dimanche 21 février 2021

Au pays des diamants avec la "comtesse Billie": brillant souvenir d'une malle parisienne



Comtesse Billie : l'art d'avoir un coeur de lion  en Afrique Australe vers 1890

Contes cosmopolites d'une malle parisienne


En ce soir de tempête, ma bonne vieille conteuse, cette malle parisienne reléguée dans un coin de ma chambre, bourdonna à l'instar d'un essain d'abeilles et, d'un seul coup, m'offrit la vision d'un jardin d'hiver encombré d'orangers en pots.

Je savais dorénavant quel protocole on exigeait de moi : silence, discrétion, soumission aux sortilèges s'évaporant des flancs décatis de ce bagage imposant …

Quelles histoires allaient-elles envahir mon esprit ?

La source en était la vie de roman d'une grand-mère par alliance, mais peut-être la malle conteuse aurait-elle envie de suivre un autre caprice …

Une malle ne rêvait-elle autrefois de suivre ses maîtres vers les vastes horizons de montagnes inconnues, en des contrées mystérieuses où s'ébattaient les hordes de fauves et d'animaux sauvages, libres de courses insensées sur leurs domaines inaccessibles ?

La mienne avait, voici un siècle, sagement accompagné un attaché militaire et son épouse dans quelques ambassades d'Europe avant de s'endormir d'une oreille au fond d'un grenier. Pour le moment, ses récits s'étaient bornés aux charmantes péripéties d'une vie mondaine ; or, à force, à ma grande honte, un vague sentiment de lassitude me gagnait !

Par courtoisie, je tentais bien sûr de feindre un attention passionnée, mais la vieille malle lisait sans pitié dans mes pensées.

Je compris que la tempête lui dictait un roman d'une autre trempe, quand le mot « Afrique du Sud » vola vers moi depuis la nuit du passé.

«  Ma chère, nous venons enfin de recevoir une lettre d'Edmond, je crois lire du Jules Verne, vous doutiez-vous que mon cousin allait endosser le rôle du jeune Cyprien Méré ?  Mais, peut-être n'avez-vous aimé « L'Etoile du Sud » ? »

Indécise, gracieuse, une jeune femme brune leva vers son époux des yeux mélancoliques. Elle semblait incarner la vivante image du spleen, rien ne bougeait dans son visage, ses gestes d'une lenteur maladive annonçaient une maladie ou un chagrin secret, ou, pire, la perspective d'une vie ennuyée à l'ombre d'un mariage de raison …

« Je ne connais guère les romans de Jules Verne, d'ailleurs, n'est-ce là une littérature studieuse ? Des livres qui ont la vocation de vous farcir la tête de détails géographiques ou scientifiques ? Ne leur manquent-ils un souffle enivrant, le goût de l'aventure livrée au hasard ? Et, ajouta-t-elle en baissant le ton, un peu d'amour dans ce fatras de chiffres et de dates ? »

Son époux, un officier d'une trentaine d'années, en sursauta d'indignation !

« Ma chère, je vous pardonne ce jugement à l'emporte-pièce car il me prouve que vous ne connaissez pas un des rares ouvrages de notre Jules Verne, (grand éducateur des jeunes esprits , je vous l'accorde), qui vous enlève dans les vertes prairies d'Afrique Australe, au galop sur une autruche, vers une grotte merveilleuse que la nature se plût à tailler dans des blocs gigantesques de rubis, saphirs, émeraudes, autour d'un lac formé d'un seul diamant !faites-moi la faveur de me laisser vous réciter ce passage qui ne cesse de me hanter ! »

Ce déchaînement juvénile eût le don d'étonner assez la jeune femme pour qu'une ombre de sourire glisse sur sa figure immobile. Sa main dessina un signe approbateur et le jeune officier se leva d'un bond en déclamant comme un écolier certain de se voir attribué un prix d'excellence :

« Pharamond Barthès et Cyprien se crurent d'abord en proie à une sorte d'hallucination extatique, qui s'offrit à leurs yeux était à la fois splendide et inattendu.

