Les bienveillants esprits d'un sanctuaire des boi
Selon les farouches Gaulois vivant au fond des forêts du Périgord, des bois noirs de Bretagne,ou des immenses étendues de chênes du cœur de la Gaule disparue, le monde réel existait autant que l'invisible. Autrement dit cette contrée silencieuse que l'on ne distingue qu'avec une intuition affûtée ou une admiration naïve.
Sources englouties sous des arabesques de fleurs sauvages, ruisseaux tourbillonnants,trombes d'eaux trouant un ciel pur, rivières aussi prodigues en périls qu'en bienfaits, chênes aux troncs énormes et creusés de sillons accusant un âge impossible à concevoir, grottes aux parois constellées de cristaux, toutes ces merveilles de la terre prouvaient l'existence d'êtres d'essence surnaturelle.
Esprits de l'air, génies des bois, ondines des fontaines, et sur ce peuple bondissant un cerf divin portant haut ses bois :le dieu des forêts, Cernunos.
Les Gaulois écrivaient en grec et chantaient dans leur langue disparue les chansons de geste des créatures invisibles. Le grec, c'était pour les affaires, et peut-être aussi un peu pour Homère dont la poésie s'accordait avec leur goût des contes où la guerre épouse l'amour sur la mer couleur de vin, parmi les cyclopes mangeurs d'hommes, les enfants du dieu des vents, les déesses aux belles boucles et les magiciennes aux philtres subtils.
Surtout, les Gaulois aimaient se retirer au secret des forêts, des bosquets, des clairières perdues au sein des bois profonds et ténébreux comme nous avons peine à l'imaginer. Il nous reste encore un attrait instinctif pour les allées ombreuses et les promenades accrochées aux flancs des montagnes ou collines de nos terroirs les moins peuplés.De toute façon, on peut être gaulois de tradition, de souche, d'esprit ou de volonté ! L'héritage gaulois perdure dans l'indépendance acharnée, la liberté de penser, de vivre, d'aimer : c'est une élégante et tenace rebellion …
Sans oublier ce goût des forêts et ce lien intangible avec leurs sortilèges.
Or, moi, descendante d'une lignée puisant ses sources dans les cavernes du Périgord, et les forêts des Pyrénées, je cède souvent à la fierté de compter une fée au nombre de mes ancêtres. Une fée gauloise cela va sans dire !
A part cette vanité pour le moins absurde, à quoi cela sert-il je vous le demande de sentir un frémissement étrange dans vos veines ? Je n'entends le langage des fleurs que de façon très ténue, mes chats se plaisent à lancer des messages dans ma tête mais tous les esclaves de ces félins patients et dominateurs en sont au même point.
J'avoue ne jamais avoir engagé de conversation suivie avec un loup ou un ours. Les écureuils et les biches parfois, au hasard des collines, me font l'honneur de me contempler avec une sorte de complicité qui m'émeut infiniment. Mes talents féeriques s'arrêtent là !
Toutefois, je sens tout de suite si un lieu abrite encore l'esprit ancien, ou carrément antique.
Vous me direz que rien n'est plus facile, il suffit, quand enfin elles sont ouvertes, d'entrer dans une église, humble ou magnifique, vous déambulez furtivement, vous rêvez un peu devant une Vierge en bleu, et le bruit du monde, le poids des soucis, la dure et tenace mélancolie, l'odieux goût du désespoir pèsent moins.
Vous êtes entendu, vous êtes le bienvenu ;et quand vous ressortez, même sous la pluie rageuse même sous un ciel de plomb, même au cœur d'une circulation hargneuse, vous trouvez que le temps vient de s'éclaircir ; un grand calme vous envahit comme un nuage ...
Si vous ne me croyez pas, essayez !
Or, pour les Gaulois,la nature était un temple, et la forêt le plus beau de tous.Les sanctuaires jonchaient les sentiers, se dressaient au milieu des clairières, se dérobaient aux flancs des montagnes ou au creux des sources. Puis, le sublime message du Christianisme s'est étendu sur ces solitudes boisées, et les braves, les généreux, les bons et sympathiques Saints ont pris possession des refuges du Paganisme.
Les divinités des eaux vives et des bois profonds scellèrent alors un acte d'alliance : vivre encore à la condition de demeurer dans l'ombre.
Du côté de la Grèce, dieux et déesses regagnèrent l'Olympe mais sans promettre de ne pas s'accorder de temps à autre une promenade sur les îles des Cyclades, dans le sanctuaire de Delphes et même en Italie, souvent autour des colonnes embaumant les roses des temples de Paestum.
Le divin rocher de Capri, où l'on vous souhaite la bienvenue en grec ancien sur le façade de la Casa Rossa d'Anacapri, reçoit toujours des Olympiens et de la plus belle eau.
Ainsi, l'ingénieux Hermès me salue-t-il à chacun de mes séjours. On le reconnaît à son pas aérien, à ses regards moqueurs, à sa politesse exquise. Ses habitudes ne varient pas : il affectionne la crique sauvage du Faro et se plaît à descendre doucement vers la mer en suivant les marches lissées par les siècles de la via Follicara.
Hermès le séducteur, le voyageur des siècles et des mondes,Hermès « l' hermétique » autant que sa sagesse qui nous parvient par des voies tortueuses : « Hermès, nous dit Maurice Druon dans ses « Mémoires de Zeus », étrange Hermès, père de Pan parmi les immortels, aïeul d'Ulysse parmi les hommes ; jamais vous ne pourrez le saisir tout entier » ...
A Capri, chaque belvédère posséde son oratoire, son ravissant et minuscule sanctuaire de plein air, et sous chaque Saint se cache une antique divinité. Le Monte Solaro est un Olympe de villégiature, et il n'est pas rare de sourire à un promeneur altier et hiératique qui n'est autre que Zeus s'amusant à contempler les intrépides mortelles habillées de façon si bizarre.
Sa fille la plus célèbre, Athéna aime arpenter les degrès énormes de la Scala Fenicia, on la voit à la tombée du jour, de préférence à la fin octobre ou en décembre, appuyée sur un bâton qui lui sert de lance, ses yeux pers remplis de tristesse fixés sur la baie de Naples. Songe-t-elle à l'intangible sottise humaine?
Qui peut savoir à quoi rêve une déesse en hiver ?
Mais notre ancienne Gaule abrite aussi ses sortilèges ...
L'autre jour, au début de l'été, lassée d'une interminable marche à travers les pâturages de l'Ariège, j'ai supplié que l'on me laisse seule un moment devant une chapelle dressée sur une butte à l'entrée d'un hameau isolé. Une pancarte de bois lui accordait en toute simplicité un millier d'années.
Elle avait la grâce et l'éclat d'un coquillage rare, et semblait prête à s'effondrer.
Pourtant elle tenait bon et portait haut son minuscule clocher. Son nom suggérait la chanson d'un ruisseau caché dans les hautes herbes : La chapelle des Cazazils.
Cazazils ! un mot aux ailes vibrantes, un son mélodieux qui réveille les âmes envolées et ranime les amours mortes ! J'ai pris un stylo,( je suis à l'ancienne mode), et me suis mise à écrire une lettre à des amis de l'île de Capri, afin de leur raconter que dans les broussailles encerclant une chapelle blanche menaçant de s'effondrer sur moi, je me sentais soudain proche de leur île.
Un sentier invisible venait d'apparaître, une passerelle menant à un temps extraordinairement reculé.
J'écrivais et je me savais entourée, épiée, guettée par des figures indistinctes, j'écrivais sous la dictée de spectateurs amusés, pressés contre ma feuille, passionnés et enthousiastes, j'écrivais en ne sachant franchement plus ce que je racontai.
Un pressentiment me serra le cœur ; je cessai d'écrire et osai regarder derrière moi.
La chapelle irradiait de lumière, sa façade rayonnait, pure, parfaite, ses pierres neuves attirant les feux du chaud soleil de ce début d'été, les folles avoines s'étaient métamorphosé en fleurs mauves aux longues tiges, et un cortège de gens vêtus de blancs arrivait d'une grande prairie en face de moi.Je n'éprouvai nulle frayeur, j'étais en paix, et je me levai instinctivement afin d'aller saluer ces gens qui chantaient dans ce que je crus être un patois des Pyrénées, ou du latin bizarre.
J'allai vers eux, remplie de bonheur, et j'entendis :
« Nous revoilà ! Tu ne t'es pas trop ennuyée au moins »?
Le sortilège s'était envolé...
Mais, si vous errez un jour dans la campagne de Mirepoix, n'hésitez pas à chercher le hameau de Cazazils, près du village de La Fage, et peut-être les enchantements de sa radieuse chapelle s'empareront-ils de vous…
A bientôt,
Lady Alix (ou Nathalie-Alix de La Panouse
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