Un beau mariage au Château du Lac des Cygnes
Un conte d'une malle très parisienne
Le passé est un livre qui a la bonté de s'ouvrir en empruntant des chemins parfois saugrenus.
La mémoire navigue sur un fleuve obscur ; puis un éclair foudroie le ciel où s'entassent les souvenirs à l'instar d'un bouquet d'étoiles froides. Parfois, une malle mise au rebut se met à jaser comme une fontaine, et voici que de suaves, de charmantes images sortent de ses flancs décatis.
A ce moment -là, sous l'effet d'un enchantement subtil, un nouveau conte m'est dicté par une présence invisible et complice. …Cette fois, il s'agit d'un mariage qui au sein des légendes de la famille, fut le plus beau des mariages !
Cette union prestigieuse et romanesque éleva au rang d'héroïne de conte de fée une mariée qui avait « quelque chose de mystérieux » au fond de son regard bleu nuancé de vert...Ainsi, parlaient, bien longtemps après, d'antiques, de distingués gentilshommes qui n'eurent le bonheur de faire le sien ...
Il était une fois un château au toit d'ardoises qui, par un matin d'automne s'éveilla dans un si grand tapage, que même les cygnes s'ébattant sur le miroir parfait de son lac d'argent comprirent qu'une fête de légende se préparait.
« Peut-être, se dirent-ils dans leur jargon, le roi, qui nous donna à la maîtresse des lieux, déboulera-t-il de l'interminable allée gardée sévèrement par son armée d'immenses châtaigniers, peut-être les villageois acclameront -ils son carrosse. Le mariage qui unira tout à l'heure notre princesse à son capitaine de la Scotch Guard ne fait-il tourner les têtes de toutes les jeunes personnes de la contrée ?
On guette de très célèbres lords anglais ou de simples comtes français, l'orchestre s'exerce sur la pelouse, les violons s'accordent tant bien que mal. Du côté de l'église, la fanfare villageoise rugit et gronde avec une énergie désarmante, et l'air est brisé par ses efforts déchirants ! quelle sottise vraiment ! la plus magnifique société d'Angleterre et de France ne mérite pas d'avoir les oreilles cassées avant la messe de mariage … »
Et le cortège des cygnes de fuir au bout du lac sous les gouttes d'une averse, sans doute commandée à l'Angleterre en l'honneur de l'union de la plus ravissante des filles du plus altier châtelain de Touraine avec un fier officier au service de Sa Majesté.
La malle conteuse, d'habitude bavarde comme une pie, se tût un instant, puis me chuchota sur un ton remarquablement snobinard : « Tout de même, le 27 octobre de l'an 1925, ce fut le mariage de l'année ! »
Saisissant l'ampleur de ma curiosité, elle reprit, un tantinet outragée, ses passionnants murmures.
Voyez-vous, me confia-t-elle, à cette époque, on aurait cru offenser le savoir-vivre en se refusant de folles largesses ! Les châtelains ne reculaient devant aucune preuve de générosité afin d'honorer amis et voisins, sans oublier villageois et paysans qui festoyaient dans l'allégresse comme aux temps médiévaux. Les noces campagnardes enivraient les êtres les plus épris de tempérance, enflammaient les coeurs les plus froids, et prodiguaient un nouveau chapitre aux contes récités le soir à la veillée.
Chaque acteur prenait sa place, retrouvait son rôle, prince, princesse, châtelain et sa noble dame, demoiselles avenantes, et même le petit page intimidé, observant dans son coin l'agitation inexplicable des plus âgés. Regardez, ne le reconnaissez-vous ce petit bonhomme ? »
Oui ce petit personnage, je l'avais connu mais cultivant déjà, depuis plusieurs années, l'art d'être grand-père, et soudain, il se présentait sous mes yeux !
Je le vis tout garçonnet vêtu de mauve un peu effarouché par la file des majestueuses Bentleys, des austères Rolls, mêlées à d'honnêtes Delahaye, de superbes Delage et de rapides Talbot, qui déferlaient autour de l'imposant perron, menées d'une poigne nerveuse par leurs glorieux chauffeurs en uniforme lustré.
