vendredi 11 décembre 2020

Talleyrand grand-père et comploteur



 

Chapitre 86  Les amants du Louvre

Biographie romancée d'une amante de Talleyrand par Nathalie-Alix de La Panouse

Naissance aventureuse d'un futur duc : Auguste De Morny

Lettre d'Adélaïde de Flahaut-Souza à Charles-Maurice de Talleyrand, Prince de Bénévent

Paris, le  18 octobre 1811

Mon ami,

Mon bon ami, mon inestimable, mon tendre ami privé de cœur,

Mon merveilleux, mon détestable, mon Charles-Maurice  tant aimé autrefois !

Je ne sais plus quoi vous dire de flatteur, de charmant, d'exquis, c'est que vous lui ressemblez tant ! Vous lui avez donné vos yeux, et bien plus encore ! « Ma chère amie, me direz-vous, qui est ce personnage qui me fait l'honneur d'être fait à ma ressemblance ? »

Ne devinez-vous ? Allons ! Ne savez-vous de quel admirable petite personne je vous fais le panégyrique ? Mon ami, en vérité, je ne suis qu'une idolâtre de ce minuscule « quelqu'un » qui vous est fort proche et qui a déjà la politesse de tenir de vous par la blondeur, le regard profond, les traits nets et élégants du visage, la force de caractère qu'il lui a fallu afin d'endurer des centaines de lieux en voiture inconfortable avant de trouver refuge chez le baron de Souza .. 

Vous saisissez de quel petit prodige je vous confie l'arrivée , je pense ?

Oui, mon ami, l'enfant d'une reine volage et de notre fils couvert de gloire a eu l'impertinence de naître sans attendre l'heure prévue, c'est un tempérament pressé, il suit notre exemple ! ne sommes-nous également gens impatients d’avancer sans nous embarrasser des ordres et tracasseries auxquelles se soumettent les gens ordinaires ?

Ce petit bonhomme, mon ami, est justement extraordinaire !

Son oncle, son père, avaient choisi qu'il vienne au monde dans le luxe discret d'une villa enfouie au cœur de ses terrasses fleuries du Lac Majeur, le garnement en décida d'une autre manière . La reine sa mère, installée  tant bien que mal  dans une voiture inconfortable , mais soignée avec amour par notre fils qui fit preuve d'un dévouement des plus chevaleresques à l'égard de son amante, n'atteint jamais le havre délicieux des Îles Borromées ; hélas ! 

Quelle aventure, mon ami : en plein voyage épuisant, la malheureuse si fragile eût le désagrément de sentir deux semaines à l'avance les douleurs annonçant la délivrance ; l'équipage fut ainsi forcé de s'arrêter dans une bourgade des plus charmantes du Valais, le village de Saint-Maurice.

On fit halte pour ne plus repartir, la reine, victime d'une mauvaise route, et soumise à l'impérieuse volonté de son enfant à voir le jour, supplia que l'on lui vienne en aide …

Que faire sinon battre le village à la recherche de matrones et d'un médecin ? La reine s'écroula sur un lit rustique, on manda à la hâte une sage-femme ,et notre petit-fils étonnant l'assistance par sa promptitude salua sa mère en lui faisant l'honneur de clameurs magnifiques ! Quelle santé, quelle vivacité ! Il paraît qu'il a échappé tout de suite à la sage-femme insistant pour le mettre sur le côté gauche, d'un mouvement autoritaire, il s'est tourné de l'autre en dévorant des yeux ce monde inconnu !

Convenez, mon ami, que ce petit-être obstiné annonce une destinée qui dépassera peut-être la vôtre , je vous livre ces détails intimes grâce à notre fils qui bien évidemment ne quitta point son amante d'une seconde .

