jeudi 19 novembre 2020

Les grands-parents terribles: Talleyrand et Adélaïde de Flahaut-Souza:Les amants du Louvre , chapitre 84



 

Chapitre 84, Les amants du Louvre : « Neuf ans après » :

Suite de la vie romancée d'une amante de Talleyrand par Nathalie-Alix de La Panouse

Deux anciens amants, grands-parents de l'enfant d'une reine

Lettre d'Adélaïde de Souza au prince de Talleyrand

Billet confié à un domestique dévoué

Paris, rue d'Anjou,

Le dix février 1811

Mon ami,

Si vous n'êtes plus ministre, vous restez toujours un personnage illustre, un "magnifique", peut-être l'homme le plus puissant de notre pays, et  surtout prince de Bénévent! quelle destinée , mon ami... pourtant, vous allez bientôt accéder à une position beaucoup moins sublime, mais ô combien plus charmante ...Tout ceci nous unira par de nouveaux liens et un secret quasi d'état ...

Ais-je piqué comme il convient  votre curiosité ? Souffrez encore une fois que je ne donne point du Monsieur le Prince au personnage considérable que vous êtes devenu. Souvenons-nous des beaux jours de notre tendre jeunesse, et laissez-moi le plaisir ineffaçable de vous appeler mon ami, mon cher ami…

Vous le voyez, les années passent et je reste un tantinet moqueuse, malicieuse disiez-vous ; d'ailleurs, vous me faites l'honneur de maudire encore ma verve incorrigible et aussi de louer, loin des oreilles et yeux indiscrets, mes charmes qui ne se fanent point autant que l'on en attendrait d'une dame née sous l'ancien Régime !

Les années n'ont point rompu autant que nous l'aurions cru ce lien noué au temps de la douceur de vivre, notre fils nous a souvent rempli le cœur de fierté, et souvent de crainte, c'est le modèle du jeune héros impétueux ! L'Empereur nous a fait cet honneur de l'honorer en honorant sa folle bravoure et son entier  dévouement! que désirions-nous de plus ?

Eh bien, vous le saviez et le jugiez charmant : la frivole Hortense, reine de Hollande, a oublié depuis sa séparation avec le frère de l'Empereur qu'il était fort imprudent de goûter les joies de l'amour...

Notre fils si adoré des belles, (souvenez-vous des larmes de la comtesse Potocka, des humeurs de madame Murat), n'a pu empêcher la plus charmante et la plus sentimentale des femmes de s'attacher à lui avec toute la passion jamais satisfaite de la princesse Hermione envers le volage Roi Pyrrhus !

Je songe d'ailleurs à ce vers si approprié du grand Racine :

Hermione à Pyrrhus,

Acte IV, scène 5

«  Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ? ».

Voilà qui s'accorde assez à la situation, Racine est toujours d'actualité en sondant les cœurs !

Le fils ne vaut-il d'ailleurs le père ? J'aurais pu vous tenir ce langage autrefois, qu'importe, vous avez votre Sultane, cette duchesse de Courlande qui défie le temps elle-aussi, on chuchote même que vous auriez un faible pour la vieillesse car toutes vos amours sont de véritables antiquités !

Je vous connais assez pour me douter qu'un jour viendra pour vous d'aimer beaucoup plus jeune …

Mais, ce n'est point ce sujet fort édifiant qui m’occupe !

Ma jalousie n'a plus de raison d'être, quel bonheur de vivre dans la paix de l'esprit et de s'amuser des amours d'autrui …

La passion amoureuse me semble une terre aride et sinistre, aussi éloignée de notre maison que l'Inde ou la Chine. Revenons à notre descendance, ne vous doutez-vous qu'un jour viendra où nous serons grands-parents ? Moi frôlant les cinquante-trois, juste Ciel, et vous approchant des soixante, y verrez-vous-là un châtiment ou un bienfait ?

Je refuserais ,je le crains ,d'être traitée en mère -grand et vous assure que j'aurais toujours pour le prince de Bénévent les yeux que j'eus jadis pour le coquet et charmeur jeune Abbé de Périgord …

On appelle ce tour de force d'un joli nom : « Les lunettes de l'amour », ou de la tendre et nostalgique amitié si vous préférez.

Or, je vous entends :

« Mais où voulez-vous donc en venir , Adélaïde ? »

J'y vais de ce pas : vous avez eu le bonheur d'admirer notre fils à son aise dans l'hôtel alloué par l'empereur à la fille de notre première Impératrice, cette mélancolique Joséphine qui se morfond en arrosant ses rosiers de la Malmaison.

En vérité, le roi de ce palais rue Cerruti, c'est lui! l'arbitre des élégances, le brillant causeur, ne tient-il de vous, le joyeux danseur, le chanteur magistral, que sais-je ! Il règne toujours sur son domaine, et le cœur de son amante passionnée lui appartient de plus belle,rassurez-vous.

