samedi 11 septembre 2021

Chèvres-fantômes et campagne hantée

Contes fantasques et fantastiques second chapitre


Le surnaturel se croise toujours au moment où l'on y songe le moins.

J'ai ainsi traversé l'autre jour un troupeau de chèvres qui n'étaient plus de ce monde .

Vous allez penser que j'extravague pour le plaisir de raconter une histoire qui ne manquera pas de faire son effet.

Vous vous trompez !

 Enfant, il m'est arrivé de me trouver là où je n'aurai jamais dû me promener, c'est une fatalité qui s'attache à moi …

Je tombe en pleine atmosphère dramatique à Trianon, découvre dans ma campagne une fontaine qui n'existe plus, écrit une lettre devant une chapelle isolée en croyant être entourée de personnes charmantes, avant de réaliser que la plus absolue solitude règne sur mon ermitage éphémère ...

A chaque fois, toutes ces péripéties me semblent des plus naturelles, puis une vague d'effroi m'envahit doucement ; soudain, la certitude d'avoir frôlé l'inexplicable s'empare de moi .

J'habite au fin fond d'une verte campagne rehaussée de collines arrondies qui roulent en ondes couvertes de bosquets, champs de blé, tournesol, luzerne et colza vers la chaîne des Pyrénées.

Confinement ou pas, les courses nécessaires afin d'assurer la survie de ma famille m'obligent à emprunter des routes désertes longeant une kyrielle de vallons abritant quelques fermes fortifiées.

Souvent, je m'attarde sans y penser ; ces paisibles paysages, ces vieilles maisons blotties autour de lacs sauvages au dessus desquels planent des faucons peu farouches évoquent une époque disparue dont l'esprit hante encore quelques vestiges souriants.

On s'égare aussi sans y penser dans ces solitudes où tous les chemins s'éparpillent de façon fantasque. Il m'est arrivé de rouler au pas en raison d'une surchauffe du moteur durant deux bonnes heures sans avoir la chance d'implorer le secours d'un bon Samaritain. Par chez nous, oublier son portable annonce un caractère aimant l'aventure, ou un esprit souffrant d'une étourderie maladive, faiblesses entraînant parfois des conséquences fâcheuses !

Un soir de fin d'été, le ravitaillement familial assuré, je quittai la bourgade endormie sur les berges de son torrent et, rêvant à je ne sais quoi, sans doute aux falaises lointaines d'une île du golfe de Naples, je tournai du mauvais côté.Les buissons épineux obstruant l'horizon m'incitèrent à continuer ma route sans l'ombre d'un doute.

N'étais-je habituée à me repérer aux chênes verts, aux fleurs mauves , aux ruines parsemant mon itinéraire ?

Le temps était parfait, ni trop chaud, ni vraiment frais, la lumière particulièrement suave, le ciel pur. Aucun souffle de vent, ne se posait sur les branches, ne faisait ployer la tête fauve des tournesol., Au contraire, la campagne respirait une paix absolue, et je ralentissais au fur et à mesure que l'atmosphère devenait irréelle.

Soudain, je sentis une fraîcheur insolite, j'avançai entre deux flancs de collines couverts de bois hirsutes, je descendis vers une combe, pris un virage et dérapai sous une espèce de nuage gris.

Le soleil s'évanouit, la lumière chatoyante s'effaça, de bizarres éclairs emplirent le ciel et la route se changea en un âpre sentier jonché de cailloux et troué d'ornières.

Intriguée, je crus être victime d'un orage d'été sur un chemin de terre emprunté par erreur.

Je cherchai le moyen de retourner en arrière quand je faillis être engloutie par un troupeau de chèvres d'une espèce inconnue, des chèvres furibondes, excitées, d'une taille extraordinaire, prêtes à frapper ma petite voiture de leurs cornes d'une  grosseur incroyable. Je tentai une marche arrière mais peine perdue, les animaux empêchaient toute manœuvre !

Des clameurs assourdies retentirent, et deux femmes se précipitèrent, les plus incongrues, les plus furieuses que l'on puisse imaginer ! une fillette vêtue de façon invraisemblable, les cheveux trop longs battant contre sa figure barbouillée de terre, derrière elle, une femme sans âge, la face barrée d'une multitude de rides, robe en haillons, un cri sortant d'une bouche édentée, un baton pointé vers moi dans une main sèche comme un sarment de vigne

.Les deux créatures s'approchaient en vociférant de toutes les forces de leurs cordes vocales, je n'entendais rien mais il était facile de comprendre qu'elles voyaient en moi un monstre surgi de l'enfer !

Je tentai le tout pour le tout, il fallait que je me tire de ce mauvais pas, fut-ce en écrasant une ou deux chèvres ! j'écrasai l'accélérateur et priai le Seigneur de me venir en aide, sans que je sois dans la douloureuse obligation d'écraser les pieds des deux folles ou d'assommer la moitié du troupeau.

A mon immense surprise, je sortis du nuage, me retrouvais sur la route habituelle, entre deux champs de tournesols pareils à des chevaliers aux cœurs carbonisés, sous la suave lumière d'une fin de journée de fin d'été …

Mon cœur sautait comme si je venais d'éviter une catastrophe, mes mains battaient la mesure de la peur sur mon volant; peu à peu, la tranquillité du paysage me gagna et je revins chez moi déterminée à éclaircir ce mystère.

Je n'osai souffler mot à ma famille de cette confrontation avec des chèvres d'une autre âge, tout le monde aurait cru à un cauchemar tiré de mes voyages à Capri, ancien séjour  mythique de ces charmantes petites bêtes. Je choisis une méthode d'investigation excluant le danger de mettre en doute ma santé mentale et manifestai une irrépressible envie de me fournir en fromage de chèvres dans le périmètre de la terrifiante apparition.

 Peine perdue ! Le mystère  devint opaque comme une cheminée barbouillée de suie !

Pas l'ombre d'un troupeau de chèvres depuis des générations ! Sur ce terroir, on élevait des vaches, des moutons, des chevaux, des ânes, et parfois quelques chèvres égarées, mais un troupeau, un vrai, et de bêtes aussi rustiques, aussi vigoureuses, aussi indomptées ?

Quelle idée !

Je me forçai à reprendre la route maléfique, elle s'évertua à rester charmante, paisible, et en assez bon état. Je cherchai la trace d'une légende racontant que d'infortunées bergères avaient croisé un soir d'orage une créature installée dans une carriole magique et allant à la vitesse d'un ouragan.

 Aucun indice ! dans les alentours, on glorifiait la source miraculeuse jaillissant au pied de la chapelle consacrée à une Sainte dévouée aux enfants, et les reliques d'une autre dont je porte le prénom, et c'était tout !

Avais-je glissé hors du temps ? Ce troupeau était-il une lubie de mon imagination ou … autre chose ? Peut-être un jour si Dieu le veut, aurais-je enfin un rayon de lumière !

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de L



Camille Corot: le petit berger (1840)
Musée de la Cour d'Or, Metz




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