dimanche 24 octobre 2021

Capri vécue: humanisme et bellezza !



Pages Capriotes

Capri, île humaniste et généreuse !

Pour nos amis altruistes et talentueux d'Anacapri qui s'ingénient à nous rendre la vie plus belle sur leur île parfumée

Capri est le monde austère et gigantesque taillé à coup d'épée céleste par les Titans, fils barbares d'Ouranos, le ciel, et de Gaia, la terre aux confins du temps.

Il suffit de s'approcher de ses entassements prodigieux de rocs, arcs arrogants et pointes hautaines, de grottes ouvrant leurs bouches prêtes à dévorer, et d'âpres et indociles monts sculptés de vive lumière, pour se sentir insignifiant,et même intrus face à tant de beautés redoutables.

Mais Capri flamboie aussi comme une immense corbeille d'oranges et de citrons, un coffre de parfum grand ouvert entre la voûte d'un ciel toujours pur, même à travers ses voiles de fin de jour ou de fin de saison, et le bleu transparent, profond et irréel de sa mer jacassante.

Capri est un monde d'une diversité stupéfiante, une île qui en dérobe cent autres, et un lieu où le clair épouse sans relâche l'obscur, où le vacarme se fige soudain au sein du silence des parcs ombragés de pins séculaires, où les appas mondains choient au bout de la nuit dans le tintement pur des campaniles du matin.

Si, le regard ému et les mains tremblantes, en descendant du bateau de Naples, vous acceptez l'offre souriante d'un taxi, ou si vous grimpez sans peur dans un des petits bus qui se jettent à toute allure à l'assaut de la route la plus périlleuse qui soit, celle menant de Marina Grande à Anacapri,après quelques secousses et beaucoup de frayeur, vous entrerez triomphalement, victorieux des gouffres, dans une ville aussi charmante qu'un monde miniature.

La rue principale d'Anacapri,via Giuseppe Orlandi, est bordée de ravissantes maisons enguirlandées de bougainvillées fragiles et de buissons de jasmin à rendre ivre un saint ! (Le jasmin n'est-il d'ailleurs la fleur dangereuse  vouée à l'amertume de l'amour?) Jardinets et vergers leur font un cortège si impeccable qu'aucune mauvaise herbe ne s'y remarque, fut-ce avec une loupe de joaillier.

 Alignées à l'instar de bouquets enrubannés, les boutiques étonnent par leur élégance charmante : elles sont dressées à vous charmer et vous vous laissez prendre ! ce sont les Sirènes des temps modernes !

La foule est moins fatigante à affronter que dans le bourg d'en-bas, je veux dire Capri, où certains voyageurs courent à la recherche d'un luxe ancré dans l'histoire. On oublie souvent que la via Camerelle, artère biscornue peuplée de noms cosmopolites un peu trop célèbres, prolonge l'antique forum sur lequel les Patriciennes de l'époque d'Auguste, puis de Tibère, guérissaient leur intolérable exil en dépensant avec l'énergie de l'ennui mortel.

Anacapri, à l'inverse, sage et coquette, promène ses visiteurs sans leur causer le moindre désagrément, sans leur faire injure de la plus petite bousculade, sans leur infliger le seul soupçon de lassitude, jusqu'à un bijou ciselé par l'amour et les siècles : l'église Santa Sophia, solide comme la Foi et gracieuse comme une jeune épousée.Son Parroco incarne la foi la plus vibrante, chaque dimanche dans cette église aussi délicate qu'un coquillage précieux, il ranime les morals défaillants par sa fougue énergique et humaniste!  de braves animaux de compagnie l'écoutent aux pieds de leurs maîtres, avec une attention prouvant l'influence bienvenue de Saint François d'Assise.Le paradis a de grandes et  petites portes pour toutes les créatures du Seigneur...

Un de nos fidèles amis siège en face, c'est un artiste, violoniste passionné, écrivain, de Capri, et créateur d'un atelier où l'on fabrique des lunettes inspirées par les paysages les plus fascinants de l'île Comme tant d'habitants de l'île, sans oublier tous ses chats rebondis et hautains (descendants de ceux des Pirates Grecs !), notre ami a au moins sept vies ; à l'instar de son roc divin, monde bouleversant et paisible, rassurant et angoissant..

