dimanche 8 novembre 2020

Villa Lysis ou le roman du comte Fersen, poète incompris de Capri


 Jacques Fersen à la villa Lysis: histoire d'un ange incompris

L'écrivain français Roger Peyrefitte tenta laborieusement durant l'année 1967 de séduire les habitués de l'île de Capri en leur livrant en pâture la biographie du comte Jacques Fersen, roi des excentriques et prince des bâtisseurs du divin rocher.

De nos jours encore, le roman tourmenté de cet aristocrate à la réputation excessivement troublante égaie de sa couverture à la mode antique les vitrines des deux librairies de l'île.Ce portrait dévêtu d'un bel éphébe est celui du compagnon de notre héros, Nino Cesarini ...

Vous trouverez facilement celle d'Anacapri, le bourg sage et charmant qui s'épanouit au pied du Monte Solaro. Flânez tout simplement du côté de la gracieuse église de Santa Sofia ; la seconde librairie de  « La Conchiglia »  vous attend, quasi invisible et minuscule, au bout de la place débouchant de la via Giuseppe Orlandi, en hommage à l'architecte de la route établie au dessus des précipices entre la ville de Capri et sa sœur des montagnes Anacapri (en grec ancien ana signifie « au -dessus »!).

Le titre du roman se dit de façon plus musicale en italien « l'Esule di Capri » , voilà qui attire le lecteur tout en l'intrigant.

Si vous interrogez la jeune personne un rien lointaine qui garde la boutique, elle vous répliquera d'un ton définitif : « Villa Lysis ! », et vous n'aurez qu'à battre en retraite, avec ou sans livre.

Vous n'êtes pas égaré en terre inconnue pour autant, le nom de la villa Lysis tinte dans votre mémoire :

« Villa Lysis : un mito da scoprire ! » ,voilà ce qu'un aimable îlien vous a conseillé sur le pont du bateau venant de Naples, en vous désignant sur une montagne verdie de pins et assombrie de cyprès, une maison à la blancheur d'opale prête à s'envoler du haut de son belvédère de rocs cyclopéens.

Une promenade via Enchtiber, entre vergers et villas charmantes ou majestueuses, puis soudain un sentier de cailloux rude et désert, vous rapprochera de ce mythe célébré par les Capriotes qui savent cacher sous un voile délicat les secrets les plus étranges ... Vous suivez ce chemin avec patience, l'âme en repos, l'esprit alerte, la curiosité aiguisée mais sans excès, après tout Capri ne regorge-t-elle de mythes confus, divers, antiques et modernes ?

Va-t-elle vraiment vous éblouir, vous sidérer, vous pétrifier de joie ou d'horreur cette « folie » du comte Jacques Fersen qui se cacherait dans un parc odorant et sauvage, en contre-bas de la Villa Jovis ? En quoi détrônerait-elle le palais impérial, la Villa la plus célèbre de l'île, celle d'où l'effrayant Tibère tint dans sa main de fer le destin de l'empire Romain ?

Quelle outrecuidance incita-t-elle ce mystérieux comte Fersen à bâtir sa villégiature dans le sillage du sombre empereur, ce maître de l'univers au cœur farouche ? On se délecte encore du récit des méfaits impitoyables de l'odieux « Timberio » mais, Capriotes ou Romaines, les légendes s'emmêlent souvent dans les plis des mensonges, racontars, et autres calomnies.

Tibère ne dota-t-il l'île de citernes qui rendent de nos jours d'appréciables services ?

Ne couvrit-il l'âpre et sublime rocher des Sirènes de nuées de fleurs, de vignobles, de bosquets d'oliviers ? Pourquoi lui faire grief de son désir de solitude et de sa manie de suivre la course des astres inconnus ? Les promeneurs ne déambulent-ils sur les glorieux vestiges de ses palais , ne se baignent-ils dans son bassin du Palazzo a Mare, n'explorent-ils les grottes favorites de l'empereur taciturne ? Capri, qui fut d'abord le caprice d'Auguste, n'atteignit-elle son apogée grâce aux travaux d'Hercule de son petit-fils Tibère ?

