"Chez la Reine du Nord"
Les contes ont l'exquise courtoisie de débuter de façon franche et précise : on vous accroche d'un solennel :
« Il était une fois »
et tout de suite l'histoire se déroule sur le fil du conteur ; sans aucune hypocrisie, sans la moindre ruse, juste une chaîne absurde nouée de faits inconcevables et qui s’achève par une pirouette.
Le tour est joué ! Vous y avez cru !
Le conteur a eu beau mentir, broder de jolies fleurs sur un tissu ordinaire , extravaguer, se moquer de votre naïveté, se mentir à lui-même, l'histoire est dite et vous êtes heureux !
Vous soupirez comme l'enfant que vous êtes encore : comme il est rassurant d'apprendre que les bons l'emportent sur les méchants, la princesse sur la méchante sorcière, et que le roi épouse son ancienne amante l'insolente et capricieuse Fée des Lilas, ce qui paraissait des plus hasardeux au début...
La princesse, immanquablement exquise, cultivée, gracieuse (sans aucun soin de beauté, aucune étude de quoi que ce soit, aucun effort ennuyeux ou pénible), mérite bien elle aussi de faire une fin respectable avec un valeureux prince.Toutefois le malheureux doit accepter avant de lui donner un charmant baiser des plus innocents ou une bague maculée de pâte à gâteaux, de rompre son épée sur un dragon, escalader les falaises de Cap ri sans se faire une entorse, ou tailler toute une forêt de lianes et de ronces à l'aide d'un misérable couteau Suisse ; c'est la règle du jeu et aucun amoureux de sang royal n'aurait l'inconséquence de se rebeller.
Sans oublier l'essayage d'innombrables mains de femmes enduites de crème poisseuse afin d'y faire glisser une bague sertie d'une grosse émeraude, joyau recueilli in extremis par le jeune héritier du Royaume, dans la pâte onctueuse du gâteau d'amour.
On frémit quand on y songe devant tant d'héroïsme !
Le grand privilège des contes c'est de vous faire accepter l'impossible, la folie, le vent soufflant sur les îles de vos rêves, tout ce qui s'éloigne de la funeste époque que nous vivons, et de cette année dont nous sentons si lourdement le poids sur nos épaules.
Voici un conte parfumé de vérité, écrit sous l'égide d'une aïeule par alliance dont les exploits sont hélas quasi tombés dans la nuit noire de l'indifférence.
On ne rend guère justice aux ancêtres fantasques dans les familles affichant un goût immodéré pour le « Bon Ton » …
Au sein des ramures embrouillées de l'arbre généalogique, cette originale créature se cache avec élégance à l'ombre d'une couronne vicomtale et disparaît ensuite comme une Sirène Grecque à tête de femme et ailes d'oiseaux qui se dépêche de retrouver la mer Tyrrhénienne quand l'hiver point nos régions de son humide froideur.
Il nous reste peu d'elle et de ses tribulations autour de l'Europe des Rois, mais la force des légendes tissa jadis autour de sa personne une guirlande de contes enchantés.
Ces rumeurs poétiques s’étaient enfuis de ma mémoire quand l'autre jour, le hasard et mon humeur fantasque unirent leurs sorcelleries afin de m'attirer dans un grenier glacial.
La vaste pièce semblait un lac noir laissant jaillir quelques bizarres îlots formés d'objets abandonnés.
Au beau milieu, de cet archipel de la solitude, régnait une île, ou ,si vous voulez, une sorte de rocher de nature bizarre.
J'avançais doucement, les yeux rivés sur cette forme massive recouverte d'un drap tombant en lambeaux.J'ignorai ce qu'il en était mais pour rien au monde, je n'aurai rebroussé chemin et regagné la partie civilisée de la maison.Une intuition irraisonnée me guidait et je n'avais qu'à obéir.
Prise soudain d'une terreur ridicule, je considérai « l'île »,consciente qu'elle allait me jouer un tour de sa façon ...Honteuse de ma faiblesse, j'arrachai le voile qui libéra une malle de dimensions généreuses, une de ces malles de grands voyageurs qui sont des mythes pour les rêveurs.
Peut-être avait-elle suivi les amis d'Allan Quatermain, ces gentlemen qui, chargés d'armes redoutables, s'embarquaient pour des chasses aux lions en Afrique Australe, avant d'accepter l'invitation d'un Rajah débonnaire à traquer dans son royaume, perdu au sein de l'empire des Indes, une armée de tigres mangeurs d'hommes.
De chaque côté, la malle affichait la désinvolture d'une couronne vicomtale, romanesque parure gravée juste au dessus d'initiales qui m'émurent au fond du cœur.
C'était à n'en pas douter la malle extraordinaire qui avait accompagné notre singulière aïeule dans ses tribulations ! Gardait-elle les braises encore vives de lettres d'amour à un prince du Gotha ,un carnet de dessins remplis du souvenir de fêtes somptueuses, des rivières de diamants de Golconde ? Hélas ! La malle ouverte avec un espoir insensé ne me livra qu'un flot de mégots prouvant que des adolescents échappèrent autrefois aux tracasseries de leur âge dans ce grenier silencieux …
Indignée de tant de mépris à l'égard d'une relique sortie des ateliers d'un malletier adoré par les adeptes du snobisme international, je remorquai la malle outragée dans un endroit chauffé afin de lui faire l'honneur d'un nettoyage complet.
Bravant le ridicule, armée d'éponges et de savon de Marseille, toussant sous l'effet de la nicotine comme si la tuberculose m'arrachait les poumons, j'entrepris ce labeur répugnant et inutile.
Quelle idée de perdre mon après-midi à interroger les entrailles d'un bagage âgé d'au moins cent ans et répandant une odeur malodorante jusqu'à l'autre bout de la maison ?
