vendredi 28 août 2020

La demande en mariage d'un homme prudent : chapitre 81, "Les amants du Louvre"


Chapitre 81 Les amants du Louvre

La demande en mariage du prudent baron de Souza

 Lettre d'Adélaïde de Flahaut au baron José-Maria de Souza-Bothello
Naxos, le 15 septembre 1800,

Mon ami,

La chaleur régnant sur l'île est extrême, le jardin d'orangers fond à vue d’œil, la mer au loin ne bouge pas davantage qu'un bijou de turquoises en fusion.
Qu'importe ! je m'empresse tant à vous répondre que la plume me devance sur le papier !
Par miracle, vos lettres si tendres, si courtoises, si généreuses, ont fini par m'atteindre après un retard considérable.
Je suis morte de honte devant l'infinie bonté que vous me témoignez, ne vous-ais-je abandonné afin de courir les mers ?
Votre Adélaïde s'est prise pour la fille d'un pirate, allant d'îles en îles à la recherche d'un certain vice-consul que tous croyaient au fond d'une affreuse prison barbaresque, alors que ce monsieur menait la douce existence d'un châtelain cossu sur l'île de Naxos.
Quand, mon très cher ami, lirez-vous ce billet ? Sans nul doute, vous parviendra-t-il en France au moment où moi-même entrerais-je au port de Toulon !
Ma mission est accomplie, Monsieur de Talleyrand veillera sur le sort de monsieur Fauvel, j'ai fait un beau voyage, et sur l'île de Naxos, terre florissante et toute couronnée de vignes, j'ai reçu de vous, de si loin, grâce à la plus délicate des lettres, la plus tendre des demandes .
Oui ! Monsieur, je vous dis oui !
 Comment vivre privée de votre fidèle affection ?
Saviez-vous que  la crainte de vous avoir déplu m'a conduite, entre autres raisons, à accepter cette étrange mission en Grèce ? Quand le Premier consul décida, de façon extrêmement flatteuse que mon fils entrerait dans le régiment du 5ème dragon, sous les ordres de son frère, je me sentis libre comme l'air ...
Je n'étais ni mère ni épouse, ni maîtresse d'un salon littéraire, ni chargée du bien-être d'une maisonnée, je n'étais qu'un nuage encore douée d'une jeunesse déjà sur le déclin. Il me fallait me précipiter dans l'inattendu, l'aventure, la découverte , avant que le soir ne tombe...
J'étais juste Adélaïde traînant un cortège de souhaits inassouvis : voyager de par le vaste monde sans autre maître que le très lointain Monsieur de Talleyrand pour la forme, et mon humeur changeante pour le présent …
Vous m'aviez prouvé votre dévouement depuis notre rencontre impromptue, suivie d'une conversation littéraire des plus érudites et d'un début d'amitié si irrésistible, voici quatre années, dans cette auberge d'Altona, dont le souvenir nous émeut toujours...
Mais je redoutais de vous lasser, peut-être formiez-vous le vœu d'une compagne plus placide , moins éprise des menus plaisirs de la vie, et moins capable de prendre la mer vers Naples, Capri, Palerme, Corfou sur un simple coup de folie ?
Mon fils tient d'ailleurs de sa mère !
Mon très cher ami, j'ose vous confier, maintenant que vous me révélez la force de votre attachement, les mots pleins de hardiesse que cet enfant, trichant sur son âge,envoya en mars dernier, au Premier consul.
Il a écrit sans consulter personne,sans me l'avouer, je ne l'ai appris qu'à Athènes, et par un billet de Madame Bonaparte aux anges devant cette plaidoirie héroïque émanant d'un beau jeune homme...
Nul ne lui sembla digne d'être consulté, pas même Monsieur de Talleyrand qui ne cesse de lui donner de précieux conseils. Non point, le jeune comte de Flahaut s'est présenté au conquérant de la campagne d’Égypte avec une ferme simplicité, quasiment d'égal en égal ! et tout de go comme un futur héros déterminé à la bravoure exemplaire !
Cette audace passe l'imagination, mais elle lui a gagné l'estime du Premier consul …
Jugez-un peu de la prose de votre futur beau-fils : voilà un panache qui sent l'esprit du chevalier sans peur et sans reproches !
Lisez, je vous en prie, mon bon ami :