Mais, l'histoire n'est point terminée, le père il fallut acheter le silence de ces braves gens du Valais, se munir d'une nourrice de fortune, et rouler sans gémir jusqu'à Paris où l'on se précipita chez nous le 21 au soir. J'embrassai notre fils avant de m'emparer de ce bambin braillard qui à l'abri de mes bras, me lança un regard de connivence à se pâmer. Mon ami, la reine a laissé son enfant aux soins de notre fils, et ce pour toujours …

L'Empereur avait mis à ses trousses toute une armée d'espions qui fouillant le village, interrogeant les uns, soudoyant les autres découvrirent l'inconcevable situation de la fille de Joséphine … Un émissaire galopa jusqu'à Paris, et la colère impériale foudroya de terreur tous les infortunés qui eurent la sottise de rester dans les parages .

Peut-être le savez-vous ? En ce cas, ayez la bonté de me dire à quels châtiments éternels nous devons nous prépare, quant à moi, peu m'importe ! Je garde notre petit Auguste en sécurité et m'amuserais fort si les mauvaises langues prétendaient qu'il est mon fils tant espéré et celui de monsieur mon époux. L'absurde faisant assez bon ménage avec les ragots, vous ne l'ignorez point, cette fable ne m'étonnerait guère.

Mais, mon ami, je vous en prie, venez au plus tôt admirez notre descendance !

Je vous attends demain dans la matinée, ou au début de la soirée si vos mille occupations dont je veux rien connaître, vous rendent ce moment plus favorable ; mon ami, quand je tiens salon, certains me murmurent à l'oreille que vous complotez, sachez que je casse mon éventail sur les doigts de ces bavards imprudents.

Vous êtes un grand personnage, mais enfin, mon ami, vous n'êtes plus ministre, de votre propre volonté, je vous l'accorde. Mais, depuis votre complot contre l'Empereur de concert avec l'effrayant monsieur Fouché, vous n'êtes plus  véritablement en cour... Ne vous souvenez-vous assez de la terrible scène qui vit sa Majesté oser vous fustiger de ces mots honteux :

 « Vous êtes de la merde dans un bas de soie" ?

 En un clin d'oeil la rage de l'Empereur ne vous ôta-t-elle-elle votre toute puissance, (comment l'Empereur a-t-il pu vous traiter de la sorte ! Aussi, quelle admirable riposte n'avez lancé à portée de son oreille, souvent je vous imagine et vous entends prononcer de votre voix froide et impavide :

« Quel dommage qu'un grand homme soit si mal élevé .. " ).

Enfin il me semble que l'or ne tombe point en pluie à Saint-Germain -en-Laye, dans le parc du château où vous attend la duchesse de Cour lande, aussi fidèle, aussi patiente que le fut jadis la reine Pénélope . Vous désirez vendre votre hôtel de la rue de Varennes à l'empereur, et cela pour vous loger dans un palais ruiné qui empeste la poudre ! Quelle mouche vous a pris de tant convoiter l'ancien hôtel de Saint-Florentin qui connût de glorieux propriétaires pour finir en manufacture de salpêtre ?

Je gage que vous allez vaincre l'impécuniosité, votre vieille ennemie, et extorquer quelque chose de consistant au Trésor en échange du séjour prolongé des princes espagnols en votre énorme mausolée de Valençay où la princesse de Bénévent découvre les joies d'un attachement royal  ... Ensuite, si votre chimère de l'hôtel du duc de la Vrillière devient une réalité somptueuse, daignez m'inviter, je vous en prie, à découvrir les anciennes splendeurs de vos innombrables salons !

 Comme je sens que cela m'amusera !

J'en reviens aux rumeurs fâcheuses que vous suscitez ; on clabaude que certaines grandes dames formant une espèce de cour à Saint-Germain -en-Laye auprès de la duchesse de Courlande,( qui a supplanté sans remords votre épouse, exilée sur vos terres de Valençay en la compagnie fort appréciée du prétendant au trône d'Espagne), jacassent un ton trop haut en sortant des appartements de votre nouvelle égérie, ( votre choix me réconforte et m'intrigue : la duchesse n'est-elle plus âgée que moi ?)...

