jeudi 12 août 2021

Pages Capriotes: De Buzzati à une dame d'Anacapri: "Non è mai finita !"

Pages Capriotes

Non è mai finita ! ça n'est jamais fini !

« Non è mai finita »: ça n'est jamais fini, ce titre éclate en fanfare à la figure d'un lecteur qui serait tenté de prendre à la légère les «  Raconti » du féroce et tendre Dino Buzzati.

Désinvolture délibérée ou profonde vérité ? Dino Buzzati désire-t-il nous prouver que nous sommes liés sans le savoir à quelque chose qui nous dépasse, un pays, un amour, une passion, une faiblesse ? Dans son petit conte,la fatalité ramènera à son humble village devenu à la pointe de la mode, une charmante femme qui grâce à ses mariages avantageux n'a cessé de courir après les endroits les plus en vogue de notre terre. On croit à une aimable farce mondaine …

Méfiez-vous de Buzzati !  sous la plaisanterie se devine la fatalité.Sa charmante et inaltérable coureuse de maris fortunés nous donne les clefs de la fable en cette fin qui n'est qu'un éternel début :

« Et c'est ainsi qu'à force de courir le monde, j'ai fini par revenir dans mon petit village, précisément là d'où je suis partie ...et parfois j'ai l'impression d'être encore la même qu'autrefois et que les années n'ont jamais passé. .. et je me prends à imaginer qu'un jour ou l'autre je partirai ! Alors, vous voyez bien que ça n'est jamais fini ! »

Serait-ce notre sort commun ? Nos épuisants, incessants, opiniâtres efforts pour inventer notre vie n'auraient-ils jamais de fin? Ce qui fait le sens réel de notre vie, n'est-ce pas cette faculté de renouvellement perpétuel ?

Pour les uns, la vie n'a de sel qu'au moment des départs, pour les autres, elle ne prodigue sa plénitude que lorsqu'ils ont trouvé leur pays particulier. Pays d'enfance, pays aimé sans le savoir paradis entrevu en songe où vous revenez par le jeu du hasard...Bravant de ses remparts visibles et invisibles, douleurs et incertitudes, ce pays, votre pays, illumine les noirceurs de la vie, et vous l'emportez partout.L'amour est aussi un pays, s'il n'est un faux-semblant ou un caprice de la passion, et rien n'est jamais fini : le vrai amour ne meurt jamais.

Tant que vous l'aimez, l'être lointain palpite de vie, tant que vous l'aimer ou le chercher, votre pays lointain se dresse sur l'horizon.

Une chanson perpétue au pays de Languedoc cet victoire de l'amour lointain. Elle fut écrite dans son cachot par le prince de Foix, Gaston Phébus, que la légende pare d'un regard bleu et d'une crinière fauve. Prisonnier du roi de France, le malheureux prince supplie les montagnes de se baisser, les plaines de se lever, et ses amours d'apparaître enfin : rien n'est jamais fini !

L'absence sera vaincue à chaque fois que la chanson ouvrira ses ailes .

Défiant les siècles, cette chanson réchauffe au pays du Languedoc, le cœur des amoureux séparés qui souvent savent la reprendre dans son occitan mélodieux, si proche de l'italien musical : c'est le légendaire « Se Canto » :

« Derriere ma fenêtre il ya un oiseau

Toute la nuit, il chante sa chanson

S'il chante qu'il chante,

Il ne chante pas pour moi,

Il chante pour ma mie qui est loin de moi .»

Or, pardonnez-moi ce ton primesautier, je reviens à Capri où rien n'est jamais fini car si vous avez eu la chance de naître le cœur et l'âme en parfaite harmonie avec votre pays particulier, vous serez peut-être aussi altruiste et radieux qu'une des plus étonnantes personnes du village d'Anacapri : Donna Tina.

Anacapri, c'est le village « au-dessus », l'autre Capri, la cité de la montagne, la ville aux ruelles ouvrant sur des terrasses et vergers ; en son bord ultime, sa ravissante via Follicara ondoie vers l'antique vallée de Caprile. Si vous suivez, tout enivré des parfums de jasmin et de bergamotes s'élevant à chaque pas, les étroites traverses qui se croisent avec une confusion charmante, vous arriverez peut-être un jour au Faro, sur le sentier des forts, ou, encore mieux, au pays des sirènes …

Quand vous entrez dans Anacapri, le bus vous laisse juste à l'entrée de l'unique rue piétonne soignée comme un jardin antique : la via Giuseppe Orlandi, bourdonnante et affairée au cœur de l'été , paisible sous l'air frais et le soleil tiède de l'arrière-saison. En son cœur règne un palais rouge qu'un excentrique major anglais orna d'une salutation gravée en grec ancien, juste après, la rue s'orne d'un banc en majolique cachant une minuscule boutique à la porte toujours ouverte. Installée sur son fauteuil, depuis lequel elle ne perd pas une miette du spectacle de la rue, une belle dame de grande distinction brode avec l'enthousisame d'une jeune fille : c'est Donna Tina, grand-mère au cœur d'or d'une foule d'enfants !

