dimanche 6 juin 2021

Boccace: "confinement" et contes d'amour

De la Peste noire au Coronavirus : le jardin des « Novelle d'Amore »


Si l'espiègle et profond écrivain Giovanni Boccace était revenu sur terre au plus fort de la pandémie, sans nul doute aurait-il choisi  de se retirer en un jardin secret, silencieux, parfumé et perché sur les hauteurs d'une villégiature idéale.

Peut-être serait-il resté dans son Italie bien-aimée, à Florence, ou, pris d'audace aurait-il joué les ermites sur le Monte Solaro de Capri, en face du Naples de son enfance. Ou, l'âme vagabonde, aurait-il éprouvé une nouvelle inclination envers la France, et se serait-il exilé de bon cœur dans un village du Périgord caché au fond de ses bois noirs vers Bergerac ; peut-être encore, aurait-il préféré l'austère beauté d'un hameau des Pyrénées accroché à ses pentes raides du côté de Luchon.

Et, là, détaché des douleurs et deuils endurés par les mortels impuissants, Boccace aurait-il inventé encore une fois ses étranges et saisissants  récits, ces  « Novelle d'Amore » qui soudain nous parlent un langage bien plus proche en dépit du gouffre des siècles ?

Fermons les yeux et allons retrouver l'intrépide Florentin, qui garde de son enfance et jeunesse Napolitaine l'art de vivre au centuple et de refuser les mauvais tours du destin. Imaginons le hardi jeune écrivain et poète à la mode arpentant rageusement les immenses salles d'un palais dévasté.  Au dehors, la mort pleut sur les chemins, les tours, de guet, les places, les remparts. Pourtant, une petite troupe d'habitants dissimulés sous d'amples manteaux, les visages couverts de masques bizarres, la démarche hâtive, les regards fixés sur le sol, se presse vers sa maison protégée de pierres bosselées, à l'instar de ces demeures patriciennes qui semblent armées pour la guerre.

Et, c'est d'une bataille qu'il s'agit, celle qu'il est quasi impossible de gagner contre ce fléau de la Peste massacrant femmes fragiles, enfants innocents, hommes dans la force de l'âge, humbles moines et puissants seigneurs, nul n'échappe à ce torrent noir à moins d'un miracle ou d'une ruse.

Boccace décide de jouer franc jeu, la Peste veut le détruire, soit ! Mais elle devra le poursuivre et le rattraper ! Il connaît derrière Fiesole, une antique maison, ombreuse et silencieuse, cernée d'un jardin aux blanches déesses, bordée d'un lac paisible, la Peste ne l'ira pas chercher si loin !

Par contre, il ne s'enfuira pas en loup solitaire ...

Quel égoïsme de songer à s'évader juste à temps de cet ouragan macabre qui déferle en cette épouvantable année mille trois cent quarante huit sur les palais, jardins, fontaines, ponts et ruelles tortueuses de Florence la Magnifique ...

Mais quel courage aussi de prendre sous son égide un aréopage de sept agiles demoiselles aux longues chevelures et gracieuses silhouettes, et de trois damoiseaux élégants, ; mais la dague à la ceinture et n'attendant qu'une occasion pour faire valoir leurs droits de gentilhomme florentins resplendissant de bravoure et de panache !

On frappe avec une sombre vigueur ; Boccace dégringole plus qu'il ne descend son escalier monumental, la nuit endort la ville moribonde dans un ultime adieu ; le couvre-feu interdit de sortir , qu'importe, les jeunes gens s'étreignent, et en file prudente se glissent vers l'Arno, puis par un sentier connu d'eux seuls, montent vers les collines, courent presque et trébuchent, se précipitent, ivres de liberté, à travers les bosquets d'oliviers.

L'obscurité est propice en cette nuit dépouillée de lune, sans un mot, les jeunes évadés de la Peste, escaladent les murs d'un domaine, rampent sous les buissons de roses, et pareil à un fleuve impétueux, entrent dans une énorme maison abandonnée. C'est le paradis après l'enfer !

