lundi 20 avril 2020

Comment avoir la passion de la vie au temps de Nelson et Bonaparte : chap 69, Les amants du Louvre


Confidences de Naples à Paris au temps de Bonaparte et Nelson

Chapitre 69 : Les amants du Louvre

Roman épistolaire par Nathalie-Alix de La Panouse

Lettre de Sophie, ci-devant baronne de Barbazan,
principessa di San Clemente, à la ci-devant comtesse de Flahaut

Naples, le 2 octobre 1797,


Ma bien chère Adélaïde,

Ta lettre m'attendait ce matin sur la terrasse surplombant la mer vert pâle en frappant les rochers, irisée de bleu turquoise en s'éloignant du rivage, d'une pureté céleste à ce moment d'extraordinaire clarté.
L'enveloppe bougeait sur le plateau d'argent, j'ai reconnu ton écriture à ses volutes gracieuses, et la vue sur la baie m'en a paru encore plus radieuse, enfin des nouvelles de mon amie d'enfance, la seule à connaître les secrets de ma vie ... La seule qui sache deviner la mélancolie qui m'habite sous le masque de la futilité triomphante !
Quel plaisir de me plonger dans ces potins de Paris ! Merci , ma chère, tu me rends l'envie de vivre !
Que le cours de ton destin prend une allure déconcertante ! me voilà recluse à Naples, prise au piège de mon rang et de mes devoirs de grande dame, tandis que toi, libre et joyeuse, tu montes les échelons de la nouvelle société à Paris.
Comme je t'envie alors que ton dur exil me faisait tant la peine !
Ainsi va la vie, je trompe mon ennui en dessinant des statues sous les orangers de notre jardin, tu t'amuses à la manière d'une jeune fille en oubliant deuils et périls.Merci de tes croquis de mode, je n'en crois pas mes yeux !
Je n'ose imaginer les élégantes de ce nouveau monde : personne à Naples n'aurait le courage de paraître devant la reine en robe sans taille, sans corset lacé, en chemise de nuit transparente et la gorge nue ! J'admire la folle audace des Parisiennes et craint de ne jamais l'imiter sous peine d'être exilée sur nos terres de Sicile, dans un domaine aride, en plein désert brûlant, par mon prince d'époux dont les épines du grand âge avivent la jalousie féroce .
Ainsi, après un an d'efforts et d'incertitudes, te voilà ancrée à Paris, vivante parmi les fantômes du vieux-Louvre, renouant avec la vie des salons, sous l'égide fraternelle de notre vieil ami Vivant Denon  qui ne parle que du dessein du général de l'armée d'Italie de s'en aller conquérir l'Egypte !
A croire qu'il s'imagine être le descendant d'un scribe et qu'il voit en Bonaparte l'héritier des pharaons. Lui aussi ne m'abandonne point et me conte à ravir ses aventures mondaines : le général s'évertue, m'écrit-il de sa plume qui ne cède en rien à la tienne pour l'esprit enjoué, à distraire sa coquette épouse dont la réputation a traversé la mer . On dépeint cette "fille des îles" comme des plus exquises, frivoles, et  encline à croquer les beaux officiers, autant que les diamants et perles, dont elle serait friande.
Qu'en dit le général, ramassant ses lauriers en Italie, (au grand affolement de tout ce que Naples compte d'ennemis des Français) ?
 Le prince heureusement m'a depuis longtemps présentée en victime de la Révolution, et nul ne songerait à me faire grief d'appartenir par la naissance à cette race abhorrée.
Ma chère Adélaïde, quel charmant tableau en vérité que celui que j'imagine :
la ci-devant comtesse de Flahaut renaît de tes cendres! elle secoue la poussière de ton ancien grenier, renoue par diplomatie avec sa belle-soeur d'Angevilliers (qu'elle n'apprécie que du bout des lèvres sans l'avouer), apprends les manières de l'ancien monde aux jolies femmes du nouveau, essaie d'écrire un roman qui lui arrache déjà des soupirs de fatigue, et elle ne craint d'affronter soupçons, calomnies, ragots de son un sourire charmeur...
Paris succombe à ses yeux vifs, à ses bavardages piquants, à son esprit d'éternelle jeune personne.
Vraiment, ma chère Adélaïde, ne joues-tu un peu la comédie ? 
Ton bonheur est-il à ce point éclatant ?
Le baron de Souza, dis-tu, t'accompagnera bientôt , sauf lorsqu'il se couchera tôt, ce qui lui arrivera souvent ! Pauvre Adélaïde ! Un bonnet de nuit ne fait pas un galant digne de ce nom, hélas!
 Pourtant il veillera sur tes fréquentations avec un soin jaloux des plus prometteurs.
 Courage ! il finira bien par se déclarer !
 Rends-toi indispensable, sois une conteuse à l'instar de notre incorrigible Vivant Denon qui a toujours usé de cette corde sensible afin de se faire accepter et aimer.il ira au firmament s'il choisit de suivre la bonne étoile : peut-être le général Bonaparte ?
