jeudi 29 octobre 2020

Villa San Michele ou la sublime folie du bon docteur Munthe

Pages Capriotes

L'art de construire ses rêves sur les ruines romantiques d'Auguste et Tibère

Vers la fin de ces années fantasques décorées du titre de » La Belle Epoque », l'île de Capri était encore cette « Belle aux flots-dormant qui dort d'un sommeil enivrant » selon l'aveu un tantinet désabusé de l'écrivain voyageur Maxime du Camp.

Or, ses intangibles falaises où la moindre averse fait naître d'impétueuses cascades de fleurs, ses montagnes hérissées de pins et adoucies d'oliviers, abritaient certains excentriques s'acharnant à faire de leur vie insulaire la plus rare des œuvres d'art.

Quitte à s'exiler corps et biens sur leur citadelle îlienne...

Et cette folie souvent sur un coup de sang, un élan d'amour irraisonné, à l'issue d'une simple promenade de Naples au port de Marina Grande : il faut se méfier des Sirènes tapies sous les orangers ...

Cet aréopage d’esthètes cultivait la meilleure façon d'avoir la paix sur une île cachant en ses flancs assez de grottes, de chemins secrets, de criques, et de bois de citronniers, de vignobles, de Villas Romaines en ruines, de plages rocailleuses et de jardins sauvages pour que l'ennui en soit irrémédiablement banni.

Patients et philosophes, les Capriotes de souche évoluaient avec un talent diplomatique admirable autour de ces bizarres cercles enchantés.

Le temps, armé de son fouet, a pourchassé les anciennes extravagances, saccagé les souvenirs troublants, éteint l'écho des soirées fastueuses sur ces terrasses, pavées de majolique et de tessons de marbre antique, d'où les magnifiques oisifs célébraient les couchers de soleil sur l'île d'Ischia...

Entre un flot de commérages sentant le whisky, et force dissertations intellectuelles de haute volée, ces désoccupés de génie s'abreuvaient aux sources de la poésie afin de célébrer la victoire de leurs rêves sur les trahisons et médiocrités du monde réel.

Qui sursaute ou soupire au nom de Norman Douglas,Kate et Saidee Wocott-Perry , Elphy Lovatelli ou Compton Mackenzie ?

Qu'importe ! La pierre sauve l'esprit, et c'est dans leurs maisons bâties à l'instar de monuments à leur image que ces excentriques habitent sous forme d'ombres sarcastiques pour l'éternité.

Beaucoup de ces Villas ceintes de solides colonnes surplombant d'amples jardins frissonnants sous les guirlandes de chèvre-feuille et de bougainvilliers, sont métamorphosées en hôtels destinés aux « Heureux du monde ».

Les plus troublantes, abandonnées ou repliées sur leur passé, excitent l'imagination des promeneurs cherchant à deviner leur splendeur déchue aux confins des pergolas drapées dans leurs buissons de jasmins.

Or, pour beaucoup de voyageurs, Capri porte, avant toute autre prouesse d'architecture, un champ de ruines admirables sur son roc aigu : les vestiges hautains de la Villa de l'empereur Tibère.

Mais, selon certains esthètes, la curiosité de l’île serait une sorte de temple Maya érigé vers 1938 par l'écrivain Curzio Malaparte.

Une maison ? Plutôt une tache rouge étalée sur une mer d'un bleu de cristal ; vrai château de la démesure : « Une maison comme moi »selon la parole lapidaire  de son créateur( qui possédait aussi « Un chien comme moi » afin d'animer d'un peu de naturel son arrogant refuge).

C'est une citadelle sur une forteresse, un double isolement, et aussi un oiseau perché. Les avis restent extrêmement partagés, en extase ou épouvantés, les marcheurs cheminant sur le Pizzo Lungo, se figent d'étonnement face à ce rêve rose foncé...

Mais, si l'on accepte que le beau soit toujours bizarre, alors, la maison Malaparte rependit de beauté, son architecture puissante et austère la rend digne de la nature implacable et farouche qui l'entoure.

Toutefois, Malaparte ne détient guère la palme de la fantaisie architecturale .

Une trentaine d'années avant sa sublime invention, deux rivaux s'affrontèrent du haut de leurs Villas bâties sur le roc afin d'illustrer deux songes de l'Antiquité, deux états d'âme, deux tempéraments aussi opposés que la lumière et l'ombre. Ce duel taciturne oppose encore sur deux montagnes de l'île, un ange déchu, le comte Jacques Fersen au un chevalier de bonté, le docteur Axel Munthe.

Du côté de Naples, en contre-bas du Monte Tiberio, la Villa Lysis, oppressant manoir de la solitude, renaît de sa torpeur douloureuse et irradie d'une harmonie nouvelle.

Sur le versant opposé, au faite de l'escalier Phénicien qui grimpe bravement depuis la nuit du monde jusqu'à la porte fortifiée d'Anacapri, la Villa San Michele accomplit son destin de gardienne des légendes insulaires.

Au milieu, entre les rocs prodigieux, une coulée verdoyante, parsemée de maisons blanches,descend vers le bourg de Capri, puis cascade vers le bleu intense de la mer qui s'obstine à envahir les grottes ensorcelées.