Ce créateur "d'Ottico Cimmino" a osé mettre la lune de Capri, déesse protectrice des Sirènes, (qui lui tendent leurs miroirs en escaladant le monte Solaro) sur les branches de sa dernière création. Ainsi, par ce balancement entre le pratique et le sortilège,  les élégantes lunettes de soleil se métamorphosent en objets incantatoires, ensorcelant les voyageurs depuis la vitrine ornée de suaves  majoliques azurées!

L'étrangeté de Capri prend sa source dans ce paradoxe, ce qui paraît simple sur ces falaises fleuries cache un enchantement qui s'empare de vous et ne vous quitte plus …

Une exquise couturière pour enfants sages (La charmante dame de Pizzi e Merletti) côtoie la place de Santa Sofia ; étalée en plein air, sa mode brodée à la main évoque des goûters bien élevés à l'ombre des citronniers …Un peu plus haut, sous la protection de l'auguste Casa Rossa, manoir robuste et excentrique inventé par un officier anglais qui adorait l'Odyssée et se prenait pour Ulysse, travaille le Signor Nicolas. C'est le tailleur habile et affable d'Anacapri ! toujours d'humeur égale, il cherche à adoucir le cours du temps en vêtant les futurs mariés et leurs pères de costumes surpassant ceux des meilleurs faiseurs londoniens.

A mon avis, une des boutiques les plus raffinées d'Anacapri, est celle qui déploie ses délicieuses tentations îliennes au bout de la via Capodimonte, promenade paisible qui vous jette droit sur les nobles vestiges de l'énorme porte médiévale, avant de vous lancer vers la brusque et périlleuse Scala bâtie par des géants antiques dont le nom s'est envolé dans les brumes du passé.

Avant ces descente exaltantes mais assez ardues, la boutique de "Da Geny", éblouissante de lumière met sa fierté, si vous faites l'effort d'y entrer, à vous accueillir en ami retrouvé ou en dieu descendant de l'Olympe, ce qui à Capri est parfaitement plausible. 

« Da Geny » n'est pas une simple boutique, mais en vérité une maison de famille dont le jardin en contre-bas, cultivé avec un soin jaloux, procure l'envie d'oublier les tumultes du monde ...

Son très courtois propriétaire, qui maintient l'oeuvre de sa famille, mettra son point d'honneur à vous expliquer la différence entre une précieuse porcelaine de Capodimonte et une céramique fabriquée à la chaîne, entre un"cameo"gravé de main d'artiste voici cent ans et un colifichet d'origine moins exaltante.

Sa jeune et ravissante fille, douée d'un goût capriote, subtil et raffiné, se veut digne du musée de maison s'ouvrant en face : la Villa Romaine de l'excentrique et humaniste docteur Axel Munthe, défenseur devant l'éternel de la gent animale et chevalier sans peur ni reproches de Capri rencontrée en sa jeunesse !

Père et fille raffolent aussi de l'art de la conversation  qui transfigure avec une charmante simplicité leur boutique en un salon du Grand Tour où visiteurs et habitants se plaisent à raconter leurs découvertes de l'île ondoyante et attachante..

La même alchimie avive les rencontres imprévues sur les traverses exténuantes, ruelles étroites, sentiers hasardeux s'élevant face aux belvédères du vertige.

 N'oubliez-jamais: Capri se comprend et se gagne avec son cœur, et aussi ses pieds !

Si l'inconnu vous attire, la déception sera impossible.fiez-vous aux aimables îliens, prêts à vous remettre sur le bon chemin, à votre intuition, et tentez d'écouter le langage « des fleurs et des choses muettes » que murmurent les  perfides Sirènes invisibles avec l'écho des vagues pourfendant les falaises.

Capri, sur le fil hasardeux de nos séjours mouvementés, est devenu pour nous le roc des amitiés qui ne sombrent pas malgré les tempêtes de la vie.

En cette fin de saison, nous voilà enfin de retour, après une interminable, une douloureuse année. Lot commun sous le poids de l'épidémie …

Naples nous surprend déjà, sous l'effervescence se devine une ineffable mélancolie.

