Axel Munthe le Suédois, Pierre Benoit le Français :
Deux amis écrivains et chevaliers des Oiseaux
Les îles sont des refuges pour ceux qui souhaitent s'éloigner sur un bateau immobile des doutes, déceptions, peurs et remords, ce lourd fardeau des affaires humaines …
Mais, les îles sont filles du vent et du caprice ! elles éveillent une nuée de sentiments étranges, libèrent les véritables tempéraments, épanouissent les cœurs attristés; souvent ces rochers austères, ces terres pauvres ou perdues vous réconcilient avec vos aspirations les plus combattues.
Chaque île est l'Ithaque d'Ulysse, mais aussi celle du poète Grec Constantin Cavafy qui conseillait d'avoir la sagesse d'y aborder aux portes de l'âge mûr, et d'accepter un long, un interminable voyage .. Nous passons notre vie à guetter un port, une falaise, une plage, une petite ville blanche sur ses quais mordus d'écume, en vain ! l'île que nous cherchons n'existe pas ! L'aurions-nous inventée? Serions-nous condamnés à errer sans jamais la frôler ? Nous abandonnons tout espoir, tâchons de nous comporter en êtres raisonnables, nous perdons notre âme peu à peu ...
Et soudain, au hasard d'un voyage, voici que sur le bateau-fantôme d'Axel Munthe, nous longeons des montagnes intangibles, des rocs arides, des grottes dérobant des palais de cristal... Ou encore, loin de ces enchantements, peut-être, à l'instar de Pierre Benoit succombons-nous au charme doux-amer d'humbles sablières envahies de roseaux échevelés.
Majestueuse ou gracieuse, entourée de mer ou cernée d'un fleuve, rocailleuse ou bourbeuse, notre île nous salue, avec l'ironie délicate d'une amie qui vous attendait depuis toujours.
Mais une île se dessine aussi dans les contours d'une prairie, d'un jardin, au bord d'un ruisseau clair et radieux, sur une pelouse aveuglée de soleil frais et neuf, où un couple de Pies sautille et se poursuit, sous le regard des Huppes de passage, des Bergeronnettes paisibles, des Rouge Gorges curieux et de tout le peuple ailé, allègre et confiant par les belles journées d'avril.
L'île aux Oiseaux de nos contes enfantins est une réalité multiple et ondoyante que connaît chaque promeneur taciturne et patient !
Deux écrivains et amis de l'autre siècle, deux humanistes, deux cœurs généreux, donc deux hommes parfaitement oubliés, ou peu s'en faut, furent à la fois des amateurs d'île et des défenseurs de ces créatures fragiles et gracieuses qui y trouvent leur repos : les oiseaux migrateurs.
Les îles de ces deux chevaliers sans peur ni reproches furent l'une bleue, l'autre verte.
La bleue restera jusqu'à la fin du monde parfaite de beauté, de ses grottes aux sommets de ses montagnes.
L'autre verte, est à demi-imaginaire ; juste une terre de sable et de roseaux sur le Bassin d'Arcachon, métamorphosée en lande arrimée sur la Gironde.
Son inventeur, Pierre Benoit, Français Méridional affable et âme cosmopolite, aimait les femmes parfumées, cruelles et tendres, indomptables et imaginaires !
Afin de leur donner vie, il baptisa ces créatures tumultueuses de bizarres prénoms faisant claquer au vent leur A majuscule ; puis, il lança ces Antinéa, Axelle, Aurore et leurs sœurs à l'assaut des intrigues et remous de ses romans extravagants.
Axel Munthe, Suédois fort compassé, médecin favori des princes européens, ami de cœur d'une reine du nord, et amateur de féerie scandinave, eût ,encore jeune et naïf, la révélation quasi mystique de son île bleue : Capri.
Les Sirènes, embusquées sur les passerelles folles où le myrte étreint le jasmin, assoupies sur les belvédères du vertige, se toquèrent de ce grand blond qui escaladait leur citadelle flottante à l'instar d'un poète à la conquête des nuages.
D'un geste fantasque, ces beautés sardoniques lui mirent le pied sur les ruines d'une chapelle et le nez sur les plus belles figures des îliennes. L'amour le saisit pour les beautés de pierre et de chair ! son destin fut scellé sur « l'Escalier Phénicien », vertigineuse échelle d'énormes rocs qui traverse la montagne du Port de Marina Grande, au village des hauteurs, Anacapri, balcon naturel sculpté de lumière pure ...
Le bon docteur Munthe raconta bien plus tard, dans un roman, un brin vaniteux, l'histoire de sa vie menée au rythme des caprices de ses patientes du grand monde, pauvres et frêles créatures souffrant de maladies nerveuses.
Cette œuvre salutaire lui donna les moyens de reconstruire à sa manière la Villa San Michele d'Anacapri ; sans doute l'un des douze palais élevés en l'honneur des douze grands dieux de l'Olympe par l'ami de Virgile, l'empereur Auguste, embellie encore par les soins du sombre Tibére dont l'île garde les amers secrets.
