jeudi 26 août 2021

Fontaine hantée et fantômes à Trianon : contes fantastiques



«  La Fontaine- Fantôme » et autres histoires fantastiques

Premier chapitre

Nous voici à la fin de l'été et les conversations s'éternisent autour des apéritifs, une manière de suspendre le temps bénie de l'insouciance... L'autre soir, une personne raisonnable me pria de la rassurer : « Vous semblez douée d'un certain bon sens tout en habitant une maison si ancienne ; vous au moins vous n'oserez pas nous régaler avec une bonne vieille histoire de fantômes...

C'est tellement ridicule, ces gens qui vous assomment de récits inventés dans le but de distraire autrui ! qui peut croire aux fantômes ? Vous, par exemple, vous n'en parlez jamais, vous avez les pieds sur terre et je vous en félicite ! pourquoi me regardez-vous de façon si bizarre ? Vous aurais-je blessée ? »

Je n'étais ni blessée ni choquée ni même amusée, au contraire, ma tête bourdonnait, sans doute l'influence grisante d'un vin du pays de Carcassonne, et un singulier cortège de souvenirs m'empêchait de répondre trop vite. Je repris mes esprits, remarquai avec crainte que l'assistance me guettait comme si j'allais raconter l'histoire la plus étourdissante du monde, et, n'écoutant que la voix de ma mémoire, j'acceptai de dire la vérité !

Non, je n'étais pas raisonnable, je n'avais pas les pieds sur terre, et sans croire aux fantômes, terme trop banal pour être honnête, il m'était arrivé de plonger dans une dimension des plus extraordinaires. Le fait que nous habitions depuis tant d'années dans une maison ancrée sur un passé lointain n'y était que pour assez peu de choses.

La plupart des gens s'imaginent que les fameux êtres venus de l'au-delà errent de façon bruyante au sein des corridors peuplés de souris et de courants d'air dans les demeures délabrées, théâtres de crimes ou scènes particulièrement épouvantables.

Or, les châteaux furent créés d'abord afin de protéger, rassembler, organiser la vie en société. .Ensuite reconstruits, réinventés, dans le beau dessein de prodiguer l'idée de l'élégance et répandre la lumière d'une civilisation en s'appuyant sur la subtilité d'un véritable de vivre.

Bien sûr, les tragédies abondèrent dans les citadelles, les drames sanglants endeuillérent même les « Folies » de l'époque du Bien Aimé roi Louis XV. Ainsi, de ravissants manoirs de plaisance arborant un raffinement plus italien que gothique cachent de terrifiants secrets sous leurs airs de gracieux châteaux retirés du tumulte et des vulgaires passions. Toutefois, j'insiste sans doute avec une naîveté touchante, les champs de bataille célèbres seraient plus à fréquenter que les anciennes salles de bal, les bibliothèques ombreuses, et les vastes cuisines, si l'on désire réellement mettre la main sur un malheureux fantôme tombé les armes à la main … Bien sûr, aux temps sanglants de la Terreur, les exactions abondèrent, mais souvent les châteaux furent brûlés,et, depuis ces jours d'horreur inhumaine, les cendres se taisent …

« Vous pouvez parfaitement voir des fantômes de plein air ! » dis-je d'un ton timide.

Manifestement j'étais en train de causer une grave déception aux maniaques des châteaux hantés !

J'expliquai à mon auditoire, aimable mais perplexe, que mon premier fantôme fut une fontaine aux eaux cascadantes que je découvris par hasard en courant dans les collines en compagnie de mes chiens quand j'étais enfant.

L'eau verte se précipitait au sein d'une vasque taillé dans du marbre à la nuance gris-bleu, la source jaillissait d'une grotte presque invisible sous des lianes odorantes ; je restai un long moment, ravie , pétrifiée, fascinée, les yeux perdus dans la contemplation des vaguelettes écumeuses. Puis, mes chiens aboyèrent comme si un péril approchait, et je me souvins que j'avais des devoirs à faire, et je craignis que l'on ne me gronde de mon retard ...

