mardi 12 mai 2020

Où est passée la flotte de Bonaparte ?"les amants du Louvre" chapitre 72


Chapitre 71

Où est passée la flotte de Bonaparte ?

Lettre de Sophie di San Clemente à la comtesse de Flahaut

Naples, le 30 juin 1798

Ma chère Adélaïde,
Mais enfin que nous arrive-t-il ? Est-ce le diable, est-ce un mirage, est-ce vraiment ce Bonaparte qui suscite tant de terreur à la cour et à la ville, serait-ce une lubie qui nous saisit ou une torturante réalité ?
Pourquoi ne me m'écris-tu que des fadaises indignes de ta plume ? Pourquoi n'as-tu le courage de m'avouer que Bonaparte approche, que c'est sur Naples que son armada déferle, que nous sommes perdus ! Lady Hamilton baisse le ton à ma vue, on me soupçonne de je ne sais quel crime, ne suis-je une Française, race maudite face à l'arrogance britannique ?
La reine se tait aussi, mais son angoisse se lit sur son visage, le roi reste fidèle à sa nature: il chasse à Ischia ou à Capodimonte, se récompense de ses exploits sur d'innocentes bêtes en banquetant en convive sortant d'une famine, s'adonne aux plaisirs les plus communs et se moque de Bonaparte en jurant que Naples constitue la plus invincible des citadelles …
Les Lazzaroni l'acclament et l'adorent, la reine se désole et le désarroi augmente.
Qui nous défendra si Bonaparte surgit derrière les Ponza ou l'île de Capri ?
Lady Hamilton a trouvé le sauveur idéal : lord Nelson, manchot et borgne mais si vaillant, si aimable et si mal traité par le roi qui refuse de laisser ses bateaux se ravitailler dans les ports de Sicile : comment partir à la recherche de la flotte gigantesque du général de Bonaparte avec des hommes affamés et des navires souffrant d'avaries ?
Lady Hamilton ne saurait le supporter ! je gage que le roi aura affaire à elle, et que le port de Syracuse s'ouvrira autant que le cœur de la belle épouse de l'ambassadeur anglais .
Cette épuisante créature a eu la folie d'écrire maintes fois d'ardentes suppliques à Lord Nelson, au point que des Ponza , au lieu de son héroïque personne, il nous a dépêché voici trois semaines le charmant jeune capitaine Troubridge, qui débarqua fort poliment, dans la soirée, chargé de messages à l'intention de sir Hamilton et du capitaine général de Naples.
Imagine l'amère déception de lady Hamilton ! J'en fus témoin car le prince et moi nous étions les hôtes de l'ambassade .Je me retins de rire devant sa moue dépitée, hélas, mon doux contentement s'envola quand de sa manche, le délicieux capitaine à mine proprement angélique avec ses cheveux blonds et ses yeux d'un bleu à narguer la méditerranée, extirpa un billet sur lequel Lady Hamilton se jeta avec un empressement traduisant l'engouement le plus passionné du monde ou je ne m'y connais plus !
Je me levais, agitant mon éventail afin de dissimuler ma curiosité piquée au vif, m'approchai à pas de loup, et tentai de lire à la dérobée ces mots tracés d'une main unique qui avaient le pouvoir de métamorphoser une dame courroucée en une vivante statue d'Aphrodite au teint de rose et au visage éclatant sous un flot rayonnant de larmes bienheureuses …
Or, ce stratagème peu glorieux fut inutile ! Lady Hamilton se tourna vers moi en me témoignant une affection toute nouvelle, puis, d'une voix exaltée me dit : « Venez ! Je dois me confier à une personne de votre rang, l'émotion en moi déborde, j'ai confiance en vous, n'avons-nous toutes deux réussi à accrocher les faveurs de la fortune ? « 
Je failli répliquer que de mon côté la noblesse , quoique fort rustique, avait présidé à ma naissance, mais, la prudence me fit ravaler mon amour-propre.
La prudence, et la curiosité !
Lady Hamilton m'entraîna au bout de la terrasse, et me glissa, ivre de béatitude et de vanité satisfaite, ces excuses d'une rare distinction et d'une admirable habileté :

«  Milady,

Si j'allais à Naples, si je descendais à terre, si je vous revoyais, je risquerais de manquer à tous mes devoirs, qui sont de poursuivre la flotte française sans perdre un instant .
Troubridge vous remettra cette lettre, qui au lieu d'être une preuve d'indifférence, devient par l'explication qu'elle vous donne, une preuve de la violence du sentiment que j'éprouve pour vous.
Aussitôt Troubridge de retour, selon les indications qu'il recevra du capitaine général et de sir William, je continue mon chemin .
Fusent-ils au bout du monde, je rejoindrai les Français, et vous me reverrez vainqueur et digne de vous, milady, ou vous ne me reverrez pas !
Mille fois vôtre,