Aussitôt, Boccace donne le ton : l'ordre et l'harmonie régneront, les amants resteront séparés car leur chasteté sera une façon de rester solidaires du drame qui se perpétue à Florence ... L'insouciance et l'oisiveté seront deux maux dont les réfugiés s'éloigneront avec énergie : les travaux les plus humbles régleront chaque journée : comment faire autrement puisque l'élégante compagnie est privée de serviteurs ?

Toutefois, le soir viendra réconforter ces jeunes gens épuisés par leurs taches rustiques : on célèbrera l'amour sous forme idéalisée !

L'amour sera un immense poème chanté par un conteur qui devra à tour de rôle inventer un récit révélant ses multiples visages. Le projet de Boccace provoque le doute, la crainte, puis l'enthousiasme !

Et chaque soir, sorti de la vive imagination d'un jeune homme ou d'une jeune fille mêlent le faux et le vrai, naîtront  des contes d'amour, ni vraiment poèmes, ni tout à fait des fables. Point de morale à mettre en avant, l'essentiel c'est d'amuser, d'étonner, d'émouvoir, et de donner le goût d'aimer …Dix contes palpiteront ainsi du couchant à l'aurore ...

La cruelle épidémie une fois apaisée, Boccace s'inspirera de ces contes nés chaque nuit afin d'écrire son légendaire recueil du Décaméron,( dix journées en grec), à jamais, il sera l'homme des cent nouvelles, dix par jour, piquantes, moqueuses, amoureuses ou truculentes qui naviguent sur la rivière des passions humaines.

Cent récits, c'est aussi un gouffre littéraire !

Mais, certains contes marquent davantage les esprits et sont proposés par les cinéastes. Ainsi les frères Paolo et Vittorio Taviani ont-ils fait resplendir l'extraordinaire beauté de ce domaine où souffla le vent fougueux de cette juvénile passion de la vie et de l'amour !

L'histoire de Frederigo degli Alberighi malmène les amis des bêtes, (je ne peux la lire ou la regarder sans tristesse), mais en revanche, exalte l'idée de l'amour pur : celui qui donne son bien le plus précieux, n'attend rien, ne réclame rien, se contente du bonheur, même fugace, de l'être aimé par dessus-tout. Parfois, cet amour parfait reçoit sa récompense... 

C'est ce qu'affirme Boccace dans sa conclusion.

Un autre conte, celui du marquis de Saluces, illustre également cette folle vérité de l'amour : le don absolu.

Il prend pour héros un gentilhomme extrêmement suspicieux, une sorte de Darcy, (l'arrogant héros du roman « Orgueil et Préjugés ») médiéval, qui prenant pour épouse une adorable paysanne soumet la naïve jeune femme à un lourd cortège d'épreuves d'une cruauté inacceptable !

La malheureuse est victime des préjugés de son époux fort étonné d'avoir conçu un sentiment amoureux envers une femme qui n'est pas de son rang ; un peu comme l'héroïne du roman de Jane Austen ...Or, contrairement à Elizabeth Bennet, l'amoureuse de Darcy, l'épouse du marquis de Saluces n'a aucun orgueil. Elle endure les bizarres injustices de son époux sans se plaindre : il l'humilie, la prive de ses enfants, la répudie, puis va la chercher afin qu'elle serve de servante à sa nouvelle épouse !

La pauvre jeune mère et épouse se soumet, aucun mot de révolte ne sort de sa bouche, tout ce que décide son Seigneur est bien.. .Que cherche au juste l'indigne époux ? Seulement à éprouver son épouse jusqu'au paroxysme de la méchanceté absurde ! au pire moment, l'époux est enfin rassuré sur l'incroyable vertu de sa tendre épouse ! et le dénouement apportera, là encore, sa récompense à l'épouse dévouée...

Jusqu'où peut-on aller par amour ?

Voilà ce que Boccace a tenté de comprendre dans son jardin Toscan, « confiné » loin des ravages de la Peste noire …

Rien que pour cette raison, le bel écrivain ami de Dante et de Pétrarque mérite que vous alliez à l'aventure du Décaméron ou au moins de quelques beaux « Contes d'amour » …

A bientôt !

Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix


                                                  Un jardin Toscan, refuge idéal de la paix et du bonheur


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