Cette angoisse s'envola vite et je revins chez moi aussi heureuse que le premier matin des grandes vacances. Les corvées ne me pesèrent pas, je ne songeai qu'au miracle de cette fontaine si majestueuse, si élégante, enfouie dans le repli d'une colline sauvage. Le mercredi suivant, je parcourus en vain les pentes et les bois, me coupai les mains en arrachant des ronces qui peut-être cachaient l'endroit merveilleux d'où surgissait l'averse verte tombant en rideau vaporeux dans sa majestueuse vasque de marbre. Hélas, l'esprit qui m'avait guidée ne me guidait plus !

 J'eus beau chercher chaque mercredi, jamais je ne retrouvai cette fontaine dont nul n'avait jamais entendu parler … Aurais-je vu une fontaine appartenant à un monde invisible ? La colline est toujours envahie de ronces et de buissons épineux, chasseurs et promeneurs frôlent une vasque de marbre sans la voir, une source rapide et musicale sans l'entendre …

« Quelle imagination ! Nous avons failli vous croire !  La fontaine des Fées ! C'est bien de vous ...»

Je résistai à ces moqueries en expliquant que ce beau souvenir me laissait autant de joie que de peine, et soudain, un second souvenir frappa à la porte de ma mémoire.

L'esprit ailleurs, je revins chez moi et remontai le temps ; du fond de ma solitude, quelqu'un me priait de ne pas oublier ce matin de soleil fugace et d'intense mélancolie au cœur du plus beau jardin de France ...

Vision à Trianon

A la fin décembre ou au début de janvier, il y fort longtemps, je suis invitée à la fin des vacances de Noël par une tante habitant non loin de Versailles.J'ai une dizaine d'années, une imagination farfelue,le goût des personnages tragiques et j'emporte partout le « Marie-Antoinette » de Pierre de Nolhac. C'est une lecture ardue pour une petite fille ; cela ne me décourage pas : j'aime l'histoire et compatis de tout mon cœur avec les malheurs de la reine. Je ne comprends pas tout, mais ressens la ferveur de l'auteur, très amoureux de son héroïne.

Ma tante se réjouit du beau temps, du soleil pâle réveillant de ses envolées diaphanes la façade du petit Trianon, elle vante la pureté de l'air sur les pelouses et se dirige en personne assurée de ne jamais s'égarer en ce domaine auquel elle voue une profonde adoration. Nous, les quatre enfants, trottinons derrière elle en balançant au passage les branches encore poudrées d'une neige légère.

Ce jeu m'ennuie au bout de quelques minutes . D'ailleurs, je déteste suivre en rang les grandes personnes.

Une allée sombre en dépit des traînées blanches sur les buissons m'attire comme un appel silencieux. Je me hâte de peur que l'on ne m'empêche d'aller toute seule au devant du hameau de la reine. J'ai l'intuition que ce chemin de traverse me le fera découvrir dans sa solitude. Les bavardages de mes cousins brisent mes rêves d'enfant, je ne veux plus entendre que le bruit de mes pas et les rumeurs assourdis de ces jardins frissonnant sous la neige.

Ne suis-je dans un endroit où le respect est de mise ? La reine a certainement rêvé elle aussi dans cette allée...

A l'orée d'un bosquet, sur des eaux dormantes, flotte un vaisseau de feuilles d'or empourprées, sur les rives, de jeunes arbres rougissent sous leur parure d'automne, et des corbeilles de fleurs se devinent aux fenêtres d'un cortège de petites maisons rustiques . J'ai trouvé le fameux hameau ! ivre de joie, je traverse la minuscule rivière sur le pont solide malgré son aspect vétuste ; me voici face aux coquettes chaumières dont les murs s'écaillent de façon très soignée. Ce spectacle est charmant, mais presque incongru, un vague malaise s'empare de moi. Suis-je réellement face au hameau de la reine ?