Or, Jacques Fersen,l'exilé de 1905, loin de se croire l'égal des Empereurs, s'attacha à éterniser ses tourments dans un lieu irréel et inaccessible. Son désir de se bâtir une maison à l'apparence de temple insolite prend sa source dans l'obsession d'un artiste incompris.

Ce dandy aux goûts scandaleux pour l'époque était surtout un poète, un écrivain, acharné à inventer sa vie avec la même fougue qu'il déploya à construire la plus étonnante villa de l'île.

Sir Compton Mackensie, arbitre des élégances de la société raffinée et bavarde du Capri d'il y a cent ans, conta de toute sa douce ironie les tribulations de l'insaisissable comte Fersen qui fit de sa Villa le reflet de son âme douloureuse.

La lecture de cet ouvrage, « Le Feu des Vestales » déclenche de prime abord une hilarité exquise, suivie, hélas, d'un mortel ennui. Les méchancetés les plus spirituelles côtoient de saisissantes révélations qui bouleversèrent jadis les malheureux personnages gaiement assassinés par un auteur excellant dans l'exercice ardu du « roman à clefs ».Hélas, le temps a rouillé celles-ci, et les allusions perfides ont perdu beaucoup de leur amère saveur ...

Rebaptisé comte Marsac, décrit comme un charmant jeune homme blond aux joues roses, Fersen marche sur les cœurs dés sa descente du bateau. On se l'arrache, c'est l'idole d'une société qui s'isole avec une allure folle du commun des mortels et des tumultes du monde. Mais, très vite, s beautés italiennes ou les Américaines esseulées se désolent, le magnifique jeune comte ne quitte jamais son jeune secrétaire qui lui sert de garde du corps face à l'engouement de la gent féminine ….

Dans la vraie vie, Fersen nourrit une passion violente pour son compagnon Nino Cesarini, qu'il sauva de la misère à Rome et adora jusqu'à sa mort.

Sur l'île, comme dans le roman de Mackensie, deux fées Carabosse adoubèrent le jeune aristocrate Français et en firent une sorte de page. Scandale là encore, ces fausses sœurs, malgré leurs corpulences de bonnes dames expertes en pâtisseries, étant liées par lien quasi conjugal...Les tourelles de leur fantasque Villa étonnent toujours ls voyageurs levant leurs yeux vers le bourg de Capri depuis le port de Marina Grande, un philtre amer semble avoir endormi l'immense maison ouverte au soleil ...

L'île retint son souffle un matin de printemps devant la vision inconcevable de  la Villa Lysis élevée, en une courte année par un prodigieux architecte français,Edouard Chimot et une foule d'artisans maçons .Capriotes habitués aux exploits architecturaux depuis l'époque Romaine!

 l fallut len vérité une ingéniosité sans pareille, une fortune royale et d'incessants cortèges de belles jeunes filles Capriotes apportant les matériaux sur leurs têtes pour que se dresse sur les rocs à la nuance d'or pâle, le temple sulfureux d'un héros maudit.

 Hélas en même temps que la majestueuse architecture de cette Villa , au bout d'interminables mois d'incertitudes et de commérages, la vérité avait débarqué au port de Marina Grande !Quelle tragédie ! Fiancé à une jeune fille parfaite, la délicate Blanche de Maupeou,le malheureux comte, accusé des pires turpitudes par un ancien amant ivre de jalousie, affronta sans se plaindre un séjour en prison .

Abandonné par ses proches, forcé à l'exil moral, il prit la mer vers Capri, roc bienveillant où il imaginait trouver la paix. Ce vœu simple et charmant exigeait tout de même des moyens hors du commun !

