vendredi 14 mai 2021

Les trois Faraglioni à Capri ou le délirant "Souvenir" de Gustave Toudouze

Pages Capriotes

Capri est un périlleux passage si l'on rêve trop fort ...

 Vers ses trente printemps,  Gustave Toudouze,  bel homme assez rêveur pour croire aux sirènes de l'île d'azur, y inventa un très étrange drame incantatoire : 

« La Sirène, Souvenir de Capri »...

En vérité, voici l'histoire la plus singulière parmi tous les récits des voyageurs qu'un défi audacieux lança sur les falaises de l'île tout au long du XIXème siècle.

Le héros, Paul Maresmes, est un poète de trente ans ou à peine davantage, il commence à vivre de sa plume, voyage par désir de titiller son inspiration capricieuse et n'a pas choisi Capri par hasard ou convenances. Une intuition opiniâtre l'attire sur l'île d'Auguste et Tibère. Paul Maresmes devine que quelque aventure épouvantable et fabuleuse l'attend sur les vestiges antiques, les sentiers à pic, les grottes peuplées de présences maléfiques. En vrai créateur de chimères, il ne redoute ni l'indicible, ni l'effroyable ...

Avoir la trentaine, lui semble une étape bizarre entre l'idéalisme adolescent et la philosophie parfois désabusée de l'âge adulte.

Heureusement, il n'est pas seul à affronter les incertitudes du « Grand Tour », son meilleur ami, artiste peintre, Julien Danoux, doué d'un agréable bon sens, l'accompagne, de Rome à Florence, de Naples à Capri, et, en homme raisonnable, se moque bien du poids de la trentaine et des tentatrices Italiennes !

Capri a la réputation d'offrir une source intarissable de nuances impossibles à saisir, un enfer et un paradis si l'on cherche à en représenter les beautés à la fois ondoyantes et immuable sur sa toile .

Voilà une perspective s'accordant avec l'énergie de ce jeune peintre à la trentaine trop assurée pour deviner que, si l'on a une âme tourmentée, cet âge-là marque un tournant dans la vie. On voit une rive s'éloigner, tout en ne désirant guère accoster sur l'autre.

Une porte miraculeuse s'ouvre alors si les circonstances s'y prêtent, et si on se sent l'âme assez résolue et l'esprit assez insouciant pour oser les escapades prodigieuses. Paul persuade ainsi Julien de finir les pérégrinations italiennes par l'île des Sirènes.

Le voyage en Italie se doit de faire une boucle hardie vers Capri : c'est dans l'ordre des choses, tous les guides le recommandent, pense le jeune peintre.

Capri, c'est un itinéraire spirituel, une escale vers l'invisible, une passerelle vers l'éternité, songe le jeune poète.

Et les voilà ivres de bonheur et d'exaltation juvénile guettant les énormes remparts naturels de l'île à l'avant du bateau de Naples.

Ils sont bien sûr les naïfs héritiers des fringants jeunes gens du siècle des Lumières avides de se lancer dans le « Grand Tour ». A notre époque, loin de tomber en désuétude, cette fougue voyageuse emportera dans son élan tous les audacieux et curieux voyageurs qui prendront une revanche sur la crise du covid en observant la leçon d'Ulysse roi d'Ithaque et inventeur du tourisme.

Souvenez-vous des premiers mots de l'Odyssée : 


« Muse, dis-moi la vie de l'homme aux mille tours dans son sac, raconte-moi

Comment il vagabonda sans fin, après avoir pillé la ville sainte de Troie,

L'homme qui a vu les cités de tant de peuples et qui les a compris,

L'homme qui à travers l'océan a souffert tant d'angoisses dans son esprit,

Qui a lutté pour assurer la vie et le retour des camarades,

Mais dont la volonté n'a pu sauver, malgré tout les camarades :

Car ils se sont perdus par leur propre manque de bon sens ... »

Ce merveilleux début du plus ancien poème d'Europe exprime la fascination du voyage sur le mode humaniste,Ulysse ne s'est pas contenté de « faire un tour », il a « compris » les peuples étranges rencontrés au hasard de ses pérégrinations, ceux qui lui prodiguèrent une généreuse hospitalité ou ceux qui se révélèrent d'une cruauté inhumaine... Il a aimé les déesses, affronté les dieux et une fois sur son île, après avoir vaincu ses ennemis et embrassé Pénélope, peut-être a-t-il éprouvé la poignante nostalgie de ses errances indomptées, de ses amours divines …

Et, qui sait, peut-être garda-t-il en lui la subtile, l'impérissable harmonie du chant de ces cruelles Sirènes qui tentèrent de le ravir à lui-même au large de Capri.