Horace Nelson »

Palpitante, rougissante, lady Hamilton m'enleva ce billet d'un geste empli d'une grâce qui n'appartient qu'à elle, et chuchota :
«  Voyez donc comme je suis aimée … et par un homme qui ne m'a point revu depuis si longtemps ! Et quel homme , mon Dieu!quel héros ! Un bras emporté à Tenerife, un œil arraché à Calvi , une vaillance de lion, une prestance dont le souvenir ne me quitte plus depuis notre première rencontre, une renommée d'un éclat à faire pâlir Bonaparte, un, un... »
A court de compliments enamourés, l'opulente beauté se contenta de me presser la main en soupirant de toute son âme ou du moins de tout ses poumons !
Là où ce charmant entretien se gâta c'est lorsqu'elle me demanda avec la brusquerie bien dissimulée sous ses appas gracieux :
«  Eh bien, ma chère, que pense votre amie d'enfance, cette comtesse de Flahaut dont l'étoile semble encore briller à Paris, de cette nouvelle aventure de Bonaparte ? Où diable amène-t-il sa flotte ?
Vous ne sauriez me le cacher n'est-ce pas ? N'en va-t-il du salut de Naples ?
Que devrais-je apprendre à lord Nelson à votre avis ? »
Un silence de mort s'établit sur les orangers en pot, le disque rouge du soleil disparût sur la mer
veinée de turquoise, le rocher de Capri resplendit comme si ses falaises s'embrasaient, sans que je ne dise un mot, sans qu'elle ne se départisse de son calme olympien.
Je finis par murmurer :
« Madame, je vous prie de me croire,
je suis née Française, mais la Révolution a tué mes amis, mon premier mari, mes espoirs de vivre auprès de mes enfants, l'amour que j'éprouvai pour mon pays. Mon cœur est maintenant Napolitain. Je voudrais vous aider, je désire aider la reine, mais, la vérité est que les lettres de madame de Flahaut se bornent à mesurer la délicatesse des camées ou l'originalité des châles des Indes proposés dans les échoppes du Palais Royal.
Je sais que mon amie a eu l'honneur d' accompagner madame Bonaparte dans ses emplettes à Marseille, rien ne m'a été confié si ce n'est la passion de l'épouse du général envers les colifichets !
Voudriez-vous me faire la grâce de ne plus m'interroger ? »
Lady Hamilton soupira à nouveau, mais ne protesta point.
Nous regagnâmes le salon favori de notre hôtesse, celui où les fenêtres laissent entrer la brise marine.Mon époux et sir Hamilton conversaient sur un ton dramatique qui ne leur était point du tout habituel. Le capitaine Troubrige s'inclina en me lançant une oeillade qui me rajeunit de dix ans !
On venait d'apporter un billet de la reine qui nous mandait tous à la terrasse du palais royal le lendemain afin de contempler le déploiement de la flotte britannique …
J'ai eu le bonheur d'agiter la main vers le délicieux capitaine Troubridge, je caresse d'ailleurs l'espoir de faire meilleure connaissance avec cet ange guerrier, à condition qu'il ne revienne point démuni de bras, de jambes ou d'un de ses jolis yeux bleus !
Ma bonne amie, voilà où nous en sommes !
Lord Nelson se hâte désormais lentement sur la méditerranée qui a la malice de se changer en lac aux eaux dormantes ! Pas un souffle de vent !
Et toujours aucune nouvelle du général Bonaparte !
Cette monstrueuse armada aurait-elle été victime des Sirènes, mangée par les Lestrygons, lapidée par les Cyclopes ?J'y pense, je ne reçois plus de billets charmants de notre ami Vivant Denon qui clamait son désir de voir de prés les pyramides, dois-je comprendre quelque chose ?
Mais on frappe à ma porte, mon époux lui-même, hors de lui, s'écrie :
« Bonaparte s'est emparé de Malte ! Sir Hamilton le tient de lord Nelson qui lui amandé un billet du fort de Messine.
Je gage que d'ici peu, le brouillard se dissipera et que lord Nelson saisira enfin le projet de Bonaparte, qui n'est héros à se contenter de la seule conquête du caillou maltais …
Comment les chevaliers se sont-ils rendus si promptement ?

Je t'embrasse,

Sophie

A bientôt pour la suite de ce roman -feuilleton épistolaire mêlant l'histoire à l'invention

Nathalie-Alix de La Panouse


L'art de lire un billet doux par Marguerite Gérard 1798

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