypocrite du monde
un méchant papier sentant fort la déclaration d'un insolent.
J'avais vu juste : on me traitait de Déesse Française aux beautés épanouies, et l'on me donnait rendez-vous devant la chartreuse d'Ema. Piquée par cette insolence rare, je pris aussitôt le parti d'aller donner une leçon de morale à l'auteur de ce billet !
Hélas, je n'avais point mis ans la balance une colline ombragée d'une mer d'amandiers, des rochers où croissent des bosquets d'orangers, une chartreuse redoutable protégeant des vergers propices aux rencontres secrètes …
Celui qui m'attendait avait une un grain de folie dans les yeux et la plus belle allure de Florence.
J'ai gardé une réserve hautaine qui ne lui a guère imposée : demain, nous avons à parler de je ne sais quoi d'extrêmement important sur le mont Oliveto, il y aurait une petite chapelle d'où la vue serait exquise, l'endroit serait très solitaire, et tout embelli de fleurs sauvages et de vignes soignées …
Céderais-je à la tentation ?
 Nous verrons bien ! L'air de Florence est si languissant que je pense à rester raisonnable !
Mais, j'y songe, la sublime aimée de notre ami Vivant Denon ,en séjour à Florence afin d'y savourer son mariage avec le comte Albrizzi qui d'ailleurs ne l' y accompagne point, m'a annoncé le prochain retour en Europe, et peut-être en Allemagne, sans doute , le croirais-tu à Hambourg, de ton ancien ami le ci-devant évêque de Talleyrand -Périgord .
Cette nouvelle irait-elle troubler ta douce entente avec le délicat baron de Souza ?

Je t'embrasse,

Sophie de Barbazan, principessa di San Clemente,

(ou ton amie d'enfance, la baronne en sabots de l'ancien monde ...)

A bientôt pour le retour de monsieur de Talleyrand,

Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix

Si vous aimez ce roman écrit comme un feuilleton, vous pouvez aussi lire mon premier livre sur ebook kindle, Amazon, "Un balcon sur l'Arno", par Natalie-Alix de La Panouse,
ce roman inconnu mêle le fantastique, le sentiment et l'histoire, une récréation au sein de notre confinement ...Merci d'aider une femme de Lettres  solitaire ...



Un jardin pour rendez-vous amoureux à Florence:
il Palazzo Guicciardini

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