Les charmantes amies de votre si chère duchesse de Laval affectent des mines assez ridicules, ignorez-vous que ces belles dames se plaisent à répandre un flot de rumeurs propres à déclencher l'ire impitoyable de l'Empereur ? Prenez-garde, mon ami , on vous prêterait ces mots terribles à propos de l'Empereur : 

« Et voilà la façon dont nous le perdrons ! »

Mon ami, je vous en conjure, rabaissez un peu le caquet de vos aimables conspiratrices où ce sont elles qui vous perdront !

Vous pourrez toujours compter sur mon silence, en échange, je ne désire qu'une chose très facile et très charmante : vous initiez à l'art d'être grand-père …

Je vous dis mille douceurs et vous attends,

Adélaïde

Brûlez au plus vite ce billet

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent à la baronne de Souza

Paris, le 25 octobre 1811

Madame et ma très chère amie,

Ne craignez pour ma sécurité ni ma réputation ; votre sollicitude est charmante, mais très inutile.Je n'ai point perdu autant que vous le croyez, je garde la main sur mes affaires et m'étonne de vos angoisses , ne me connaissez-vous donc plus ?

Je ne songe qu'à vous et au petit personnage dont vous êtes si entiché au point de le souhaiter établi chez vous jusqu'à sa majorité .

Je vous approuverais si le danger d'une disgrâce ne risquait de s'abattre sur ses parents. Vous avez raison, ce petit-là est une enfant comme je n'en ai jamais vu.

Il semble le digne descendant de grands-parents remarquables,je vous l'accorde ; mais, à un âge aussi tendre, ce qui lui convient avant vos doux soins et les trésors de votre éducation, c'est une bonne grosse nourrice vivant dans une campagne saine. L'enfant vient d'être déclaré par de faux parents complaisants qu'il importera de tenir à l'écart. Notre fils les réglera du service rendu, et nous les oublierons.Vous me dites être au désespoir d'apporter l'enfant à cette nourrice de Chaltray qui prendra bientôt le vigoureux poupard, reprenez-vous, mon amie !

On dépeint cette brave femme comme des plus dévouées, notre fils me l'a assuré cent fois. Cessez donc vos pleurs, votre tour viendra, vous serez ,après son passage entre les mains des nourrices, le centre du monde pour ce bambin. D'ailleurs, l'air vicié et l'agitation de Paris ne vaudraient rien à un enfant si jeune, souvenez-vous aussi que l'Empereur serait outré de le savoir chez vous.

Gardez à l'esprit l'ordre implacable donné à la reine de Hollande quand il apprît sa « faute » :

la pauvre mère dût s'engager à ne jamais revoir ce « fruit de l'oubli de ses devoirs »...

Vous m'avez souvent, ma chère amie, rappelé que je n'avais point de cœur, ne suis-je surpassé par l'Empereur ? Cet enfant doit se faire oublier, mais pas de nous.

Comptez sur l'affection que je ne puis m’empêcher d'éprouver à son endroit.

N'est-il le fils de mon fils qui fut et demeure un des premiers intérêts de ma vie ?

Mon amie, je vous baise les mains en rêvant à cette douceur disparue que nous connûmes ensemble,

Charles-Maurice

PS : Je vous écris en vantant un enfant dans ses langes, moi ! voilà votre œuvre : vous êtes bien l'unique femme à laquelle je n'écris point comme aux autres :

je ne vous parle ni de votre beauté, ni du charme de votre personne, ni de votre intelligence, ni de votre esprit ! Mais d'un enfant qui s'agite dans vos bras et roule des yeux que vous prétendez hérités des miens ...

Nathalie-Alix de La Panouse 

A bientôt ,avec la prochaine fois un "conte de Noël" pour changer un peu de ce roman vrai et inventé ...


                                     

                                Ce dessin de Fragonard illustre l'intensité de l'amour maternel

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