vendredi 1 janvier 2021

"Danse espagnole dans l'Arène" ou second souvenir d'une Malle Parisienne

 

« Danse dans l'Arène « 

Contes cosmopolites d'une Malle très Parisienne

Si vous avez la bonté de lire mes contes vrais nuancés d'invention de bon aloi, vous savez déjà qu'une vieille malle m'a fait, il y fort peu de temps, l'honneur de m'entraîner dans le plus romanesque des mondes .

Ceci sans nul doute afin de me récompenser de l'avoir sauvé d'un exil immérité au milieu de notre débarras ...Or, après un bavardage d'une ironie charmante sur la première gaffe diplomatique d'une aïeule qui ne sut reconnaître la Reine du Nord dans une petite dame grise juchée sur sa Magnifique Malle décorée de deux couronnes par les soins du plus célèbre malletier de Paris, un inquiétant silence régnait entre nous.

Il est vrai aussi que la semaine de Noël n'est guère propice aux conciliabules, confidences et murmures entre une maîtresse de maison accablée de fatigue et une antique Malle Parisienne rabaissée au rang de présentoir momentané des cadeaux familiaux.

Enfin, juste après le départ des derniers invités, j'allai à pas de loup fermer les volets quand une étrange rumeur me cloua sur le parquet.

C'était un chuchotement énervé, un bourdonnement rythmé qui montait et redescendait, scandé de trépignements incompréhensibles. Je crus d'abord que des abeilles rescapées de l'hiver butinaient les fleurs bleues de la tapisserie, mais rien ne bougeait dans la clarté éteinte de cette soirée frileuse. Bientôt, le vacarme s'éleva pareil à un coup de tonnerre ; une lumière vive, brutale, impitoyable s'empara du décor, la chambre sombra dans je ne sais quelle oubliette, et j'eus la vision la plus déroutante que l'on puisse infliger à une âme sensible : une corrida dans une arène immense!

A l'instar de ma première descente dans le passé, je compris que personne ne se doutait de ma présence et j'en remerciai le Ciel.

J'étais dévorée par l'envie de filer au plus vite , mais par quelle route échappe-t-on à un passé qui ne vous concerne même pas ? La Malle avait quelque histoire à me conter, il me fallait l'écouter jusqu'au bout. L'arène était immense, la chaleur insensée, l'atmosphère guerrière et concentrée, étions-nous en Séville ou ailleurs ? Certainement en Espagne !

Mes yeux s'habituèrent au dur soleil frappant les gradins, et je sursautai en découvrant l'aïeule légendaire, éclatante et jeune, nimbée de cette fameuse « beauté du diable » qui est l'apanage des créatures irrésistibles et insupportables.

J'étais sa voisine invisible et nous subissions les dures péripéties du combat à mort entre l'homme vêtu d'or et l'animal splendide juste au dessous d'une tribune tendue des armes de la couronne d'Espagne. La foule suivait de sa voix puissante comme celle d'une mer furieuse le flux et le reflux des passes savantes menant à la fin sanglante de l'un ou de l'autre …

La victoire fut du côté de l'homme, et les clameurs montèrent jusqu'au soleil ! je sentis le soulagement de la jeune femme qui depuis un long moment étendait son éventail en guise de bouclier contre ce spectacle qui l'oppressait à un point indicible. Nous étions seules dans cette immensité hurlante à souhaiter qu'un tapis volant ou quelque magie de cette espèce nous enlève dans un jardin paisible.

Implacable comme un oiseau fatal, le silence tomba droit sur la masse mouvante des spectateurs qui se changèrent en statues de pierre ...

Quelque chose se préparait du côté de la tribune royale . Un bruissement musical, des appels impérieux, des claquements d'éventails...Soudain une cascade étincelante de jupes soyeuses, gonflées de volants, tourbillonna de gradin en gradin et submergea le sable de l'arène. Un cri d'admiration salua l'arrivée des Grandes, ces filles, sœurs ou épouses des gentilshommes qui l'emportent sur toute l'aristocratie du royaume d'Espagne.

