jeudi 18 mars 2021

Art de vivre britannique et mère angoissée: dernier souvenir d'une malle parisienne



 

L'art de la bonne éducation à Londres en 1930

Contes cosmopolites d'une malle parisienne,

A l'orée du printemps, nous tentons de faire un rangement extraordinaire dans notre maison et souvent dans nos cœurs ;

Par ces temps de crise angoissée, bannir le désordre de nos vies semble source d'optimisme ! J'ai eu, je le confesse, la folle imprudence de passer un chiffon autoritaire sur la vieille malle qui, durant tout ce triste hiver, a eu la courtoisie de me raconter d'étranges anecdotes sur le passé familial.

Quelle imprudence en vérité !

J'avais oublié à quel point ce réceptacle des secrets disparus était doué d'un caractère hautain, vaniteux et, comme si cela ne suffisait pas, d'une susceptibilité encombrante.

A peine ma main s'était-elle délicatement posée sur son cuir usé que je reçus une sorte de coup de fouet … Je crus être le jouet d'une illusion, la victime d'un mauvais rêve, sans doute l'effet de ma fatigue nerveuse. Je repris mon chiffon, caressai à nouveau le couvercle rugueux de ce bagage d'une époque lointaine, et sentis une seconde fois une espèce de coup de cravache !

« Mais enfin, dis-je, furieuse, je pensais que nous avions d'excellentes relations vous et moi, et voilà qu'en plus de gardez un silence blessant, vous me blessez tout court ! Que me reprochez-vous ? »

bourdonnant à son habitude, la malle en guise de réplique, m'envoya un flot d'images qui prirent vite la tournure d'une descente dans le temps.

Invisible et muette, je me retouvai dans la douceur soignée d'un vert jardin Anglais

.Un clair ruisseau franchissait la pelouse brillante aussi qu'une émeraude indienne, et venait s'endormir dans un bassin où se reflétait un couple fort élégant à la mine extrêmement soucieuse

.Une ravissante soubrette , fraîche et juvénile en sa robe noire embellie de dentelle blanche, attendait, figée comme une statue, que l'on daigne s'apercevoir de sa gracieuse présence.

Je reconnus notre aïeule à ses aimables rondeurs, son regard étincelant, son visage aux lignes ciselées et remplies ; attraits lui conférant une distinction sans pareille, mais un brin exotique : un soleil d'été Italien, Espagnol ou Grec ...

Cette brune dame des Ambassades se singularisait par une vivacité d'âme et une générosité de cœur annonçant une jeunesse éternelle !

Toutefois, en ce jardin ordonné où flottaient, après l'ondée d'un calme matin de la campagne anglaise, les vigoureuses senteurs de mai , l'égérie de l'ambassade de France, arborait une mine aussi déconfite que si le roi lui-même venait de décider de la priver du prochain bal à la cour.

Son compagnon la considérait d'un œil impavide où errait un nuage de malice atténuant la gravité de sa mine diplomatique.

Le silence se prolongeant de façon considérable, il décida non point de le briser à la française, mais de l'apprivoiser à la mode anglaise. Souriant à la jeune fille au col immaculé, à la coiffe posée comme un diadème, il lui signifia d'un geste éloquent de s'en aller vers d'autres cieux, l'autre ravie de s'échapper s'éclipsa en une dansante pirouette.

Au pays de la perfide Albion, même les hommes les plus inaptes à comprendre la gent féminine, savent qu'une tasse de thé, (ou tout simplement la seule éventualité d'une tasse du breuvage adoré) a le mérite d'apaiser les tourments des femmes en détresse qu'ils s'efforcent de réconforter.

« Ma chère, buvez votre thé et réfléchissez juste une petite minute avant de déclencher un nouvel incident diplomatique qui nous fâchera cette fois avec le peuple Irlandais !

Et si ce n'était que cela... songez que notre hôtesse nous a convié en son château non point pour nos personnes, mais afin de plaire à la princesse Alice, membre très apprécié de la famille Royale.

Si vous laissez ses invités célèbres et titrés en plan, la duchesse vous accusera du crime mondain par excellence : l'arrogance d'une snobinarde méprisant les sévères règles du bon ton !

On ne vous pardonnera jamais cet affront abominable visant à humilier une si haute princesse ! Nous serons bannis des cercles les plus importants de la bonne société, et notre ambassadeur recevra un blâme du ministre des affaires étrangères, peut-être sera-t-il révoqué …

Mon châtiment ne tardera pas : relégué aux ennuyeuses corvées de l'Ambassade, je maintiendrai la discipline parmi les sous-secrétaires et corrigerai les dépêches truffées de coquilles et autres bourdes, autant démissionner tout de suite !

Quant à vous, je prévois le pire ! Pensez à la colère du Général votre époux... »

Roger n'acheva pas sa phrase car la jeune soubrette venait de se matérialiser d'un pas preste trahissant une nervosité qui n'annonçait rien de bon. 

«  Eulalie ? Un nouveau message serait-il arrivé du pensionnant ? »

La ronde dame, mon aïeule par alliance, semblait en proie à un début de crise cardiaque.

Mais quel drame éclatait-il dans la quiétude ineffable de ce printemps anglais des années précédant la seconde guerre mondiale ?

Eulalie n'eut garde de répondre avant le rituel de la révérence , on sentait qu'elle cherchait à gagner une seconde avant les choses fâcheuses ...

