« Les amants du Louvre » Chapitre 85:
Suite de la vie romancée d'une amante de Talleyrand par Nathalie-Alix de La Panouse
Adélaïde de Flahaut-Souza à Louise d'Albany
Paris, le 20 juillet 1811
Ma chère Louise,
J'ai trouvé le secret de la fontaine de Jouvence : il est très simple et très charmant, ce n'est point une potion, ni un voyage, c'est un miracle très naturel qui en un tour de main vous rajeunit le coeur et ramène le printemps dans votre vie, devinez ! c'est l''annonce d'un enfant à naître, qu'en dites-vous ? Vous allez vous moquer, vous allez me tancer :
"Enfin, ma chère, vous me rompez la tête avec cet enfant d'une reine volage et de votre fils amoureux de toutes les belles ! votre bambin sera une merveille de la nature, j'en conviens déjà, mais attendez un peu sa venue au jour !"
Louise, ma chère vous si raisonnable, du moins si on se fie aux apparences, réalisez-vous que nous sommes unies par une amitié d'une longueur absolument considérable !
Je n'ose regarder en arrière de peur de me sentir aussi historique que votre bonne cité de Florence et à son instar aussi endormie sur les gloires de jadis ! Ne pensez-vous comme moi que ce que nous ignorons l'une de l'autre tiendrait dans une tasse de thé et encore ?
Vous n'avez jamais cessé de me conseiller dans mon laborieux travail d'écriture littéraire, vous êtes une des rares à comprendre pourquoi dans mon dernier roman, cet « Eugène de Rothelin » (dont je n'ai point honte mais qui ne me satisfait guère) j'ai tenté de ressusciter le modèle d'homme humaniste, fier, curieux, d'une générosité sans égale, et d'une fidélité sans failles qui emportait les cœurs au temps de nos rois.
Que la nouvelle époque en est loin ! Je ne sais ce que valent vos nobles Florentins, toutefois, vous me les décrivez mélomanes, amoureux, férus d'Art et d'une patience cachant bien des passions à l'abri de leurs palais retranchés des tumultes du monde...
Un monarque chasse l'autre, Florence fronce un sourcil et poursuit son sommeil enchanté .Ici, au sein de cet étrange nouveau monde surgi d'un coup de baguette depuis le sacre de l'Empereur, la mode est à l'opportunisme brutal, à l'autorité vulgaire, au mépris de l'oeuvre de création, à moins qu'elle ne rapporte force revenus ou ne célèbre les hauts-faits de nos nouveaux héros. Pourtant, l'empereur est homme d'honneur et d'ordre, que ne se contente-t-il de nous donner de remarquables institutions au lieu de déclarer la guerre à tout l'univers !
Notre Empereur sacrifie la fine fleur de notre jeunesse à des ambitions qui font frémir les mères aimantes, on s’élève certes, on monte en grade, on devient Général, Capitaine, Baron, Prince, ou Roi, ou ,simple soldat de vint ans, l'on reste ensanglanté sur quelque champ de bataille, proie des corbeaux ,ou victime des médecins de campagne qui coupent bras et jambes avec fureur …
Pour l'heure, je n'ai à me plaindre de rien, mon fils à la faveur de l'Empereur,du Prince Murat, et le voilà Général à vint-huit ans ! Mais, chaque mission me fait trembler, je ne vis plus jusqu'au retour, or, la prochaine campagne sera un défi monstrueux : « nous » avons tout bonnement décidé de « nous » emparer de la Russie, voilà ce que mon fils m'a appris, jugez de mon épouvante !
La Russie ! Et pourquoi pas l'Inde ? Quelle folie ! Qui en reviendra vivant ? La grande Armée saura-t-elle endure les marches forcées dans un pays sans mesure au climat fait pour les ours ?
Qu'adviendra-t-il de mon fils dans cette extravagante épopée ?
La prochaine naissance de mon petit-fils, (je suis assurée qu'il s'agira d'un garçon, ne me demandez d'où vient cette prémonition, c'est ainsi !) me remplit fort heureusement le cœur et détourne mon esprit de ses angoisses.
Nous avons même décidé d'acheter une maison plus ancrée dans la verdure, notre goût nous pousse vers les plaisirs rustiques : ne riez-point ! Monsieur de Souza se lasse de collectionner ses anciennes éditions, il désire de l'air, de la lumière et un beau jardin à cultiver. Tous deux, nous imaginons déjà un enfant vif et allègre courant sur des allées bordées de roses …
Mon époux , si longtemps solitaire (traduisez « vieux garçon »!) a connu les joies et les devoirs de la paternité en m'aidant à parfaire l'éducation de Charles, il se sent vraiment le grand-père du bambin qui verra le jour à la fin de l'été.
Je ne lui avouerai jamais que le prince de Bénévent, ce ministre bienveillant qui nous honore parfois d'une visite sarcastique s'enorgueillira bientôt du même titre...
Rassurez-vous, Louise, je ne finirai point sur l'échafaud pour vous écrire de façon si ouverte, mon vieil ami, Charles- Maurice de Talleyrand, nouveau prince de Bénévent, sait comment éviter les tracasseries de monsieur Fouché et de son armée d'espions affamés des secrets d'autrui !
Notre étrange lien, né un soir de printemps devant ma porte au faite de l'interminable escalier menant à mon grenier du Vieux-Louvre, meurt et renaît de façon toujours imprévue. L'attachement d'autrefois se métamorphose en quelque chose de bizarre, entre agacement et attendrissement, bien plus haut que les tristesses de l'amertume …
Je suis la première surprise, ma chère Louise, d'éprouver tant d'indifférence face aux nouvelles belles amours de mon ancien amant !