Peu à peu, au fur et à mesure que le soir doucement se faufilait dans la chambre, et que la malle retrouvait sa dignité, des images troubles remontèrent de ses profondeurs, puis dansèrent autour de moi.
J'étais dans une chambre là-encore, mais vaste, mais considérable, pourvue d'un poêle énorme rutilant de carreaux bleus. Une jeune femme très brune, à la beauté plus piquante que classique, coiffée d'un béret de velours piqué d'une impressionnante épingle d'or, faisait des gestes à l'adresse d'un aréopage de soubrettes aux tresses blondes, raides d'allure et glacées à l'instar de leurs yeux bleu limpide.
Cette scène évoquait sans conteste l'arrivée d'une femme du Sud dans un royaume du Nord.
La malle, grande ouverte, étincelait du luxe d'un trousseau extravagant. Ses deux couronnes que j'avais plaint d'être si fades, si usées, reluisaient sous les rayons pâles d'un soleil subtil. Nimbés par cette lumière timide, les motifs célèbres de sa toile se détachaient avec une impressionnante précision : à l'évidence, la malle en était à sa toute première mission !
Pimpante et fière, elle accomplissait son premier voyage hors de l'atelier Parisien qui l'avait fourbi, lustré, orné, et lancé à la conquête d'un royaume prisonnier d'un hiver impitoyable …
Soudain, la jeune femme vint droit sur moi, ne me fit la grâce d'aucun regard,( j'étais heureusement invisible ) et claqua le couvercle de la malle glorieuse d'une main agacée.
« Pour une première nomination, dit-elle d'une voix chantante évoquant un pays du soleil, c'est l'antichambre de l'ennui polaire ! Comment allons-nous survivre ? Je grelotte déjà! Aucune de ces femmes ne parle autre chose que cette langue rauque, on jurerait de l'Esquimau ! Ou le jargon des Trolls ! Et pas un message de leurs Majestés, nous mépriserait-on à ce point ? »
Une voix d'homme à l'accent autoritaire s'éleva de la pièce voisine ; je saisis au vol quelques mots :
« Un attaché militaire n'a pas rang de ministre, ma chère, nous sommes du menu fretin, n'était-ce la condition posée par Clémenceau pour que nous quittions notre vie de garnison qui vous déplaisait tant ? Soyez satisfaite de récolter le fruit de votre influence sur le » Tigre », nous voilà au grand Nord ou peu s'en faut pour quatre ans ! je vous retrouverai tout à l'heure, essayez de vous reposer et de calmer votre humeur. Nous en saurons davantage sur le protocole quand l'ambassadeur,( un pur célibataire, on dirait que c'est une manie dans le corps diplomatique) aura la bonté de nous prier à dîner. »
« Ne tardez-pas, mon ami, ah ! il est déjà envolé ! que vais-je faire pendant ce temps ? Peut-être le retiendra-t-on jusqu'à demain !
Mais que vient faire cette femme mal fagotée ? Et elle a le toupet de s'asseoir sur notre malle ! Une malle précieuse dont seule la reine de ce pays serait digne! c'est un peu fort ! »
La jeune femme esquissa un sourire, virevolta autour de la malle, tenta d’expliquer par force aimables mimiques qu'il serait bienséant à l'inconnue de cesser d'imposer le poids de son fessier à la superbe malle Parisienne, et n'obtenant en retour qu'une mine réjouie et une immobilité totale, s'écria :
« Mon Dieu ! Si seulement la reine du Nord que l'on m'a décrit comme simple et charmante venait à mon secours ! Voyez un peu cette dame de compagnie qui se prend pour mon invitée, et vêtue comme je rougirais d'habiller ma femme de chambre ! Que veut-elle au juste ? Aurait-elle décidé de prendre racine sur ma pauvre malle ? Où est Marie-Thérèse? Un Troll l'aurait-il dévoré dans le jardin de l'ambassade ?
C'est la seule à connaître les usages de ce pays, que dois-je inventer pour que cette voleuse de malle me laisse en paix ? Si jamais Sa Majesté survenait, que dirait-elle devant ce spectacle ridicule : la vicomtesse de L envahie par une pauvresse qui croit que la malle de l'attaché militaire Français sert de fauteuil aux intrus! ah, miracle, Marie-Thérèse, vous voilà ! »
Une dame au maintien admirable et à l'apparence fort austère venait d'entrer.
La jeune femme se précipita, mais, à son extrême surprise, l'autre plongea dans une superbe révérence de cour devant la précieuse malle .
« Enfin, Marie-Thérèse, auriez-vous perdu la tête, ce n'est qu'une malle, fort coûteuse, je vous l'accorde, mais de là à tomber ainsi à ses pieds ! »
« Madame, ce n'est pas à votre malle que j'ai l'honneur de faire la révérence, c'est à la Reine du Nord »
J'entendis un soupir horrifié, puis, je vis la Reine de ce pays du froid, cette humble petite femme mal vêtue, enlever son royal postérieur de la malle Française, et relever d'un main attendrie la jeune épouse du nouvel attaché militaire en poste dans son royaume du Nord …
La mission du jeune couple dans ce pays de neige ne se passa pas trop mal, le pire ayant eu lieu tout de suite ...Mais la légende resta, celle d'une jeune femme étourdie qui osa croire que Sa Majesté avait l'ambition de prendre racine sur les créations prodigieuses des malletiers Français.
A bientôt pour un second conte tiré de cette malle bavarde que je n'ai pas eu le cœur de remettre au piquet dans son grenier,
« Joyeux Noël ! »,
Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix
Une jeune femme à la beauté du diable par James Tissot qui offre une certaine ressemblance avec l'héroïne de mes contes cosmopolites d'une Malle très Parisienne
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