Tous deux se trouvaient au centre d'une grotte immense. Le sol en était couvert d'un sable fin tout pailleté d'or. Sa voûte, aussi haute que celle d'une cathédrale gothique, se perdait dans des profondeurs insondables au regard....

rochers d'améthyste, murailles de sardoine, banquises de rubis, aiguilles d'émeraude,

colonnades de saphirs, icebergs d'aigues-marines, girandoles de turquoises, miroirs d'opales, affleurements de gypse rose et de lapis-lazuli aux veines d'or, tout ce que le règne cristallin peut offrir de plus précieux , de plus rare, de plus limpide, de plus éblouissant, avait servi de matériaux à cette surprenante architecture »

Un nouveau silence s'établit entre les orangers en pots.Le fringant officier lissa ses moustaches afin de se donner la contenance d'un homme qui sait dompter ses chimères.

Mais, son esprit l'emportait bien loin de ce jardin d'hiver où un bosquet de palmiers tentaient de recréer un paradis tropical.Ces artifices à la mode l'agaçait de toute évidence.On sentait en lui un monde de désirs refoulés, de songes aventureux, de grandes espérances étiolées sous le joug de la raison.

« Ma chère, poursuivit-il, notre cousin Edmond est arrivé à Cape Town en compagnie d'une fort curieuse créature, une jeune fille déguisée en jeune garçon, et avec cela d'un tempérament qui a déjà établi sa légende .

Edmond est parti en Afrique du Sud désemparé, ruiné après la faillite de sa banque, meurtri au point de brandir sa nouvelle misanthropie aussi haut qu'un de nos ancêtres levait dans les combats, l'étendard de « gueules et d'argent » de notre famille.

Je croyais que la carrière de chasseur de fauves allait le mener aux pires excès. Vous ne pouvez vous douter des tentations guettant les exilés qui, ayant tout perdu n'ont plus rien à perdre.

Vous savez que j'ai prêté une somme assez important à notre tête brûlée de cousin ; j'étais sans illusions, mais ne pas l'aider m'aurait fait perdre l'estime de moi-même.

Il y a aussi quelque chose que j'ose enfin vous avouer; vous conviendrez, mon amie, qu'au bout de quelques années de mariage, la confiance que nous éprouvons l'un envers l'autre ne cesse de se renforcer, en dépit de certaines divergences d'opinion ou de sentiments... »

Ce long discours était manifestement fort rare chez l'officier.

Sa jeune épouse se tourna vers lui d'un mouvement moins languide, son allure de statue endormie sembla la quitter à l'instar d'un encombrant vêtement tombant à ses pieds. Elle finit par se lever et toucha d'une main curieuse la lettre qui sans le savoir créait une entente neuve entre deux époux qui ne s'étaient jamais encore bien compris.

Leurs familles n'avaient-elles ordonné ce mariage de convenance qui leur pesait autant qu'un manteau de plomb ?

« Racontez, mon ami, je vous en prie, vous me blesseriez en vous dérobant.

Mais, je vous devine plus que vous ne l'imaginez, l'aventure vous tente, Edmond court après vos  rêves d'enfant, d'adolescent, vous auriez voulu inventer votre vie, être chasseur de fauves, chercheur d'or, amoureux d'une femme singulière présentée par le hasard, et vous méprisez votre carrière d'officier de garnison par trop rangé,

Edmond vous entraîne avec lui, que j'aimerais le suivre en votre compagnie ! 

Acceptez-vous de me prendre pour compagne de votre odyssée par procuration ?»

L'officier fut si touché de ces douces paroles qu'il en oublia ses moustaches.

«  Ma chère, vous ne mesurez-pas la joie que vous me donnez par cette charmante sollicitude ! Notre cousin est une source d'étonnement.

Et maintenant, cette femme inconnue semble le surpasser !

Je redoutais de vous l'apprendre, mais lord Randolph Churchill,

en mission dans la région de Kimberley, vient de m'envoyer un mot à son sujet, elle semble avoir produit l'effet le plus stupéfiant sur ce caractère circonspect !

 On la nomme « Comtesse Billie » ; pourquoi ? Eh bien, Billie fut son sobriquet du temps où elle évoluait à Cape Town costumée, grimée, afin de s'afficher en jeune garçon. Depuis leur installation au Marshonaland, toute la petite colonie s'accorderait à clamer que la jeune « comtesse Billie" serait ravissante,de belle allure, distinguée, et on soutient même dans les cercles les plus sévères que notre cousin l'aurait épousée! 

Les histoires extraordinaires pleuvent à son sujet !

