jeudi 21 mai 2020

Prise de Malte avec le chevalier Joseph-Mercure de La Panouse: "Les amants du Louvre" Chapitre 72

De la prise de Malte à la première bataille d'Aboukir: gloire et défaite 

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Charles-Maurice de Talleyrand

Paris, dix août 1798,

Monsieur mon ami,

J'attends des nouvelles de Monsieur Vivant Denon qui a aiguisé ma soif d'aventures en m'annonçant la prise de Malte à sa façon, mais tout d'abord, je me dois de vous rassurer sur le sort de' notre petit Charles .
Je vous remercie mille fois de vos bontés envers notre enfant qui vient d'envoyer le plus heureux des récits de voyage et me prie de vous assurer de sa reconnaissance pour l'avoir sauvé de l'ennui d'un été à Paris.
Le voilà s'initiant aux travaux des champs en Normandie et bien mieux aux bains de mer
si plaisants en cette saison ! Ses hôtes, vos généreux amis et cousins s'amusent paraît-il de sa facilité à parler de tout avec un aplomb et un esprit qui forcent l'admiration des invités de leur salon. Les jeunes personnes seraient en particulier assez subjuguées pour écouter notre cher enfant, bouche bée et yeux arrondis d'étonnement devant une telle éloquence !
Charles enchante surtout quand il s'agit de chanter le soir des fadaises ou romances, votre aimable cousine, m'a confié que l'auditoire ne se pouvait lasser de l'entendre ! Ce talent-là, mon ami, n'appartient qu'à lui ! Je ne me souviens point de vous avoir jamais écouté me chanter quelques airs exquis …
Toutefois, vous partagez avec Charles l'art d'ensorceler une assistance et de présenter une vérité comme il vous convient .
Or, je souhaiterais que vous ne me cachiez la vérité sur le sort de la flotte du général Bonaparte, les rumeurs les plus bizarres courent les rues et déferlent dans les salons, je ne reçois  plus aucune nouvelle de monsieur Vivant Denon depuis un rapide billet me racontant d'un trait incisif la prise de Malte, le neuf juin déjà, qui semble sous sa plume avoir plus tenu de la partie de plaisir que du combat.
Une escouade de chevaliers aurait même rejoint la flotte après avoir envoyé une reddition signée de beaux vieux noms français. Je crois qu'un descendant de chevaliers de la première ou troisième croisade, un certain Joseph-Mercure de La Panouse, tenté par une audacieuse aventure, a mis au service du général ses talents de géographe et cartographe sans l'ombre d'un regret !
Enfin, Monsieur Vivant Denon m'a paru enchanté de cette diligente conquête de Bonaparte car, m'a-t-il doctement confié : «  Si l'aspect de Malte est aride, peut-on voir sans admiration que la plus petite colline qui recèle quelque peu de terre ,soit toujours un jardin aussi délicieux qu'abondant,où l'on pourrait acclimater toutes les plantes de l'Asie et de l'Afrique ? »
Mais, je laisse de côté les idées un tantinet extravagantes de mon vieil ami en matière de fruits et légumes issus de la « serre chaude » de Malte que l'on pourrait amener à Toulon afin de les y naturaliser pour nourrir les campagnes, le sujet de mon inquiétude reste la détermination de lord Nelson à s'emparer de la flotte française.
Vous savez que notre amie Sophie ci-devant baronne de Barbazan, que vous estimiez fort autrefois avant qu'elle ne se lance dans d'imprudentes pérégrinations en Espagne ,à Londres, et en Italie,me tient informée des angoisses de la cour de Naples et de l'influence de lady Hamilton, cette fille des rues qui a réussi à séduire sir Hamilton et qui tiendrait maintenant sous sa domination la reine de Naples....
Or, cette femme fort entichée de lord Nelson a convaincu le roi de le laisser ravitailler sa flotte à Syracuse, l'ennemi ainsi ranimé risque de s'abattre sur notre flotte au moment où le général s'y attend le moins. Ne vous moquez, mon ami, je vous en conjure de mes frayeurs, mais, ayez la bonté de ne point me laisser dans une si pénible incertitude. qu'advient-il vraiment de l'expédition en Égypte ?
Les gazettes ont annoncés la prise d'Alexandrie,trois semaines après, celle du Caire , et un mot splendide du général est sur toutes les lèvres, serait-il inventé ce puissant :
«Allez , et pensez que du haut de ces monuments quarante siècles nous observent » ?
Voyez-vous, mon ami, cette noble formule sent tellement notre Vinant Denon ! Aurait-il soufflé ce mot à l'oreille du général devant la magnificence des pyramides ? Il en serait bien capable !
Souvenez-vous des jours anciens où vous ne manquiez jamais de me rapportez les faits les plus incroyables, ne suis-je plus qu'une ombre indigne de vos lumières ?

Mon ami,

je suis votre servante,

Adélaïde

Charles-Maurice de Talleyrand à la ci-devant comtesse de Flahaut,

Paris, le onze août 1798

Madame et mon amie,
Je me réjouis de vos nouvelles :
je n'ai point besoin de vous dire que j'aime notre Charles plus que moi-même, jugez donc de l'immensité de mon affection.
Le général Bonaparte est fort occupé au Caire entre ses combats contre les Mamelouks et l'instauration d'une administration ; notre flotte est à l'ancre dans la baie d'Aboukir dont le nom ne restera sans doute point dans l'histoire.
Monsieur Denon serait en parfaite santé, observant sans cesse et dessinant aussitôt ce qu'il a observé, sa curiosité semble insatiable, je gage qu'il bâtira bientôt une pyramide de croquis ...s'il ne succombe dans les prochaines batailles engagées.
De si loin, les nouvelles me parviennent peu à peu et je ne saurais vous en livrer certaines qui n'ont point vocation à être trop tôt répandues ...
Mon amie, les jours anciens ne sont point autant effacés que vous le croyez, et le nouvel objet de mes affections ne saurait égaler votre malice, vos piques spirituelles, votre charme incomparable,
et la ténacité qui vous fait vaincre l'adversité avec un sourire toujours radieux,.
A quand votre mariage avec ce bon Monsieur de Souza ? On dit qu'il ne se hâte guère vers l'autel …
Peut-être auriez-vous pu réfléchir avant de vous hâter à Hambourg de vous débarrasser de moi ...