L' engouement que connût cette confession exaltée et bouillonnante, vint peut-être des sentiments généreux avec lesquels l'auteur dépeint oiseaux et animaux ; que ce soit un singe rescapé, grand faiseur de pagaille entre Anacapri et Capri-village, ou la gent ailée prise au piège à chaque migration par les chasseurs de l'île.
Indigné face au carnage impitoyable de ces fragiles habitants des airs, Axel Munthe n'écouta que son cœur, ou le chuchotement de Saint François d'Assise à son oreille !
La sévère montagne de Barberousse, dont les flancs rocailleux couronnaient son jardin des délices de San Michele, offrait un repos fallacieux aux cailles épuisées cherchant une étape au sein de leur grand voyage saisonnier.
Le bon docteur eût l'idée farfelue, sublime et romantique de l'acheter …Il inventa une ruse inspirée par Ulysse, Capri ne fût-elle Grecque au temps où Homère chantait... et reçut l'aide du Saint Patron d'Anacapri, le solide San Antonio.
Tous deux, complices, la main dans la main, promirent sa guérison au propriétaire, un cruel ancien boucher qui agonisait. Toutefois, Axel Munthe de prévenir tout Anacapri :
« J'irais, à une seule condition qu'il jurerait sur son crucifix, dans le cas où il s'en tirerait, de ne plus jamais aveugler un oiseau et de me vendre la montagne à son prix exorbitant d'il y a un mois ».
L'homme refusa, puis accepta , fut sauvé par l'obstiné Suédois et tout Anacapri cria : »Miraculo » !
Bientôt la montagne, ce traquenard féroce se métamorphosa en sanctuaire intangible. De nos jours, la vocation du rude séjour n'a point changé.
Le long du sentier abrupt grimpant avec alacrité vers la forteresse décatie du redoutable seigneur Barbarossa, court un fil de métal portant un écriteau qui étonne les promeneurs : « Fondation Axel Munthe « .
L'esprit se perd au delà des bosquets ; de fugaces envols, des appels insolites éteignent la rumeur sauvage de la mer sur les rochers aigus.
Ici commence le domaine extraordinaire rêvé par le bon docteur dont l'âme a des ailes ...
La gent voyageuse ferme ses ailes lourdes de fatigue au creux des buissons, taillis, grottes et pelouses verdoyantes de la montagne aux Oiseaux, illustrant le souhait altruiste de ce chevalier des plus faibles qui écrivit :
« La montagne de Barbarossa est à présent un sanctuaire pour les oiseaux. Des milliers d'oiseaux de passage se reposent sur ses pentes au printemps et à l'automne à l'abri des hommes et des bêtes. »
Pierre Benoit a suscité les élans sulfureux des éternels adolescents en leur livrant une étoile froide qui se prétendait l'héritière de Cléopâtre : Antinéa, reine des vestiges de l'Atlantide.
C'était-là une admirable plaisanterie qui dota l'auteur d' une réputation d'écrivain maniant avec adresse et gourmandise un érotisme de bon ton.
Pourtant, es nobles débris de l'Atlantide annonçait l'attrait de l'auteur pour les îles où la vie est féconde en histoires hors du commun.
Au début des années trente, il eût l'audace ingénieuse de remorquer en rêve l'île aux Oiseaux du Bassin d'Arcachon, jardin ailé qui pare de féerie les souvenirs d'enfance ,au beau milieu de la Gironde.
Ravi de son forfait, il poussa l'insolence jusqu'à s'installer sur son domaine bourbeux ; il s'y mis en scène, et y écrivit une histoire fausse qui semble avec le temps de plus en plus vraie !
Le livre vient de renaître des sables de l'oubli grâce aux Editions Confluences, et je vous invite à flotter sur L'île Verte en tordant le cou aux préjugés absurdes qui proclament qu'il est vain de se plonger dans un roman passé de mode.
Pierre Benoit, chevalier de la gent ailée, imite Axel Munthe son ami. A son tour, le voilà qui organise un refuge aux innombrables oiseaux migrateurs, loin des regards curieux, à la pointe de l'île. Il place à sa tête un brave homme, aussi peu romantique que possible, un anti-héros ; un taxidermiste appliqué, qui a tout appris des êtres ailés dans les grimoires.
Soudain, lors d'une partie de chasse sur l'île verte, l'humble personnage tombe amoureux fou des oiseaux bien réels ; ce n'est pas un engouement, c'est une passion dévorante, d'une générosité sublime, et le roman se métamorphose en prodigieuse incantation …
Le drame inévitable est suggéré, l'histoire prend une allure périlleuse, bientôt, on sent le vent de la tempête fondre sur le chevalier des Oiseaux, mais, qu'importe !
En dépit de la brutalité des insulaires, la bonté du héros sera récompensée par ceux qu'il chérit avec tant d'oubli de la raison : Pierre Benoit serait-il le frère lumineux de l'obscur ami des oiseaux de son roman ?
Je vous laisse découvrir ce roman pareil à un bateau au pont recouvert d'oiseaux extravagants, incongrus, familiers, modestes, superbes, blessés et surtout doués d'une intuition et d'une volonté redoutables...
A bientôt,
Nathalie-Alix de La Panouse
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L'île bleue ou la vraie patrie d'Axel Munthe, incroyable docteur suédois |

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