Le printemps voit fleurir les arbres, les prairies et aussi les jeunes enfants .
Le doux temps de Pâques nous fait souvent le don charmant mais redoutable de quelques jours en compagnie des membres les plus inconnus de nos familles.
Je veux parler de ceux qui à priori n'évoquent qu'un nez minuscule dépassant de blanches couvertures ou un long hurlement de famine au cœur d'une nuit paisible …Autrement dit ces très jeunes enfants qui semblent si exquis tant que l'on n'a pas affaire à leurs caprices fulgurants, désirs intempestifs et colères tapageuses !
Les heures nous sont comptées, une arrivée familiale se prépare avec ferveur ; il est indispensable de réunir un monceau de plats sophistiqués, de la meilleure qualité disponible et une montagne d'accessoires dont le souvenir nous paraît des plus lointains et l'utilité assez saugrenue.
Or, l'obéissance prudente reste la voie diplomatique la plus sensée ! mieux vaut se plier aux nouveaux usages et tenter de nous conduire en serviteurs diligents et dévoués.
Nous avouons trembler avant l'épreuve, et, parfois, tenter d'inventer un alibi parfait afin de remettre cette adorable visite à un peu plus tard ; peine perdue !
Notre imagination vagabonde vers des horizons lointains, mais la réalité du troisième confinement l'emporte sur de si attrayantes considérations.
C'est chose décidée : Pâques nous apportera l'espérance, et aussi une poupée de vingt et un mois, qui, à l'avis de ses parents énamourés, réunirait la grâce d'une ballerine, bientôt couronnée danseuse étoile, à l'esprit d'un éloquent philosophe des Lumières.
C'est une loi éternelle :
Les jeunes parents engendrent toujours des êtres prodigieux qu'ils daignent parfois confier à de pauvres parents dans la force de l'âge, en apparence afin de prouver leur noblesse d'âme, en réalité pour trouver un peu de repos et de liberté...
Les miracles toutefois sont des événements d'une splendide simplicité : voici que l'on déferle dans votre jardin, vous respirez et affichez un sourire de parade, soudain, vous ne jouez plus la comédie de la perfection, à quoi bon ?
C'est trop tard !
Vous venez de tomber sous le charme d'une minuscule fée qui vous tend les bras comme si sa courte mémoire gardait, depuis trois longs mois, votre merveilleux souvenir.
A votre vif étonnement, ces paquets braillards, ces étranges créatures galopant sur quatre pattes, ces ventres affamés, enfin, ces petites personnes horripilantes, savent se métamorphoser en poètes de quasi deux années.
Vous avancez sur une pelouse jonchée de pâquerettes, l'enfant rit de bonheur en vous montrant ce ruisseau parfumé qui semble ne jamais finir.
Vous rajeunissez furieusement jusqu'à retrouver vos deux ans, c'est un cas rarissime de contagion terrifiante ! Vous êtes le présent, vous ressentez avec vigueur l'incroyable beauté de la nature glorieuse, vous mourez d'envie de courir parmi les fleurs, vers la table dressée pour un goûter.
Vous vous surprenez à éprouver sans rime ni raison des sensations d'une enivrante simplicité : vous avez terriblement faim, terriblement besoin d'un baiser, d'un morceau de gâteau et surtout de caresser le chat « bien fourré, gros et gras » juché sur le fauteuil d'osier de son maître.
Le monde est beau à votre unique intention, l'air frais ne circule, chargé d'effluves suaves venant des fleurs de prunier et du bois de cèdre rangé en rondins, que pour vous satisfaire !
Ou mieux, vous donner la mesure d'un art extraordinaire : le savoir-aimer la vie comme elle vous aime ! ne vous offre-t-elle le vert incandescent et multiple de l'herbe, des buissons de lauriers ? Ne vous prodigue-t-elle à foison les bourgeons en train de vêtir de feuilles tendres, les branches minces et dansantes tilleuls, les branches épaisses, marbrées de rose, veinées de blanc, des platanes élancés, les grands arcs des saules et des figuiers, les fines baguettes des altheas ?
Voici que l'enfant jacasse en son jargon musical, elle parle aux eaux rapides de la rivière se hâtant aux pieds des murs d'enceinte, elle s'exclame devant un autre chat, un aventurier grimpant à l'attaque d'un tronc.
Soudain, elle ne parle plus, que se passe-t-il ?
Vous suivez son regard perdu d'extase, l'enfant contemple un oiseau qui la suit avec une extrême curiosité du haut de sa branche gracile ; vous reconnaissez un habitué des lieux, l'impertinent rouge-gorge qui se moque des chats, s'amuse des pies voleuses, et vous remercie de ses miettes quotidienne par de fols balancements sur les guirlandes mauves de la glycine.
L'oiseau échange un dialogue muet avec l'enfant, le jardin retient son souffle, l'enfant est une poète de deux ans, elle agite la main vers l'oiseau et le printemps se pare de douceur éternelle …
Le froid vespéral vous pousse vers la vieille maison ; vous entrez, l'enfant s'échappe ! De son pas encore hésitant, elle virevolte sur les planchers, navigue à l'instar d'un marin intrépide de pièce en pièce, fend comme la houle la masse des anciens jouets, nettoyés de frais, rassemblés sur le tapis du salon, et tombe, foudroyée de fatigue, devant la cheminée,
Un magicien invisible vous aide à raconter de tout votre coeur une histoire tirée d'un très vieux livre aux belles images.
Vous confondez dans l'émotion le prince et le maudit enchanteur, la méchante reine avec la frêle princesse enlevée à son père inconsolable. Un chapitre plus loin, Beau-Minon et Bonne-Biche sortent des pages et vous remettent dans le droit chemin. Quelle surprise : la comtesse de Ségur reste un roc inébranlable quand il est l'heure d'inciter au rêve les petits. Vous vous appliquez, l'enfant vous lance un regard si tendre que vous perdez le fil ; l'enfant soupire, et pose sa main sur sur la vôtre, vous rayonnez ! Vous voilà repartie à l'aventure !
Miracle, au moment où le conte s'achève, votre maison se pare de la majesté du château de la Biche enchantée. Le soir s'épanouit, l'enfant est enlevée par ses parents ; pour vous, il est temps de redevenir adulte, quel ennui..
Le lendemain matin, vous cherchez l'enfant, vous l'entendez, elle court vers vous, on vous félicite, quel talent !
Allons donc ! vous n'y êtes pour rien, vous le savez : l'enfant a décidé seule qu'elle vous aimait bien. On ne gouverne jamais le cœur des petits, ils sont francs, entiers, touchants et aiment simplement.
Vous êtes transfigurée...
A bientôt !
Ce petit texte est dédié à D...
Nathalie-Alix de La Panouse
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Renoir: portrait de petite fille 1913 |
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