Je reste à jamais votre serviteur, et vous resterez la divinité de ma jeunesse envolée,

Charles-Maurice

Lettre de la Principessa di San Clemente à la ci-devant comtesse de Flahaut

Capri, le dix septembre 1798

Ma chère Adélaïde,

Je suis à Capri, l'île que tu aimes tant  et que tu envisages sous la forme d'un songe idéal, c'est à la fois vrai et faux, hélas !
Me voici bien installée dans une grosse villa pompeusement baptisée « Palais Canale », unique séjour confortable des illustres chasseurs de cailles, ou encore des nobles voleurs de vestiges antiques sous l'égide de ce démon de Norbert Hadrawa, secrétaire de l'ambassade d'Autriche qui heureusement a été découvert et renvoyé chez lui .
Je déteste sir Hamilton qui a osé s'emparer d'un autel en marbre rose sous prétexte de le mettre à l'abri en son palais Napolitain !
Notre villégiature habituelle, une maison blanche au toit servant de citerne, bâtie en surplomb du port minuscule, sert maintenant à loger les enfants de l'île que les moines de la Chartreuse n'instruisent ni ne soignent et abandonnent souvent à la famine.J'ai accepté d'en transformer sa dépendance en école et le roi m'en est très reconnaissant.
Cette île à la beauté idéale abrite sur ses rochers, ses plateaux montagneux ou ses vallées couvertes de fleurs aux parfums puissants comme ensorcelés, à peine mille pauvres pêcheurs ou gardiens de chèvres. Les jeunes filles semblent de nouvelles Nausicaa ou Circé, princesses ou déesses dignes d'orner la cour d'Auguste leur port de tête est le plus altier du monde, mais les enfants pleurent et mendient, leurs parents vivent si peu que la vieillesse n'existe point ici.
Le peintre Philippe Hackert qui sur l'ordre de la reine a rendu célébré dans toute l'Europe le Monte Solaro resplendissant comme une falaise embrasée, n'a point saisi la terrible réalité de ce morceau vivant de l'ancienne Atlantide.
Je suis heureuse d'y faire quelque bien, et ce d'autant plus que Naples éclate de joie pour une victoire qui paraît autant celle de lady Hamilton que de lord Nelson.
Je t'envoie ce mot quelques jours après l'arrivée du messager de lord Nelson, le capitaine Capel (encore un officier à l'air faussement angélique ) venu sur « la Mutine » afin de claironner la victoire absolue de la flotte Britannique sur la Française ; or, mon cœur ne se résigne point à être du coté anglais …
Lord Nelson aurait ravagé les bâtiments français amarrés dans le port inconnu d'Aboukir !
Désastre affreux, inouï, inimaginable ! le plus magnifique des vaisseaux français, l'Orient ,aurait jailli sur les flots avant de sombrer dans un vacarme épouvantable, la flotte française aurait été encerclée par les Anglais qui se dirigeaient vers elle pour l'anéantir.
On se réjouit à Naples, avec une ivresse qui ne me plaît point, des trois mille victimes françaises, blessées lourdement ou tuées sur le coup. Du côté des vainqueurs, c'est lord Nelson qui incarne les souffrances de la guerre : la peau du visage arrachée, il aurait tout de même survécu grâce au médecin du bord qui a eu la présence d'esprit de lui remettre en place le lambeau horrible de la peau du front pendant sur sa bouche à l'aide d'un bandeau noir du plus ténébreux effet...
Lady Hamilton en délirait presque d'admiration et de compassion ! La reine se pâmait et sanglotait au comble du bonheur !
C’en fut trop pour moi !
J'ai décidé de m'embarquer pour Capri où je tenterai de me faire oublier fort longtemps, si je pouvais ne point assister aux prodigieuses fêtes que lady Hamilton s'est mis en tête de préparer en l'honneur de son grand héros !
On nous annonce le vainqueur du Nil, c'est-là son nouveau titre de gloire vers la dernière semaine de septembre, je vais voir passer sa flotte devant les falaises de l'île, son avant-gardisme aussi blessé que son capitaine recevra l'ovation effrénée la foule Napolitaine guettant les voiles du fond de la baie.vois-tu, cela sera une déclaration de guerre à la France …
Je ne sais où j'en suis, Adélaïde !
Mais, si mon époux m'oblige à me rendre à Naples et à faire la révérence à ce nouveau baron du Nil, sois-sûre que je ne manquerais aucun détail afin de te les raconter tous !
Ma seule patrie, finalement, c'est cette île sauvage, cette citadelle antique et éternelle,
c'est Capri l'imprenable, l'intangible, la gardienne des mystères enfouies dans les bleues, vertes, blanches et rouges profondeurs de ses grottes, l'unique lieu où je sois en sécurité.
Comme je te comprends et t'approuve de l'aimer toi aussi !

Je t'embrasse,

Sophie

A bientôt pour la suite, et un jour la fin, de ce roman épistolaire,

Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix


Première bataille d'Aboukir, le 1er août 1798, remportée
par les Anglais sur mer,   la seconde bataille d'Aboukir 
un an après sera un succès Français, sur terre.









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