Puis, présentant une enveloppe cachée contre son cœur,

elle se répandit en excuses bredouillées :

« Je prie Madame de ne pas se moquer de mon orthographe ; le directeur du pensionnat a téléphoné à Londres, Jean-Pierre a pris l'appel, m'a demandé ici, et j'ai écrit son message urgent à la va-vite, j'espère que Madame saura me déchiffrer ...  »

Le billet lui fut arraché par une mère au comble de l'anxiété !

« Roger ! Jean-Pierre, ce majordome, le plus merveilleux cadeau de mariage de mon cher Papa, fait tellement partie de la famille qu'il est prêt à manger de l'Irlandais afin de délivrer mon fils ! Écoutez cette abomination : ces bourreaux d'enfants obligent le cher petit à choisir entre la privation injuste de ses vacances, et le supplice de la baguette !

Cette punition lui est infligée pour avoir aidé un groupe de futurs terroristes à chahuter en cours de dessin ! Voyez-vous ça ! Mon fils est courtois, patient, incapable de se joindre à une rébellion irlandaise envers un professeur d'Art ! C'est une erreur judiciaire insensée, comment pouvez-vous rire ? Vous me décevez ! Je vous saurais gré de feindre un minimum de compassion envers un enfant outragé et sa mère indignée, vraiment Roger, je ne vous reconnais plus .. ».

Horrifiée, l'excellente mère contempla alors un spectacle sidérant ! le plus impassible des diplomates de l'ambassade de France à Londres, légende vivante du tact français depuis une quinzaine d'années, était secoué d'une hilarité si irrépressible et contagieuse que la charmante Eulalie en étouffa un sourire dans son tablier brodé.

A bout de nerfs, l'épouse du Général remit fermement en place son chapeau cloche gris -perle, réveillé d'un belliqueux ruban écarlate, et lança sa déclaration de guerre :

«  Roger, vous me peinez infiniment ! Eulalie, ma chère petite, vous me comprendrez la jour où vous aurez à lutter contre l'adversité pour un enfant ;

me voici seule face à l'ennemi, je ne reculerai pas !

C'est moi qui vais briser cet instrument barbare devant le directeur !

La duchesse comprendra, la princesse m'approuvera, toutes les mères de France et d'Angleterre suivront mon exemple, finissons-en avec cet infâme châtiment infligé à des jeunes enfants ! Vivons dans le progrès et la civilisation !

Je pars immédiatement, mon fils a confiance en moi, comment le trahirais-je en l'abandonnant à la fureur Irlandaise ? »

A cet instant précis, un domestique en habit de cérémonie fit une entrée triomphale.

« Sa Grâce prie madame la vicomtesse et Son Excellence de bien vouloir la rejoindre dans le grand salon afin d'y prendre le thé en compagnie de Son Altesse Royale la princesse Alice. »

Roger quitta son fauteuil de jardin comme un diable sort de sa boîte, d'une poigne énergique, il s'empara du bras de son amie, et tous deux marchèrent dans l'auguste sillage de l'admirable majordome.

La dame brune tenta en vain de s'échapper ! Mais, Roger n'eut aucune pitié et l'épouse du Général n'en manqua même pas sa révérence de cour devant une princesse assez subtile pour deviner que ces Français si polis dissimulaient une crise d'une ampleur considérable.

Or, bizarrement, son hôtesse, la redoutable duchesse en savait plus qu'elle ne voulait l'avouer et ce fut elle qui attaqua après un rapide échange de propos purement mondains.

« Madame, un de vos domestiques a parlé un peu fort au téléphone, je crains que ce brave homme ne soit aussi dur d'oreille que dévoué. Ces mots français sont venus jusqu'à moi, j'étais dans la pièce à côté !

La situation me semblant assez étrange, j'ai pris sur moi de faire appeler le directeur de la Pension Catholique où votre petit dernier suit ses cours pendant la semaine.

Cet homme m'a expliqué toute l'affaire votre fils aurait été pris dans une bagarre menée par une bande de jeunes Irlandais au sang vif ; bien sûr, le pauvre enfant ne voulait pas en être, le directeur a interrogé des témoins qui ont tous loué son côté pacifique !

Mais, ces Irlandais, voyez-vous, ce sont des têtes de bois : ce que vous prenez pour de la barbarie leur convient tout à fait : ils préféreront toujours une volée de coups de baguette à la privation de leur liberté, et, m'a confié cet excellent directeur, ces garnements s'alignent volontairement devant son bureau chaque vendredi afin d'être cinglés sur la main ou le postérieur.

C'est le prix à payer pour le bulletin de sortie ! Pourquoi y voir du mal ?

Il s'agit des principes de notre éducation britannique.

Allons, ma chère, le directeur m'a promis que votre petit dernier serait par mesure de faveur conduit chez vous ce soir, vous l'embrasserez à votre retour.

Maintenant, s'il vous plaît, vous nous obligeriez en quittant cette mine offusquée ! »

Roger, en diplomate irréprochable, prononça le mot de la fin :

« Votre Grâce, ce fut « Beaucoup de bruit pour rien » !


Le charmant petit dernier de la vicomtesse de LP raconta bien plus tard ses aventures dans ce pensionnat où les élèves Irlandais parlaient plus avec leurs poings qu'avec leurs langues ; mais il n'en gardait pas un si mauvais souvenir …


A bientôt,


Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire