mardi 20 avril 2021

L' invitation au voyage" avec Baudelaire et Renoir



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"L'invitation au voyage" avec Baudelaire et Renoir


Auguste Renoir a toujours les faveurs des amoureux de la vie !

Tant pis si une poignée d'esprits chagrins s'arrogent le droit de juger avec une austère réticence ses jardins ondoyants, ses enfants rayonnants de naturel, ses fêtes rustiques éclaboussées de lumière dansante, ses beautés arrondies, adorables déesses païennes vêtues du « simple appareil » de leur volupté somptueuse et naïve !

Renoir insuffle la joie d'être au monde : il nourrit en nos cœurs ennuyés cette désinvolture irrésistible et primesautière qui nous manque avec tant de force au sein des heures d'incertitude et de mélancolie.

Ses œuvres cascadent à l'instar de fontaines de jouvence, le regret s'enfuit, la tristesse est vaincue, l'espoir souriant chatoie dans un paysage de fleurs et de roseaux, sous une tonnelle enguirlandée de feuillages, au creux d'un buisson où une jeune femme ingénue, mignotant son chien adoré, resplendit de toutes les nuances de son teint de nacre, de rose et de pêche.

Or, Renoir entre maintes aventures, mille vies, mille sources d'inspiration et un aréopage de jeunes beautés épanouies, éprouva le plus simple, le plus évident, le plus parfait des coups de foudre en février mille huit cent quatre-vingt, dans une crèmerie où il oubliait les rigueurs de l'hiver parisien grâce aux plats copieux de Madame Camille, rue Saint-Georges.

Le minois radieux délicieusement encadré d'une opulente chevelure fauve, l'exquise et potelée Aline Charcot, modiste oeuvrant chez sa mère , dans le voisinage de l'atelier du maître , fit une si profonde impression à ce dernier que le cours de sa vie en fut changé . C'était avril au cœur des frimas !

Les deux amants ne se quittèrent plus ! Aline d'humble couturière s'éleva au rang de muse, de divin modèle, de superbe créature attirant les regards enamourés sur les toiles de son merveilleux Auguste. Sur l'un des tableaux les plus aimés du jeune maître rebelle, le « Déjeuner des Canotiers, la voici pour l'éternité, cherchant à embrasser son chien tout en laissant sa bouche esquisser une moue adorable de ses lèvres charnues s'accordant aux bouquet de son chapeau !

L'idée de mariage s'annonça délicatement, mais, à l'instar de n'importe quel homme de quarante ans doué d'un solide sens de l'indépendance, Auguste Renoir hésitait à s'engager … il choisit de trouver le salut dans une fuite en Algérie, où le printemps de 1881 le vit aller à la rencontre de ses amours : les paysages chamarrés et les jeunes femmes idéalisées. Aline l'attendit avec la patience de celle qui ont donné leur cœur pour toujours … Renoir, peut-être pris de remords, l'invita au voyage à son tour . Peut-être aussi eût-il l'élégance touchante de se souvenir de Baudelaire, ce poète maudit qui aimait tant la peinture et jouait avec des mots subtils coulant comme une mélodie :

«  Mon enfant, ma sœur

Songe à la douceur

D'aller là-bas vivre ensemble !

Aimer à loisir

Aimer et mourir

Au Pays qui te ressemble ! »

Ce pays : « Là où tout n'est qu'ordre et beauté

Luxe , calme et volupté»,

ce fut l'Italie, ce fut Milan, Venise, Rome, Naples et enfin Capri !

Les amants débarquèrent éblouis par un matin transparent et irisé d'azur sur les quais de roche sombre du port de Marina Grande. La mer, si turbulente à la fin de l'année, s'était apaisée, sans doute attendrie par le spectacle de ce couple enlacé sur le pont du seul bateau de pêche qui avait accepté de tanguer quatre bonnes heures, avant d'atteindre les murailles intangibles de l'île des Sirènes ailées. Ces belles créatures, sommeillant l'hiver en la grotte Bleue, ne se réveillèrent même pas à l'arrivée de ces amants pareils à tant d'autres.

L'hiver à Capri hésite entre la paix d'une mer pareille à une nappe d'argent pur ou l'ire de l'écume furieuse harcelant les rocs gardant l'entrée des grottes mystérieuses. La lumière se précipite sur les bosquets sauvages accrochés aux montagnes, La brise emporte l'appel mélodieux des cloches d'Anacapri sur la lente promenade de la Migliera, celles du bourg de Capri répondent aussitôt, suivies de leurs sœurs de l'église San Costanzo qui veille sur le Port ennuagé de bleu de Marina Grande.

Capri en hiver c'est l'île des chimères, la citée des nuées et des féeries, le roc dur paré d'écharpes diaphanes.

C'est le lieu des nuances éblouissantes et subtiles cascadant sur les énormes pierres aux reflets de miroir avant de ricocher sur l'eau transparente d'une mer suggérant en ses profondeurs les ébats des Sirènes en leurs palais de cristal.

Renoir et Aline avancent comme s'ils étaient tombés en Paradis ! ce n'est pourtant pas Saint-Pierre qui les accueille mais un aubergiste du port, un Capriote au cœur sur la main qui ignore qu'un des plus célèbres artistes Français vient lui demander l'hospitalité de ses modestes chambres.

Les amoureux sont traités comme des enfants revenus en leur mère patrie. Folâtres et fantasques, ils grimpent depuis la plage de Marina Grande, les huit cent marches de la Scala Phénicia, et s'écroulent épuisés au pied du monte Solaro, errent dans le blanc village d'Anacapri, admirent enfants rieurs, maisons à colonnes et places paisibles. A l'époque, la future Villa San Michele du bon docteur Munthe étalait encore ses antiques ruines en surplomb du Pont-Levis de la via Capodimonte ; la route n'existait pas vraiment! Des ânes charmants et sages eurent le courage de porter la ronde et radieuse égérie du peintre rêveur par les sentiers escarpés longeant les gouffres effrayants.

Un batelier eût l'audace de les emmener en un sanctuaire interdit en plein hiver : la Grotte Bleue où Renoir découvrit, à son vif agacement une nuance d'azur impossible à attraper sur sa palette : peut-être une aimable plaisanterie des Sirènes que l'hiver ennuyait...

Soudain, Renoir vit en sa compagne l'émanation-même des divinités encore palpitantes sur cette île qui fut la cure de jouvence de l'empereur Auguste et la citadelle de son petit-fils adoptif Tibère.

Aline fut, par ses soins, assise sur la plage de Marina Grande, son corps robuste placé en figure de proue de Capri, sa peau marmoréenne nimbée de lumière sous la parure fauve de ses cheveux soulevés de brise marine.

La jeune Parisienne sentimentale, au regard si confiant, prit l'aspect invincible d'une Aphrodite engendrée par la mer bleue aux étincelles d'or, sculptée sur le roc dévoré d'écume. Cette « Baigneuse Blonde », bien plus qu'une femme exquise dans l'éclat nacré de sa jeunesse, incarne à jamais la beauté éternelle de l'île rendue à sa divine essence.

Ainsi Renoir revint-il de Capri avec un chef-d'oeuvre, et Aline avec un anneau et une promesse de mariage …

La « Baigneuse Blonde » fut la première d'un long cortège, Renoir fut hanté durant vingt-cinq ans par ces évocations somptueuses d'une femme divine et naturelle.

Capri toutefois ne se souvient que de la si charmante « Baigneuse Blonde » qui frissonna à peine sous le soleil de décembre quand le peintre l'installa sur une plage, attaquée par des vagues puissantes, afin de rendre hommage à une île qui reflétait sa parfaite beauté de Sirène ingénue .

Ce fut une histoire d'amour et de génie, d'intuition et de ferveur...


A bientôt, pour d'autres tableaux, d'autres poèmes, d'autres amours,

Lady Alix

ou Nathalie-Alix de La Panouse

 

Renoir à Capri, décembre  1881: une "Baigneuse Blonde" ingénue sur les rochers de l'île






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