Toutefois, la donne a changé, les plaisirs d'amour ne sont plus de saison, un nouveau venu va d'ici quelques mois nous réunir de façon très flatteuse, et, comme je suis la femme la plus maternelle de la terre, je me réjouis de cet événement qui accable la jeune reine ; et qui déchaînerait la colère foudroyante de son Empereur de beau-père, s'il venait à l'apprendre …

Mais, je crois vous entendre, mon ami, voilà à peu près ce que vous me diriez si vous étiez devant moi :

« Adélaïde, vous avez perdu le jugement, vous extravaguez, votre désir de serrer un poupon dans vos bras vous fait perdre la tête ! Quelle preuve avancez-vous ? »

Mon ami, la reine Hortense m'a fait mander il y a peu de toute urgence, dés potron-minet ,afin de s'enquérir de mon avis sur un étrange malaise qui l'obligea à se retirer la veille d'un dîner particulier en compagnie de l'empereur et de la nouvelle Impératrice. Inquiète, j'arrivai en hâte, et trouvai au chevet de notre belle-fille par la main gauche, (Ciel, mon ami, empressez-vous de brûler cette lettre comme à l'époque de nos amours! Si vous saviez comme cette aventure me reverdit !) sa fidèle confidente, cette Adèle de Broc qui la suit partout depuis l'enfance,et connaît le moindre de ses secrets.

La belle reine étendue sur sa couche pleurait, se désolait et repoussait une tasse de lait tendue par son amie.

Son teint verdâtre et les cernes violettes qui gâtaient son minois chiffonné me révélèrent en une seconde le fin mot de l'histoire. Entre deux sanglots et trois bouderies, la reine me raconta le naufrage de son dernier dîner à la table de l'empereur, sous le regard vide de son épouse qui ne se pouvait détacher de son assiette, un pareil appétit ne témoignerait-il que l'héritier de l'empereur ne soit déjà dans ce « ventre » impérial?).

Le début se passa sans encombres, le menu étonna notre chère reine par l'abondance de ses plats, sans doute l'Empereur se plaît-il à choyer la future mère de son futur rejeton impérial, hélas, la catastrophe survint avec le rôti !

La jeune reine vit la table danser, et son estomac se noua jusqu'à la plus désagréable nausée, c'était le mal de mer dans tous ses états ! La pauvre enfant n'eut qu'une seconde afin de s'enfuir et d'éviter le pire … Sa voiture la ramena rue Cerruti, on la mit au lit avec douceur, et Charles la supplia de m'aller chercher au plus vite. Le bon fils que nous avons-là, mon ami !

La charmante reine a ainsi attrapé cette fameuse maladie dont on guérit en neuf mois …

Maintenant, il me faut songer à battre la campagne de Normandie afin de mettre la main sur la plus vaillante nourrice du monde, dénicher des faux parents qui contre argent accepteront de signer le certificat de naissance, et arranger au secret de ma maison l'appartement confortable où le bambin exprimera ses premiers babillements.

Imaginez un peu qu'il tienne de vous, quel bavard enragé nous aurons !

La santé de la mère me préoccupe, elle a une fragilité de nerfs qui risque de hâter la délivrance, et comment cacher son embonpoint au fur et à mesure qu'il suscitera la curiosité ?

J'ai suggéré que l'on attende l'été et que l'on se hâte lentement vers la Savoie, une halte s'imposerait alors au château de Prégny-les Tours que possède l'ex-Impératrice sur les rives du lac Léman.

Notre fils trouvera un prétexte pour y rejoindre en secret la future mère de son enfant.

Toutefois, que les amants y demeurer ensemble jusqu'à la naissance me paraît des plus imprudents...

Que nous conseillez-vous, mon ami ? La Suisse ou l'Italie  pour abriter la naissance cet enfant prodigieux, petit-fils d'évêque et de prince, d'une comtesse de l'ancien-régime, et fils ou fille d'une reine et d'un valeureux officier  de l'Empereur ? A quel destin ne sera-t-il promis !

La reine peut compter sur l'appui de son frère, le bel Eugène nouveau-vice-roi d'Italie, mais où se réfugier au bon moment ? Une île perdue irait au mieux !

Capri m'aurait enchantée si notre fils ne désapprouvait vivement l'idée d'aller se percher sur ses falaises. Il songerait à un éden splendide qui offre l'avantage d'être isolé et accessible à la fois.Mais tout est encore confus , et nous nous y prenons vraiment tôt, cet enfant qui sème la panique n'est guère prêt de l'heure de sa naissance !

Pensez-vous que nous ayons un moyen d'échapper à la surveillance du sieur Fouché qui a des yeux et des oreilles dans chaque foyer ?

Mon ami, je suis rajeunie, excitée, heureuse, ébahie , que vous dire d'autre ?

Cet enfant est une créature minuscule au sein du ventre de sa mère et pourtant je déborde d'amour !

Faites-moi la grâce de ne point tarder à me répondre,

j'ai l'intuition que notre descendant fera parler de lui...

Mon ami, je suis votre servante,

Adélaïde

Nathalie-Alix de La Panouse

Suite du roman épistolaire : »Les amants du Louvre »


La volage Reine Hortense, fille de l'Impératrice 

Joséphine et amante, entre autres, de Charles de Flahaut, 

(le fils de Talleyrand et de Madame de Flahaut-Souza), 

mère du futur duc de Morny, petit-fils de Talleyrand et d'Adélaïde de Flahaut, 

et demi-frère légendaire de Napoléon III



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