Hautaines, elles avancèrent en file, parées de dentelles attachées par un peigne imposant, toutes égales en dignité, toutes éblouissantes de prestance .J'entendis au milieu des applaudissements, le gémissement horrifié de ma voisine qui venait de briser son éventail de sa main ,nerveuse . Nous nous attendîmes au pire, qu'allaient inventer ces Grandes Dames dont les pieds s'agitaient en cadence autour du corps de l'animal ?

Ce fut une parade funèbre, une ronde languissante, puis d'un seul coup, preste et sauvage, enfin puissante, hypnotique ,au point de se métamorphoser en cérémonie surgie des temps immémoriaux ; sous nos yeux renaissait un rite d'une beauté barbare, la danse célébrant un sacrifice, la cérémonie rendant hommage au combattant valeureux qui avait courageusement lutté jusqu'à la mort. C'était un rituel d'une infinie noblesse que se mirent à scander les mains excitées de la foule …

La première danseuse cessa de se mouvoir, chacune l'imita, un lourd silence sculpta alors une scène d'une beauté troublante : une par une, les femmes les plus extraordinaires du royaume d'Espagne trempèrent leurs mouchoirs de délicate dentelle dans les entrailles sanglantes du taureau avant de le remettre avec respect dans leur décolleté.

Je tremblai de la tête aux pieds, un affreux malaise m'étouffait, que signifiait tout ceci ? Ma voisine frissonnait en pleine canicule, et je crus qu'elle allait s'évanouir. Mais non ! Elle était d'une autre trempe ; relevant sa jupe, elle se courba, rampa de façon fort désinvolte sur son gradin , disparut de l'autre côté, et prit la fuite  en riant comme une impertinente qui se moque du qu'en dira-t-on ! J'étais ébahie mais rassurée car nul ne semblait la remarquer, tous les regards s'accrochaient aux danseuses évoluant avec une farouche grâce sur le sable de l'arène …

A cet instant, j'entendis une voix grave qui s'exprimait en Français. Elle venait du centre de la tribune, c'était la voix d'un haut personnage pourvu d'une majestueuse moustache.

«  Regardez, disait-il , regardez, ne la voyez-vous pas ? »

«Votre Majesté, répliqua une voix féminine, aurait-t-elle la bonté de m'expliquer ce que je dois regarder ? »

« Vous devriez, ma chère, admirer la jeune épouse de l'Attaché Français, cette petite effrontée de vicomtesse de L qui se sauve à quatre pattes et qui a l'air si contente du bon tour qu'elle nous joue ! »

Le roi allait-il se fâcher de cet affront français ? Quel châtiment allait-on ordonner afin de tancer l'insolente ? Allait-on décider de l'enfermer quelques mois au fond d'un morne couvent afin d'expier son outrage ? Son époux subirait-il les foudres royales ? Ou pire, les diatribes du chef du Protocole ?

Heureusement dit la légende, à cette époque lointaine, le roi d'Espagne était quasiment un roi de conte de fées ; il ne tint point rigueur à cette petite Française qui avait eu l'audace de se sauver sous ses yeux, au contraire, il prit le courtois parti d'en rire,et même lui fit la faveur de ne plus l'inviter à une corrida le temps que dura la mission de son époux.

Par contre, on chargea une duchesse d'expliquer les règles du protocole à cette Française trop émotive...Mais, comme cette grande dame donnait ses leçons en compagnie d'un singe des plus charmants qui jacassait sur son épaule, la jeune femme de l'attaché militaire, ne profita guère de ce docte enseignement, occupée qu'elle fut à rire des facéties de l'animal …


A bientôt pour un prochain conte d'hiver,


Bonne année !


Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix

                                               

Une belle vue d'une arène par James Tissot

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