J'ai répondu à son sourire qui s'adresse aux vieux amis, aux nouvelles figures et surtout aux guirlandes d'enfants virevoltant, cabriolant,s'interpellant, sans se soucier des adultes ennuyeux. Je suis entrée dans la pièce tendue de dentelles et couverte de portraits juvéniles qui sert de mise en scène à ses créations ; ses « Pizzi e Merletti », dentelles et broderies, vouées aux enfants sages..La conversation s'est nouée sans façon, s'est interrompue, pour mieux reprendre à l'orée de la saison froide …

Cette fois, je suis la seule cliente, Donna Tina me reconnaît, je la supplie de me pardonner mon mauvais italien et elle me répond en excellent français.

« Votre langue, me dit-elle, je ne l'ai jamais apprise, j'ai fait comme vous, je suis allée voir les gens, vous ne devez pas avoir tant de complexes ! si parlez la langue des gens, vous faites un cadeau, tant pis pour les fautes ! moi, je suis allée comme ça dans les rues à Buenos-Aires l'an dernier. Vous le savez peut-être ? Mon fils est ambassadeur d'Italie, et comme c'est un gentil garçon, il s'inquiète beaucoup quand je pars à l'aventure. Mais, il ne m'est jamais rien arrivé de grave.

Au contraire, j'ai des amis partout ! dans tous les pays où je lui ai rendu visite ! alors, continuez, parlez ! »

Je dévisage, incrédule, cette mère d'ambassadeur qui n'aime rien tant que broder des robes pour les petites filles bien élevées, assise sur une chaise plantée devant sa boutique. Donna Tina se met à rire et me raconte sa vie.

Il y a vingt ans son fils était diplomate dans un pays pauvre et en guerre de la vieille Europe et, en lui rendant visite, l'idée l'a prise de rendre service aux gens qui étaient pauvres mais talentueux. Elle alla à la rencontre d'un groupe de brodeuses dans le besoin, les admira, et leur proposa de présenter leurs romantiques blouses et robes d'enfant aux touristes d'Anacapri .

C'était un pari fort audacieux, les visiteurs de l'île vouant souvent un culte à l'extravagant et au luxe plus qu'aux charmantes créations d'artisans inconnus...Donna Tina déploya son art de la persuasion, et tout le monde a en voulu . Une Japonaise des plus influentes et raffinées fit son éloge en la décrivant comme la « Coco Chanel des enfants » !

"Ne le pensez-vous aussi, Madame ?"

 En toute franchise, la chaleureuse créatrice de la mode enfantine présentée avec une grâce exquise dans la minuscule boutique de"Pizzi e Merletti", mérite toujours ce doux compliment !

J'approuve de tout cœur ! nous bavardons de tout et de rien, Donna Tina me montre chaque photo clouée sur ses murs, petits clients, neveux, nièces, fils d'amis : je fais le tour du monde ! émue, attendrie, je promet de lui offrir moi aussi celle de la petite fille qui recevra bientôt la blouse délicate que je suis en train de choisir.

Le soir tombe à vive allure du haut du Monte Solaro, l'heure est aux confidences, Donna Tina rosit, ses yeux, qui ont volé sa clarté à la mer frappant les falaises de l'île, brillent: Dona Tina est une éternelle jeune fille !

« Vous êtes française, dit-elle d'une voix un tantinet ironique, vous semblez si romantique ! et vous aimez tant notre île. Cela me fait plaisir ; il faut que je vous dise quelque chose, il y très longtemps, un beau et jeune français a éprouvé un coup de foudre pour moi, mais il voulait que j'aille en France avec lui, et moi, je l'aimais bien, mais pas à ce point. Et je ne pouvais pas quitter l'île, je ne pouvais pas ! il est parti, je n'ai eu aucune nouvelle, et puis, il est revenu au bout de quarante ans ! »

Je suis sidérée d'émerveillement, ce roman c'est le romantisme absolu ! Je n'ose demander la suite mais frissonne dans le vent frais qui danse avec la nuit d'hiver.

«  Malgré vous, malgré lui, malgré le temps et l'absence, ça n'est jamais fini, dis-je d'une voix timide.

Donna Tina prend un petit air ironique. Sa réponse tranche l'atmosphère romantique sans l'ombre d'une hésitation :

«  Ce n'est pas du tout ce que vous croyez ! quarante ans, vous pensez ...Je l'ai trouvé très gentil, il me voyait toujours comme une jeune fille, mais tout de même, en quarante ans, j'avais fait ma vie ! alors, il m'a supplié de marier nos enfants ! vous les Français, quand vous voulez quelque chose, on ne sait pas ce qui vous arrête …Bien, j'ai été très contente de bavarder avec vous, revenez me voir au printemps !  j'aime beaucoup les français » ajoute-t-elle.

Je reviens lentement vers l'hôtel, la montagne écrase le village au sein de la nuit limpide, « ça n'est jamais fini »...

 Je songe à la ténacité enthousiaste, à l'amour de la vie de cette singulière Donna Tina. L'île, endormie dans la fraîcheur de décembre, est un bateau ancré sur ses mystères :

 ça n'est jamais fini !

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse



L'ancien jardin de la reine de Suède à Anacapri: île de Capri

Crédit photos Vicomte Vincent de La Panouse






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