Or, légende ou réalité, ces créatures n'ont cessé de produire des ravages du fond des cavernes sous-marines de l'île azurée. Gustave Toudouze les aurait-ils épiés ? N'aurait-il failli céder à la tentation absurde de nager vers leurs silhouettes immatérielles ?

 Quelle fille de la mer lui chuchota-elle de sa voix mélodieuse ce sulfureux récit des amours maudites d'un poète de trente ans, double de l'auteur (et très jalousé par ce dernier) avec la descendante d'une aristocratique lignée de féroces sirènes Capriotes?

Cette invention tragique sonne avec un accent si plein de vérité que l'on en sort frappé d'effroi et pénétré de l'irrésistible envie d'aller se perdre du côté des robustes rochers Faraglioni par une nuit d'orage afin d e contempler le vrai visage de ces Sirènes maléfiques …

Nous commençons par débarquer, voici au moins cent cinquante ans, avec Paul et Julien au port de Marina Grande ! ni le funiculaire, ni la route angoissante s'élevant jusqu'à la petite ville d'Anacapri, ni la vision de la blanche Villa de San Michele veillée par son sphinx de granit rose, tout en haut de la Scala Fenicia,, ni les taxis hurlants, ni la foule cosmopolite  et jacassante n'existent encore.

Le port est un miracle d'harmonie au sein de rocs énormes et de jardins de citronniers, l'auberge choisie sera celle de Tibère. L'île est une escale de l'Antiquité; aussitôt la grâce incomparable de ses jeunes filles, la volupté de ses parfums, la pureté de sa lumière montent à la tête des voyageurs !

Il faut d'urgence le meilleur des guides pour ces deux jeunes gens si sympathiques.

L'idéaliste poète Paul Maresmes, le pragmatique peintre Julien Danoux engagent un honnête pêcheur répondant au nom bien connu sur l'île de Pagano. Mais celui-là n'est pas hôtelier, par contre, en Capriote aimable, patient et courageux, il se met, de tout son cœur, au service de ces courtois jeunes Français, amateurs empressés des curiosités insulaires.

Le destin embusqué sur les ruines du palais de Tibère se hâte vers les jeunes gens épris de bizarreries en revêtant l'extrême beauté d'une admirable jeune fille dont l'agilité au bord des précipices inspire frayeur et ravissement.

Mais Pagano recule, horrifié, devant ce spectacle à la grâce surnaturelle :

« Signori ! signori ! C'est une sirène ! »

Le peintre s'amuse, le poète reste grave, le monde a changé d'un seul coup autour de lui … et Pagano en les guidant sur les escaliers et sentiers empierrés menant à la Petite Marine, à cette époque refuge de misérables pêcheurs dont les maisons se  blottissaient contre la falaise, entre le rocher des Sirènes et les monstrueux Faraglioni, ces trois puissants récifs pareils à d'intangibles tours enracinées sur la mer et la grève, leur livre le secret de Capri.Les trois Sirènes qui tentèrent en vain de séduire Ulysse ligoté à son mât, reçurent une punition divine, et furent métamorphosées en ces trois rocs massifs !

Giovanna, l'ensorcelante créature des précipices, est leur sœur ; et aussi la fille d'un infortuné pêcheur qui osa les défier et en mourut, noyé, le corps brisé ...Pagano est certain d'une chose effroyable : chaque nuit de tempête, les Sirènes dévoreuses d'hommes s'échappent des Faraglioni, et cherchent à envoûter les voyageurs égarés avant de les entraîner au fond des eaux. Giovanna est maudite ! Il faut s'en éloigner ! Cette fable amuse Julien et ensorcelle Paul.

