dimanche 7 novembre 2021

Capri : roc de la lumière et des chats seigneurs !



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Capri : roc de la lumière et des chats seigneurs !

Capri est une île grecque qu'un dieu se serait plu à séparer de ses sœurs les Cyclades, ou de ses cousines de la mer Egée, afin de l'ancrer sur la mer violette au cœur d'un golfe voué à la sirène Parthénope.

Son ascendance divine a forgé une cuirasse de légendes trempées dans une réalité éblouissante : Capri est le roc de la lumière !Le départ vers le pays de la lumière, contrée bénie où l'ombre se fait clarté ! Capri loin des jugements désinvoltes des visiteurs vaniteux et rapides, reste l'île rêvée.

Roche énorme défiant les abysses sur ses eaux d'azur aux nuances extravagantes ; épée dressée contre le ciel depuis la démesure de ses falaises ; enfin, temple naturel, conçu afin de révéler aux mortels les oracles des dieux.

Surtout par temps clair,choisissez le bateau de midi, celui de Porta di Massa, qui vous offrira l'arrivée la plus lente, celle adulée des voyageurs épris de philosophie, ceux qui savent que la hâte enlaidit et colore d'amertume le coeur-même du voyage.

Seul sur le pont, loin des voyageurs jacassant dans leurs portables, vous verrez Capri s'allonger comme un félin aux aguets et vous sentirez naître en votre âme une émotion troublante ...Frappée d'éclairs, couronnée d'étincelles, chatoyante et miroitante, l'île jaillit d'une cascade de lumière éparpillée sur l'écume et sur la roche.

Le Monte Tiberio flamboie et vous devez une respectueuse pensée à l'empereur austère calomnié par ses adversaires incapables de comprendre son caractère farouche, vous devez saluer Tibère car son fantôme, tout le monde le sait, surveille encore l'horizon parmi les ruines hautaines de son palais gigantesque. Votre regard aveuglé ensuite se perd jusqu'au plateau d'Anacapri que protège l'imposante splendeur du Monte Solaro. Entre ces deux forteresses naturelles,vous reposez votre vue en suivant l'exquise coulée des vergers, les terrasses de vignobles, la charmante dégringolade de maisons à colonnes ourlées de jasmin.

Puis, vous entrez au royaume de l'enfance, voilà des barques bien alignées, des boutiques de coquillages, des taxis couverts d'un étrange dais, des pêcheurs à face bronzée et allure de pirates, des cafés où l'on se presse et gesticule.Les falaises encerclent ce monde aimable de leurs masses arrogantes, la lumière dense vous fait baisser la tête, et vous perdez votre belle assurance ; vous sentez que vous êtes sur le point de franchir une frontière invisible. Vous entrez au pays des dieux, des Sirènes et de la brillante vérité.

Vous touchez le port, vous entrez à Marina Grande et, très haut, sur la montagne de droite, accroché à un balcon de marbre,impavide sous le puissant glaive du soleil, se devine le plus énigmatique des Sphinx...Serait-ce le gardien de l'île? Voudra-t-il de vous ?

Vous venez d'entrer au port par surprise, presque par inadvertance, est-ce bien là le refuge qui vous ouvrira les secrets de l'île ?

L'île éblouissante est venue à vous d'un seul coup, comme le sentiment de l'éternité de votre âme devant Dieu.

Pour aimer, il faut avoir foi en l'amour partagé, Capri exige la même chose, c'est d'une simplicité antique ! osez dès le premier pas sur le quai, lui prodiguer votre confiance entière, irrationnelle, altruiste, et elle vous recevra comme un ami retrouvé.elle vous recevra cœur et âme dans ce qu'elle a de plus sublime : l'onde infinie et subtile de sa lumière.

Rayonnante et bienfaisante, l'île vous guérira de la face sombre de votre vie ; si vous lui prouvez votre attachement, peu à peu, elle vous fera oublier ceux qui ont cherché à remplir vos jours des ténèbres humaines, ce cortège sournois d'humiliation, de rejet, ces lourdes et taciturnes peines ...

Capri vous souhaite la bienvenue en vous aveuglant : la lumière tombe des montagnes, vous poursuit sur les traverses, poudroie entre les feuilles des orangers, ondoie de la mer vers le ciel et du ciel sur les rochers, blanchit les cavernes jaillissant de ses rudes flancs, avive les bois de pins tendus vers les nuages, s'empare de votre tête et vous ôte le moindre discernement.

Vous êtes soudain rocher, écume, oranger, jasmin, vous devenez une part de Capri...

L'illusion dure l'éternité d'un songe, un appel, une bousculade, des clameurs et Capri vous abandonne …

N'ayez crainte, elle reviendra vous habiter, elle fera de vous son vassal ...pour le moment, vos yeux vacillent, vous marchez d'un pas heureux mais fort hésitant au pays de la lumière.