Je suis secouée de rire en lisant ta description de cette créature, cette Catherine Grand de réputation fort « connue »( Sir Hamilton nous a déjà appris, les nouvelles courent au galop quand elles sont de peu d'importance, que peu de gentilshommes n'ignoreraient ses charmes des Indes à Paris ) que Charles-Maurice a trouvé lors du coup d'état du 18 fructidor, endormie et enveloppée de ses longs cheveux d'or sur le sofa de son antichambre ! la belle affaire que l'on a arrangée pour lui ! 
Voilà le roi des séducteurs à son tour séduit !
Je ne devine rien que de l'enjouement dans ton récit de cette scène bouleversant ; ta jalousie semble envolée. Est-ce une illusion ? 
Les amours du père de ton enfant ne sauraient-t-ils troubler ton cœur ? 
Serait-ce la victoire de ton admirateur du Portugal ?
 J'accepte d'y croire !
Il ne manque plus qu'une demande en mariage, l'assurance d'une vie confortable, d'un titre de baronne, du statut envié d'ambassadrice, et ta destinée te sourira au grand jour.
Nous avons toutes les deux des caractères heureux, férus d'optimisme, notre passion de la vie ne nous a -t-elle sauvées des détresses endurées par nos amis ? 
Regarde, nous aussi avons perdu la douceur de l'ancien Régime, pourtant, que faisons-nous ? Loin de nous lamenter, nous rebâtissons nos existences sans un regard en arrière …
L'amour est un sentiment qui renaît en mourant, il prend une autre forme, la passion devient désir de tendresse, l'estime et la reconnaissance l'emportent sur la fièvre et l'obsession, mais nous aimons toujours !
J'ai bien failli tirer ma révérence et laisser mon beau titre de principessa en cadeau d'adieu à mon vénérable principe di San Clemente ; puis, le remords de blesser un homme bon, dont l'unique crime est de m'ennuyer, m'a ouvert les yeux, j'ai quitté Florence en hâte, en y laissant un cavalier que je ne regrette qu'en songe. Ainsi va la vie tissée d'occasions manquées et de devoirs exigeants !
Me voici installée à nouveau dans ce royaume qui s'agite sous le vent des idées républicaines .
Je ne saurais abandonner le prince si jamais ces élucubrations prenaient un tour violent, nous ne saurions aussi abandonner la famille royale, mais j'abandonnerais avec plaisir lady Hamilton !par contre, celle-ci campe de plus belle auprès de la reine, mais on chuchote que sa charmante et innocente faiblesse envers lord Nelson envahirait son cœur … 
Or, son héros souffre d'être un tant soit peu diminué : amputé d'un bras depuis la victoire de la flotte anglaise contre les Espagnols devant Santa Cruz, le malheureux nous étonera-t-il encore de sa vaillance ?
Et en amour … Son épouse se montrera digne face à ce mari estropié pour son pays et son roi.
Mais qu'en pense déjà Lady Hamilton ?
Pour l'heure, notre galant premier ministre tremble que le général ne se dirige bientôt sur Naples, les Lazzaroni jurent de mourir pour le roi. Allons ! si les Français jurent de remplir les poches de ces braves gens, les Lazzaroni se jetteront à leurs pieds …
Mais, faisons confiance à lady Hamilton qui mande courriers sur courriers à l'amiral de la flotte anglaise, sir Jarvis, titré comte de Saint-Vincent, à la suite de la fameuse bataille du même nom ; sir Nelson a eu l'honneur d'y perdre un bras et c'est l'amiral qui a reçu la récompense espérée !
Lady Hamilton se console en annonçant à qui veut l'entendre que « son » Nelson est tout de même commodore, titre qui a quelque chose de furieusement séduisant , ne trouves-tu ?
Sir Hamilton laisse son épouse dévorer ses plats napolitains et mener la diplomatie royale avec une voracité indescriptible ; le résultat est qu'elle s'arrondit de façon inconsidérée et que le roi passe pour inconsistant aux yeux de beaucoup …
Où cela nous conduira-t-il ?
Une chose est certaine dans cet océan d'incertitude : lady Hamilton ne saurait porter la nouvelle mode française sous peine de ressembler à une barrique ,qui lui conseillera de mettre un frein à ses appétits ?

Ma chère Adélaïde,

je t'en prie,
secoue à nouveau ma paresse napolitaine,
je n'en peux plus de cet art du  « far niente »,
Raconte -moi encore la vie de salons, les bavardages et les rumeurs,
parle-moi de politique, d'amour et de rubans, donc de Paris !

je t'embrasse,

Sophie




Lord Nelson : Héros  de légende ayant gagné la gloire et l'amour de lady Hamilton,après la perte d'un bras et d'un oeil...

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