 Je le pensais tellement plus vaste, plus vivant, plus remuant, c'est le village de la Belle endormie, et tout semble si minuscule ! je suis vraiment dépitée, la tour biscornue a un allure factice, et elle n'en impose pas autant qu'il le faudrait ! Et la rivière n'est qu'un ruisseau ..  la douceur de l'air me réconforte puis m'angoisse, je réalise avec effroi que la neige a disparu d'un seul coup.

Le silence est si absolu que le moindre froissement de feuilles emplit à mon grand désarroi le village abandonné.

J'ouvre une porte, à ma surprise, la pièce est vide, presque sans meubles, hormis une table et des bancs de marbre ; cette salle arrangée comme l'intérieur de la masure de « Peau d'âne » me bouleverse ; j'ai l'impression d'entrer dans un décor imitant la vie où ma présence n'a pas lieu d'être. Je suis une intruse, l'esprit des lieux m'envoie un avertissement ...

Je n'ose aller plus loin et fait le tour du hameau en ôtant mon manteau. pourquoi ma famille tarde-t-elle ? Je m'arrête sur la rive du lac et mon cœur se serre. Un désespoir immense monte de ces eaux immobiles. La désolation tangible s'accroît avec une violence qui me laisse en larmes.

J'entends un pas précipité, je me retourne sans y penser ; comme sorti d'une brume, un jeune homme vêtu bizarrement escorte une jeune femme en longue robe; leurs visages reflètent la mélancolie des eaux, ils semblent porter toute la tristesse du monde et leurs mains s'effleurent dans un geste d'une tendresse infinie. Je les vois sans les voir, comme surgissant d'une photo en noir et blanc, les voilà qui me frôlent sans me jeter un regard, et leurs silhouettes s'effacent sous les ramures.

J'ai la respiration haletante, une peur irrépressible m'envahit, je me mets à courir dans la direction opposée, je ne veux surtout pas revenir dans ce hameau peuplé de gens aussi vaporeux que des nuage ! j'appelle ma tante et me retrouve sur une rive neigeuse au bord d'un lac aux eaux dormantes.La tour biscornue se dresse sur une poignée de maisons quasi en ruines, le village est vide mais l'air résonne des cris de mes cousins : « Tu n'es pas morte noyée dans le lac ! Maman va être contente de te voir ! pourquoi as-tu enlevé ton manteau ? Il fait un froid de canard ! et où étais-tu ? Enfin, nous te cherchons depuis deux heures ! Les gardiens sont furieux, allons vite les rassurer, tout de même, tu es vraiment idiote de t'être perdue si longtemps ! »

Je suis proche des sanglots mais me reprends, on me pardonne, on va jusqu'à me plaindre, et bientôt, l'aventure matinale est oubliée..Ma tante me prie juste de ranger mon livre sur la reine, de calmer mon imagination qui me joue ds tours et me fait voir des fantômes, et de boire une tisane !

Je ne suis jamais retournée dans le hameau de la reine, et je n'ai lu que vingt ans après le récit des deux Anglaises qui virent tant de choses incertaines au détour des allées de Trianon … Certains endroits nous renvoient-ils des visions du passé ?

Ou la lecture de l'émouvante biographie de Pierre de Nolhac provoqua-t-elle cette ivresse historique ? Et si, enfant éprise du passé, j'avais vraiment croisé la reine et le beau Fersen qui se firent de déchirants adieux sur les rives du lac le fatal jour du cinq octobre, avant que la foule hurlante ne vienne envahir sauvagement Versailles ?

Qui sait  ?

A bientôt pour une nouvelle histoire oscillant entre deux mondes,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


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Marie -Antoinette dans un parc: un dessin vaporeux et quasi fantomatique de Mme Vigée-Le Brun



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