Lawrence Durrell vécut ce phénomène à Corfou en ses vertes années, la lumière surnaturelle de sa nouvelle patrie ne l'abandonna jamais, elle a forgé ses écrits et épanoui son talent. Sa vocation est fille de « To Phos ».Mais, là où Durrell se trompe c'est en répondant à sa manière à la question : « En quoi la Grèce diffère-t-elle de l'Italie ? »

Provocant et impitoyable l'impertinent Lawrence d'affirmer : « C'est par la lumière ! »

Peut-être est-ce vrai pour une partie de l'Italie, mais certainement pas si l'on aborde à Naples, Capri, Ischia, Procida, Sorrente et Positano !

Grecque la lumière subtile qui vous enivre et vous purifie, Grecque la lumière tendre baignant les aubes aux doigts de rose, Grecque encore la lumière jamais vaincue des nuits transparentes au cœur de l'été …La lumière qui envoûta puis ravagea l'amoureux de Capri le plus connu : le docteur Axel Munthe qui perdit ses yeux après des années de reconstruction d'un palais d'Auguste et de Tibère : la trop célèbre Villa San Michele se haussant sur l'ancien chemin de ronde d'Anacapri.

La lumière à Capri vous poursuit et vous réconforte, vous ploie et vous redresse, elle vous donne nouveau le sens de l'essentiel et la mesure démesurée de la beauté ; elle vous rend la passion de la vie !

Au cours de ce voyage immatériel et terre-à terre, les yeux perdus et les pieds las de grimper les innombrables escaliers et sentiers de l'île aux chèvres, vous êtes face à ce que Lawrence Durrell définit avec un panache qui n'appartient qu'à sa verve spirituelle :

« l'oeil de Dieu à nu et qui vous aveugle ».

Capri a une puissance de suggestion très grecque, entre la magie et l'humanisme, qui métamorphose un passant en messager de l'Olympe, un dîner sous une pergola rehaussée de colonnes hiératiques en banquet de l'Odyssée, ou qui sacre un bavardage à propos d'un chat, endormi le nez contre la vitre la nuit dans sa boutique, en anecdote mémorable. C'est encore elle qui bouleverse votre coeur dans la chapelle minuscule de la Follicara ,ou celle surmontant la via Matermania, au début de la via Tiberio, en le laissant en communion avec une dimension généreuse, attentive, invisible et présente .Surtout, ce charme singulier hante la noble et rêveuse promenade de la Migliera et attire en douceur vers un pèlerinage imprévu dont l'éclat vous illuminera même quand vous serez loin de l'île...

il m'est souvent arrivé de me perdre au hasard des escaliers raides aux marches écroulées dans la partie la plus sauvage de l'île ; et de supplier, prise au piège d'un enchevêtrement de jardins escarpés ou de sentiers abandonnés, un îlien solitaire de me venir en aide. Je n'ai jamais compris comment avait pu se matérialiser soudain devant moi un homme toujours d'âge respectable et le visage fort buriné, les yeux d'un bleu de mer d'une clarté sidérante...

J'en ai pris mon parti ; et me suis répandu à chaque fois en remerciements que mon sauveur ne semblait point entendre pour la bonne raison qu'il disparaissait aussi vite qu'il était apparu...

Ce genre de péripéties ne survient jamais quand je suis escortée d'un enfant ou de l'homme-mari … Puis vint le mystère du chat de la via Giuseppe Orlandi à Anacapri …

Imaginez un gros chat qui suscite l'amusement des spectateurs en s'étirant s'étire avec une discrète volupté dans une somptueuse corbeille posée contre la vitrine de sa maîtresse, fleuriste d'une distinction remarquable.

Quoi de plus charmant, me direz-vous ?

Un chat dans sa corbeille, où voyez-vous un mystère dans ce tableau pacifique ?

Or, à Capri, les mystères dansent sur votre chemin en se mêlant à la pureté de l'air bleuté.

Ainsi, le théâtre ordinaire de cette boutique, soignée à l'instar d'un jardin en chambre, nous précipita-t-il au sein d'un abîme de perplexité !

Cet animal appartenait-il à la lignée des divins félins adulés par les pharaons ? Possédait-il des qualités extraordinaires  pour ne jamais bouger de sa corbeille en se laissant admirer du matin au soir, et même jusqu'au cœur de la nuit?

Comprenez que ce chat aux rondeurs plantureuses, à la robe de satin tirant sur un roux d'écureuil, poursuivait son somme sempiternel à l'heure où la rue principle du village d'Anacapri résonnait des pas joyeux des promeneurs nocturnes. Superbe et immobile, le félin montait une garde taciturne, encadré de gerbes et vases lui conférant la majesté d'un monarque accablé d'hommages fleuris.