Lettre de Charles de Flahaut au Général Bonaparte, mars 1800:

"Général,
Je n'ai que seize ans, mais je suis fort.
Trop jeune pour être soldat, j'ose vous demander d'être votre aide de camp.
Soyez-sûr que je serai tué ou que j'aurai justifié votre choix à la fin de la campagne .
Mon père a été condamné à mort sous la Terreur. Après son jugement, ma mère obtint du geôlier
de le laisser échapper. Le lendemain, mon père apprît qu'on avait arrêté son défenseur officieux.
Il quitte son asile, se rend à la Commune , disant qu'il ne veut pas qu'un innocent souffre pour lui et il a péri deux heures après.
Croyez-vous , Général, qu'après un pareil exemple, je serais fidèle à l'honneur et à vous ?

Salut et respect,

Charles de Flahaut »

Je gage, mon ami, que le Général saura à l'avenir avoir une belle opinion de votre futur beau-fils ! 
Je vous confesse éprouver une immense fierté à l'égard de ce fils que j'ai eu à cœur d'élever, d'éduquer en homme bien-élevé sachant tenir son rang sans arrogance et défendre ses convictions sans brusquerie . Il  " sait vivre", or, le Savoir-Vivre, n'est-ce point aussi l'art de s’élever en douceur dans la société ?
Mon très cher ami, vous me demandez ma main et je vous l'accorde avec ferveur; mais, que ce bonheur se teinte de mélancolie: vous exigez encore presque deux années de patience !
On vous a promis que vous occuperiez le poste de ministre du Portugal à Paris dés janvier 1802, mon Dieu, quel bonheur, mais que c'est loin !
Vous songez à notre mariage parisien, et je vous approuve, nos amis seront si charmés de nous entourer en l'église de la Madeleine ou si vous préférez en celle de Saint-Sulpice, je vous laisse le choix, je vous suivrai toujours ; patientons jusqu'à nos retours en France.
J'oubliais, dans la joie de votre demande, combien de mers, d'îles, de villes, de ports, de plaines et de montagnes nous séparaient !
Je suis au bout de ce fol univers, vous à l'autre, du côté de l'Océan, et votre amie perdue au cœur des Cyclades.
Toutefois, puisque votre volonté est de nous unir à jamais, je vous reviendrai ; je vous reviens, je partirai dés que le vent se lèvera. Hélas, pour l'heure, aucun souffle ne plane sur les collines, aucune brise ne vole sur la mer, nous respirons dans un paradis immobile...
Je me désespérerais si le commandant du nouveau bateau anglais amarré dans le port, un aimable jeune officier qui s'est pris de passion pour la fille de nos hôtes, ne me jurait que les vents nous emporteraient d'ici début septembre …
Je soupçonne ce commandant Norton d'invoquer l'antique dieu Éole afin de rester sur l'île le temps que la demoiselle Akrivie réalise qu'elle l'aime aussi follement que lui l'adore !
Je vous reviens vers l'automne, mon ami, en traversant d'Athènes à Corfou, de Corfou à Palerme, et de Palerme à Naples, puis Gênes, Marseille et Toulon, quel périple à refaire, cette fois, l'humeur joyeuse, je vous reviendrai, mon ami, sauf si un naufrage bouleverse nos projets …
Mais, non, je nagerais jusqu'à vous s'il le faut !
Je vous attendrai à Paris, mais ne tardez point, vous me feriez vraiment trop languir, et je vous lasserai à force avec ma mélancolie, vous qui appréciez tant mes malicieuses remarques sur tout un chacun …
Je vais m'obliger à terminer mon nouveau roman, je manquais de foi en mes propres œuvres,  mais vous ranimez mon zèle et ravivez mon inspiration,

A vous, mon ami, à vous !