Or, les aciéries de  Longwy en Lorraine fondées par ses ancêtres Suédois  fournirent assez de revenus au triste Fersen afin qu'il édifie au bord d'un précipice effrayant, au cœur d'un parc habité de statues, un monument singulier, hésitant entre le temple Grec et la villa Palladienne, bâtiment classique et insensé annonçant sur son fronton audacieux :

« Consacré à l'amour et à la douleur », « Amori e dolori sacrum ».

La mélancolie irrémédiable de Fersen imprègne encore la haute Villa blanche rehaussée de colonnes incrustées d'or ; Un poignant sentiment de lassitude désespérée hante les visiteurs, la maison garde une douleur sourde, celle de son propriétaire qui, un soir scintillant d'éclairs au sein des profondes ténèbres, regagna le royaume des ombres en buvant du champagne mélangé d'opium dans une coupe d'argent ciselée, le regard fixé sur un songe intérieur …

Cela faisait vingt ans que sa maison servait de théâtre à des jeux dangereux, à des parties d'opium, à des banquets antiques d'un raffinement trop audacieux pour ne pas terrifier même des cœurs habitués aux caprices les plus extravagants .

Mais, le comte trouvait aussi en ses jardins glissant du haut des falaises le souffle de ses musicales et tendres poésies ou de ses romans , ainsi « Et le feu s'éteignit sur la mer » qui selon le fameux Edwin Cerio, personnalité majeure du Capri de cette époque, « donnait envie de fuir l'île ».Jugement lapidaire très immérité si on lit l'ode amoureuse à Capri que Fersen livre en prologue à ses lecteurs...Fersen qui aima tant l'île fut-il compris par les îliens ?Souvent chassé du rocher de Capri pour outrages aux bonnes mœurs, puis de retour, inconsolé, incertain, s'étourdissant d'opium dans un fumoir creusé à même le roc, errant dans sa maison comme le fantôme de ses rêves déchus, écrivain méprisé, bientôt ruiné, trahi, il inscrivit son nom dans la légende la plus sombre.tout en restant l'ami des plus grands noms de la littérature française; sa revue Akademos eût ainsi, à la surprise des moralisateurs, la hardiesse de réunir les grands auteurs du début du vingtième siècle, durant une année parisienne.

Toutefois, revanche lui a été donné, son destin fut de laisser un chef-d’œuvre  immaculé !

Sa Villa Lysis, création née des chimères de son esprit esthète au paroxysme,longtemps reniée, rongée par les ronces, étouffée par les lianes, souffrant d'une réputation ignominieuse, qui à nouveau immaculée sur sa falaise tantôt éclatante, tantôt angoissante, ensorcelle ses visiteurs de sa grâce sulfureuse...

Méfiez-vous, le fantôme de Fersen au visage lisse de sa jeunesse, vous guette au détour des pièces emplies d'échos angoissants, sur l'ample terrasse pavée de brillante majolique, devant le bassin Romain ou dans le petit temple défiant le précipice …

Que lui direz-vous ?

« Merci d'avoir créé cette maison plongeant droit sur l'abîme ! »

Et peut-être  aurez-vous la courtoisie de prier pour qu'il soit heureux enfin, dans sa claire et gracieuse maison rendue au jour …

Un écho de son poème en prose, dédié à Capri;

"Mais tu es, ô Capri, surtout par la majesté de tes attitudes, par le bronze bleu de ton profil, par la mélancolie hautaine de tes légendes, par tes pierres, par ton ciel, par la grandeur cruelle de ton Passé, le sphinx, le sphinx décapité, accroupi dans la solitude des siècles  à l'entrée de la Tyrrhénienne, le sphinx androgyne et muet qui regarde encore la route par où partît César...

Et ceux qui aiment le Silence et la Vie vont vers Toi ..."

A bientôt !

Nathalie-Alix de La Panouse


Villa Lysis, bâtie en 1905 par le Comte Jacques Fersen, 

poète, écrivain, âme tourmentée, Capriote de Coeur pour l'éternité


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