L'imposant veilleur de nuit prenait manifestement sa mission avec un sérieux redoutable, et nous comprîmes vite qu'il valait mieux, de l'autre côté de la vitrine, ne pas admirer les superbes compositions de roses, jasmin et marguerites avec un enthousiasme intempestif !

Les yeux vert amande fulminaient et le pelage soyeux se hérissait, un frisson secouait le passant, ou lui tirait un sourire selon sa force de caractère, puis, ayant produit son petit effet, rassuré, le gardien reprenait sa sieste immodérée.

Ce chat éclatait manifestement de santé, toutefois, comment buvait-il, mangeait-il, sortait-il, vivait-il sa vie de chat indépendant et fier?

Avait-on l'incompréhensible cruauté de le tenir enfermé afin de décourager d'éventuels voleurs de fleurs sur une île où il en croit chaque jour de nouvelles ?

Avions-nous affaire à un chat-esclave ?

Ou à un ancien dieu revenu sur l'île de son antique villégiature ?

A la fin, je n'y tins plus !

J'avais un bouquet à commander afin d'honorer le dîner d'une grande amie îlienne ; j'entrai, me présentai, et appris, ce qui arrive sans cesse sur l'île, que la très distinguée dame régnant sur son délicat paradis parfumé n'était autre que la belle-soeur de mon amie.

Le temps de respirer les senteurs de la boutique, profitant de notre intense réflexion menant à un bouquet vraiment « Caprese « , symbole de joie, d'élégance et de bonne humeur, j'amenai timidement la conversation sur le mystère du félin nocturne.

Les chats savent magistralement lire dans les pensées : comme par enchantement, le héros se présenta sur la table jonchée de roses et me scruta avec un air narquois qui me fit comprendre l'étendue de ma sottise.

« Mon Dieu, Madame, me dit sa maîtresse dans un français des plus raffinés, vous ne pensiez tout de même pas que mon chat souffrait chaque nuit de la faim, de la soif et de l'ennui  et que je le mettais en prison ici? Ah si, vous le pensiez, mon Dieu, mais quelle imagination ! Allons ! il a sa propre porte, voyez, derrière vous et même son échelle montant sur le toit ! vous le plaignez d'être en prison alors que c'est un chasseur qui court après les oiseaux. Le croirez-vous ?

Il connait toutes les espèces qui viennent se poser à Capri.

Nos anciennes citernes, et même celles construites par l'empereur Tibère qui n'était pas l'homme mauvais que racontent les écrivains romains, sont couvertes de chats qui vivent leur vie.

Ne vous étonnez pas qu'ils soient si gros ...et si terribles. Les propriétaires de chiens le savent, mon chat est capable de jeter leurs bêtes dehors ! Voyez-vous, à Capri, les chats sont des seigneurs, des héritiers des anciens dieux... Ils en connaissent plus que nous sur l'île et ses secrets ; et nous l'acceptons… ajoutons-nous quelques roses ? Pour moi, ce bouquet est très harmonieux, mieux vaudrait en rester là. »

Le chat juché sur un nuage de feuillage odorant, avança le cou, agita la patte, flaira l'oeuvre d'art et approuva le jugement de sa maîtresse d'un miaulement rauque.

Convaincue par ces deux avis courtois mais fermes, je m'inclinai docilement, pris congé avec tout le respect dû à une talentueuse artiste et à son docte conseiller, et m'empressai de rassurer l'homme-mari sur le sort du chat-veilleur de nuit, cruel dévoreur de la gent ailée...

L'heure de notre d^ner approchait. Déjà sur les rocs gigantesques du Monte Solaro, le soir enlaçait les pins ailés et marchait sur le fleuve jaune des vignobles. Déjà, contre le ciel veiné de parme, le soleil rougeoyait prêt à accomplir son voyage vespéral.

Songeurs, nous descendîmes vers la vallée de Caprile par une traverse surplombant la mer ; lové dans mes bras,le gros bouquet jaune palpitait sous les lueurs changeantes du couchant.

Un des derniers rayons teinta soudain de pourpre le toit blanc d'une citerne arrondie, et fit scintiller la robe de velours fauve d'un chat pétrifié d'extase devant la mer nacrée.

L'île s'enveloppa de brumes piquetées d'éclats roses le ciel nous jeta à la figure ses feux hallucinés, le soleil chuta au fond des eaux et le chat ronronna comme une forge.

C'était sans doute sa manière de célébrer l'ordre du monde, l'harmonie lumineuse de son île où les chats sont des seigneurs...

A bientôt, pour d'autres pages capriotes,

Nathalie-Alix de La Panouse

ou Lady Alix



Coucher de soleil sur  l'île d'Ischia depuis un balcon d'Anacapri :
Capri ou la lumière dans la nuit !
                                                        (crédit photo:Vicomte Vincent de La Panouse)





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