Mais, très vite, fasciné par les ruines du Palais de la mer , l'antique villa maritime d'Auguste, le jeune peintre oublie les Sirènes et ne se consacre plus qu'à son art :

«  Le jeune peintre descendait à travers les ronces jusqu'au Palazzo di Mare. Quand il fut arrivé en face du point qu'il étudiait, un flot de lumière inonda ses yeux, pénétrant en lui comme une vie nouvelle ; il sentit son âme s'imprégner de cette nature merveilleuse et la joie du travail heureux l'envahir.tout autre chose disparaissait pour lui ; il s'absorbait dans son œuvre, rendant les mille aspects du rocher, de la mer et des ruines baignées par les eaux bleues. »

Paul de son côté ne ressent plus que sa passion inexplicable envers l'invisible Giovanna. Le destin l'a entraîné dans la grotte la plus étrange de l'île : Matermania, antre de magicien, sanctuaire de divinités redoutables, lieu d'antiques sacrifices, et peut-être temple ravagé de Mithra, dieu du soleil !

«  Regardant le cap Campanella et le golfe de Salerne, à cinq cents pieds au-dessus de la mer, la caverne s'ouvre en face de l'orient et s'étend vers le cœur de la colline. »

Ce décor farouche et angoissant abrite vite les timides rencontres de la voluptueuse et sauvage Giovanna et du poète épris au delà de toute raison.

Un soir de tempête, le drame qui couvait sous les montagnes abruptes et les belvédères tendus sur les gouffres, menace d'éclater : Paul se hâte vers la grève des Faraglioni où Giovanna lui a ordonné de la rejoindre; Julien le suit, redoutant quelque horrible accident et surtout la quasi démence de son ami qu'il ne comprend plus .

Les vents furieux s'abattent à l'instar de coups de fouet gigantesques sur les rochers impassible ; soudain, les deux amis croient perdre la raison, devant leurs yeux égarés la mer est vide : les trois géants de pierre, les âpres, les terribles Faraglioni ont coulé comme des bateaux naufragés !

Et dans les vagues déchaînées tourbillonnent trois gracieux corps de jeunes femmes, les sirènes de Capri ne sont enlaidies d'une queue de poisson ni pourvues d'ailes d'oiseaux, elle irradient de beauté et  nagent à l'instar de danseuses marines.. Les deux amis se figent dans une contemplation émerveillée. Soudain, une jeune femme, aux formes parfaites, à la blancheur surnaturelle, s'avance d'un pas léger sur la minuscule grève, c'est Giovanna !

Elle vient rejoindre ses soeurs, les sirènes maudites qui chantent leurs infortunes tout en se laissant bercer par le vent . Enfin, secouées d'écume, elles s'élancent sur le rivage et forment une ronde autour de Giovanna dont la forme surnaturelle éblouit l'obscurité tempétueuse.

Paul ne résiste pas un seul instant, insensé, il court vers la Sirène qui l'enlace avec fureur et l'entraîne vers la mer rageuse ...

Les Sirènes victorieuses entourent les amants et la cruelle fatalité peut s'accomplir  …

Oserez-vous descendre à Marina Piccola un soir d'orage ?

Peut-être, l'hiver libère-t-il les Sirènes de leurs prisons ...

A la belle saison, vous ne risquerez guère de les apercevoir, même par une nuit tourmentée .

ll faut se rendre à l'évidence : de nos jours, le pittoresque rocher des Sirènes est tristement caché par des restaurants, la grève de Marina Piccola, prolongée de romantiques arcades romaines, souffre de l'inesthétique voisinage des « plages payantes», la foule se masse devant l'arrêt du bus de Capri face à l'adorable chapelle des pêcheurs...Mais, au bord des falaises, dressés, farouches et fiers, sur la terre et la mer, immuables, hautains, hiératiques, les trois Faraglioni incarnent pour l'éternité l'invisible sortilège de l'île…Si le cœur vous en dit, vous trouverez le roman de Gustave Toudouze chez « Treditions Classics », une maison d'éditions de Hambourg qui sauve de l'injuste oubli des ouvrages disparus...

A bientôt, pour une promenade italienne en compagnie d'un écrivain Prussien qui décida de ne jamais revenir dans son pays natal après avoir goûté aux délices de Rome,Naples et Capri....

Nathalie-Alix de La Panouse

 ou Lady Alix



Au large de Capri:Les Faraglioni: rochers cyclopéens ou sirènes pétrifiées ?





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