Le gentil page, minuscule devant son château de féerie, évoquant celui de la Belle aux Bois-Dormants, ne perdait pas une miette de cet espèce de concours automobile. On sentait qu'à son avis, ce spectacle surpasserait largement les prochaines somptueuses festivités !
Toutefois, son expression anxieuse et ses gestes bizarres annonçaient un drame enfantin qui lui gâtait le pur bonheur du présent.
« Mais, monsieur, quel bonheur , vous êtes là, vous doutiez-vous que l'on vous cherchait partout ? »
Une soubrette gracieuse, au teint animé tendait ses bras au petit garçon taciturne ; sa voix essoufflée trahissait son impatience : ce gamin, qu'allait-il inventer le matin du plus grand mariage de l'année ?
« Votre mère vous cherche partout, elle craignait que vous ne fussiez tombé dans une flaque en abîmant un si beau costume ! Votre sœur vous demande tout de suite, comment entrer à l'église en tenant sa traîne sans une dernière répétition ? Vous risqueriez de vous empêtrer, de déchirer la dentelle de son voile. Pourquoi vous cacher ? Auriez-vous peur de tant de responsabilités ? »
L'enfant soupira, puis posa sa main sur sa veste ornée de deux rangées de splendides boutons, évoquant le style d'une élégante tenue de page du temps de Louis XV.
Cette création avait exigé maints essayages, conciliabules épineux, studieuse consultation de dessins d'époque ; et pour finir, le grand couturier choisi avait jugé opportun d'ajouter une initiative audacieuse : la toute nouvelle invention des boutons -pression …
Hélas, ce système n'était pas encore très perfectionné, et le pauvre petit page souffrait depuis son habillage matinal de ces traîtres de boutons incapables de rester sagement à leur place !
La jolie soubrette avait un cœur plein de bonté, elle consola l'enfant et lui conseilla de garder ses mains croisées sur son ventre, nul ne ferait attention à lui, allons, que de tracas pour rien ! Toute la Touraine n'aurait d'oeil que pour la mariée !
Maintenant, il n'y avait plus un instant à gaspiller, les cloches de l'église enverraient leurs doux carillons d'ici peu …
« Votre sœur ressemble à un ange. Il ne manque plus que vous, à votre entrée, les invités n'en reviendront pas de tant d'allure ! Venez-vite et oubliez-moi ces boutons ! »
A cette époque, les mariages du grand monde déroulaient leurs fastes à midi.
L'église débordait d'une foule s'efforçant de maîtriser son excitation une bonne heure avant l'entrée triomphale de la fiancée au bras de son fier Général de père.
Orchidées précieuses, corbeilles de roses immaculées, bouquets de fleurs d'orangers, envolées de lys neigeux s'éparpillaient entre les bancs inconfortables, jonchaient l'autel d'une simplicité biblique, rafraîchissaient les tableaux ternis et métamorphosaient l'humble église en caverne fabuleuse vouée à la Foi radieuse et aux ravissements de l'amour. La partie anglaise des invités n'osait dévoiler sa stupéfaction et s'obligeait à arborer une mine réservée et recueillie. Les Français, loin d'être effarouchés par une opulence si affirmée, élevaient la voix, se saluaient et s'embrassaient sans plus de façon !
Au château, la jeune Mademoiselle de L frissonnait d'exquise émotion devant sa robe déployées par trois jeunes filles aux mains gantées de mauve clair.
Sa mère, entra sans pitié, son chapeau en bataille, son éventail levé comme un sabre, elle supplia que l'on se hâte, le marié piaffait déjà et le Général menaçait de mener à l'autel la sœur aînée encore célibataire si la cadette ne venait le rejoindre au plus tôt!