Pourtant, fortifiés par la douceur du soleil, nous reprenons nos habitudes au Gran Caffè Gambrinus dont les tableaux romantiques et désuets et les dorures généreuses brillent de mille feux. mythe littéraire et réalité ancré dans la vie Napolitaine, c'est l'endroit idéal pour les rendez-vous élégants entre la Piazza Plesbicito, le teatro di San Carlo et la Palazzo Reale. Or l'atmosphère a imperceptiblement changé, l'air ne retentit plus de rires et appels éloquents, le théâtre spontané a baissé de ton ...

Un peu plus tard, vers le couvent de Santa Chiara, la foule s'est amincie, la fougue s'est calmée, on dirait que le les taxis mesurent leur allure, les enfants hurlent avec une sorte de modération derrière leur ballon dans les cours décaties et superbes des antiques Palais.

Il y a quelque chose de changé au royaume de Naples ; la ville « gouffre » a souffert, et souffre encore ...elle renaît mais lentement …

Nous voici enfin à Calata Porta di Massa. Heureux comme deux enfants, nous agitons nos billets en saluant Capri au loin en ses brumes diaphanes.Hélas, le bateau refuse de partir !

Une tempête s'annonce, les passagers boudent ou acceptent dignement ce mauvais sort, sauf quelques Français qui, horreur, proposent une manifestation !

Allons-nous clamer :« Démission » au vent qui se lève ? Frappés d'épouvante, nous faisons semblant d'être italiens ! trébuchant sur ses escarpins dorés, une Napolitaine furibonde attrape un marin et lui intime l'ordre de larguer les amarres ! le marin est Capriote, donc courtois : il se contente de sourire et de tendre encore plus droite la chaîne nous barrant la passerelle.

Le second bateau aura-t-il pitié de nous ? Pas davantage ! La baie de Naples dicte la loi du dieu Eole, et nous nous soumettons. Après-tout, Capri se détache sur la mer écumeuse, la colère des éléments ne l'emportera peut-être pas ce soir au fond des abysses qui parent de bleu surnaturel

la mer où navigua Ulysse! Poseidon soudain retire ses flots hargneux, apaise les vents arrogants, et nous montons en troupeau rassuré l'escalier du pont supérieur !

Capri veut bien de nous! et nous voilà sauvés d'une fraîche nuit d'octobre sur un banc du quai !

La houle nous berce tant que l'entrée au port de Marina Grande nous prend par surprise, nous attendions ce moment depuis treize mois, en réalité,le temps s'est aboli, nous avons l'impression de n'avoir jamais quitté l'île …

La montée vers Anacapri dans la bourrasque ne nous serre ni le cœur ni l'estomac, cela prouve que nous ne sommes pas des touristes grincheux !

Les rafales s'éloignent dés que nous enfilons le dédale des ruelles, encore quelques pas, et une minuscule maison nous ouvre sa porte au milieu d'un jardinet planté autant de statues sans tête ou sans bras que de citronniers vénérables.

Cela sera notre paradis capriote pour une éternité, c'est-à dire, notre rapide séjour: un jardin à Capri, avec de blanches colonnes haussant une treille, des bassins abandonnés, et Ischia , Procida, Vivara, îles voisines et lointaines, étoiles d'améthystes veillant sur nos songes.

Notre nouvelle amie, la tempête d'automne nous poursuit jusqu'aux retrouvailles vespérales avec nos amis lointains mais jamais oubliés.

Embrassades, émotion avouée, affection, joie, et pleurs de joie, nous saluons et sommes salués, Capri nous a repris sous son aile !

Malgré les bouleversements des jours prochains, ceux que nous ignorons encore, ces coups du sort qui tourmentent parfois la vie des voyageurs fervents, nous savons déjà qu'elle ne nous abandonnera pas.

L'île aux monts d'or et d'argent, aux vallées de genêts et de jasmin, l'île aux bosquets de citronniers et aux parcs de pins hiératiques, l'île aux grottes bruissantes d'incantations, l'île abritant encore l'extraordinaire beauté du royaume d'Atlantide, est un roc inexpugnable protégeant les âmes qui lui vouent un culte naïf et franc.

A bientôt, pour de nouvelles Pages Capriotes...

Lady Alix

Nathalie-Alix de La Panouse



Sylvestre Tchedrine, grotte de Matermania sur l'île de Capri
1827, huile sur toile, Moscou, Galerie d'Art d'Etat Tretyakov

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