Elle serait fort douée pour la cuisine, ce qui m'inquiète beaucoup car cela suggère une origine ancillaire ...Surtout, cette jeune personne décidée rivaliserait d'audace avec les chasseurs la légende raconte déjà qu'elle aurait réussi à abattre un vieux lion mangeur d'hommes qui tournait autour de sa ferme !Sans peur, mais avec une détermination quasi virile qui fait l'admiration des indigènes, voyant en cette blanche armée jusqu'aux dents, une déesse primitive surgie d'une civilisation disparue …

Son costume de coureur de brousse lui sied à tel point que la confusion règne, on ne sait s'il s'agit de la vérité : le vicomte Edmond dupe -t-il son monde ?

Cette fameuse comtesse Billie est-elle un homme ou une femme se moquant de son prochain ?

Sa force physique, son énergie, sa bravoure sans bornes plaident pour un garçon particulièrement habile et vigoureux . Mais, son visage aux traits délicats, son teint d'une fraîcheur miraculeuse sous l'âpre lumière , la grâce de ses attitudes, sa voix musicale, son épaisse et longue chevelure proclament une exquise féminité !

Qu'allons-nous faire, ma chère, de cette cousine pour le moins bizarre ?

Prions en tout cas afin qu'elle porte chance à notre cousin, je vous donne la meilleure dans ce galimatias : Edmond vient d'acquérir une mine de diamants !

 Ne vous évanouissez-pas, mon amie ! »

La jeune épouse agita un flacon de sels sous son nez retroussé, et murmura :

«  Ce n'est qu'un malaise, continuez, ne cessez de me raconter ces merveilles, ciel ! des diamants !

Combien ? Quand ? Comment ? Ne pourrions-nous nous embarquer vers l'Afrique du Sud et assurer de notre soutien votre intrépide cousin ?

Ne voulez-vous déjà réserver ses plus beaux diamants ? Je ne désire pas que l'on s'acharne à tuer des bêtes innocentes, je me plais à imaginer les troupeaux d'antilopes, les cortèges d'éléphants, je voudrais tant entendre les rugissements des lions, contempler, ravie et incrédule, le galop des zèbres, craindre de chavirer sur un fleuve où vont boire les animaux les plus sauvages ; mais pas de chasse ! Pas de sang ! Nulle destruction ! Laissons la nature en paix ! »

L'officier se mit à rire :

« Mais les diamants ? Ne devrions-nous aussi les laisser dormir au sein de la terre ? Après tout, quelle folie mauvaise pousse-t-elle les hommes à éventer les montagnes, épuiser les indigènes, ruiner la santé de tous, et risquer la perte de leur fortune  pour que jaillisse une poignée de cailloux ? Ne boudez pas ! Je vous jure que vous aurez la primeur des trouvailles de notre cousin !  Toutefois, vous qui m'étonnez toujours par votre bonté, ayez la générosité d'écrire un mot d'encouragement à Edmond, en glissant un compliment sur sa compagne de route, gouvernante serait un terme approprié, n'allons-pas jeter de l'huile sur le feu de ses anciennes amours. Ce couple, pour le moins insolite, rompt certes avec la morale, mais qui nous dit qu'il n'affrontera sans faillir les épines de la vie ? »

La jeune épouse en lâcha son flacon de cristal !

« Mon Dieu, mon ami, dit-elle d'une voix tremblante, vous me stupéfiez, votre grandeur d'âme me sidère, comme je suis confuse de vous connaître si mal !

Je ne peux toutefois écrire à la comtesse Billie, cette cousine excentrique aurait-t-elle un vrai prénom ? »

L'officier regarda sa lettre, puis en tira une seconde de son gilet.

« Fanny, rétorqua-t-il, puisse ce joli prénom être celui de la seconde Etoile du Sud, celle qui attend peut-être notre cousin dans les entrailles de sa mine ! »

Le fringant colonel des hussards ne se trompait guère, Fanny, ou la comtesse Billie pour les aventuriers et peuples d'Afrique du Sud, fut l'unique diamant que le vicomte Edmond  parvint à extraire de sa mine … 

L'amour fidèle en revanche étincela plus qu'aucune pierre froide tout au long de sa vie....

Et Fanny, alias comtesse Billie, ne cessa de surprendre par sa bravoure et son sang-froid, au fil de ses audacieux périples, au sein d'une Afrique Australe secouée par des luttes violentes ...

A bientôt,

Nathalie-Alix de La Panouse



L'intrépide Comtesse Billie au centre














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