Comme je serais fière de signer d'ici 18 mois « Adélaïde de Souza »,

Votre servante, votre amie, bientôt votre épouse,

Adélaïde

Lettre d'Adélaïde de Flahaut à Louise d'Albany
Naxos, six août 1800

Ma chère Louise,

Quand recevrez-vous ce billet ?
Jamais ou l'an prochain, je suis devenue insaisissable, un feu follet errant sur la mer à la recherche d'un paradis perdu.
Mais, l'avenir n'est plus incertain !
Vous n'en reviendrez point car cette histoire tient du roman : sur l'île isolée de Naxos, un bateau marchand Français venant de Toulon, apprenant que je faisais une longue escale sur l'île d'Ariane et Dionysos a laissé un paquet de lettres à l'intention de la comtesse de Flahaut ; dans ce lieu retiré du temps où l'on vit encore sur le mode féodal, quel prodige !
Je me gardais de croire au hasard, me voilà punie, ma chère !
Le hasard est un bon prince qui m'a apporté, entres des mots charmants de mon fils et des remontrances de Monsieur de Talleyrand courroucé de ma légèreté en matière d'enquête diplomatique, voici enfin la demande officielle, brève, tendre et quasi craintive du baron de Souza .
Pourquoi « craintive » me demanderez-vous, et je vous répondrai aussitôt : parce que mon ami le baron a réuni ses forces afin d'oser s’embarrasser d'une épouse !
Étonné de sa propre hardiesse, le voici qui, non content de m'envoyer sa demande sur les mers au risque qu'elle chavire avant de me trouver, me prie de patienter jusqu'à sa nomination à Paris prévue pour janvier 1802 …
Mon prétendant a beau être sincère, il a besoin de rester célibataire le plus longtemps possible !
Qu'importe si mon fiancé se hâte avec lenteur, pourvu qu'il arrive à l'autel...
Mais, allez-vous encore me dire : « Ce baron fortuné, prudent, l'aimez-vous vraiment ? »
et je vous avouerai : la passion n'est point au rendez-vous, peut-être en ais-je trop souffert pour la regretter, rien n'efface l'amour même quand on n'y croit plus, mais la bonté console …
Voyez-vous, Louise, le baron de Souza est trop bon pour ce monde, « c'est avec une sorte de religion que je le respecte et je l'aime  » .
Beaucoup de mariages se sont bâtis avec moins de solides matériaux !
Nous irons vous visiter à Florence, et vous me comprendrez et m'envierez !
Le baron ne saurait égaler la belle figure de votre chevalier d'Alfieri, ni rivaliser d'enthousiasme avec votre joli peintre Fabre, mais il incarne l'honneur et le dévouement.
Ajoutez encore une vertu plus éclatante à mes yeux : son engouement pour les œuvres d'art qui lui ferait franchir des monts sauvages et des plaines arides afin de se pâmer devant les tableaux d'un artiste inconnu et sublime ornant les murailles décaties d'un monastère oublié.
Sera-t-il un époux accommodant et facile ?
Ma foi, Louise, je me contenterai de peu ! rompre avec la solitude, poursuivre l'éducation de mon fils et l'écriture de mes romans sans m’inquiéter du lendemain, puiser mon inspiration dans la paix du foyer, quels bienfaits en perspective !
Je saurais m'accoutumer des petites manies de mon bon époux ! Il le méritera et je n'ai point le cœur injuste …
Quant à monsieur de Talleyrand, eh bien, qu'il endure sa compagne, cette belle Catherine qui se présente avec une touchante candeur en disant : « je suis d'Inde » sans être tenté de lui tordre le cou!La plus furieuse de cette affaire, c'est Madame de Staël , un si grand esprit rejeté pour une « dinde » ! Imaginons le pire s'il lui prenait l'envie de quitter l'église, de rompre définitivement ses vœux pour épouser  cette créature dont il semble fou ?
Madame de Staël en étoufferait de rage ! Et moi de rire.
Après tout, qui sait ? Même les hommes les plus fins ont de ces faiblesses inexplicables ...

Allons, Louise, il me faut vous quitter, la chaleur m'accable trop et la plume me semble peser autant qu'un rocher...

Je vous embrasse, priez pour que nulle fâcheuse aventure ne m'empêche de devenir la baronne de Souza !

Adélaïde

A bientôt,

Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix


Bacchus sauvant Ariane abandonnée par Thésée sur l'île de Naxos
Angelica Kauffman

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