Ses menées politiques qui jouent assez avec le feu m'intriguent bien davantage, mais, l'avenir vous en dira beaucoup mieux, et ce n'est point ce grave et périlleux sujet qui m'incite à vous écrire ce matin .Surtout, ne le répétez à personne, notre diable de Charles-Maurice m'a confié à la sortie du fastueux baptême de notre petit Roi de Rome :
« Tout cela finira par un Bourbon » !
Ciel ! Que manigance-t-il sous son masque de chair qui ne traduit nulle émotion ?
A propos de ce baptême, je dois vous raconter autre chose ...
Vous avez la bonté de vous inquiéter de la santé d'une charmante créature qui s'efforce de cacher son état intéressant à la cour, à ses amis, et au monde entier.
Une seule personne a reçu sa confidence : son frère, le beau et flambant vice-roi d'Italie, et cela depuis son séjour à Paris qui date du dernier avril. Hélas ! Toute l'Europe chuchote derrière les éventails, sur les vertes pelouses, le long des promenades à la mode, toue l’Europe semble avoir eu vent des lettres du bel Eugène à sa tendre épouse qui régale les habitués de son salon de Milan des exquis potins parisiens !
Ce secret si terrifiant devient celui de Polichinelle, qu'allons -nous donc inventer afin de clouer le bec aux bavards ?
Vous devez me dire, ma chère Louise, si Florence jacasse de concert avec Milan, car ensuite, Rome clamera sur les toits que la reine de Hollande est grosse d'un inconnu que la terre entière ne connaît que trop... et si l'Empereur entend cette rumeur même dans le vacarme des canons, il tempêtera au point de faire mourir de peur l'épouse de son frère, celle que vous appelez votre « penchant » , cette douce écervelée que vous appréciez tant ...En future Mère-Grand dévouée, je redoute l'effet d'une colère cyclopéenne sur une jeune femme encore loin de son terme …
La malheureuse créature vient d'affronter une épreuve dont elle se serait passée : porter sur les fonts baptismaux de Notre Dame le Roi de Rome, ce fut une torture, l'impérial poupard pesant un poids proprement impérial !
Quel dommage que la marraine désignée , notre opulente Caroline Murat, ne soit venue jouer son rôle, si vous aviez vu sa remplaçante, mon Dieu, Louise, comme vous auriez tremblé et souffert pour elle ! Respirons ! l'épreuve s'est terminée sans que l'Empereur ne se doute que l'embonpoint de la belle Hortense ne lui soit venue après une nuit d'amour …
Ma chère, la future mère est maintenant aux eux d'Aix-Les-Bains ou elle vit dans la peur que les espions ne lisent son courrier, je vais donc tourner en rond dans l'espoir de nouvelles fraîches.Charles ne veut certes pas abandonner sa bien-aimée, sa blessure à la poitrine lui a fourni un prétexte de choix afin d'aller se soigner aux eaux de Bourbonne d'ici une quinzaine, de là, il tentera de gagner Genève, puis, un gracieux manoir des rives du Léman qui sert parfois de retraite à l'impératrice Joséphine, future grand-mère elle aussi de cet enfant prodigieux ; songez-donc ; quelle parenté lui est donnée par le destin : une grand-mère femme de Lettres ,un grand-père Prince, ministre, et ancien évêque ce qui n'est point banal, une autre grand-mère ancienne Impératrice, une mère Reine, un père beau comme un ange et courageux comme un lion ! et tout cela est « naturel »...
Voilà en tout cas ce que moi je lui dirai plus tard !
Car je veux qu'il ait de l'esprit à revendre ce cher ange...
Je meurs d'impatience dans l'attente d'un mot de mon fils !
Il me faut aussi écrire à notre Sophie qui a repris pied à Capri, saviez-vous que cette éternelle écervelée s'est amourachée d'un second beau prince de Naples ?
La voilà donc veuve de son troisième époux, le terrible Lord qui périt sur le rocher des Sirènes en recevant un boulet Français lors de la bataille entre les hommes de Murat et les soldats Maltais à la solde des Anglais en octobre 1008: souvenez-vous de l'admirable conduite du Général Lamarque grimpant le premier à l'assaut des intangibles remparts naturels de l'île...
Sophie , vite consolée et Napolitaine de coeur, veuve en secondes noces d'un prince de ce pays, s'est ainsi sans regrets mise en ménage avec un jeune homme qui la croit bien plus jeune qu'elle ne l'est !
La fontaine de Jouvence se trouverait, selon notre folle amie d'enfance, sur une falaise de Capri, dans la douceur d'une maison à colonnes regardant vers Ischia ...Je crois bien que, mère-grand ou pas, je ne résisterais pas à la tentation de l'aller voir, une fois l'enfant attendu en sécurité dans les bras de sa nourrice!
Après tout, Louise, on n'a jamais trop de fontaine de Jouvence en ce triste monde, et Capri en est une assurément .Mais arriverais-je à en convaincre Monsieur de Souza, mon bon époux qui n'a plus de goût que pour la taille de ses rosiers ?
Ma chère Louise,
Je suis reverdie, rajeunie, le temps n'a plus aucune prise sur moi
,je vous souhaite d'éprouver le même sentiment !
Je vous embrasse,
Adélaïde
ou
Nathalie-Alix de La Panouse qui invente la suite de son roman épistolaire sur la vie de Madame de Flahaut-Souza, femme de Lettres et amante de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
Théodore Géricault: un fier officier de la garde
impériale chargeant l'ennemi vers 1811,
à l'instar de Charles de Flahaut.

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