A la fin du XIXème siècle, le jeune et pauvre docteur Axel Munthe débarque sur la plage de cailloux de Marina Grande, il croit au hasard et prie ce dernier de l'aider à oublier les affres de son divorce et de sa confusion mentale.Les Sirènes de l'île , bonnes filles et divinités perspicaces,s’empressent d'exaucer ses vœux . Le voici d'abord contant fleurette à la belle Gioia qui entre deux baisers sous les citronniers lui désigne avec effroi les marches énormes de l'Escalier Phénicien : 

« Un sentier rapide, sept cent soixante-dix- sept marches taillées dans le roc par Timberio(Tibère!) en personne montait à flanc de colline et, à mi-hauteur, dans un trou noir, vivait un féroce loup-garou qui avait déjà dévoré plusieurs Cristiani. En haut de l'escalier, était Anacapri, mais seules les gente di montagna y vivaient, toutes très méchantes gents. »

Axel Munthe ne craint ni les ni les monstres ni les montagnards, au contraire, sa mélancolie s'envole et sa curiosité le pique au vif ; l'appel du destin ne prend-t-il l'exquise forme et le délicieux minois de cette ingénue au rire adorable ? N'écoutant que son intuition, il grimpe allégrement sous un soleil incandescent,et contemple la baie de Naples depuis « San Michele », minuscule chapelle en ruines.

Une vision s'empare de lui, une force inouïe l'habite, il sait qu'il a trouvé sa mission terrestre : il reconstruira cette chapelle et remontera l'antique Villa dont les fondations et colonnes gisent à ses pieds.sur le promenade défiant le précipice, il entrevoit un homme d'âge mûr, sombre et tourmenté, serait-ce Tibère arpentant son domaine disparu ?

Le jeune, pauvre et naïf docteur Munthe se lance à l'attaque de sa chimère, ce rêveur idéaliste et touchant affronte le concret, accepte le joug des réalités ; son rêve n'exige-t-il un compte en banque solide ?

Capri le rend lucide et raisonnable ! le voici docteur mondain et sauveur des têtes couronnées fuyant la froidure de leurs pays nordiques entre Sorrente et Almafi. Mais, sa bonté ne le quitte pas, et il soigne avec générosité ceux qui n'ont rien ...Sans aucun talent d'architecte, fortifié par toute une famille de maçons dévoués d'Anacapri, il relève ses ruines, découvre des pièces de bronze et statues romaines, convie ses nobles patients sur l'île, et sans le savoir se fait l'artisan du déferlement du tourisme à Capri !

C'est l'homme d'Anacapri, l'indispensable docteur au grand cœur, le chevalier-servant de la reine de Suède et le bienfaiteur de tous les animaux abandonnés à la ronde ! Une légende fabuleuse se tisse autour de ce mythe vivant qui a établi sur un parapet visible de Marina Grande son sphinx de granit rose découvert , sur la foi d'un rêve, dans une ancienne villégiature de Néron sur la côte Adriatique...

Mais, le docteur Munthe a un rival ! Cette fois, l'homme est Français, et pourtant héritier du plus romantique des noms Suédois : Fersen ; or, ce superbe jeune comte Jacques Fersen tire du gouffre du malheur, le souvenir du parfait servant de la reine Marie-Antoinette !

Sa distinction assassine son prochain, son visage aux traits d'une perfection digne d'honorer un marbre ciselé par Phidias inspire les passions amoureuses de la gens féminine, et son opulence le pare de toutes les grâces et lui ouvre toutes les portes .

Ce tableau flatteur sera rompu par la médisance, le magnifique descendant de l'amant présumé de la reine de France aurait choisi de s'exiler sur l’île afin d'échapper à la prison. En ces temps reculés, être un homme qui n'aime point les femmes vous abaissait au rang de criminel …

Capri est un rocher qui ne s'étonne de rien, sauf de la banalité ou de la laideur, le comte Fersen devient le page de deux fées Carabosse, deux américaines qui jouent à passer pour des sœurs...

Le beau comte n'en a cure, la société cosmopolite bruit avec fracas, résonne comme l'écho des cloches d'Anacapri, on l'adore et on le maudit, il se détourne, s'enferme dans son rêve, et mûrit un projet insensé … Sur l'abrupt Monte Tiberio couronné des nobles et titanesques débris de la Villa Jovis, bâtie par Tibère afin de rendre un culte au roi des dieux, Fersen a l'incroyable audace d'imaginer une villa évoquant un temple dédié aux joies et douleurs de l'amour.

Je vous raconterai la prochaine fois le roman de cette spectaculaire Villa Lysis incarnant le destin de souffre et d'obscurité de son bâtisseur du haut de ses falaises imprenables.


A bientôt !


Nathalie-Alix de La Panouse


Villa San Michele: un rêve harmonieux sur le dur roc de Capri

Au bas de ses terrasses, grimpe la Scala Fenicia , qui pendant des siècles fut le seul chemin menant du port de l'île à la petite ville d'Anacapri, à l'ombre du Monte Solaro,

  Sur la droite, allongé sur son balcon ,le sphinx de granit rose d'Axel Munthe poursuit un songe éternel du haut de la loggia...







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