« Ah ! s'exclama une jeune fille curieusement enlaidie par son chapeau cloche mauve éclatant, Françoise, comme vous avez de la chance ! Votre fiancé est d'une telle allure dans son uniforme rouge ! Si vous changez d'avis, je me jetterai à ses pieds afin qu'il m'épouse à votre place ! »
« Le comte de S ne vous regardera même pas, ma pauvre ! » répliqua une autre demoiselle. Virevoltant autour de la jeune mariée qui laissait sa mère la couronner d'un diadème de perles au dessin de feuillages, la jeune personne reprit d'une voix agacée :
« Françoise a décidé de notre uniforme, soit six demoiselles en violet clair, chapeaux, robes, souliers, colliers d'améthyste, étole : un vrai carnaval de Venise ! et cela afin d'être toutes accordées aux cyclamens couvrant les pelouses ! chaque jeune homme doué de raison s'enfuira à toutes jambes en nous voyant approcher ! Je parie que, ce soir, nous serons condamnées à faire tapisserie ! Et, je gage que nos photos déclencheront l'hilarité de nos petits-enfants . Notre amitié ne valait-elle mieux ? Je me demande si je ne vais pas courir m'habiller comme il me plaira , je déclare être une rebelle et vous conseille, mes chères amies, de me suivre ! »
La charmante mariée plissa son minois par une ombre de bouderie, haussa ses gracieuses épaules sur lesquelles une soubrette ajustait un manteau de cour éblouissant de blancheur et esquissa un pas de danse espiègle .
Soudain, on crût voir un cygne prêt à s'envoler vers d'autres cieux ! n'en pouvant plus d'admiration, le petit page éclata en sanglots : « Elle est trop jolie ! Si je porte sa traîne, je suis sûr qu'il m'arrivera un malheur et je voudrais qu'elle ne parte pas loin de nous ! Que c'est triste un mariage !»
Une porte s'ouvrit avec un bruit de tonnerre, et le Général au chef emplumé à l'instar d'un héros d'Homère, s'imposa dans ce théâtre familial !
« Mesdemoiselles, plus un mot et en rang, je vous prie !
Françoise, vous êtes très belle, comme d'habitude d'ailleurs, prenez mon bras et tentez de ne pas rire sous cape, une mariée doit paraître émue !
Mon garçon, marche sans pleurer, sois un homme et fais-moi le plaisir de porter ce bout de tissu sans le lâcher ! Les demoiselles viendront à ton secours, ne fais pas de drame de cette baliverne. Mon amie, le père du marié n'attend plus que vous pour former le cortège, en route !
N'allez pas trop vite, restons calmes et notre entrée sera réussie, allons ! »
Le général ne se trompait pas : jamais famille n'avança avec plus de dignité naturelle, de grandeur exquise, d'élégance parfaite vers l'autel, l'évêque et un fiancé aussi rouge de joie que son uniforme impeccable, soutenu moralement dans cette épreuve extraordinaire par son ordonnance, raide comme un parapluie, qui lui portait avec ferveur son sabre, et son bonnet à poil ... !
Courageux jusqu'au bout du chemin, le petit page marcha avec constance, suscitant l'attendrissement amusé des nobles dames le plaignant de supporter ses magnifiques boutons qui eurent la malencontreuse idée de s'ouvrir en plein milieu de la lente procession.
L'enfant essaya de faire bonne figure mais le souvenir de cette torture le marqua assez pour qu'il s'en souvienne quatre-vingt ans après !
Nobles lords, fringants officiers, terribles ladies, arbitres des élégances de la rue de la Paix se répandirent en louanges sincères sur ce mariage surprenant qui unit la réserve britannique, la spontanéité française et la douceur tourangelle …
Comme il se doit, les époux furent heureux, vécurent longtemps, et eurent non point beaucoup mais tout de même quatre beaux enfants!
A bientôt pour un nouveau souvenir ou conte jailli d''un aimable passé,
Nathalie-Alix de La Panouse
Le château, si fier de ses cygnes donnés par le roi d'Angleterre, existe toujours, encerclé de ses immenses bois noirs...

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